Les librairies rouvrent après plusieurs semaines de bataille

Un point de « click and collect » mis en place dans une librairie à Lille, le 24 avril.
Un point de « click and collect » mis en place dans une librairie à Lille, le 24 avril. MICHEL SPINGLER/AP

Sa librairie, L’Encre bleue, située à une encablure du port de Pornic (Loire-Atlantique), avait encore, samedi 9 mai, des allures de centre de tri, avec des cartons un peu partout, des colis… Le gérant, Yann Laigle, va remettre toutes ses tables et les livres en ordre pour la réouverture au public, mardi 12 mai au matin.

« On s’organise pour bien faire les choses. Nous aurons tous un masque et des gants, du gel hydroalcoolique sera disponible à l’entrée du magasin, explique-t-il. Les clients les plus frileux ne toucheront pas les livres. Le magasin n’est pas grand, je compte sur la discipline de ceux qui viendront. D’eux-mêmes, ils viendront avec des masques. S’il y a trop de monde, je leur demanderai de patienter. Nous sommes des commerçants, pas la police non plus », rappelle le libraire.

Lire l’enquête : Les libraires dans le sas de déconfinement

C’est l’un des rares à avoir décidé, dès la veille du confinement, de garder un lien avec les lecteurs et de les dépanner en livrant leurs commandes à domicile. « On a travaillé avec ma femme pendant près de deux mois de 8 heures à minuit, dit-il. Nos clients fidèles sont restés et de nouveaux les ont rejoints, soit par réflexe anti-Amazon, soit parce qu’ils trouvaient injuste que notre librairie soit fermée tandis que celle du centre Leclerc était ouvert e », explique-t-il. En temps normal, la librairie compte une cinquantaine de clients par jour, là, pendant le confinement, une vingtaine de commandes quotidiennes ont été enregistrées. « Même si je ne me suis pas versé de salaire, ces livraisons, c’est ce qui va nous sauver et nous permettre de passer le cap », ajoute le libraire, qui a mis deux employés en chômage partiel. Au total, seuls 400 libraires sur les 3 300 que compte l’Hexagone ont proposé pendant le confinement des livraisons à domicile ou un service de « click and collect ».

Activité effondrée de plus de 90 %

Depuis la fermeture des librairies, lundi 16 mars, l’activité du secteur s’est effondrée de plus de 90 % entre la mi-mars et la mi-mai, selon le Syndicat de la librairie française (SLF). Pourtant, les grandes surfaces, les points de vente de la presse, les sites Internet, et pendant quelques semaines Amazon, pouvaient, eux, vendre des livres en toute légalité.

Le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, avait pourtant proposé sur France Inter, jeudi 19 mars, un déconfinement des librairies afin qu’elles puissent fonctionner normalement et recevoir des clients, mais le SLF avait immédiatement refusé cette proposition. Son président, Xavier Moni, affirmait que les livres ne constituaient pas une marchandise de première nécessité et que la santé des salariés devait primer.

Il vous reste 50.07% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

En Alsace, naissance d’un fabricant de masques au cœur d’une usine métallurgique en plan social

Le Pôle textile Alsace se mobilise pour fabriquer les masques, à Mulhouse, en mai.
Le Pôle textile Alsace se mobilise pour fabriquer les masques, à Mulhouse, en mai. ELEONORE AUBERTIN

Là où tant d’entreprises textiles ont été décimées par la concurrence étrangère, une nouvelle vient de naître en Alsace, Barral, qui produira dans les tout prochains jours des masques grand public en fibres synthétiques pour les conseils départementaux des Haut-Rhin et Bas-Rhin. Ceux-ci en ont commandé 3,7 millions d’ici à fin juin pour les distribuer aux habitants. La première machine est arrivée le 6 mai, trois autres seront livrées d’ici à juillet.

Cette entreprise a été lancée à toute vitesse à l’initiative du Pôle textile Alsace. Elle est créée par six industriels de ce Pôle qui, avec leurs propres deniers et l’aide d’une banque, y ont investi plus de 3,5 millions d’euros. « Une usine normale se monte en six mois, nous, on a mis 50 jours, se félicite Benoit Basier, président de Barral, du Pôle et de la corderie Meyer-Sansboeuf, basée à Guebwiller (Haut-Rhin). Il y avait urgence.

100 % recyclables et 100 % français

Mi-mars, une trentaine d’ateliers et d’entreprises membres du Pôle textile s’étaient convertis à la fabrication de masques pour répondre à la demande d’industriels. « Barral ne leur prendra pas du travail car la demande est énorme, précise M. Basier. Puis, au fur et à mesure que l’économie repartira, ils vont reprendre leurs activités initiales, dans le linge de maison, dans les tee-shirts de clubs de foot, etc. qui aujourd’hui n’ont pas de commandes. »

Lire aussi Comment un masque protège-t-il contre le virus SARS-CoV-2 ?

M. Basier aime à dire que Barral se veut « une entreprise à responsabilité sociale, sociétale et environnementale ». On comprend pourquoi. Elle fabrique un masque lavable (40 fois pour le moment), 100 % recyclable et 100 % français. Et est en train de s’implanter au cœur d’une autre usine, dont elle loue des locaux et qui, elle, ne cesse de perdre des emplois : l’équipementier automobile Mahle Behr France, à Rouffach (Haut-Rhin). « Pourquoi faudrait-il reprendre de l’espace sur du terrain agricole s’il existe de la place ailleurs, qui plus est de bonne constitution, ? », demande M. Basier.

Un masque grand public en fibres synthétiques, produit par Barral.
Un masque grand public en fibres synthétiques, produit par Barral. ELEONORE AUBERTIN

La filiale du groupe allemand Mahle en est à son troisième plan de sauvegarde de l’emploi (PSE, plan social) depuis 2013. Cette fois, 236 emplois sur 619 vont être supprimés. L’application de ce PSE a été retardée en raison de la situation sanitaire, avec pour première phase les départs volontaires, dont les salariés peuvent faire la demande jusqu’au 15 mai.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Avec la fabrication de respirateurs, PSA expérimente la production intensive au temps du coronavirus

Pour compléter la belle histoire née pourtant d’une pandémie, Barral, acronyme de « barrière », comme masque barrière, et « Alsace », qui à terme produira 4 millions de masques par semaine, fera travailler, au départ, des salariés volontaires de Mahle Behr, actuellement en activité partielle, selon une convention de prêt de personnel à but non lucratif. Ce qui permettra à ces salariés, dont le revenu est aujourd’hui de 84 % de leur salaire net, d’en percevoir 100 %.

Il vous reste 42.37% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’Institut Montaigne veut-il « supprimer des congés payés » ? Le vrai du faux

La France passera-t-elle de cinq semaines de congés à quatre ? C’est ce que semble indiquer une publication très commentée sur Facebook. Celle-ci, mise en ligne par une page adepte des informations approximatives, « La Vraie Démocratie », dénonce les propositions libérales de l’Institut Montaigne. Sans se prononcer sur le bien-fondé de ces dernières, une remarque s’impose : elles sont ici présentées de manière exagérée.

Ce que dit la publication

Sous le titre : « Un institut souhaite supprimer des congés payés », la page « La vraie démocratie » explique, en citant un extrait de BFM-TV :

« Pour relancer l’économie, l’Institut Montaigne souhaite supprimer une semaine de vacances, un jour férié et les RTT des salariés sans pour autant faire participer les actionnaires à l’effort national. »

Un résumé fidèle dans les grandes lignes…

L’esprit général de la proposition du think tank libéral est bel et bien traduit. Celui-ci milite en effet pour, selon ses termes, « une nécessaire augmentation de la durée moyenne du travail », et « un soutien aux entreprises qui souhaitent accroître le temps de travail ».

Parmi les mesures précises figure en effet la proposition de « supprimer le jeudi de l’Ascension comme jour férié ». Chaque jour travaillé est un jour permettant de créer de la richesse et de relancer l’économie, estime Bertrand Martinot, l’économiste auteur de cette note. « D’après l’Insee, travailler un jour ouvré supplémentaire accroît l’activité en moyenne de 0,07 point de PIB en semaine », argumente-t-il dans sa version détaillée.

Lire aussi L’Institut Montaigne souhaite une augmentation du temps de travail pour « rebondir face au Covid-19 »

Parmi les autres mesures on trouve l’idée de « supprimer une dizaine de jours de RTT » pour les fonctionnaires, afin d’arriver à un équivalent de trente-sept heures par semaine et ainsi contribuer à la hausse de l’activité. Concernant les salariés du privé, le think tank recommande de faciliter le rachat de RTT, un dispositif permettant à un employeur d’échanger un jour chômé contre son équivalent en salaire. Une mesure « d’incitation » à l’accroissement du temps de travail.

… mais des précisions importantes mises de côté

1. Les congés payés ne sont pas vraiment menacés

La proposition de l’Institut Montaigne porte uniquement sur la durée des vacances scolaires :

« Si notre pays doit s’engager dans un accroissement global du temps de travail pour redresser notre économie, c’est en fait l’ensemble de la population active qui doit être concernée. Les écoles et les crèches publiques doivent être ouvertes plus longtemps, la durée des congés scolaires légèrement diminuer. »

Pourquoi s’en prendre aux congés scolaires ? Parce que ceux-ci correspondent à une chute mécanique de la production, explique plus loin l’économiste Bertrand Martinot :

« On sait que la décision de fermer les écoles lors du lundi de Pentecôte a à peu près vidé de son efficacité la mesure initiée en 2004 de supprimer ce jour férié, les entreprises n’ayant d’autre choix que de laisser leurs salariés prendre un jour de congé. Il en est simplement resté une taxe supplémentaire, la contribution de solidarité, sans que cette taxation ne corresponde véritablement à un surcroît de richesses créées. »

Autrement dit, il s’agit de limiter la prise massive et simultanée de congés payés pour permettre aux entreprises de maintenir leur niveau de production. Mais à part pour les enseignants, cette mesure ne s’accompagne pas d’une perte de droits aux congés payés. Ceux-ci sont seulement amenés à être posés à un autre moment, en ordre plus dispersé.

2. Des mesures définitives, d’autres temporaires

Autre aspect à prendre en compte : toutes les propositions évoquées ne s’inscrivent pas dans la même temporalité.

Concernant le jour férié de l’Ascension, l’Institut Montaigne milite pour sa suppression pure et simple, à titre définitif.

D’autres propositions sont limitées dans le temps. La suppression sans compensation des RTT de fonctionnaires se ferait, elle, « à titre provisoire ». Néanmoins, la question de l’allongement du temps de travail dans la fonction publique aurait vocation, « à moyen terme », à être réexaminée. Le rachat de RTT serait autorisé « par exemple jusqu’en 2022 ».

Enfin, certaines relèvent d’une mesure exceptionnelle, comme le raccourcissement d’une semaine des vacances scolaires, qui concernerait uniquement les vacances de la Toussaint 2020. Sur BFM-TV, le directeur de l’Institut Montaigne précise sa pensée : « Si, arrivé au mois de septembre, on est parvenu à relancer l’économie, à sauver des emplois, est-ce qu’il est normal de s’arrêter deux semaines à la Toussaint ? » Les vacances scolaires reviendraient à la normale en 2021.

En conclusion, le think tank pousse bel et bien un agenda extrêmement libéral, au nom du soutien à l’activité économique. Néanmoins, ses recommandations les plus spectaculaires sont bornées dans le temps et le court terme et ne remettent pas en question pour les Français, hors professions scolaires, le nombre de semaines de congés payés. Elles inscrivent toutefois clairement la question de l’allongement de la durée du travail dans le temps.

Les salariés en arrêt de travail dérogatoire passés en chômage partiel seront-ils moins indemnisés?

« Les indemnités d’un salarié présent dans une entreprise depuis quelques mois changeront substantiellement, selon que l’on intègre ou non la période pendant laquelle il a été placé en activité partielle. »
« Les indemnités d’un salarié présent dans une entreprise depuis quelques mois changeront substantiellement, selon que l’on intègre ou non la période pendant laquelle il a été placé en activité partielle. » Trina DalzielTrina Dalziel/Ikon Images / Photononstop

Infirmière de bloc dans un hôpital privé toulousain depuis bientôt huit ans, Gabrielle (le prénom a été modifié) n’a pas remis les pieds dans son établissement depuis le 17 mars, au début du confinement. Victime d’une maladie chronique, la proximité de patients touchés par le Covid-19 pourrait la mettre en danger. Comme 400 000 personnes vulnérables ou proches d’une personne vulnérable, elle a pu bénéficier d’un arrêt de travail. Sous le même régime, 1,7 million de parents qui n’ont pas de solution de garde d’enfants pouvaient être pris en charge par la Sécurité sociale.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Avec 11,3 millions de chômeurs partiels, l’Unédic est dans le rouge

Mais pour tous ces salariés qui ne peuvent pas pratiquer le télétravail, la règle a changé : un décret publié mercredi 6 mai précise les modalités de leur transfert en « activité partielle », inscrit dans la loi de finances rectificative du 25 avril. Ces salariés ne relèveront plus de l’Assurance-maladie mais bénéficieront de l’activité partielle à partir du 1er mai. « Cette bascule est nécessaire pour protéger le pouvoir d’achat des salariés car au bout de trente jours, l’indemnité journalière qui couvre 90 % du salaire tombe à 66 %. Le passage à l’activité partielle permet le maintien de 84 % du salaire net [jusqu’à 4,5 fois le Smic] et 100 % de la rémunération au niveau du Smic », indique le ministère du travail.

Pas de démarche

Les travailleurs non salariés (indépendants, artistes auteurs, stagiaires, contractuels de la fonction publique, gérants de société ou non-salariés agricoles) ne sont pas concernés par cette modification. Ils continueront de bénéficier d’indemnités journalières de la Sécurité sociale.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Droit social réaménagé, activité partielle… Les services de paie débordés avec la crise due au coronavirus

Les parents arrêtés pour garde d’enfants avant le 1er mai n’ont pas de démarche à effectuer. Les autorités recommandent tout de même de vérifier auprès de son employeur que la bascule a été prise en compte. A partir de début juin, ils devront aussi justifier que l’école ne peut pas accueillir leur enfant.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le congé s’échange comme une monnaie

Pour les personnes vulnérables ou proches de personnes vulnérables, il leur faut se rapprocher d’un médecin pour se voir remettre un certificat attestant de la nécessité d’isolement. Ce certificat obtenu, leur employeur peut faire une demande de chômage partiel.

Impact sur le pouvoir d’achat

Mais Gabrielle n’est pas convaincue de l’utilité de la mesure pour son pouvoir d’achat. « Jusqu’à présent, mes indemnités journalières étaient complétées par ma prévoyance santé pour couvrir la totalité de mon salaire. Désormais, je dois m’en remettre au bon vouloir de mon employeur qui peut refuser de me verser la différence », peste-t-elle. Sa crainte est alimentée par les propos de Muriel Pénicaud qui a annoncé, le 29 avril sur France Inter, que « le taux de prise en charge par l’Etat sera un peu moins important » progressivement à partir de début juin.

Il vous reste 26% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Face à la pandémie, le Royaume-Uni a choisi un modèle économique européen

A Londres, le 11 mars 2020.
A Londres, le 11 mars 2020. TOLGA AKMEN / AFP

Le pays d’Adam Smith et de Margaret Thatcher semble avoir oublié la main invisible. Face à la pandémie, le Royaume-Uni a effectué un virage économique, pariant sur le grand retour de l’Etat. Boris Johnson, le premier ministre britannique, se refuse même à parler d’« austérité », préférant évoquer devant la chambre des communes « le mot en A », comme s’il s’agissait d’un juron. « Nous n’avons absolument aucune intention d’y retourner », assurait-il mercredi 6 mai.

Lire aussi Aux Etats-Unis, plus de 26 millions de personnes sont désormais au chômage

« Le choix d’un modèle européen a clairement été fait, en protégeant les employés et les entreprises pendant le confinement, à l’opposé du modèle américain, en laissant les gens se retrouver au chômage, constate David Owen, économiste à la banque Jefferies. On verra dans un an lequel de ces deux modèles marche le mieux, mais pour l’instant, les statistiques américaines [30 millions de nouveaux chômeurs] sont atroces. »

Brouillard des chiffres

Jeudi 7 mai, la Banque d’Angleterre est venue souligner l’ampleur de la crise actuelle, alors que le Royaume-Uni est le pays européen qui a le pire bilan humain de la pandémie, avec un nombre officiel de morts de plus de 30 000. Face au brouillard des chiffres, elle a renoncé à faire une prévision mais publie quand même un « scénario central » : récession de 14 % en 2020, flambée du chômage à près de 10 % (contre 4 % actuellement), consommation des ménages en baisse de 14 %…

Elle continue cependant à parier sur un fort rebond, avec 15 % de croissance dès 2021. « L’objectif de la politique du gouvernement, ainsi que la nôtre, est de limiter les dégâts de long terme », explique Ben Broadbent, vice-gouverneur de la Banque d’Angleterre. A l’instar de la France ou de l’Allemagne, l’approche est donc de mettre l’économie sous perfusion, le temps du confinement : chômage partiel généralisé pour éviter les licenciements, prêts d’urgence aux entreprises pour limiter les faillites…

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Boris Johnson toujours populaire, malgré (ou grâce à) la maladie du Covid-19

Le plus spectaculaire a été le chômage partiel. Le Royaume-Uni n’avait pas de système similaire préexistant, et il a donc fallu le créer de toutes pièces en un temps record. Désormais, six millions d’employés perçoivent 80 % de leur salaire, payé directement par l’Etat (dans la limite de 2 500 livres par mois, 2 850 euros, soit le salaire médian). « Les premières indications sont que ce système fonctionne et permettra d’aider à un redémarrage plus doux de l’économie », assure Andrew Bailey, le gouverneur de la Banque d’Angleterre.

Les autoentrepreneurs, qui représentent 15 % de la main-d’œuvre, sont eux aussi sur le point de recevoir des aides équivalant à trois mois de leurs revenus. Là aussi, il a fallu inventer un nouveau système administratif, et les autorités fiscales, qui s’en occupent, viennent de commencer à contacter les intéressés. Même le secteur caritatif, très développé outre-Manche, a eu droit à son plan de sauvetage.

Une « réaction inévitable »

A ces aides directes s’ajoute un soutien à toute une série d’entreprises. Les sociétés ferroviaires ont été de facto « nationalisées » temporairement, en ce sens que leurs pertes seront épongées par l’Etat pour les six prochains mois. Jeremy Corbyn, l’ancien leader du Parti travailliste, en avait rêvé, Boris Johnson l’a fait.

La Banque d’Angleterre participe également au soutien de l’économie. En plus de baisser son taux d’intérêt (de 0,75 % à 0,25 %) et de mener un grand programme de rachats de dette, celle-ci travaille main dans la main avec le gouvernement. Elle a accepté d’acheter directement, pour le compte des autorités publiques, la dette de certaines entreprises qui apportent une « contribution significative » à l’économie britannique.

Cet énorme plan de relance va bien entendu creuser le déficit, qui pourrait atteindre 11 % du PIB cette année, selon Oxford Economics. Pour les Britanniques, qui sortent d’une décennie d’austérité, c’est le fruit d’années d’efforts qui s’envole. Mais, cette fois-ci, pas question de reproduire la même chose. Déjà interrogé à deux reprises sur le sujet depuis son retour de convalescence, M. Johnson a vivement écarté cette hypothèse. S’il n’a jamais été un conservateur intéressé par la rigueur budgétaire, il n’a guère le choix politiquement. Il a été élu triomphalement fin décembre sur la promesse de réaliser le Brexit, mais aussi de lancer d’importants travaux d’infrastructures, d’investir dans les services de santé et de mieux aider le nord de l’Angleterre, plus pauvre que le reste du pays.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Au Royaume-Uni, les banques alimentaires font face à une demande sans précédent

« Il faut faire attention cependant à ne pas trop tirer de leçons définitives sur l’action du gouvernement à ce stade, avertit Alistair Darling, ancien chancelier de l’Echiquier, aux commandes pendant la crise de 2008. En partie, il s’agit d’une réaction inévitable de l’Etat face à la crise, pas d’un choix politique. Mais c’est vrai que cela fait longtemps qu’on voit des forces pousser pour plus d’intervention de l’Etat dans les trains, l’eau, l’énergie… Je pense que les compagnies ferroviaires, par exemple [qui sont privées], ne s’en remettront pas. »

Face au déficit abyssal, il estime qu’une hausse des impôts à moyen terme est inévitable. L’idée d’un impôt sur la fortune, poussée par des économistes proches du Parti travailliste, fait son retour. Le Royaume-Uni, inventeur de l’Etat-providence au lendemain de la seconde guerre mondiale, fera-t-il de nouveau école à travers l’Europe ?

Le secteur de la culture prudent après les annonces d’Emmanuel Macron : « Nous attendons les chiffres après les déclarations »

Le ministre de la culture Franck Riester et Emmanuel Macron, mercredi 6 mai à l’Elysée.
Le ministre de la culture Franck Riester et Emmanuel Macron, mercredi 6 mai à l’Elysée. LUDOVIC MARIN/REUTERS

S’il voulait surprendre les artistes, voire prendre certains d’entre eux à rebrousse-poil, le président de la République y est parvenu, mercredi 6 mai, en dévoilant son plan pour la culture à l’issue d’une rencontre par visioconférence avec une douzaine de personnalités – l’actrice Norah Krief, le metteur en scène Stanislas Nordey, la chanteuse Catherine Ringer, le scénariste et réalisateur Eric Toledano… Si certaines mesures ont été jugées plutôt bienvenues, à défaut d’être précises (le fonds d’indemnisation pour les tournages annulés notamment) et de couvrir tous les secteurs, d’autres ont largement déconcerté. Le chef de l’Etat a souhaité agir vite, alors que la colère montait dans le monde de l’art : entre autres, une tribune signée par de nombreux artistes, publiée dans Le Monde du 30 avril, reprochait à l’Elysée son « oubli » de l’art et de la culture pendant la crise sanitaire.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Monsieur le Président, cet oubli de l’art et de la culture, réparez-le ! »

Emmanuel Macron a pu apparaître maladroit lorsqu’il a proposé par exemple une sorte de « pacte » avec les intermittents, annonçant d’un côté le prolongement de leur assurance-chômage « jusqu’au 31 août 2021 », de l’autre son intention de les faire intervenir dans les écoles à l’heure où celles-ci doivent réinventer l’accueil des élèves.

Ce n’est certes pas du donnant-donnant, mais Emmanuel Macron a prononcé cette phrase qui valait presque avertissement : « Je fais confiance à tous les intermittents. Et il se trouve que moi j’ai besoin de gens qui savent faire des choses, inventer pour nos jeunes. » Etonnante aussi cette image du « tigre » que l’on doit enfourcher, a dit le chef de l’Etat, le fauve étant censé représenter la menace du virus. Emmanuel Macron voulait exhorter la profession à innover, à foncer, afin que les lieux de création se remettent à vivre. « Là on entre dans une période où l’on doit en quelque sorte enfourcher le tigre, et donc le domestiquer », a-t-il déclaré, tandis que le ministre de la culture, Franck Riester, haussait les sourcils d’étonnement…

Une annonce forte mais encore vague sur les intermittents Annonce majeure de son intervention, l’engagement d’Emmanuel Macron de prolonger jusqu’au 31 août 2021 le droit à l’assurance-chômage des intermittents du spectacle a été accueilli favorablement par celles et ceux qui s’étaient mobilisés pour réclamer une « année blanche » afin de faire face à l’« année noire » endurée par la culture, à l’arrêt depuis la mi-mars. « C’est une annonce forte qui va dans le bon sens », reconnaît Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT-spectacle, mais, ajoute-t-il, « nous serons très vigilants sur son application ».

Il vous reste 73.89% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

A Saint-Martin-de-Crau, la crise sanitaire menace la récolte de pêches

Dans les vergers du domaine de la Cabanasse à Saint-Martin-de-Crau (Bouches-du-Rhône), les pêches ont à peine la taille de prunes en ce début du mois de mai. Les nectarines, elles, brillent joliment au soleil mais ne sont guère plus développées. Le temps fort de la récolte est encore loin, mais la perspective d’une saison rendue difficile par la fermeture des frontières pour cause de Covid-19, perturbe déjà le quotidien de Patrice Vulpian, propriétaire de cette exploitation de 45 000 arbres.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les agriculteurs recherchent toujours des bras

Sous un ciel bleu limpide, une quinzaine de ses salariés, essentiellement des femmes, est en plein « éclaircissage ». L’étape est capitale. Il s’agit d’éliminer plus de la moitié des fruits pour permettre aux autres de s’épanouir. « Pour cette partie, on est dans les temps. Ce qui nous préoccupe, c’est plutôt la récolte. Les abricots commencent doucement la semaine prochaine. Si les frontières dans l’espace Schengen n’ouvrent pas le 1er juin, cela va être compliqué », détaille M. Vulpian, 60 ans, masque chirurgical sur le nez.

Des ouvriers coincés au Maroc

A la Cabanasse, on produit et emballe 1 500 tonnes de pêches et nectarines et 300 tonnes d’abricots chaque année. De mi-mai à fin septembre, une cinquantaine d’employés en CDD travaille dans les vergers. La station de conditionnement, grand hangar doté de deux chaînes d’emballage, accueille, elle, une autre quarantaine de salariés. Une exploitation de taille moyenne dans cette partie de la Provence, où, dans un diamètre de quinze kilomètres, les vergers occupent 2 000 hectares. « En plein été dans la Crau, plus de 1 000 personnes travaillent à la récolte et 1 000 autres dans les stations fruitières », calcule l’arboriculteur, qui copréside la Fédération nationale des producteurs de fruits.

Dans les Bouches-du-Rhône, la FDSEA estime que 6 000 salariés en contrats en durée déterminée ou en contrats de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ne pourront rejoindre les 4 200 exploitations du département si les frontières ne rouvrent pas. Marocains, Tunisiens, Roumains, Espagnols ou encore Equatoriens, employés par l’intermédiaire des agences d’intérim ibériques.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : la pénurie de saisonniers paralyse l’agriculture européenne

A la Cabanasse, douze ouvriers marocains sont arrivés en février pour des contrats de six mois. Quatre les ont rejoints début mars. Mais vingt autres salariés, qui reviennent chaque été dans l’exploitation, sont restés coincés au Maroc depuis la mi-mars et la fermeture des frontières. « Mon frère et deux de mes cousins devraient être là », témoigne Hakim Karam, un des dix salariés permanents du domaine. « Mon beau-frère aussi. Il bricole un peu en attendant au Maroc, mais, pour lui et sa famille, ne pas venir ici c’est une catastrophe économique », ajoute Nordine Zanboui, 49 ans. Seuls dans un champ, les deux hommes attachent consciencieusement des jeunes pêchers à des guides. « On emploie les mêmes personnes depuis plusieurs dizaines d’années… Des ouvriers qui ont l’habitude de ce qu’il faut faire ici, qu’on peut laisser en autonomie. En les perdant, on perd tout un savoir-faire », regrette Patrice Vulpian.

Il vous reste 31.72% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Air France-KLM enregistre des pertes abyssales avec la crise due au coronavirus

Les quinze jours d’arrêt total de son activité ont coûté très cher à Air France-KLM, qui a annoncé une perte de 1,8 milliard d’euros au premier trimestre. Malgré un bon démarrage en début d’année, le confinement, à partir de la mi-mars, a fait plonger le transporteur aérien franco-néerlandais dans la crise. La compagnie dirigée par Ben Smith a enregistré une perte d’exploitation de 815 millions d’euros.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le transport aérien mettra au moins trois ans pour sortir de la crise liée au coronavirus

Ces premières pertes devraient se poursuivre et s’amplifier au deuxième trimestre. Sans surprise, la direction prévient déjà qu’elle affichera « une perte au niveau du résultat d’exploitation nettement plus élevée au deuxième trimestre qu’au premier ». En effet, en mars, la compagnie n’avait réduit son activité « que » de 35 %. Depuis avril, Air France-KLM est quasiment à l’arrêt avec la « suspension d’environ 95 % des capacités prévues pour le deuxième trimestre 2020 ».

« Une lente reprise »

Toutefois, le groupe est assuré de survivre à cette crise grâce à l’appui financier de la France et des Pays-Bas. L’Etat français s’est engagé en effet à verser 7 milliards d’euros à Air France sous forme de prêts garantis, tandis que La Haye apportera 4 milliards à KLM. En outre, Air France a aussi obtenu la prolongation jusqu’en décembre des mesures de chômage partiel qui touchent toutes les catégories de personnels de la compagnie.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : la France et les Pays-Bas se portent au secours d’Air France-KLM

A court terme, la direction table sur « une lente reprise de l’activité à l’été 2020, avec la levée progressive des restrictions aux frontières ». Néanmoins, au deuxième trimestre, l’activité de la compagnie sera en baisse de 95 % par rapport à la même période il y a un an. Au troisième trimestre, elle ne prévoit qu’une légère amélioration avec une activité en recul de 80 % par rapport à 2019.

Lire la tribune : Coronavirus : « 7 milliards d’euros pour Air France, sans contrepartie environnementale ou sociale », voilà qui pose question

Selon la compagnie, le trafic passagers ne devrait pas revenir à son niveau d’avant la crise « avant plusieurs années ». Dans l’attente de ce retour à la normale, Air France va tailler dans ses effectifs. Il ne devrait pas y avoir de licenciements secs. En revanche, l’entreprise devrait avoir recours à des plans de départs volontaires (PDV) et à la mobilité. Ces mesures devraient être précisées en juin. Au même moment, Ben Smith devrait préciser les contours du nouveau « plan stratégique et de reconstruction du groupe ».

Une offre court et moyen-courrier réduite

Comme sa rivale allemande Lufthansa, Air France-KLM sera plus petite après la crise qu’avant. Elle va notamment tailler dans son offre court et moyen-courrier, largement déficitaire. Des coupes claires qui devraient profiter à Transavia, la filiale à bas coûts du groupe.

Pour redresser la compagnie, le directeur général devra aussi batailler contre les velléités d’indépendance récurrentes de KLM, sa filiale néerlandaise. Dans un courrier en date du 4 mai, c’est le Syndicat national des pilotes de lignes (SNPL), première organisation chez les navigants d’Air France, qui est monté au créneau contre des déclarations des dirigeants du comité d’entreprise de KLM. Selon ces derniers, KLM se porterait mieux si elle faisait cavalier seul. Dans son courrier, le SNPL a sèchement répliqué au comité d’entreprise qu’il « est illusoire de penser que KLM tirerait mieux son épingle du jeu sans Air France ». Le syndicat a eu beau jeu de rappeler « que, sans Air France, KLM devrait payer plus du double pour maintenir le même niveau d’investissement et de fonctionnalité qu’aujourd’hui ».

Notre sélection d’articles sur le coronavirus

Les agriculteurs recherchent toujours des bras

Récolte des asperges en plein champ a Brumath (Bas-Rhin), le 29 avril.  Les producteurs ne manquent plus de bras pour les cueillir, mais la fermeture des restaurants et marchés perturbe leur commercialisation.
Récolte des asperges en plein champ a Brumath (Bas-Rhin), le 29 avril.  Les producteurs ne manquent plus de bras pour les cueillir, mais la fermeture des restaurants et marchés perturbe leur commercialisation. Elyxandro CEGARRA / PANORAMIC / Elyxandro CEGARRA / PANORAMIC

« Il va nous falloir encore une quinzaine de personnes pour la récolte », estime Sylvie Eydaleine qui exploite avec son mari 35 hectares de vergers à Saint-Gilles dans le Gard. Les abricots seront à point dans trois semaines, puis viendront les pêches et les nectarines. Le recrutement se fera peut-être par la plate-forme Internet Desbraspourtonassiette. Avis aux amateurs. L’exploitation gardoise s’est, en effet, inscrite sur ce site, dès mi-avril. « Nous recevons quatre fois par semaine un mail avec des CV. Dans les champs actuellement, il y a cinq personnes qui viennent de cette plate-forme », affirme Mme Eydaleine.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi L’agriculture française cherche des bras et des débouchés

Cette plate-forme de recrutement de main-d’œuvre prête à aller dans les champs a bénéficié d’un lancement très médiatisé avec le soutien du ministre de l’agriculture, Didier Guillaume, et du syndicat agricole FNSEA, le 24 mars, une semaine après l’entrée en confinement de la France. Les candidatures spontanées ont afflué. « Nous avons toujours de nouvelles inscriptions. Nous totalisons 330 000 comptes ouverts dont 284 000 travailleurs inscrits et identifiés », assure Jean-Baptiste Vervy, directeur de la plate-forme WiziFarm qui héberge la page Desbraspourtonassiette.

« La débrouille »

Toutes ces bonnes volontés prêtes à se déconfiner n’ont pas trouvé la clé des champs, par ce biais. Loin s’en faut. Les agriculteurs ont été bien moins nombreux à se placer devant ce portillon numérique. « Il y a 6 000 offres en ligne émanant des agriculteurs, soit cinquante fois moins que de demandes, et au total 1 400 missions se sont concrétisées en un mois et demi », dit M. Vervy. Il reconnaît qu’il a fallu gérer la frustration des inscrits en apportant des réponses par les réseaux sociaux. « Nous avons expliqué que les agriculteurs souhaitaient une main-d’œuvre experte, productive et disponible jusqu’à la fin de la saison. »

« Après le 11 mai, certains ne sont plus disponibles, des personnes en chômage partiel reprennent le travail »

« La débrouille », c’est ainsi que Bruno Darnaud, arboriculteur dans la Drôme et président de l’AOPn abricots, pêches, nectarines, résume la façon dont les agriculteurs ont dû gérer les problèmes de main-d’œuvre liés à la crise due au Covid-19. Le confinement et la fermeture soudaine des frontières ont, en effet, suscité inquiétudes et tensions. Certains, comme Laurent Bergé, maraîcher à côté de Nantes en Loire-Atlantique et président de l’AOPn tomates et concombres de France, ont été confrontés au phénomène d’absentéisme dans leurs équipes. « Début avril, au plus fort de la crise, 17 salariés sont restés chez eux pour s’occuper de leurs enfants ou pour des raisons de santé sur un effectif de 90. Mais toutes les personnes sont revenues progressivement », affirme M. Bergé.

Il vous reste 59.07% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Pour les routiers « les conditions de travail sont devenues très dures »

Le restaurant routier la barbe grise sur la départementale 940 est fermé depuis les mesures de confinement dû à l’épidémie de coronovirus COVID19. Coullons (45720). département du Loiret. région Centre-Val de Loire. France.

GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »

Publié aujourd’hui à 09h02

Quand on quitte la région parisienne en empruntant l’autoroute A6, les voitures disparaissent. Les aires d’autoroute sont silencieuses, les stations-service presque à l’arrêt, et les boutiques n’ont souvent qu’un guichet pour seul accès. Des marquages au sol encadrent les machines à café pour délimiter la distanciation sociale, mais il n’y a personne alentour.

Depuis le 17 mars, les mesures de confinement imposées par le gouvernement ont vidé les routes de France. Il ne reste plus que les chauffeurs professionnels.

L’aire Orléans-Saran, sur l’autoroute A10, durant le confinement imposé pour lutter contre l’épidémie due au coronavirus, le 23 avril.
L’aire Orléans-Saran, sur l’autoroute A10, durant le confinement imposé pour lutter contre l’épidémie due au coronavirus, le 23 avril. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »
Un chauffeur routier sort des toilettes, où il s’est lavé, sur l’aire de repos Orléans-Saran. Au sol, des marquages pour faire respecter la distanciation sociale près des machines à café.
Un chauffeur routier sort des toilettes, où il s’est lavé, sur l’aire de repos Orléans-Saran. Au sol, des marquages pour faire respecter la distanciation sociale près des machines à café. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »
Un restaurant routier le long de la départementale D2007, dans le Loiret, fermé depuis les mesures de confinement. Avant la crise, il faisait 150 couverts par jours et pouvait accueillir 80 camions sur son parking.
Un restaurant routier le long de la départementale D2007, dans le Loiret, fermé depuis les mesures de confinement. Avant la crise, il faisait 150 couverts par jours et pouvait accueillir 80 camions sur son parking. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »

Pierre Audet, 47 ans, a passé la nuit dans son camion, garé à la sortie de la ville de Souesmes (Loir-et-Cher), le long de la route départementale D724. Ce matin, il fait sa toilette en utilisant l’eau de son jerrican. « Les conditions de travail sont devenues très dures. Avec la fermeture des restaurants routiers, nous avons moins accès aux sanitaires, et prendre une douche devient compliqué », raconte M. Audet en buvant un café dans la cabine de son 44 tonnes, un camion avec remorque, qui peut transporter 38 palettes.

« La première semaine de confinement, c’était le chaos. On n’avait pas prévu la fermeture des restos. Les parkings étaient bloqués. Et les sanitaires, fermés. On avait vraiment l’impression d’être des pestiférés. » Depuis, la situation s’est un peu améliorée. En Ile-de-France, par exemple, quatre aires de repos ont été ouvertes par la région, le 20 avril, pour pallier le manque de douches et de toilettes.

Le 22 avril, Pierre Audet, chauffeur routier, attend sur le parking de la société FM de plate-forme logistique alimentaire, à Fontenay-Trésigny (Seine-et-Marne), de livrer 25 tonnes d’huiles.
Le 22 avril, Pierre Audet, chauffeur routier, attend sur le parking de la société FM de plate-forme logistique alimentaire, à Fontenay-Trésigny (Seine-et-Marne), de livrer 25 tonnes d’huiles. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »
Au bord de l’A10, un magasin Ikea, d’habitude très fréquenté. Un peu plus loin, la zone commerciale de Villabé.
Au bord de l’A10, un magasin Ikea, d’habitude très fréquenté. Un peu plus loin, la zone commerciale de Villabé. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »
L’aire d’autoroute de Limours-Janvry (Essone), sur l’A10.
L’aire d’autoroute de Limours-Janvry (Essone), sur l’A10. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »

Pourtant essentiels pour assurer les approvisionnements et éviter toute pénurie alimentaire, les chauffeurs routiers se plaignent également du manque de matériel de protection et de leurs conditions de travail. Certains ont fait valoir leur droit de retrait. Jeudi 7 mai, l’UFR-CFDT, premier syndicat du transport routier, appelle à la grève afin de réclamer des aides pour les salariés « de la deuxième ligne ».

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : avec la crise sanitaire, les travailleurs invisibles sortent de l’ombre

« Les gens ont une mauvaise image de nous. Pourtant sans nous les marchandises ne circuleraient pas. En continuant à rouler, malgré la crainte d’attraper le Covid-19, on participe à l’effort national. Si on ne roulait pas, cela serait la guerre civile. On fait parti des invisibles, essentiels au fonctionnement de la société. Après vingt-quatre ans de carrière, je suis seulement payé 11,20 euros de l’heure. »

Banderole de soutien aux chauffeurs routiers sur l’autoroute 77.
Banderole de soutien aux chauffeurs routiers sur l’autoroute 77. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »
A gauche : Pierre Audet, chauffeur routier, fait sa toilette au bord de la route avant de commencer sa journée. A droite : un chauffeur routier se prépare à manger sur le parking de la société FM de plate-forme logistique alimentaire à Fontenay-Trésigny (Seine-et-Marne).
A gauche : Pierre Audet, chauffeur routier, fait sa toilette au bord de la route avant de commencer sa journée. A droite : un chauffeur routier se prépare à manger sur le parking de la société FM de plate-forme logistique alimentaire à Fontenay-Trésigny (Seine-et-Marne). GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »
Restaurant routier abandonné, le long de la départementale D2007, dans le Loiret, le 23 avril.
Restaurant routier abandonné, le long de la départementale D2007, dans le Loiret, le 23 avril. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »

Depuis le début du confinement, Pierre Audet prévoit une semaine de nourriture avant chaque départ le lundi. Sur la route, les restaurants fermés défilent, sans que l’on sache s’ils étaient abandonnés avant le confinement, comme les nombreuses boutiques des centres-villes.

Il vous reste 14.01% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.