« Vers une économie de l’alliance » : passer de l’échange au partage

L’« oikonomia » désigne notre façon de construire et de gérer notre « maison » et, par extension, la vision qui nous anime pour bâtir notre monde. De son choix dépendent notre modèle de société et notre rapport à autrui (altérité ou repli). Au vu des enjeux qui nous font face (en particulier sur le plan écologique), il y a aujourd’hui urgence à faire évoluer cette « oikonomia ». Tel est le constat dressé par Philippe Lukacs, professeur de management de l’innovation à Centrale Paris, dans son ouvrage Vers une économie de l’alliance (Erès).

Pour appuyer sa thèse, l’auteur présente dans un premier temps la logique qui est aujourd’hui à l’œuvre dans nos sociétés. Elle repose sur le principe de « réification » (du latin res qui signifie « chose »). Cette « économie de l’échange » dessine un « monde où tout est transformé en “choses” : les hommes, les relations entre les hommes, les relations à l’environnement ». Dans cette société déshumanisée, tout n’est évalué qu’à l’aune de la valeur marchande prise dans l’échange. Cette logique pénètre bien évidemment le monde de l’entreprise où « la tyrannie du reporting trimestriel » règne, et où « la réalité est aplatie par les chiffres ».

De même, cette logique du « marchand absolu », selon les termes de l’ethnologue Robert Jaulin (1928-1996), n’a pour unique but que l’accroissement de son avoir. Une fuite en avant, à contresens des impératifs contemporains : « Il est clairement impossible de continuer à bâtir notre monde social selon une logique qui renforce notre tendance naturelle au refus des limites, alors qu’il est devenu vital d’agir dans un cadre imposé par les limites de la nature, que nous connaissons désormais. »

Pour faire face aux défis du moment, M. Lukacs esquisse un autre modèle, une autre « oikonomia » : l’« économie de l’alliance ». Elle doit permettre de « passer de l’attention aux biens à l’attention aux liens ». Elle implique des relations de partage qui « considèrent une équivalence de valeur a priori entre soi et l’autre » et à travers lesquelles « quelque chose, parce que partagé, génère du commun pour les protagonistes et s’inscrit dans le collectif ». Cette nouvelle logique doit favoriser la sensibilité commune à l’environnement, au non-chiffrable, au temps long.

L’épanouissement dans le travail

Dans le monde du travail, ce sont les démarches d’économie circulaire qui doivent donc être valorisées, de même que les initiatives locales, en circuits courts, favorisant les liens directs entre le consommateur et le producteur. Ce sont, par exemple, les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne dans le secteur de l’alimentation, ou Enercoop dans celui de l’énergie.

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Chômage : au deuxième trimestre 2024, légère baisse du nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A

Le nombre de chômeurs inscrits à France Travail en catégorie A (sans activité) a légèrement diminué au deuxième trimestre en France (hors Mayotte), avec une baisse de 0,4 % portant leur nombre à 3,01 millions, selon les chiffres publiés jeudi 25 juillet par le ministère du travail.

En incluant l’activité réduite (catégories B et C), le nombre de demandeurs d’emploi s’établit à 5,389 millions. Il diminue de 0,2 % sur le deuxième trimestre et croît de 0,8 % sur un an, selon la Direction des statistiques du ministère du Travail (Dares).

Au premier trimestre, le chômage était quasi stable avec une très légère baisse de 0,1 %, portant le nombre de personnes inscrites à 3, 028 millions. Sur un an, la hausse en catégorie A est de 0,2 %. Elle est de 0,8 % en catégorie A, B et C.

En catégorie A, pour la seule France métropolitaine, le nombre de demandeurs d’emploi baisse de 0,4 % (-11 100 inscrits) sur le deuxième trimestre. Ce nombre diminue de 1 % chez les moins de 25 ans au deuxième trimestre (+ 3,4 % sur un an), de 0,2 % pour ceux âgés entre 25 et 49 ans (+ 0,3 % sur un an) et de 0,5 % pour les 50 ans et plus (-1 % sur un an).

En France métropolitaine, le chômage des hommes diminue de 0,1 % (+ 1,1 % sur un an) au deuxième trimestre, tandis que le chômage des femmes diminue de 0,7 % (-0,5 % sur un an). Sur le front du chômage longue durée, le nombre de demandeurs d’emploi inscrits depuis un an ou plus (en catégorie A, B, C) diminue de 0,6 % (+ 0,3 % sur un an).

Le Monde avec AFP

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Dominique Méda, sociologue : « Pour réussir la transition climatique, il faut engager dès maintenant la formation et la reconversion des emplois »

La route vers la neutralité carbone promet un bouleversement important du marché du travail : la fin annoncée des véhicules thermiques modifie déjà le secteur de l’automobile et la fin progressive d’activités polluantes va peser sur plusieurs industries. A l’inverse, certains secteurs devraient voir leurs effectifs augmenter, notamment dans les énergies renouvelables ou la rénovation des bâtiments. Mais ce chemin est semé d’embûches et fait naître des craintes sur les risques pour les salariés et les entreprises. La transition climatique peut-elle se faire sans détruire des centaines de milliers d’emplois ? Dans quel secteur est-il possible d’en créer de nouveaux ? Comment faire pour mettre en place la formation et les outils nécessaires pour réussir à complètement transformer le marché du travail ?

Pour répondre à ces questions, cet épisode du podcast « Chaleur humaine », diffusé le 18 avril 2023 sur le site du Monde, donne la parole à Dominique Méda, sociologue spécialiste du travail. Nous en publions ici des extraits.

Pour atteindre la neutralité carbone, il faut se débarrasser des énergies fossiles : le pétrole, le gaz, le charbon. Concrètement, cela veut dire que des pans entiers de l’économie doivent se transformer et donc que des emplois risquent de disparaître. De quoi parle-t-on ?

Des secteurs qui émettent des gaz à effet de serre, qu’il va falloir considérablement réduire ; par exemple, la voiture thermique, celle dont l’Europe nous dit qu’elle ne sera plus en vente en 2035, mais aussi l’agriculture intensive, des industries comme le ciment, etc. Dans tous ces secteurs il y a en effet des emplois qui vont devoir se transformer. Toute la question est la simultanéité entre la disparition de ces emplois et la création de nouveaux emplois. Ça ne va pas se faire du jour au lendemain, d’où la nécessité absolue d’anticiper, c’est-à-dire vraiment de faire un grand scénario, sans doute à vingt ans. Donc mettez-nous au travail ! Repérons les secteurs menacés, les entreprises menacées, et mettons en place toutes les politiques publiques, toutes les aides, toute la concentration d’intelligence qu’on peut avoir pour aider à leur transformation.

Dans le secteur de l’automobile par exemple, le travail mené par le groupe de réflexion The Shift Project estime que 300 000 emplois pourraient être détruits…

Le problème, c’est qu’il faut supprimer peu à peu les véhicules thermiques, passer au véhicule électrique, et peut-être ne pas conserver le même nombre de véhicules en général. On sait qu’il faut développer le vélo, la marche, plein d’autres moyens de transport plus doux, mais le problème c’est qu’on a besoin de beaucoup moins de main-d’œuvre pour fabriquer un moteur électrique, environ 60 % de moins.

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« Pourquoi la France n’est-elle pas parvenue à se doter au fil de ses soubresauts politiques d’un modèle économique consensuel ? »

Nos partis politiques ne sont pas les meilleurs économistes du pays… Depuis deux siècles, chacun s’accroche à une vision idéologique des équilibres macroéconomiques qui n’a guère varié : les libéraux professent l’efficacité des marchés libres depuis la révolution industrielle du XIXe siècle, la répartition de la valeur devant rester leur affaire, et l’Etat n’aurait pas à s’en occuper ; les socioredistributifs, auxquels les échecs de l’Etat-providence n’ont rien appris jusqu’à ce jour, affichent depuis la grande crise des années 1930 un keynésianisme ; quant aux étatistes, qui ont eu leur heure de gloire à travers le redressement gaulliste, ils n’avouent pas qu’ils sont enfermés dans le protectionnisme et l’affaiblissement des droits contractuels des parties.

La crise démocratique actuelle a relancé cette triple offre régressive et dépassée, qui s’émancipe des savoirs d’efficacité économique existants et fait fi des schémas adoptés par la plupart de nos partenaires développés. En plus du fait qu’elle représente un coût social et démocratique très élevé.

Mais pourquoi donc la France n’est-elle pas parvenue à se doter au fil de ses soubresauts politiques d’un modèle économique consensuel qui aurait permis de sanctuariser les grandes règles du jeu économique applicables aux entreprises ? L’explication la plus connue est la complicité inavouée entre un pilotage étatique qui ne se lasse pas de faire gonfler la sphère de l’aide publique et les grands groupes qui savent négocier leur liberté et leur fiscalité, sans que la réflexion sur l’intérêt général soit très approfondie.

Sans incitation ni contrainte réelle

C’est ce mécanisme que révèle, par exemple, le récent rapport du Sénat sur la façon dont Total assume plus ou moins les intérêts collectifs français : les sénateurs en ont conclu qu’une action publique spécifique devrait permettre à l’Etat de faire mieux respecter les intérêts énergétiques français par la multinationale.

Les trois modèles historiques ont leurs thuriféraires intéressés dans chaque camp. Ils occultent la montée des aspirations de la plupart des Français pour une économie responsable, alliant des principes de bonne gouvernance à une juste répartition de la valeur, en passant par des constantes de fiscalité et de contribution locale et sociale visant un « juste profit ».

Fixer un tel objectif suppose une convergence sur le fond entre plusieurs forces motrices : le système de régulation institutionnalisé doit exprimer l’intérêt général, les forces politiques doivent se donner des limites dans l’expression de leur préférence ; les forces sociales doivent faire vivre une vision commune en se retrouvant dans une politique contractuelle élargie.

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« Surtout, ne fermez pas la porte en sortant », un ouvrage pour dénoncer les violences managériales

Le décompte est glaçant. Cinq en 2015, douze en 2016, quatorze en 2017, vingt en 2018. Sur quelques années, un centre de formation en travail social auvergnat, regroupant un peu moins de 100 salariés, est touché par des vagues de départs sans précédent. Démissions, ruptures conventionnelles, licenciements pour inaptitude ou pour faute grave, retraites anticipées… Les formes prises par ces fins de contrats sont multiples.

Quelques années plus tard, plusieurs des collaborateurs ayant « quitté le navire » proposent un ouvrage, Surtout, ne fermez pas la porte en sortant, publié par la coopérative d’écriture et d’édition Dire le travail. Il regroupe les témoignages d’une expérience professionnelle traumatisante. Avec cette publication, les sept coauteurs parachèvent le travail d’échanges (virtuels et de vive voix) aux vertus thérapeutiques qu’ils portent depuis 2018. Au fil des pages, ils racontent avec une « parole libre » comment cette école qui accueille chaque année environ un millier d’étudiants s’est, à leurs yeux, transformée en un espace ouvert aux violences managériales et au règne de l’arbitraire.

Le moment de bascule est connu : l’arrivée, en mai 2014, d’un nouveau directeur. Les modes opératoires et l’organigramme sont remis en cause de manière radicale. « [Il] ne parle que de tableaux de bord et de réorganisation, de traçabilité et d’articulation des pôles », expliquent les auteurs.

« Rebuffades et humiliations »

Surtout, les rapports humains se dégradent brusquement, les relations se tendent. Nombre de demandes d’ordre professionnel formulées par les salariés n’obtiennent pas de réponses, freinant la bonne marche de l’école. Les « injonctions paradoxales » se multiplient. Les reproches s’accumulent contre une partie de l’effectif. Certains se sentent acculés jusque dans leur sphère privée. « Notre employeur réplique aux arrêts de travail en mandatant [un] organisme privé (…) pour réaliser des contrevisites médicales. »

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Conditions de travail : les raisons d’un dérapage

La zizanie s’installe au cœur de l’établissement, où le directeur cherche à « diviser pour mieux régner », précise Philippe, l’un des formateurs. Il trouve des soutiens en interne et recrute des membres de son réseau, pour mieux mettre en application ce que les auteurs décrivent comme des « rebuffades et humiliations ».

L’ouvrage explique, en détail, l’impact des « violences managériales » sur la santé mentale et physique des salariés. Isabelle explique : l’ « ambiance toxique » a « envahi mes nuits et mes week-ends. Elle s’immisce dans ma vie de famille. Je me sens vidée. J’ai l’impression de vivre en apnée ». Mélanie décrit « la panique qui s’empare [d’elle] chaque matin lorsqu’[elle] coupe le contact de la voiture ». La formatrice perd progressivement ses capacités. « Je n’arrive plus à lire en entier un seul article de revue sans faire dix pauses », témoigne-t-elle.

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« L’Ere du temps libéré », ou comment donner un rythme plus désirable à nos vies

Sommes-nous encore maîtres de notre temps ? Développement du lean management [méthode de production « au plus juste »], intensification des échanges numériques, porosité entre vies professionnelle et personnelle, expansion des horaires de travail atypiques, diffusion d’une « impatience consumériste »… Dans la sphère professionnelle comme privée, nombre d’évolutions ont eu tendance, ces dernières années, à nous en « déposséder ». C’est le constat que partagent Charles Adrianssens et Paul Montjotin dans leur ouvrage L’Ere du temps libéré publié aux Editions du faubourg.

Les auteurs, contributeurs au sein du laboratoire d’idées Institut Rousseau, rappellent en premier lieu que le « phénomène d’accélération » à l’œuvre est aujourd’hui largement documenté. « La proportion de salariés dont le rythme est imposé par des normes ou délais d’une heure au plus est passée de 5 % en 1984 à 29 % en 2016 », expliquent les auteurs, citant une étude de la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques. Le « travail pressé », décrit par les chercheurs Corinne Gaudart et Serge Volkoff dans leur ouvrage du même nom (Les Petits Matins, 2022), s’est, de fait, imposé dans de nombreux secteurs d’activité.

Cette fuite du temps a des conséquences multiples. L’accélération, observée dans les organisations comme dans les temps personnels – à travers notamment une « culture de la consommation permanente » – affecte les Français, comme travailleurs et comme citoyens. Elle affecte leur équilibre psychique, réduit leurs liens sociaux. « Le travail devient de plus en plus intense, et représente de moins en moins une expérience collective, au risque d’être moins émancipateur », appuient MM. Adrianssens et Montjotin. De même, cette « perte de contrôle » fragilise l’environnement, la recherche de vitesse se faisant bien souvent au détriment de la sobriété et de la frugalité.

Reprise en main

Face à ce constat, les auteurs détaillent un ambitieux programme d’actions, dessinant les contours d’une « politique publique du temps libéré ». Elle porte un objectif central : « réencastrer le temps » dans « les limites humaines et planétaires ». Une reprise en main, en somme, qui sera facilitée par l’aspiration croissante des Français à la décélération, et à « retrouver la maîtrise de [leurs] vies », veulent croire les auteurs.

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Quelles évolutions engager dans le monde du travail ? MM. Adrianssens et Montjotin souhaitent « favoriser l’équilibre entre les temps personnel et professionnel, redonnant ainsi à chaque salarié un meilleur contrôle sur son temps ». Ils proposent notamment d’« offrir à toutes les personnes travaillant à temps plein un socle commun de jours de temps libéré leur permettant de compenser [diverses contraintes], s’occuper de son enfant malade, par exemple ». Un « droit opposable à l’engagement des salariés » est également avancé. Il permettrait de sanctuariser un temps mensuel ou hebdomadaire pour exercer une activité bénévole d’intérêt général.

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Alzheimer : l’entreprise face à la dégradation des capacités cognitives du salarié

Il y a les difficultés rencontrées par cet ingénieur en réunion, lorsqu’il doit prendre des notes et assimiler les informations échangées. Il y a, aussi, les moments où ce professeur se sent « désorienté » en pleine classe, perdant le fil de son cours. Que doit-il dire ? Il y a, enfin, le trouble ressenti par ce salarié errant dans les couloirs de son entreprise, sans parvenir à se rappeler pourquoi il a quitté son bureau quelques instants plus tôt.

Derrière ces différentes situations rencontrées en milieu professionnel, une même cause : la maladie d’Alzheimer. Si la pathologie touche en grande majorité les retraités, plusieurs dizaines de milliers de cas concernent aujourd’hui, en France, les moins de 65 ans. Ces « Alzheimer jeunes », dont une part importante ignore sa maladie, faute de diagnostic, doivent affronter une dégradation progressive de leurs capacités cognitives au travail. Avec, à la clé, de nombreuses souffrances.

« Il y a autant d’Alzheimer que de patients », ont coutume de dire les spécialistes. De fait, la maladie s’invite de multiples manières dans le quotidien des personnes touchées. « Les problèmes de mémoire sont, bien sûr, fréquents, explique Adeline Rollin, responsable du Centre national de référence malades Alzheimer jeunes de Lille. Les malades ont des difficultés à se constituer de nouveaux souvenirs. Mais des formes atypiques sont aussi très présentes chez les jeunes : troubles du langage, de la gestualité, difficultés visuelles, par exemple pour se repérer dans l’espace. Les fonctions exécutives peuvent être aussi touchées, avec des difficultés à organiser ou à planifier. »

Des sources de tension

Autant de symptômes qui complexifient le quotidien professionnel, jusqu’à rendre impossible l’accomplissement de certaines missions. « Cela peut aussi, parfois, augmenter le risque d’incident avec une mise en danger du malade et de ses collègues », note Benoît Durand, directeur délégué de l’association France Alzheimer. « L’un de mes patients avait un rôle important dans un processus de sécurité interne, explique une médecin du travail. Ce processus a été mis à mal à la suite d’un oubli de sa part. Cela devenait dangereux, il a donc été déchargé de cette mission. »

Face à une incapacité croissante à accomplir certaines tâches, les salariés se retrouvent en situation d’échec et peuvent perdre confiance en eux. Un ressenti douloureux, parfois doublé d’une incompréhension. Le diagnostic n’est le plus souvent posé que plusieurs années après la survenue de la maladie. Auparavant, les personnes touchées voient donc certaines de leurs capacités décroître sans réelle explication. « Les patients qui nous contactent ont souvent été placés dans un premier temps en arrêt de travail pour dépression ou burn-out », relève Mme Rollin.

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Une avancée pour la protection des travailleurs du BTP lors d’épisodes caniculaires

Un chantier de construction à Airvault (Deux-Sèvres), le 5 juillet 2024.

Adaptation au réchauffement climatique oblige, un décret que les travailleurs du bâtiment et des travaux publics demandaient depuis longtemps est paru le 28 juin au Journal officiel : la canicule rejoint la liste des intempéries ouvrant le droit au chômage technique sur les chantiers.

« C’est une revendication que nous portons depuis 2018, lorsque nous avons commencé à constater de réels soucis sur les chantiers à la suite de coups de chaleur », rappelle Frédéric Mau, secrétaire de la fédération CGT Bois et construction, qui se « félicite » de ce « signal politique important : tout le monde sait désormais que travailler dehors par 40 °C représente un risque avéré pour la santé ». Il prend l’exemple des ouvriers chargés de la réfection des chaussées. « L’enrobé déposé est à 150-160 °C. Donc imaginez quand vous avez les pieds dessus avec un environnement extérieur à 40 °C… La température de l’air ambiant peut atteindre 80 °C, on l’a mesuré ! Et on a vu des évanouissements, même chez des gars aguerris ! »

Onze accidents du travail mortels en lien possible avec la chaleur sont survenus durant l’été 2023, dont près de la moitié dans le cadre d’une activité professionnelle de construction et travaux, notait, en février, Santé publique France dans son bilan « Canicule et santé ». Des chiffres sous-estimés, selon le secrétaire fédéral CGT, « parce que les causes d’un malaise mortel sont évidemment moins flagrantes que celles d’un décès consécutif à une chute de hauteur ».

Mutualiser les risques

Le nouveau décret met ainsi à jour le régime « chômage intempéries » créé dans le BTP au lendemain de la seconde guerre mondiale, un temps où les canicules ne rythmaient pas encore les étés français. Dans ce secteur où une bonne part du travail se fait en extérieur, il permet d’un côté aux salariés d’être indemnisés si des conditions météorologiques extrêmes (vent violent, fortes pluies, neige, gel) les obligent à cesser le travail. Et, de l’autre, aux entreprises de mutualiser les risques par le biais d’une cotisation à un fonds de réserve qui finance cette indemnité versée aux salariés au chômage technique.

Mercredi 10 juillet, Olivier Salleron, le président de la Fédération française du bâtiment, puissant lobby du secteur, s’est également réjoui, devant la presse, de cette avancée. Le régime intempérie se déclenchera en cas de vigilance orange ou rouge annoncée par Météo France. « La caisse remboursera alors les salaires des compagnons, c’est automatique, a-t-il expliqué. Mais aussi en cas d’arrêté préfectoral. » Pour l’année 2024, la caisse des congés ne versera toutefois que 80 % du salaire, la différence restant à la charge des entreprises.

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Réforme du RSA : dans la métropole de Lyon, accompagner sans sanctionner

L’agence France Travail de Givors (Rhône) grouille de monde. Un peu partout dans le hall, ça foisonne d’échanges. Ce mardi de la mi-juin, Yanis (il n’a pas souhaité donner son nom), 29 ans, y entre pour la première fois. Il a été convoqué, comme soixante-dix autres personnes, à une « rencontre d’information et d’orientation » organisée pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). Ce solide gaillard, crâne rasé, barbe de trois jours, a le regard un peu perdu devant la multitude de comptoirs. De nombreux organismes sont présents face à lui pour ce rendez-vous spécifique : caisse d’allocation familiale, caisse primaire d’Assurance-maladie, maison de la métropole de Lyon, régie des transports publics…

Après un premier entretien avec un conseiller France Travail, Yanis passera à chacun de ces stands. Six comptoirs différents qui permettent d’emblée de connaître assez précisément la situation de la personne, ses besoins, les aides auxquelles elle peut éventuellement prétendre, etc. « C’est vraiment une bonne chose de rencontrer tous ces gens tout de suite, j’ai pu poser toutes les questions que je voulais », affirme Yanis. Ancien plombier, inactif depuis plusieurs années en raison de problèmes de santé, il souhaite se reconvertir et suivre une formation de chauffeur poids lourds.

A la fin de cette première rencontre de deux heures, une fois son orientation décidée, un agent France Travail lui remet immédiatement une convocation pour un rendez-vous plus spécifique. Trois parcours sont possibles. Un accompagnement social avec un conseiller de la métropole pour les plus éloignés de l’emploi ; un suivi intermédiaire dit socioprofessionnel et, enfin, pour les personnes susceptibles de retrouver un travail le plus facilement, un accompagnement professionnel avec France Travail.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés La réforme du RSA suscite inquiétudes et scepticisme

Cette journée est la première pierre de l’accompagnement rénové des bénéficiaires du RSA expérimenté depuis avril 2023 dans dix-huit bassins d’emploi. Le projet de loi pour le plein-emploi, adopté par le Parlement en décembre 2023, prévoit sa généralisation à partir de 2025. Le texte, qui a suscité de nombreuses critiques venues de la gauche, qui promet d’ailleurs de revenir dessus si elle parvient au pouvoir, conditionne le versement du RSA à au moins quinze heures d’activité hebdomadaires.

« Public plus difficile à mobiliser »

La métropole de Lyon, qui fait partie des trois territoires de gauche volontaires – avec la Loire-Atlantique et l’Ille-et-Vilaine –, a choisi une ville enclavée et marquée par la pauvreté pour mener cette expérimentation. Coincée dans un triangle entre Lyon au nord, Saint-Etienne à l’ouest et Vienne à l’est, Givors fait partie de ces territoires sinistrés par la désindustrialisation. Dans la commune traversée par l’autoroute A47, le taux de chômage atteignait 18,6 % en 2021, selon l’Insee.

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Dialogue professionnel : « La place du manageur a toujours fait débat »

Droit social. Dans le vaste cimetière des lois inappliquées, surgissent parfois d’étonnantes transfigurations. Ainsi du « droit d’expression directe et collective » créé par la loi Auroux du 4 août 1982, visant « à définir dans l’unité de travail les actions à mettre en œuvre pour améliorer les conditions de travail, l’organisation de l’activité et la qualité de la production ».

Du fait d’une triple méfiance, cette petite démocratie directe a connu un succès très mitigé. Côté employeurs, des foyers potentiels de contestation ; côté manageurs, une éventuelle mise en cause (publique) ; enfin, côté syndicats, une collaboration de classe voulant les contourner. « Si c’était à refaire, j’imposerais des réunions d’expression avant les négociations annuelles obligatoires », disait l’ancien ministre du travail Jean Auroux début 2024 : car sa loi voulait aussi inciter des syndicats très idéologiques à revenir sur le terrain. Pas gagné, comme l’avait constaté, en janvier 2019, le secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT), Philippe Martinez, commentant la seconde place de son syndicat : « Nous sommes parfois trop idéologiques et pas assez concrets. Nous devons redevenir le syndicat de la feuille de paie et du carreau cassé. »

Au-delà de la banalisation de la « prise de parole », en particulier sur les réseaux sociaux (voir groupes de collègues sur Facebook ou sur WhatsApp), l’actualité récente montre le besoin d’écoute et de reconnaissance.

Le « besoin de partage »

Car, après quarante ans du monopole de « l’emploi » dans le débat public, le travail au quotidien enfin réapparaît. Et, avec lui, un frère jumeau du droit d’expression : le « dialogue professionnel », adopté par la Confédération française démocratique du travail, en juin 2022, « afin d’agir sur le contenu du travail et son organisation, dans un cadre collectif et négocié permettant une réelle prise en compte de l’expression des travailleurs ».

Bon. Mais si les mêmes causes produisent les mêmes effets… D’où l’intérêt des travaux de la Confédération française des travailleurs chrétiens, « L’expression directe et collective en entreprise : des chiffres aux pratiques » publiés en juin 2024.

Côté manageur, il y a deux constats et une surprise.

Premier constat, la place du manageur a toujours fait débat. Alors que la loi lui donne un rôle moteur, libérer la parole de ses subordonnés en sa présence… D’autant plus que, malgré le volontariat, une réunion convoquée sur le temps et le lieu de travail ressemble davantage à une réunion de service qu’à un lieu d’expression libre, même si le chef est alors invité à devenir « animateur ».

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