Plus d’un salarié sur trois méconnaît ses avantages sociaux en entreprise, révèle Malakoff Humanis

Avec la crise sanitaire puis la période de forte inflation, le potentiel des avantages sociaux adossés à la rémunération est devenu essentiel pour les salariés et bien pratique pour les responsables des ressources humaines qui cherchent toujours des leviers complémentaires au salaire pour motiver les équipes. L’étude « Les leviers des politiques RH attractives » publiée par Malakoff Humanis le 16 octobre révèle pourtant une grande méconnaissance de ce que les DRH nomment le « package social ».

Le premier enseignement de cette enquête, réalisée par Harris Interactive du 24 avril au 17 mai auprès de 1 500 salariés, plus de 400 dirigeants et 100 représentants syndicaux, est la nécessité de définir clairement le contrat social qui lie l’employeur aux salariés.

Le mutualiste qui publie régulièrement des études sur l’usage des dispositifs de protection sociale en entreprise constate, dans celle-ci, que les salariés en ont une idée bien vague : 39 % des salariés interrogés affirment connaître mal, même très mal, les avantages salariaux et sociaux mis à leur disposition. Les deux tiers des salariés (63 %) souhaiteraient par exemple être mieux informés de leur protection sociale pour la santé et la prévoyance.

Et plus l’entreprise est petite, plus le brouillard est épais : c’est le cas de 45 % des collaborateurs des organisations de moins de cinquante salariés et de 49 % des entreprises de moins de dix salariés. Ils pensent paradoxalement que ces avantages (méconnus) sont nombreux pour au moins 40 % de l’effectif dans les petites entreprises et 60 % de l’effectif dans celles de 250 personnes et plus.

Le flou sur la notion de contrat social

« Une méconnaissance qui explique sans doute la distorsion de perception entre les uns et les autres sur les avantages proposés. Depuis plusieurs années, on voyait monter dans nos études la distanciation du lien entre employeurs et salariés », commente Anne-Sophie Godon. La directrice accompagnement social et prévention en entreprise de Malakoff Humanis explique que c’est ainsi que « s’est posée la question de formaliser l’engagement réciproque qui constitue le contrat social ».

Seuls 8 % des salariés et 6 % des dirigeants interrogés par Harris Interactive déclarent savoir précisément ce qu’il recouvre. « J’imagine que c’est un ensemble de mesures permettant de garantir le bien-être et la cohésion entre tous les salariés, pour travailler dans un environnement viable », définit un des salariés interrogés. « C’est un contrat moral entre l’entreprise et ses salariés sur de bonnes conditions de travail », avance un autre.

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Pour mieux payer le travail, réduire les exonérations de charges patronales n’est pas la panacée

C’est peu dire que ce rapport était attendu. Mais comme avec tout ce qui suscite une forte impatience, le risque de déception est grand. Jeudi 3 octobre, Antoine Bozio et Etienne Wasmer ont remis au premier ministre, Michel Barnier, un rapport sur « les politiques d’exonérations de cotisations sociales ». Les deux économistes avaient été missionnés par Elisabeth Borne lorsqu’elle était à Matignon, après la conférence sociale d’octobre 2023.

L’objectif de ce travail était notamment de comprendre comment le système d’allégements de cotisations sociales patronales, mis en place dans les années 1990 pour répondre au chômage de masse que connaissait la France, en particulier chez les populations peu qualifiées, a fini par engluer de nombreux salariés au niveau du smic.

Le phénomène est d’autant plus préoccupant qu’avec le contexte inflationniste, les « smicards » sont toujours plus nombreux. Le salaire minimum étant indexé sur l’inflation, il a considérablement augmenté ces dernières années, passant de 1 554,58 euros brut, début 2021, à 1 766,92 euros, début 2024. Résultat, de nombreux salariés qui avaient des salaires supérieurs, mais qui n’ont pas ou ont peu été augmentés, ont été rattrapés. Au 1er janvier 2023, ce sont 17 % des salariés du privé qui étaient rémunérés au niveau du smic.

Trente ans de politiques jamais évaluées

Depuis 2022, les gouvernements successifs, jusqu’à celui de Michel Barnier, ont tous revendiqué vouloir agir pour que le travail paie mieux. Et ainsi mettre fin à un phénomène souligné par Antoine Foucher dans Sortir du travail qui ne paie plus (L’Aube, 144 pages, 17 euros).

L’ancien directeur du cabinet de Muriel Pénicaud, lorsque celle-ci était ministre du travail, dresse, chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques à l’appui, le constat que, depuis une quinzaine d’années, le travail ne permet plus à la plupart des gens d’améliorer leur niveau de vie. Jusqu’en 1980, il fallait environ quinze ans de travail pour vivre deux fois mieux ; un délai qui s’est élevé à environ quarante ans entre les années 1980 et 2000. Depuis lors, il faudrait plus de quatre-vingts ans de travail pour doubler son niveau de vie.

Si le processus qui a conduit à l’émiettement du pouvoir d’achat des travailleurs a donc pris des décennies, inverser cette tendance ne se fera pas en un claquement de doigts. C’est le constat que font les auteurs du rapport. Plonger dans les trois cents pages de ce document, c’est opérer une immersion dans trente ans de politiques additionnées et empilées sans que les résultats de la précédente soient vraiment évalués. Une complexité qui verrouille quasiment le système aujourd’hui.

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Doliprane : un « accord tripartite » trouvé entre l’Etat, le groupe pharmaceutique Sanofi et le fonds américain CD & R

L’Etat a annoncé dimanche 20 octobre au soir avoir trouvé un « accord tripartite » avec le groupe pharmaceutique Sanofi et le fonds américain CD & R pour la cession de la filiale du groupe pharmaceutique de produits sans ordonnance Opella, qui commercialise le Doliprane.

« Nous avons obtenu les garanties du maintien et du développement d’Opella en France. Nos exigences sur l’emploi, la production et l’investissement seront respectées. Pour le Doliprane et les autres médicaments essentiels au pays » a écrit le ministre de l’économie Antoine Armand sur X, dimanche 20 octobre au soir.

« L’Etat, via Bpifrance, sera actionnaire pour y veiller », a-t-il ajouté, semblant donner son feu vert à cette possible cession. « On a atteint le plus haut niveau de garanties possible dans les discussions » avec Sanofi sur ce dossier, ont précisé à la presse les cabinets des ministres de l’économie et de l’industrie.

Le Monde avec AFP

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Catherine Bissey, chercheuse en management : « Les très petites entreprises sont bien souvent les oubliées de la formation professionnelle »

Depuis septembre 2018, les salariés français ont la possibilité légale de se former « en situation de travail », c’est-à-dire au sein de leur entreprise, à leur poste. Ce qu’on appelait « formation sur le tas » peut désormais être reconnu et bénéficier des fonds dédiés à la formation professionnelle, voire déboucher sur une certification. Cette loi – et c’est dommage – reste cependant méconnue du public et sous-utilisée par les entreprises.

Les recommandations présentes dans le décret d’application de la loi ont-elles mis en difficulté les dirigeants des très petites entreprises (TPE) ? Lorsqu’un boucher expérimenté enseigne à un collègue la manière dont il prépare les gigots ou fait ses achats auprès d’éleveurs, s’agit-il d’une formation en situation de travail ? L’affaire est plus complexe qu’il n’y paraît.

Si une « phase réflexive » n’est pas formellement organisée, ainsi qu’une évaluation des acquis du salarié, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une formation sur le tas, laquelle ne donne droit à aucun financement ni aucune reconnaissance. Or, comprendre ce qu’est cette « phase réflexive » n’est pas évident pour tout le monde.

Formalisme

Manque de connaissance de la part des pouvoirs publics du contexte dans lequel évoluent beaucoup de TPE et PME ? Il y a sans doute de cela. Ces entreprises, qui constituent la grande majorité des entreprises françaises, sont bien souvent les oubliées de la formation professionnelle et tout particulièrement les TPE dont les effectifs ne dépassent pas dix salariés. Moins de 20 % de leurs employés bénéficient de formations régulières pour quasiment 100 % des collaborateurs de grands groupes.

La loi de 2018 tentait de remédier à ces inégalités car, pour une petite structure, il est souvent plus facile de former un salarié sur place, sans interrompre complètement son activité, que de l’envoyer en stage à l’extérieur. Hélas, la réforme a fait long feu.

Le formalisme exigé pour la démarche sert en réalité les organismes de formation dont l’intervention est rendue ainsi utile à qui veut comprendre les règles du jeu. Certains de ces organismes proposent même des stages pour former et certifier les utilisateurs, alors que la loi ne l’exige pas. Une manière de garder la main.

Le modèle de l’éducation nationale

Néanmoins le déploiement très lent de ces formations en situation de travail tient plus largement à la manière dont la formation professionnelle s’est développée et structurée en France depuis 1791, de Condorcet à la loi Delors, laquelle, en 1971, pose comme principe qu’elle doit se dérouler à l’extérieur de l’entreprise.

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La retraite progressive va-t-elle décoller ?

La retraite progressive va-t-elle enfin décoller ? Ce dispositif, qui permet aux seniors d’alléger leur temps de travail en compensant partiellement la baisse de salaire par le versement anticipé d’une partie de leur pension de retraite, a été remis récemment sur la table des négociations.

Lors de sa déclaration de politique générale, le 1er octobre, le premier ministre, Michel Barnier, a considéré qu’il constituait l’un des trois « aménagements, raisonnables et justes » à la réforme des retraites, appelant les partenaires sociaux à s’en emparer. Pour sa part, Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT, a prôné, le 8 octobre, au micro de France Inter, une « généralisation de la retraite progressive dès 60 ans sans condition ».

Selon l’Assurance-retraite, 26 824 salariés bénéficiaient en 2023 de ce dispositif et 13 432 nouvelles retraites progressives ont été attribuées cette année-là, contre 13 640 en 2022. Les rares bénéficiaires passent sous les radars et sont éparpillés dans le tissu économique, et passent sous les radars à l’échelle des entreprises, qui ne formalisent pas le dispositif dans des accords.

Par ailleurs, le ministère de la santé relève que 73 % des retraités « progressifs » sont des femmes en 2021. La raison ? Du fait de carrières hachées à la suite des maternités, les femmes sont amenées à travailler plus longtemps et sont donc davantage tentées d’y recourir pour gérer de manière confortable la fin de leur vie active.

Des craintes infondées

Malgré un quintuplement du nombre de retraités « progressifs », de 2015 à 2020, ce dispositif marque aujourd’hui le pas, et ne séduit qu’une frange marginale de la population éligible. Selon le régime de retraite complémentaire Agirc-Arrco, seulement 2 % de ses nouveaux allocataires y ont souscrit en moyenne de 2019 à 2022. Membre du comité de direction groupe d’AG2R La Mondiale chargé de la retraite complémentaire, François Ringaud explique ce fait par la « méconnaissance des salariés de ce dispositif, la crainte qu’il ne soit trop complexe ou pénalisant ».

Des craintes infondées, selon lui, puisque les experts des retraites complémentaires peuvent effectuer des simulations très précises sur le manque à gagner, qui dépend de la durée du temps partiel choisie (entre 40 % et 80 % de la durée légale hebdomadaire applicable dans l’entreprise). « Ce n’est pas un saut dans l’inconnu, et, pour beaucoup de salariés, la perte de revenu demeure raisonnable », assure François Ringaud. Sachant que le calcul de la pension se fait sur vingt-cinq ans, la perte de pension est effectivement lissée pour les salariés qui ont connu des carrières stables. « Mais ceux qui ont connu des parcours chaotiques peuvent hésiter », nuance Denis Gravouil, secrétaire confédéral de la CGT.

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Assurance-chômage et emploi des seniors : les partenaires sociaux veulent des négociations rapides

La ministre du travail Astrid Panosyan-Bouvet, à l’Elysée, le 10 octobre 2024.

Ils se donnent un peu plus de trois semaines pour parvenir à des compromis. Mercredi 16 octobre, les syndicats et le patronat ont fixé le calendrier d’un double cycle de discussions, l’un sur l’assurance-chômage, l’autre sur l’emploi des seniors. Les rencontres, menées en parallèle, débuteront le 22 octobre et se poursuivront jusqu’au 14 novembre, une ultime séance étant envisagée le lendemain en cas de besoin. Les pourparlers s’engagent à la suite d’une proposition de la ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet, qui a souhaité redonner la main aux acteurs sociaux, estimant qu’ils sont « les mieux placés » pour traiter ces sujets.

S’agissant du premier volet – l’indemnisation des demandeurs d’emploi –, les protagonistes pourront s’appuyer sur l’accord qu’ils avaient signé en novembre 2023 – à l’exception de la CFE-CGC et de la CGT – mais qui n’avait pas pu entrer en vigueur, l’exécutif ayant alors refusé de donner son agrément. Le fait de partir d’un texte déjà écrit devrait simplifier les pourparlers. Avec, toutefois, un petit bémol : « Il va falloir trouver les 400 millions d’euros d’économies supplémentaires que nous réclame la ministre », souligne Jean-François Foucard, secrétaire confédéral de la CFE-CGC.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Emploi des seniors : la négociation patine

Plusieurs pistes sont à l’étude, dont une refonte des règles applicables aux chômeurs résidant en France tout en ayant été employés dans un pays limitrophe (la Suisse et le Luxembourg, principalement). Le système actuellement en vigueur s’avère très coûteux, notamment parce que les allocations sont calculées en fonction du salaire perçu – lequel est, dans bien des situations, plus élevé que dans l’Hexagone. Lors d’une audition à l’Assemblée nationale, Mme Panosyan-Bouvet a confirmé, mercredi 16 octobre, qu’une réflexion était en cours sur l’indemnisation-chômage des travailleurs frontaliers : parmi les hypothèses examinées, il y a le renforcement des obligations pesant sur cette catégorie d’actifs, à travers une redéfinition de « l’offre raisonnable d’emploi » que les intéressés sont tenus d’accepter, sous certaines conditions, faute de quoi ils cessent de recevoir leur prestation.

« Il va être difficile d’être trop innovant »

L’autre négociation, consacrée au maintien en activité des salariés approchant du terme de leur carrière, sera peut-être plus délicate. L’une des questions qui se pose est de savoir si « on part d’une page blanche ou si on met à profit ce qui a déjà été écrit », confie Eric Chevée. Le vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) fait ainsi allusion aux pourparlers sur un « nouveau pacte de la vie au travail », qui avaient débouché sur un constat de désaccord en avril. Un projet de texte, englobant – entre autres – des mesures sur les seniors, avait, certes, été rédigé, mais les syndicats l’avaient repoussé, le jugeant très insuffisant, voire régressif sur plusieurs aspects.

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« Osez le télétravail !  » : Les manageurs face aux enjeux du travail à distance

L’histoire est connue. En 2020, la pandémie de Covid-19 et ses confinements successifs ont imposé le travail à distance à une grande partie des salariés. Une pratique qui s’est maintenue après la crise sanitaire dans nombre d’organisations. « Le télétravail a fait irruption par effraction dans nos existences », résume Jean-Claude Delgènes, fondateur du cabinet Technologia, spécialiste de la prévention des risques psychosociaux liés au travail. Et, malgré l’appel venu d’outre-Atlantique à revenir au « tout présentiel », cette nouvelle organisation du travail devrait s’inscrire dans la durée en France, tant les collaborateurs y sont attachés, indique M. Delgènes.

Mais cette évolution, si elle rencontre l’adhésion des salariés, n’est pas sans risques. C’est précisément l’objet du dernier ouvrage de M. Delgènes, Osez le télétravail !. L’auteur propose un guide pratique du travail à distance, mettant notamment en lumière les écueils que les manageurs doivent éviter. Ils sont multiples.

Certains ont déjà été pointés dans de nombreuses études : difficulté à encadrer à distance, des équipes éparpillées façon puzzle, difficulté à bien équilibrer contrôle et mise en autonomie. Les encadrants doivent également faire face au risque d’isolement de membres de leurs équipes et, parfois, à un surinvestissement dommageable à leur santé mentale.

Les inégalités et le genre

M. Delgènes s’intéresse, au fil des pages, à d’autres points d’attention. Il invite ainsi les cadres à « tenir compte des inégalités devant le télétravail » soulignant que le travail à distance « amplifie les traits de caractère individuels, ce qui peut entraîner des erreurs de jugement et de décision pour les manageurs ». Il observe que « certains individus en télétravail ont (…) plus de facilité à mettre en avant leurs réalisations et à s’exprimer de manière convaincante », grâce notamment à une meilleure maîtrise de l’expression verbale. Une attention doit donc être portée aux collaborateurs plus introvertis, et à bien distinguer, au quotidien, le fond de la forme.

Les inégalités entre télétravailleurs peuvent également porter sur le genre, explique l’auteur, qui appelle à la vigilance. « Des femmes se retrouvent, en quelque sorte, piégées, précise M. Delgènes : d’un côté, elles sont confrontées à des tâches domestiques et familiales qui les empêchent souvent de se consacrer pleinement à leur travail, et de l’autre, le télétravail les place dans une position où elles risquent d’être moins visibles et moins prises en compte par leurs supérieurs hiérarchiques. »

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Le bleu de travail au bureau, summum de gentrification vestimentaire

Dans les milieux où le travail est parfois difficilement quantifiable (oui, un créatif qui rêvasse sur un canapé est peut-être en train de bosser), il est devenu commun de porter… un bleu de travail. Certes, la récupération de cette pièce emblématique du work wear n’est pas nouvelle. Les étudiants des Beaux-Arts s’en procurent depuis plusieurs décennies dans les friperies. Ce qui est plus notable, en revanche, c’est sa diffusion comme truisme dans les univers tertiaires, assortie d’une montée en gamme (270 euros pièce chez Soubacq). On est là face à un élément signalétique ultime, une représentation de l’effort manuel à l’heure de sa presque disparition : « Youhou, je bosse, moi ! », crie haut et fort le vêtement, alors que tout dans votre attitude semble prouver le contraire.

Ce véritable « uniforme de l’ouvrier », emblématique de l’usine et des ateliers de mécanique, tire son nom de sa couleur, le bleu de Prusse. Répondant à des exigences de sécurité, sa coupe simple et droite évitait de se faire happer un membre par les machines-outils. Quant à sa toile épaisse, elle protégeait aussi bien du froid que des brûlures, de la poussière que des projections de graisse. Par l’appartenance qu’il manifestait, le bleu de travail a incontestablement participé à l’émergence d’une conscience de classe. En face, les « cols blancs », eux, ne mettaient pas les mains dans le cambouis.

Désormais, ce sont des start-upeurs, ou des quadras de professions intellectuelles tentant de rester cool avec leurs Veja aux pieds, qui l’ont adopté. Je dois ici le confesser : il y a quelques mois, je me suis acheté un pantalon bleu de travail. Que je n’ose pas vraiment sortir du placard, de peur de participer à ce que Frustration Magazine appelle la « gentrification vestimentaire ». Aujourd’hui, cette pièce iconique ne vous habille plus pour vous protéger des bouts de métal incandescents projetés par le chalumeau, mais pour rappeler vos lointaines racines ouvrières. Dans votre « bleu », vous êtes un transclasse qui a la classe, célébrant avec une nostalgie surjouée un monde prétendument disparu.

Sentiment d’« authentoc »

Une pièce de vestiaire gentrifiée, c’est, à l’instar d’un quartier, ce vêtement originellement fonctionnel dans lequel un public CSP+ va venir se glisser pour y diffuser subrepticement ses codes. Les nouveaux bleus de travail seront « upcyclés », de toutes les couleurs, surtout pas sales. Les poches ne serviront pas à mettre des clés à molette mais des cigarettes électroniques. Personne ne transpirera dedans. L’authenticité laborieuse du prolétariat qui faisait l’âme du vêtement sera progressivement remplacée par un sentiment diffus d’« authentoc », comme dans une émission de Frédéric Lopez. Votre bleu ira très bien avec votre collection de mobiles en bois flottés achetés une fortune sur l’île de Ré.

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Retraites complémentaires : une revalorisation actée malgré l’opposition du Medef

Des manifestants défilant derrière une banderole sur laquelle on peut lire « retrait de la réforme des retraites, pour des salaires plus élevés et une augmentation des prestations de retraite », à Toulouse, le 6 juin 2023.

La valeur retenue pour la hausse n’est pas une surprise mais les conditions dans lesquelles elle a été fixée sont, en revanche, beaucoup plus étonnantes. Mardi 15 octobre, les partenaires sociaux ont décidé de revaloriser de 1,6 % les retraites versées par l’Agirc-Arrco, le régime complémentaire des salariés du privé que les syndicats et le patronat cogèrent. Fait très inhabituel – peut-être inédit –, ce choix a été entériné malgré l’opposition du Medef, alors même que ce mouvement d’employeurs exerce une influence déterminante, en temps ordinaire, sur le pilotage du système. Un résultat obtenu grâce à l’alliance des cinq organisations de salariés et de l’Union des entreprises de proximité (U2P), qui défend les commerçants, les artisans et les professions libérales. Une telle issue est susceptible de provoquer quelques étincelles entre les protagonistes, au moment même où ils doivent ouvrir des discussions, à la demande du gouvernement, sur l’assurance-chômage et l’emploi des seniors.

La revalorisation, qui a été actée, mardi, par le conseil d’administration de l’Agirc-Arrco, prend effet à partir du 1er novembre pour les douze prochains mois et concerne environ 14 millions de personnes. Elle s’avère inférieure de 0,2 point à l’inflation attendue pour 2024 (soit + 1,8 %), ce qui est conforme aux règles que les syndicats et le patronat se sont données pour piloter le régime. Pour cet exercice, il est prévu que les pensions complémentaires suivent l’évolution des prix mais diminuée de 0,4 point, ce qui déboucherait sur une augmentation de 1,4 %. Les partenaires sociaux ont toutefois la possibilité de s’éloigner un peu de ce pourcentage (de 0,4 point, à la hausse comme à la baisse), en vertu d’un accord qu’ils ont signé.

Plusieurs organisations de salariés se sont prévalues de ces marges de manœuvre pour réclamer, au début de la réunion de mardi, une majoration de 1,8 %. Le Medef, lui, ainsi que la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), proposaient + 1,5 %. Finalement, une majorité s’est dégagée en faveur du scénario à + 1,6 %.

« Nous étions convenus d’avancer ensemble »

Il s’agit d’« une bonne nouvelle pour les retraités », a déclaré, mercredi matin, Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT, sur la chaîne de télévision Public Sénat. « Nous sommes parvenus à un terrain d’entente satisfaisant », confie au Monde Michel Beaugas, secrétaire confédéral de Force ouvrière. « Nous revendiquions une progression égale à l’inflation, ce qui était totalement légitime. Cependant, dans un esprit de responsabilité, nous avons trouvé collectivement un point de convergence à + 1,6 % », enchaîne Christelle Thieffinne, au nom de la CFE-CGC. La CGT, par la voix de son secrétaire confédéral, Denis Gravouil, « ne [crie] pas victoire », car elle exigeait, elle aussi, + 1,8 % au commencement des tractations. Mais elle a préféré donner son feu vert à la solution à + 1,6 %, tout comme les autres syndicats et l’U2P, faute de quoi le risque existait, d’après M. Gravouil, d’aboutir à une valeur plus faible, voire à une absence de revalorisation, en raison de la répartition des droits de vote au sein du conseil d’administration.

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Que fait-on du travail ? : « Le refus de l’hyper-fragmentation, c’est un choix d’entreprise »

Proposition 1 de François-Xavier Devetter et Julie Valentin : Encadrer le temps partiel et réduire la fragmentation des journées de travail

Quel est le problème à résoudre ?

Aujourd’hui, plus d’un salarié (entre 25 et 65 ans) sur sept gagne moins que le smic chaque mois. Si une partie d’entre eux peut avoir partiellement choisi d’exercer une activité réduite, la majorité n’est pas en mesure de vivre décemment de son travail.

Cette situation résulte d’un salaire horaire faible, mais surtout d’un temps de travail réduit. Or, le temps partiel dans de nombreux métiers (nettoyage, services à la personne, commerce, restauration, logistique, etc.) s’accompagne paradoxalement d’une emprise importante du travail sur la vie quotidienne : horaires flexibles et décalés, journées fragmentées, amplitudes longues, imprévisibilité des emplois du temps, etc. (François-Xavier Devetter et Julie Valentin, 2024).

En 2014, le gouvernement a cherché à encadrer le recours au temps partiel en fixant un minimum de vingt-quatre heures par semaine, mais les nombreuses dérogations possibles ont rendu cette mesure largement inopérante (Rachel Silvera 2020) : près de la moitié des emplois à temps partiel affichent des durées inférieures à ce seuil (Lisa Mourlot et Hatice Yildiz, 2020).

En outre, le problème ne se situe pas uniquement dans la durée hebdomadaire, mais s’enracine dans l’organisation de la journée de travail. Comment mieux protéger les salariés de temps de travail occupant une place très large dans la journée tout en étant très peu rémunérateurs ?

La proposition

Fixer une durée minimale pour toute plage de travail (par exemple trois heures) et ajouter du temps rémunéré (par exemple une demi-heure) à toute « prise de poste ».

Comment ça marche ?

Commencer un poste de travail implique des coûts fixes (temps de déplacement et de vestiaire, par exemple) qui rendent les durées très courtes pénibles pour les salariés qui doivent répéter ces opérations plusieurs fois dans la journée. La multiplication de ces temps périphériques à l’activité, non rémunérés, peut se traduire par une emprise du travail d’une demi-journée pour une seule heure de travail rémunérée.

Deux types de mesures permettraient de décourager l’offre d’horaires de travail fortement fragmentés. La première consiste à fixer une durée minimale de toute plage de travail, comme cela s’observe déjà dans certaines branches (comme la sécurité ou l’audiovisuel).

La seconde pourrait consister à ajouter du temps rémunéré lié à toute « prise de poste » (par exemple trente minutes). Ainsi, une période de travail d’une heure serait rémunérée une heure trente et une durée de travail de trois heures serait rémunérée trois heures trente. Ce coût fixe par période de travail inciterait les employeurs à éviter de multiplier des séquences courtes au cours d’une même journée en transférant le risque des fluctuations d’activité sur les salariés.

Sur quels travaux de recherche la proposition est-elle fondée ?

L’importance de réguler davantage le recours aux temps partiels est soulignée par de nombreuses recherches sur la croissance des horaires atypiques, notamment en raison du développement des activités de services (François-Xavier Devetter et Julie Valentin, 2024).

Depuis quelques années, différentes expérimentations sont menées, notamment dans des Etats ou des municipalités aux Etats-Unis (Charlotte Alexander et Anna Haley-Lock, 2015 ; Susan Lambert et Anna Haley, 2021). En Europe, certains pays connaissent des régulations de ce type au niveau sectoriel : par exemple, en Islande la branche de la propreté exige une durée minimale de travail de trois heures (https://efling.is/en/job_titles/cleaning-workers/), contre une heure en France.

Comment mettre en œuvre ?

L’adaptation de ce type de mesures nécessite des négociations au niveau des conventions collectives. Cependant, les inégalités entre partenaires sociaux dans de nombreuses branches des services rendent nécessaires un socle légal d’ordre public exigeant (par exemple, des périodes rémunérées minimales de trois heures). Les risques de contournement sont également importants et peuvent requérir un accompagnement des employeurs et un renforcement des contrôles, comme l’ont montré les analyses des expérimentations de dispositifs proches aux Etats-Unis (Larissa Petrucci et al, 2021).