Télétravail : « Les gens commencent à se demander s’ils travaillent à la maison ou s’ils dorment au bureau »

Télétravail : « Les gens commencent à se demander s’ils travaillent à la maison ou s’ils dorment au bureau »

Tribune. L’une des conséquences inattendues de l’épidémie de Covid-19 est un changement d’attitude assez radical des employeurs et de nombreux salariés à l’égard du télétravail. Entreprises technologiques et industries plus traditionnelles annoncent que le travail à distance sera désormais la nouvelle norme. Il n’est donc pas inutile de s’interroger sur les conséquences sociales que pourrait entraîner une telle évolution.

Si le télétravail est aujourd’hui présenté, parfois à raison, comme une opportunité pour se libérer de contraintes telles que les navettes quotidiennes, le temps perdu dans les embouteillages, voire la supervision tatillonne du supérieur hiérarchique, il convient aussi d’en souligner le prix. En s’installant dans la durée, les nouvelles pratiques de télétravail commencent à révéler quelques signes d’un impact social plus profond que celui attribué à un déplacement du lieu de fourniture du travail.

Parmi ces signes, ceux liés au bien-être au travail. Une récente enquête menée au Royaume-Uni révèle déjà une augmentation significative des plaintes musculosquelettiques, une activité physique en baisse, des horaires de travail trop longs et irréguliers, une perte de sommeil. Autres signes : le manque d’interactions sociales, le déséquilibre entre vie professionnelle et privée, le sentiment d’isolement… Comme le note Neil Greenberg, spécialiste de la santé mentale au travail, les gens commencent à se demander s’ils travaillent à la maison ou s’ils dorment au bureau.

Erosion du modèle social

Parmi les coûts plus pernicieux de cette « libération des contraintes » figure le développement de la surveillance numérique. Si l’employeur accepte le travail à distance, c’est aussi parfois parce que les possibilités de contrôle de l’employé sont désormais infinies. Une simple visite sur le site Web de l’application Spyrix suffit à avoir un aperçu de ces possibilités : surveillance non détectable de l’activité du clavier, de l’utilisation des applications, captures d’écran, activation de la webcam… La nouvelle normalité du télétravail, ici plutôt dystopique, peut aussi être celle d’un capitalisme de surveillance.

Le développement dans la durée d’un télétravail massif pourrait de fait mener à l’érosion progressive des unités structurantes de notre modèle social. Revenons quelques siècles en arrière. L’industrie naissante, aux XVIIIe et XIXe siècles, suscite à l’époque elle aussi une transformation radicale des formes de travail. En s’industrialisant, les ateliers concentrent les travailleurs autour des nouvelles machines, faisant progressivement disparaître le travail à domicile. Cette nouvelle organisation du travail industriel emprunte les principes du théâtre classique du XVIIe siècle : unité de lieu, de temps et d’action. Le travail humain se « fixe » dans un lieu précis (l’atelier, plus tard l’usine, les bureaux), pour une durée déterminée (la journée de travail), dans le cadre d’une unité d’action (les travailleurs sont collectivement impliqués dans un seul processus de production).

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LJD

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