VTC : pour la première fois, la Cour de cassation refuse de requalifier des chauffeurs comme « salariés » d’Uber

Photo d’illustation.

Les chauffeurs de véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC), qui sont sur le papier des indépendants, doivent-ils être considérés comme des salariés ? Si cette question traverse les tribunaux depuis plusieurs années, la Cour de cassation apportait depuis 2020 une réponse claire, réitérée notamment en janvier 2023 et en mars : oui, car plusieurs indices prouvent qu’il existe un lien de subordination entre les conducteurs et leurs plateformes, et que ces dernières exercent un pouvoir de contrôle, de direction et de sanction sur les premiers.

Deux arrêts de la haute juridiction datés du 9 juillet changent la donne : suivant des jugements de la cour d’appel de Paris, ils considèrent que ce lien de subordination n’existe pas, et que les deux conducteurs, travaillant en l’occurrence pour Uber, sont bien des indépendants. Les décisions, que Le Monde a pu consulter, insistent sur le fait que le géant américain aurait fait évoluer ses pratiques, notamment à la suite de la loi d’orientation des mobilités de 2019.

Contactée, l’entreprise américaine y voit une « reconnaissance de l’évolution de ses fonctionnalités », et l’aboutissement d’un travail amorcé justement après le premier arrêt de la Cour de cassation, en 2020. Les évolutions pointées par les cours d’appel et de cassation sont la transmission au chauffeur du prix et de la destination avant qu’il réalise une course, ce qui n’était pas le cas auparavant, la fin des sanctions temporaires si un chauffeur refuse des courses, et l’absence d’exclusivité de non-concurrence, qui signifie qu’un travailleur peut cumuler plusieurs applications.

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« On nous traite comme des machines » : sur les bateaux de croisière, jusqu’à 72 heures de travail par semaine

En cette fin de matinée, un rayon de soleil éclaire les baies vitrées du Seamen’s Club, le café associatif du port de croisière de Marseille. Vivek s’attable devant un bol de nouilles instantanées et saisit son téléphone : sur l’écran, sa femme apparaît vêtue d’une robe imprimée. « On se parle trois fois par jour », confie cet Indien trentenaire, qui travaille comme agent de sécurité incendie sur un paquebot de vingt-deux ponts, en escale à Marseille. Vivek ne voit ses enfants de 1 et 4 ans que par écran interposé. « C’est difficile », confie-t-il. Depuis quatre ans, sa vie suit le même rythme : sept mois sur l’eau, trois mois en Inde.

Deux membres d’équipage de bateaux de croisière, l’un Indien, l’autre Samoan, au local de l’association Seamen’s Club, sur le port de Marseille, le 5 mai 2025.

« A chaque fois que je rentre dans mon pays, je me dis : “Cette fois, je reste”, raconte Vivek. Et puis je repars. En Inde, il faut être très diplômé pour avoir de bons emplois. Sinon, le seul moyen de gagner correctement sa vie, c’est d’aller à l’étranger. » Pendant dix ans, il a travaillé sur un cargo. Des traversées pendant lesquelles il pouvait rester trente jours sans accès à Internet. « Alors la croisière, c’est mieux, on a le Wi-Fi. » Après son déjeuner, il reprendra son service sur un immeuble flottant, en direction de Gênes (Italie), avec 5 000 touristes à bord.

S’il est un lieu qui incarne la mondialisation du travail dans sa version la moins réglementée et décomplexée, c’est bien le paquebot de croisière. A bord de ces géants des mers, qui naviguent majoritairement dans les Caraïbes et en Méditerranée, des vacanciers venus des Etats-Unis, d’Allemagne, du Royaume-Uni ou de France côtoient un personnel issu, pour l’essentiel, de pays émergents : Philippines, Inde, Indonésie, Honduras, Pérou… Les capitaines, officiers et chefs de département sont, eux, presque tous occidentaux. Quant aux profits, ils sont entre les mains d’Américains : les trois plus grosses compagnies, Carnival, Royal Caribbean et NCL, ont leur siège à Miami, aux Etats-Unis. La quatrième, MSC, est établie en Suisse.

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Samuel Zarka, sociologue : « Le travail des techniciens du cinéma s’est intensifié avec l’arrivée des plateformes »

Le sociologue Samuel Zarka, enseignant-chercheur à l’université Sorbonne-Paris Nord et auteur de l’ouvrage Ces invisibles qui font le cinéma (Presses universitaires de France, 336 pages, 23 euros), explique comment les techniciens doivent démontrer leur professionnalisme à chaque nouveau projet de tournage.

Vous avez consacré votre ouvrage aux techniciens qui travaillent sur les tournages cinématographiques. Qui sont-ils et pourquoi sont-ils, selon vous, invisibilisés ?

Pour réaliser un film, il est nécessaire de mobiliser une petite armée qui, outre son état-major, regroupera différentes équipes : le son, l’image, les « électros » (électriciens), les « machinos » (machinistes)… Un tournage est donc un lieu de travail qui nécessite une dynamique collective : il faut mobiliser entre 40 et 200 personnes pour fabriquer ce produit qu’est le film.

Mais si les membres de ce personnel technico-artistique ont leur nom au générique, ils sont globalement invisibilisés. Le Festival de Cannes en donne une illustration symbolique : lors de la montée des marches, l’équipe du film se résume au réalisateur et à ses comédiens principaux. Ils représentent la partie visible du projet, qui occulte le collectif de travail et sa contribution.

De même, l’objet lui-même, le film, capte également l’attention, au détriment, là aussi, des travailleurs. C’est un phénomène que l’on retrouve d’ailleurs dans plusieurs industries : certains produits (l’iPhone, par exemple) tendent à effacer l’existence de ceux qui ont contribué à sa fabrication.

Invisibilisés, ces techniciens sont également confrontés à une discontinuité de l’emploi, source d’incertitudes. Comment ce défi peut-il être relevé sur le long terme ?

Cette discontinuité des temps de travail existe de longue date : on l’observait déjà dans les années 1920. Elle a pu être contenue un temps, grâce à l’existence d’une carte d’identité professionnelle. Sa détention était nécessaire pour travailler dans le cinéma. Le nombre d’actifs était donc limité, afin que chacun puisse travailler régulièrement. Ce dispositif a été supprimé en 2009, face à la montée en puissance des productions audiovisuelles.

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Les animateurs de colo cotisent-ils pour leur retraite ?

Question à un expert

J’ai été animatrice dans une colonie de vacances plusieurs étés, est-ce que cela comptera pour ma retraite ?

Les cotisations pour la retraite des personnes non bénévoles recrutées à titre temporaire pour encadrer les enfants en colonies de vacances ou en centres aérés sont calculées non pas sur leur rémunération réelle, mais sur des bases forfaitaires.

Pour les périodes travaillées depuis 1979, un animateur rémunéré ou un assistant sanitaire cotisent, pour un mois, sur la base de trente fois le montant du smic horaire en vigueur le 1er janvier de l’année : 356,40 euros actuellement (30 × 11,88 euros). Avant 1979, les bases de cotisations étaient plus faibles (et il n’y a pas de rétroactivité).

Pour valider un trimestre au cours d’une année, il faut avoir cotisé sur la base d’un certain montant : 200 fois le montant du smic horaire avant 2014, 150 fois depuis 2014 (le seuil a été abaissé afin de mieux prendre en compte les parcours à temps partiel ou à faibles revenus). Soit, en 2025, 1 782 euros.

Points Agirc-Arrco

Pour obtenir un trimestre uniquement avec des rémunérations d’animateur en 2025 (si vous n’avez pas eu d’autres emplois dans l’année), il faudra donc avoir travaillé en tant qu’animateur l’équivalent de cinq mois dans l’année.

Les animateurs cotisent aussi pour leur retraite complémentaire. Depuis 2017, c’est systématiquement à l’Agirc-Arrco. Avant, cela pouvait être aussi à l’Ircantec, régime complémentaire des agents non titulaires de la fonction publique.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Retraites : ce qui change en 2025

Les cotisations Agirc-Arrco, calculées sur le salaire réel de l’animateur et non sur la base forfaitaire évoquée précédemment, permettent d’acquérir des points.

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Vers une énième réforme de l’assurance-chômage ?

Gabriel Attal à l’Assemblée nationale le 08 juillet 2025.

Simple ballon d’essai pour tâter le terrain ou scénario réellement à l’étude ? L’idée de durcir, pour la énième fois, les règles de l’assurance-chômage circule de nouveau, à quelques jours de la présentation par le gouvernement de sa stratégie budgétaire. Elle a été évoquée, mercredi 9 juillet, par le quotidien Les Echos. A ce stade, l’exécutif s’est borné à répondre que rien n’était arbitré tout en donnant rendez-vous mardi, le jour où le premier ministre, François Bayrou, doit divulguer un plan de redressement des comptes publics. De tels éléments de langage peuvent être vus comme une manière de reconnaître que la solution est bel et bien étudiée.

Le fait que cette hypothèse remonte à la surface n’est pas totalement étonnant. Elle avait déjà été mentionnée le 3 avril à l’Elysée, lors d’une réunion à laquelle participaient le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, et plusieurs membres du gouvernement pour aborder l’agenda des réformes à venir. Depuis, des figures qui soutiennent l’équipe au pouvoir se sont évertuées à entretenir la flamme. Parmi elles, Gabriel Attal, président du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale. A plusieurs reprises, ces dernières semaines, il a affirmé la nécessité de revoir les dispositions sur l’indemnisation des demandeurs d’emploi en rappelant qu’il avait porté un projet en ce sens, en 2024, lorsqu’il était premier ministre.

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Le détail du plan du gouvernement pour lutter contre les accidents du travail

La ministre chargée du travail, Astrid Panosyan-Bouvet, à l’Assemblée nationale, le 8 juillet 2025.

Un plan ambitieux mais dont la mise en œuvre est loin d’être effective. La ministre chargée du travail, Astrid Panosyan-Bouvet, dévoile, vendredi 11 juillet, dans Le Monde, sa stratégie pour lutter contre les accidents du travail graves et mortels. Des orientations qu’elle a présentées au patronat et aux syndicats, le même jour, lors d’un comité national de prévention et de santé au travail, avec pour objectif de les rendre opérationnelles à partir de 2026.

Astrid Panosyan-Bouvet, devenue au fil des mois une sorte de caution sociale du gouvernement de François Bayrou, affirme, depuis son arrivée rue de Grenelle, vouloir lutter contre les accidents du travail. Son premier déplacement en tant que ministre, en octobre 2024, s’était d’ailleurs fait en toute discrétion sur un chantier, à Paris, où un ouvrier avait trouvé la mort quelques jours plus tôt. Mais, jusque-là, les actes forts manquaient.

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Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail : « Lutter contre les accidents du travail est un devoir moral »

La ministre chargée du travail er de l’emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, à l’Assemblée nationale, le 3 juillet 2025.

Alors que le nombre d’accidents du travail graves et mortels ne baisse plus depuis plusieurs années, la ministre chargée du travail et de l’emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, présente au Monde sa stratégie pour lutter contre le phénomène.

Comment expliquez-vous qu’il y ait eu encore au moins 810 morts au travail en 2023, selon les derniers chiffres disponibles ?

On voit encore cela comme des faits divers, alors que nous sommes face à un phénomène de société qui ne doit pas être une fatalité. La réponse des pouvoirs publics ne commence pas aujourd’hui. Les entreprises sont également mobilisées depuis longtemps sur la prévention. Mais je souhaite vraiment accélérer sur le sujet, car je vois ça comme un devoir moral.

Quelles mesures comptez-vous prendre ?

On souhaite d’abord fusionner le plan pour la prévention des accidents du travail avec le plan santé au travail pour qu’il n’y ait plus qu’un seul outil avec deux sujets de la même importance. Ce nouveau plan est en préparation et sera mis en pratique en 2026. Sur la partie accidents, je fixe des points d’arrivée et je souhaite que les partenaires sociaux discutent de mesures fortes pour y arriver autour de cinq axes : responsabiliser davantage les entreprises et les donneurs d’ordre, en limitant, par exemple, les rangs de sous-traitance, améliorer la prévention pour les publics les plus exposés (jeunes, intérimaires, BTP), renforcer la culture de la prévention, renforcer les outils et les sanctions dont dispose l’Etat, notamment le pouvoir des inspecteurs du travail et, enfin, mieux accompagner les victimes.

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Le recrutement, un jeu de séduction, d’exagérations et de frustrations

Dans le quartier d’affaires de La Défense (Hauts-de-Seine), le 7 avril 2025.

Dans la parade de séduction qui se joue à chaque poste à pourvoir entre un candidat, un manageur et un recruteur, les uns et les autres se laissent aller à des exagérations et omissions pour mieux « habiller la mariée » et atteindre leurs objectifs. D’où des déceptions et tensions entre ces trois acteurs du processus d’embauche, que l’école de commerce EM Normandie a entrepris d’analyser. Cette étude qualitative a été réalisée en partenariat avec des entreprises spécialistes des ressources humaines à partir de quelque 70 entretiens conduits avec des candidats, des manageurs et des recruteurs.

Les résultats, publiés le 2 juillet, identifient six irritants qui émaillent le processus de recrutement. Les tensions tiennent pour beaucoup au fait que les trois parties prenantes divergent sur ce qu’est une pratique acceptable, légitime, éthique ou juste en la matière.

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