La fabrique de la perte de sens à France 3

Carnet de bureau. « On nous a fait passer d’un métier passion à un métier alimentaire », témoigne, sous le couvert de l’anonymat, Michel. Un an après la suppression des éditions nationales d’information de France 3, annoncée alors comme un bouleversement, France Télévisions est le théâtre d’échanges nourris sur la perte de sens au travail des journalistes de télévision.

« La perte de sens existe dès lors que les règles de l’art du métier sont bafouées ou que la finalité du travail est dévoyée, explique la sociologue Danièle Linhart, chercheuse émérite du CNRS. Ce sont les premières qui donnent la fierté au travail et les secondes, la dignité. Quand les règles de l’art ne sont pas respectées, les salariés se sentent maltraités. Quand l’utilité de leur travail s’efface, ils s’effondrent. »

Une vingtaine de témoignages anonymisés ont été remontés fin novembre à la tête de l’entreprise France Télévisions par la société des journalistes de France 3 rédaction nationale. Les salariés (ex-France 3 et ex-France 2) s’y interrogent sur « leur place dans la rédaction nationale de France Télévisions », parlent de « déqualification », de « souffrance ». Leurs propos sont clairs : « je me sens sous-utilisée », « je ne peux plus exercer mon métier », « depuis 2023, tout a changé ».

Le débat est lancé, la direction, qui rappelle que sa porte est toujours ouverte, invite toutes les personnes concernées à venir discuter dans le détail de leur situation. Un bon point de départ, car c’est justement le détail de ces témoignages qui est révélateur de la dynamique en œuvre de perte de sens.

Un recul de la reconnaissance

« Mes amis me demandent si je travaille encore à France Télévisions, car on n’entend presque plus mon nom à l’antenne. A 40 ans, je parcourais le monde. Dix ans plus tard, je semble hors-jeu », écrit Michel. De quoi parle ce journaliste ? A la fois ne plus être un élément visible du collectif et ne plus faire le travail, dans lequel il se reconnaît. « Pour le salarié, c’est une dévalorisation, car c’est un non-respect du métier auquel il s’identifiait jusqu’alors. Au travail, le salarié s’identifie à son travail », explique la sociologue Danièle Linhart.

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La réorganisation redistribue les responsabilités et les missions. Sans préjuger du bien-fondé de cette redistribution, des journalistes se sentent « écartés de l’antenne », tandis que la direction dit « mettre les personnes au bon endroit ». Mais le ressenti généré est un recul de la reconnaissance, y compris financière – plusieurs témoignages pointent une stagnation salariale ou l’absence de promotions, qui remontent en fait bien avant la transformation de 2023, et une perte de sens surtout parce que le contenu de leur travail a changé.

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Comment les DRH conçoivent une rémunération équitable

Le salaire en France devrait augmenter de 3 % en moyenne en 2025, selon l’enquête Mercer publiée à la mi-novembre, sur la base des budgets d’augmentation prévus par les entreprises. C’est un peu moins qu’en 2024. Mais c’est surtout une moyenne qui recouvre à la fois une disparité de situations et le résultat de négociations sur des éléments autres que le salaire de base : la mutuelle, les titres-restaurant, etc. C’est ce qu’a confirmé la quinzaine de DRH réunis à Paris le 3 décembre pour débattre de rémunération équitable, à l’occasion des Rencontres RH, le rendez-vous mensuel de l’actualité des ressources humaines créé par Le Monde en partenariat avec ManpowerGroup Talent Solutions et Malakoff Humanis.

« Le salaire c’est d’abord un montant que perçoivent les salariés, c’est aussi une contrepartie du contrat de travail, mais la rémunération, c’est beaucoup plus que ça », a introduit Elise Penalva-Icher. La professeure des universités à Paris-Dauphine-PSL décrit une notion complexe et subjective, qui détermine le salarié par rapport aux autres membres du collectif de travail. « Le salaire on le perçoit pour soi, mais aussi par comparaison avec ce que touchent les collègues. Ça positionne », dit-elle. Et « le grand mouvement d’individualisation du salaire qu’on a vu ces dernières années avec des packages, de la rémunération individuelle, de la rémunération du capital a eu un effet de complexification et de brouillage qui a accentué ce phénomène de comparaison ».

C’est avec cette approche que les DRH ont abordé la question d’équité. « On a maintenant une vision globale de la rémunération qui englobe l’ensemble des avantages offerts aux salariés, dont la couverture prévoyance santé, ainsi que tous les éléments liés au télétravail. C’est au niveau des négociations annuelles obligatoires (NAO) que se pose la question de l’équité totale », développe Marc Landais, le DRH de l’Agirc-Arrco. « La notion de rémunération a beaucoup évolué, confirme Christophe Le Bars, DRH d’Innothera, notamment depuis le Covid, qui a questionné le rapport au temps. Le temps est une façon de fidéliser et de rémunérer les salariés. »

Equité et principes

L’équité se jauge d’abord aux écarts de salaire, mais aussi au regard de quelques principes, explique Mme Penalva-Icher : les contraintes, le coût de la vie, la conjoncture. « Le problème n’est pas tant l’écart de salaire que sa justification. Quand Carlos Tavares [ex-directeur général de Stellantis] perçoit 341 fois le salaire moyen, comment peut-on le justifier ? Plus généralement, le principe du mérite pourrait justifier un écart de salaire, sauf que le mérite n’est pas un critère objectif. Les ouvriers jugent leur rémunération en se référant à la fatigue des corps, les cadres à la conjoncture, les fonctionnaires à l’équilibre entre qualités personnelles et carrière. »

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L’acompte sur salaire, un outil social précieux en période d’inflation

Le paiement mensualisé des salaires, qui reste la norme en France, oblige souvent à reporter des dépenses à la fin du mois ou, lorsqu’il faut faire face à une dépense imprévue, à utiliser son découvert bancaire.

Ces pratiques font entrer de nombreuses personnes, à commencer par les moins bien rémunérées, dans le cercle vicieux des découverts et des agios, dont le taux est compris entre 7 % et 20 %, selon que le découvert est autorisé ou non, voire dépassé. Un Français sur quatre serait ainsi à découvert tous les mois.

L’acompte sur salaire, prévu et encadré par le code du travail, permet aux salariés d’obtenir de façon anticipée jusqu’à la moitié de leur rémunération mensuelle. « Mais le salarié devait demander par mail au service paie, qui validait la demande auprès du manageur avant de verser la somme. Par ailleurs, certains salariés étaient gênés et n’osaient pas demander », explique Maxime Gourlet, DRH de la société Acorus, spécialisée dans l’écorénovation, et aujourd’hui utilisatrice de l’application de demande d’acompte en ligne Rosaly.

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Sans compter que certaines entreprises limitent la période pendant laquelle les employés peuvent demander un acompte, afin de ne pas alourdir la charge de travail du service paie. « Car le traitement des acomptes est assez chronophage, mais surtout, il ne répond pas au besoin imprévu comme, par exemple, lorsqu’il s’agit de faire un plein de carburant un samedi après-midi. Et parfois, le salarié ne veut pas déranger pour quelques dizaines d’euros », constate Louis Ajacques, directeur général de Spayr, qui propose une application de « salaire à la demande ». Créée en 2021 comme « entreprise à mission », Spayr compte aujourd’hui une cinquantaine d’entreprises clientes et environ 80 000 utilisateurs.

Les secteurs à bas salaires

Face à ces constats, plusieurs entreprises ont ainsi vu le jour au cours des dernières années et développé des applications en ligne de demande d’acompte. Outre Rosaly et Spayr, citons Stairwage, NessPay, Wagestream… Ces applications, accessibles sur téléphone mobile 24 heures sur 24, affichent le montant que le salarié peut demander en acompte. Celui-ci choisit la somme, qui lui est instantanément versée sur son compte en banque.

Le coût des solutions est d’environ 3 euros par salarié et par mois. Certaines d’entre elles font l’avance de trésorerie, qu’elles récupèrent en fin de mois. Ces applications intéressent principalement les secteurs à bas salaires, notamment la distribution, le bâtiment, l’hôtellerie-restauration, l’aide à la personne, où les salaires sont compris entre le smic et 2 500 euros net mensuels.

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Sur le marché du travail, des robots pour remplacer les humains ou pour les libérer ?

Dans le Robot Cafe, le premier restaurant du Kenya à employer des robots humanoïdes comme serveurs, à Nairobi, le 27 août 2024.

Si la question des emplois menacés par les robots va se poser de plus en plus, avec le risque d’une explosion du chômage, certains y voient une opportunité. C’est le cas de Jean-Marc Bollmann, directeur général de la société française Aldebaran Robotics : « Au lieu de craindre la substitution des emplois par les robots, nous promouvons une vision où ces derniers viennent soutenir et augmenter les capacités humaines. Cette symbiose entre l’homme et la machine permet de libérer les travailleurs des tâches répétitives et fastidieuses pour les orienter vers des activités à plus forte valeur ajoutée, créatives et gratifiantes. » Pour autant, ajoute-t-il, « il est essentiel de répondre aux préoccupations concernant les suppressions d’emplois potentielles et de garantir que la robotique complète, plutôt que remplace, le travail humain ».

Les Etats-Unis tablent sur la pénurie actuelle et future de main-d’œuvre pour faire appel aux robots. D’après la Chambre de commerce américaine, il y aurait en octobre 1,7 million d’emplois disponibles de plus que de travailleurs sans emploi. Les secteurs comme la santé, la construction, l’entreposage et la fabrication figurent parmi les plus touchés : une étude du cabinet Deloitte et le Manufacturing Institute de 2021 anticipe 2,1 millions d’emplois non occupés dans le secteur manufacturier d’ici à 2030.

« Une occasion de changer »

« Bon nombre de ces emplois peuvent être dangereux pour les humains, comme les plateformes pétrolières et les salles des machines. Avec notre modèle, tout type de robot peut être agile, adroit et sûr pour interagir avec les gens ; offrant un potentiel important pour l’automatisation dans des environnements réels. Nous croyons que cela représente une occasion de changer l’ensemble de l’économie physique », expliquait en juillet la start-up américaine de robotique Skild AI, qui a pu compter sur le fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, lors de sa levée de fonds.

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Mais la cohabitation entre robots et humains peut-elle être si apaisée à l’avenir ? « J’envisage un futur semblable à celui représenté dans [le film d’animation d’Andrew Stanton, sorti en 2018] Wall-E, où des robots à usage général et spécialisés coexistent harmonieusement avec les humains pour servir l’humanité, en si grand nombre qu’ils pourraient même nous dépasser, imagine le Chinois Tony Li, PDG de la société chinoise Keenon Robotics, basée à Shanghaï. Améliorant nos vies, les industries et les environnements, en répondant à des besoins divers et en améliorant l’efficacité globale et le bien-être. »

Jezabel Couppey-Soubeyran : « Les avancées réglementaires en matière de durabilité sont sous la menace d’un détricotage en Europe »

Alors que l’urgence écologique commanderait aux pouvoirs publics de tout mettre en œuvre pour faire avancer la transition, au législateur de rendre les entreprises et leurs financeurs juridiquement responsables des dérèglements écologiques causés par leurs activités et de les obliger à les réduire, c’est l’exact opposé qui se produit. Les avancées réglementaires en matière de durabilité, que l’on savait partielles mais que l’on pensait acquises en Europe, sont déjà sous la menace d’un détricotage. Et quand procès climatique il y a, c’est plus souvent celui des activistes du climat que celui de ceux qui le dérèglent.

Juridiquement, en effet, presque rien n’oblige les acteurs publics ou privés à prévenir des atteintes à l’environnement, encore moins à atteindre des objectifs écologiques, même si les uns et les autres sont inscrits noir sur blanc dans des accords internationaux ou dans des rapports annuels d’activité. Résultat, on recule quand il faudrait accélérer.

Si le vent de déréglementation est fort et assumé de l’autre côté de l’Atlantique depuis la réélection de Donald Trump, il est plus léger et insidieux en Europe, où le pacte vert (Green Deal) pourrait bien en faire les frais. Comme alertait récemment Novethic, les grands textes du pacte vert, à savoir la directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), sur le reporting de durabilité des entreprises, celle aussi sur le devoir de vigilance (CSDDD), et même la taxonomie verte, pourraient être réouverts à la négociation.

Cet automne, les appels en ce sens n’ont cessé de se multiplier. Le dernier en date est celui d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commisssion européenne, qui propose une opération législative visant à alléger la charge de reporting. Ce même élan de « simplification réglementaire » se retrouve dans les préconisations du rapport Draghi, en septembre ; dans la demande, en octobre, du premier ministre français d’alors, Michel Barnier, d’un moratoire sur les réglementations de durabilité ; ou, enfin, dans l’annonce de son homologue allemand, le chancelier Olaf Scholz, de faire « disparaître » la loi allemande sur le devoir de vigilance et les obligations de reporting.

Complexité instrumentalisée

Or, ces obligations de publication, notamment d’informations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG), constituent un levier essentiel pour le développement de la responsabilité sociale et environnementale dans tous les secteurs d’activité et toutes les entreprises. Même les PME situées sous les seuils légaux d’obligation de reporting définis par la CSRD (bilan supérieur à 25 millions d’euros ou chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros, ou effectif supérieur à 250 salariés), se trouvent elles aussi embarquées dans une stratégie de pilotage de la responsabilité sociale et environnementale lorsqu’elles travaillent avec des entreprises directement soumises à cette réglementation. Réduire ou, a fortiori, défaire ces exigences fera reculer cette responsabilité.

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Sandra Mielenhausen, chocolatière : « Quand j’étais enfant, la vie de famille n’était pas très drôle. Alors le samedi, je faisais un gâteau au chocolat. C’était mon refuge, mon doudou sucré »

Sandra Mielenhausen, fondactrice de Plaq, à Paris, le 21 novembre 2024.

« Dès l’âge de 9 ou 10 ans, j’ai préparé des gâteaux au chocolat. Le samedi après-midi, à la maison, j’avais le droit d’utiliser la cuisine à condition que je range bien après. Tout le monde vaquait à ses occupations après le déjeuner et moi je faisais un gâteau au chocolat. C’était mon refuge, mon doudou sucré. J’avais un père très dur, une mère qui lui était assez soumise, et ce n’était pas toujours facile pour mes deux frères et moi. C’était mon moment à moi, puis c’est devenu une façon de donner de l’amour à mes proches.

Je piochais des recettes dans les fiches cuisine de ma mère, c’est là que j’ai trouvé le gâteau reine de Saba, où la poudre d’amandes remplace la farine. C’était mon goûter préféré. La passion du chocolat me vient certainement de mon père, diabétique, qui mangeait rituellement un carré de chocolat noir en guise de dessert. J’ai pris la même habitude et j’étais connue, au travail, pour avoir toujours du bon chocolat dans mes tiroirs.

Mon père, allemand, est arrivé en France à 40 ans. Il était prof d’allemand, donnait des cours du soir, à ma mère notamment, c’est ainsi qu’ils se sont rencontrés. Elle était beaucoup plus jeune que lui. Il était très strict et notre vie de famille à Lyon n’était pas très drôle.

Quitter son job

L’amour de ma mère m’a aidée à vivre, mais je me suis plutôt construite avec des modèles extérieurs. Ils sont morts tôt, mon père d’abord, puis ma mère quelques années plus tard, quand j’avais 25 ans. De ce père misogyne, j’ai gardé l’habitude du carré de chocolat après le repas et surtout la conviction qu’il fallait que je gagne de l’argent pour assurer ma liberté.

Pendant mes études, j’ai été serveuse dans une brasserie Bocuse, ce qui m’a familiarisée avec les bons produits et la gastronomie. J’ai fait une classe préparatoire, une école de commerce et je me suis passionnée pour l’univers du luxe, l’histoire, le savoir-faire, l’excellence français… ce qui m’a menée chez LVMH, où j’ai travaillé quinze ans. Notamment chez Dior, en marketing et développement de produit, à raconter l’histoire et l’esthétique du parfum J’adore.

J’ai rencontré Nicolas [Rozier-Chabert] dans cet univers. Directeur commercial au sein d’une agence de création graphique, il réalisait un petit film sur J’adore et avait apporté du chocolat Pierre Hermé sur le tournage. Nous nous sommes découvert cette passion partagée pour le chocolat, les pâtisseries et les produits bons, simples et bruts.

Nicolas a décidé de quitter son job pour monter son affaire, je lui ai emboîté le pas peu après. Parallèlement, nous découvrions, à New York notamment, le mouvement bean to bar (de la fève à la tablette, soit de l’achat chez le producteur à la fabrication du chocolat). Nous sommes allés nous former au Venezuela avec Chloé Doutre-Roussel, aka “Madame Chocolat”.

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Elle nous a appris à décoder l’univers du sourcing (la recherche de producteurs vertueux) et les secrets de la torréfaction. On a pratiqué chez nous pendant un an et demi, avant d’ouvrir notre petite manufacture, rue du Nil, dans le 2e arrondissement de Paris. On voulait un lieu simple et chaleureux. Un commerce de proximité pour un produit de luxe, qui nous ressemble. »

Manufacture-boutique, 4, rue du Nil, Paris 2e. Nouvelle adresse (ouverture le 14 décembre), 57, rue du Cherche-Midi, Paris 6e. plaqchocolat.com

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Le manque d’attractivité des métiers du social s’annonce durable

Crise de vocation ? Fuite des mauvaises conditions de travail ? Les candidats aux métiers dits « sociaux » sont de moins en moins nombreux. Toutes années d’études confondues, 57 300 étudiants, dont 83 % de femmes, étaient inscrits dans une formation aux professions sociales en France métropolitaine et outre-mer en 2023, soit encore 1,1 % de moins qu’en 2022. En diminution régulière depuis plus de dix ans, cet effectif accuse une baisse significative sur le moyen terme de 14,5 % entre 2010 et 2023, alors même que les besoins augmentent (vieillissement de la population, familles monoparentales, pauvreté…).

Tel est le constat renouvelé de la Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques (Drees), qui a publié le 27 novembre son enquête annuelle réalisée auprès des 1 100 écoles en charge de ce type de formations. L’avenir ne s’annonce pas meilleur. Les métiers du social, recrutant à des niveaux hétérogènes, du CAP (auxiliaire de vie sociale, assistant familial…) au Master 1 (conseiller en économie sociale familiale, éducateur technique spécialisé…), subissent une désaffection durable.

Le nombre d’inscrits dans ces filières en première année recule encore en 2023 de -2,1 %, par rapport à l’année précédente. A cela s’ajoutent les interruptions définitives ou provisoires de scolarité dont le taux global s’élevait à 9,7 % en 2023 selon la Drees.

Le déficit d’attractivité de ces métiers en phase de formation se poursuit durant la vie active, souligne Bertrand Ravon, sociologue à l’université Lumière Lyon 2. L’usure professionnelle gagne en effet rapidement les salariés du secteur : confrontés à la diversification des usagers aux problématiques plus complexes, tant sociales que psychologiques, ils doivent davantage « payer de leur personne » pour mener à bien leur mission. Plus d’une aide médico-psychologique sur deux ne pratique plus cette profession au bout de neuf ans, illustre la Drees.

Des salaires insuffisants au regard des qualifications

A la surcharge émotionnelle s’ajoutent la complexification des procédures, l’empilement des dispositifs, l’extension du management vertical, le renforcement du contrôle au détriment du travail relationnel, pourtant essentiel à un accompagnement acceptable par les personnes concernées. « Les travailleurs sociaux manquent de soutien hiérarchique et de reconnaissance institutionnelle. Ils regrettent de devoir se débrouiller souvent seuls, jusqu’à parfois perdre le sens de leur métier et douter de l’utilité de leur intervention », analyse Bertrand Ravon.

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Au bureau, le chien, mieux que le baby-foot ? « On propose des gamelles, des couffins et des ramasse-crottes »

Valentina Amaddeo et sa chienne Nana, dans les bureaux de la marque de bijoux Les Néréides, à Paris, le 12 novembre 2024.

Pour des candidats exigeants, l’entretien d’embauche s’apparente à un premier rendez-vous amoureux : on découvre l’autre, tout en posant ses conditions. La rémunération pour les uns, les horaires pour les autres. La condition d’Alix Hery, 33 ans, c’est son animal de compagnie. La trentenaire se présente à ses entretiens flanquée de son chien, Fish. « Ça passe ou ça casse. Une entreprise qui n’est pas dog-friendly, c’est un red flag », tranche la diplômée de l’université Paris Dauphine-PSL. Après avoir décliné quelques propositions d’entreprises peu enclines à l’univers canin, Alix Hery trouve son bonheur chez Blacksheep Van, spécialiste de la location, de la vente et de l’équipement de vans aménagés : « Le courant est tout de suite passé entre mes employeurs et Fish. Ce n’était pas l’offre la mieux rémunérée, mais j’économise des frais de dog-sitting. »

C’était en 2022, et Alix Hery travaille toujours comme responsable des partenariats et des réseaux sociaux chez Blacksheep Van aujourd’hui. Un petit miracle pour la jeune femme, qui ne jurait que par le freelancing et le télétravail : « Je pensais que le monde de l’entreprise, ses cadres et ses codes ne me correspondaient pas, me voilà salariée depuis bientôt trois ans ! Physiquement, je me sens mieux : je me change les idées avec des grandes balades pendant mes pauses déjeuner. Socialement, Fish contribue à tisser des liens. C’est ma dose d’ocytocine, elle a bouleversé mon rapport au travail. »

Le récit d’Alix prend des allures de parabole pour des entreprises soucieuses de recruter, de fidéliser et de faire revenir au présentiel les jeunes diplômés. « Le chien, c’est le nouveau baby-foot », résume Mylène Bertaux. La journaliste indépendante reçoit à Casa del Doggo, une boulangerie canine nichée près du bois de Boulogne, à Paris. Elle y organise la signature de Toutoute (Fayard, 256 pages, 22,90 euros), son ouvrage sur la nouvelle place des chiens dans nos vies. « Pendant le Covid-19, on s’est sentis seuls, on a adopté plus de chiens, et on a partagé leur souffrance, celle d’un être vivant confiné, car c’est souvent le cas pour les chiens en ville. Le chien passe alors du canapé à la chambre à coucher, voire à la poussette et au bureau. Le confinement canin n’est plus une option », analyse la propriétaire de Toutoute, un bouledogue français qu’elle « chouchoute comme un enfant ».

Cette tendance dite « du pet parenting », poursuit la trentenaire, est portée par une génération plus jeune, qui a ringardisé l’image de la mémère à chien : « Avant, on enfantait puis on prenait un chien. C’est l’inverse aujourd’hui. Dans les années 2000, la catégorie de la population qui avait le plus d’animaux de compagnie était les 35-54 ans. Désormais, ce sont les personnes de moins de 35 ans. » Pour certains millennials, le chien devient alors un levier de recrutement, voire de réseautage.

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Contraintes physiques ou horaires, manque d’autonomie : la pénibilité du travail n’est que rarement compensée financièrement

Une aide à domicile chez une personne âgée, à Port-Vendres (Pyrénées-Orientales), le 31 août 2022.

Aides à domicile, agents de nettoyage, employés de la restauration, ouvriers agroalimentaires… Ces dernières années, nombre de métiers exigeants physiquement, et avec parfois de fortes contraintes horaires, ont fait face à des difficultés de recrutement, soulignant la nécessité de s’interroger sur leur attractivité. Une nette revalorisation des salaires n’a-t-elle pas permis à l’hôtellerie-restauration, en 2022, de retrouver les candidats qui avaient déserté après la crise sanitaire ?

Dans une étude publiée jeudi 5 décembre, la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares) s’est ainsi posé une question simple : « Les expositions à des conditions de travail pénibles sont-elles compensées monétairement ? » En s’appuyant sur son enquête sur les conditions de travail, qui pose aux actifs en emploi les mêmes questions à intervalles réguliers, elle a analysé la relation entre l’exposition à des facteurs de pénibilité et le niveau des salaires entre 1991 et 2019.

La réponse est sans appel : la plupart du temps, il n’y a pas de compensation. La Dares n’en identifie, en 2019, que pour deux des quarante-cinq indicateurs étudiés : lorsque les horaires sont variables ou alternés (comme pour le travail dit aux « 3×8 », pour lequel le salarié peut alterner une semaine de petit matin, une semaine d’après-midi et une semaine de nuit) ou que le « rythme est imposé par des contraintes techniques », une expression qui évoque des cadences soutenues.

« Des salaires plus faibles »

Pire, pour dix-huit indicateurs, il n’y a pas de compensation, et c’est même l’inverse : « exercer un travail avec des contraintes physiques est associé à des salaires plus faibles », nous dit la Dares, qui parle aussi de « malus ». Parmi ces critères : tenir des postures pénibles, porter des charges lourdes, rester debout, effectuer des gestes répétitifs, être exposé à la saleté…

La Dares constate qu’en 1991, les salariés les plus exposés à des contraintes physiques avaient un salaire mensuel net moyen de 400 euros inférieur aux salariés les moins exposés, quand trente ans plus tard, l’écart atteint plus de 600 euros par mois. Cet écart croissant se retrouve également pour le manque d’autonomie des salariés concernés.

Dans le détail, des distinctions apparaissent entre secteurs d’activité (les contraintes horaires sont mieux compensées dans l’industrie, le malus étant plus marqué sur tous les critères dans le tertiaire marchand où l’on retrouve les emplois de la restauration et du nettoyage). Ou entre catégories professionnelles. Mais « femmes et hommes subissent des pénalités salariales relativement similaires (…) pour les contraintes physiques ».

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