Archive dans 2023

Karen Messing : « Le milieu du travail a été conçu en fonction du corps des hommes »

A l’occasion du Prix « Penser le travail » 2023, organisé par Sciences Po et Le Monde, et qui sera décerné le 25 octobre 2023, Le Monde publie les entretiens avec les auteurs des trois ouvrages finalistes : Le deuxième corps de Karen Messing, Le travail pressé de Corinne Gaudart et Serge Volkoff et Le soin des choses de Jérôme Denis et David Pontille.

Dans Le deuxième corps, la généticienne et ergonome canadienne Karen Messing explore les conséquences des différences biologiques entre les femmes et les hommes sur leurs conditions de travail. L’ouvrage se fonde sur un grand nombre d’études de terrain, réalisées sur plusieurs décennies dans des entreprises nord-américaines de secteurs différents : usine de transformation de volaille, centre d’appels, maison d’hébergement de femmes victimes de violences conjugales…

Pourquoi votre réflexion s’est-elle concentrée sur le corps féminin au travail, et pourquoi le qualifier de « deuxième corps » ?

Aujourd’hui, beaucoup de chercheurs se concentrent sur le genre, c’est-à-dire les normes sociales qui guident le comportement des femmes et hommes dans la société. Je me suis dit qu’il fallait que j’explore clairement ces différences biologiques. Chronologiquement, nous sommes le deuxième corps à être arrivé dans la plupart des emplois. Ce qui explique que dans bien des cas, le milieu du travail a été conçu en fonction du corps des hommes. Par exemple, les claviers d’ordinateur, au début, étaient un outil masculin…

Et aujourd’hui encore, de nombreux claviers ne sont pas appropriés pour les mains des femmes qui sont plus petites en moyenne. Bien évidemment, chez les hommes et femmes, il y a une énorme variation dans les paramètres biologiques : quand on parle de manque d’adaptation, on parle aussi des hommes plus petits. Il faut que tous les milieux s’adaptent à toutes les personnes qui travaillent.

Tout au long de l’ouvrage, vous insistez sur la difficulté des femmes à faire remonter les inégalités qu’elles subissent. Pourquoi ?

Souvent, les femmes ne veulent pas être identifiées comme femmes. Surtout dans les environnements majoritairement masculins où elles sont dénigrées, car elles ont peur de l’être encore plus. Pourtant, nos études montrent qu’il est très satisfaisant de partager nos craintes, nos mauvaises expériences notamment de harcèlement sexuel, pour comprendre les mécaniques à l’œuvre.

En France comme au Québec, les milieux ne sont pas adaptés à l’arrivée massive de femmes : elles ont pourtant beaucoup plus de troubles musculo-squelettiques, notamment. Pendant longtemps, elles se sont fait dire « c’est la ménopause » quand elles se plaignaient, mais on commence à se rendre compte que quand on fait beaucoup de petits mouvements répétitifs, ce qui est plus souvent le cas des femmes, il y a un coût physiologique à la longue.

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« Le Quotidien de La Réunion », placé en liquidation judiciaire, cherche un repreneur

Devant « Le Quotidien de La Réunion », en décembre 2020.

L’île de La Réunion va-t-elle conserver ses deux quotidiens ? Pour l’instant, oui, mais difficile de se prononcer sur le temps long. Après France-Antilles, Les Nouvelles calédoniennes et La Dépêche de Tahiti, deux titres supplémentaires de la presse ultramarine sont en difficulté. Le tribunal de commerce de Saint-Denis a validé, mercredi 4 octobre, le placement en liquidation-cession du Quotidien de La Réunion. Cette procédure se fera avec poursuite d’activité sur une période de trois mois, afin de trouver un repreneur, conformément à la demande de Carole Chane-Ki-Chune, présidente du groupe. Mais le calendrier de reprise apparaît très serré, la date limite de dépôt des offres étant fixée au 15 novembre.

« On pensait que le scénario de reprise était déjà ficelé, mais on se rend compte qu’il n’y a rien de bouclé avec un potentiel nouvel actionnaire, ni en local ni d’un point de vue national », analyse l’un des journalistes du titre réunionnais, qui souhaite rester anonyme. Les paies des 53 salariés, qui n’ont pas été honorées depuis début septembre, restent l’urgence à gérer, selon Edouard Marchal, du SNJ. Il espère que le régime de garantie des salaires puisse honorer les paies d’ici au 11 octobre.

« Un coup de canif dans la démocratie »

Fragilisé depuis la crise sanitaire du Covid-19, Le Quotidien de La Réunion était sorti de redressement judiciaire en décembre 2021 avec un plan de remboursement de ses dettes sur une durée de dix ans. « Ce plan, qui s’était traduit par vingt-quatre suppressions de postes, était intenable », déplore M. Marchal. L’érosion des ventes en kiosque – divisées par trois en l’espace de vingt ans –, le recul du marché publicitaire, causé par la guerre en Ukraine, et l’inflation bien plus importante qu’en métropole ont encore amplifié les déboires financiers du titre, fondé en 1976.

Son concurrent direct, Le Journal de l’île de La Réunion (JIR), est, lui aussi, en difficulté. « Aujourd’hui, j’arrive à peine à m’en sortir, mais je veux tenir », explique Jacques Tillier, le PDG du quotidien, tablant sur des rentrées liées à la diversification, notamment en organisant des salons. Alors que les Etats généraux de l’information se sont ouverts mardi 3 octobre, « il est temps que l’Etat considère les soucis spécifiques des titres ultramarins, comme la moindre publicité publique », souligne M. Tillier. Selon lui, l’aide au pluralisme des titres ultramarins, qui a soutenu onze publications en 2022, avec une enveloppe de 2 millions d’euros, est aujourd’hui insuffisante. « Si Le Quotidien ou Le JIR venait à disparaître, ça serait un coup de canif dans la démocratie », alerte-t-il. Le tribunal de commerce de Saint-Denis a fixé la prochaine audience au 13 décembre pour Le Quotidien de La Réunion.

Un préavis de grève déposé par tous les syndicats à France 24

Près de deux ans après la motion de défiance votée contre cinq membres de la direction et la grève historique de six jours qui avait secoué France 24, la sérénité ne semble toujours pas inscrite à l’agenda de la chaîne d’information internationale de l’audiovisuel public.

La réforme des plannings de la rédaction, voulue par la direction et censée s’appliquer dans les prochains jours, a rallumé la mèche : un préavis de grève a été déposé, mercredi 5 octobre, par tous les syndicats (CFDT, CGT, SNJ, CFTC, FO), pour un mouvement reconductible à partir du 11 octobre. Une réunion entre les organisations syndicales et la direction devrait toutefois se tenir vendredi.

« La direction nous avait annoncé que la réforme allait améliorer le bien-être des salariés, alors qu’il n’est question que d’optimisation et de réduction », résume un élu du personnel. Afin de remédier à un manque chronique d’effectifs, plusieurs fois dénoncé par le passé, la direction de France 24 a en effet proposé une modification d’ampleur des cycles de travail, soumise à un processus d’information-consultation des instances qui doit s’achever le 12 octobre.

Mais une expertise commandée par les élus est venue démontrer que le remède proposé serait, quoi qu’il arrive, insuffisant à soigner le mal. « Même si les personnels permanents en contrat de travail sur chaque métier ne sont jamais absents [les congés et les RTT étant déjà déduits], il manque l’équivalent de 48,63 ETP [équivalent temps plein] », pointe par exemple le document consulté par Le Monde. Un chiffre qui monte à 65 (sur 156 ETP) « si l’on prend en compte l’absentéisme », note encore le cabinet. Or à France 24, l’absentéisme serait particulièrement élevé.

« On ne s’occupe pas du fond »

Lancé par les organisations syndicales, un sondage interne est venu confirmer l’ampleur des craintes suscitées en interne par la réforme. « On a reçu un tel taux de réponse qu’on sentait que les gens étaient remontés », confesse Laurence Amiot, déléguée syndicale CGT. Convoqués en assemblée générale (AG), mardi 3 octobre, 113 salariés sur 134 votants ont répondu « oui » à la question de savoir s’ils souhaitaient qu’un préavis de grève soit déposé en vue d’obtenir la suspension du projet. La direction de la chaîne se dit « évidemment ouverte à la poursuite du dialogue pour répondre à toutes les questions et débattre des différentes options engagées », fait-elle savoir au Monde mercredi soir.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le difficile statut des correspondants de France 24 à l’étranger

Mais à France 24, les inquiétudes ne se limitent pas au strict cadre de l’organisation du travail. « Pendant qu’on s’attaque au planning, on ne s’occupe pas du fond », a ainsi souligné un journaliste au cours de l’AG. Les incertitudes qui pèsent sur l’entreprise publique, dont le mode de financement n’est assuré que jusqu’à fin 2024, « créent un sentiment d’insécurité, un saut dans l’inconnu, et l’impression d’un manque de considération », résume une représentante syndicale.

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La livraison d’un livre neuf bientôt facturée 3 euros

Un centre de logistique Amazon à Lauwin-Planque (Nord), le 16 avril 2020.

L’effet boomerang de certaines mesures risque parfois de provoquer l’inverse de ce qui était souhaité. L’arrêté publié au Journal officiel le 7 avril, et qui s’appliquera à partir du 7 octobre, fixe à 3 euros minimum le seuil réglementaire des frais de port pour les commandes de livres neufs inférieures à 35 euros. Au-delà de cette somme, il sera possible de ne facturer que 1 centime d’euro pour ces frais d’envoi.

Le gouvernement a souhaité relever le prix plancher de la livraison des livres neufs pour inciter les lecteurs à aller davantage en librairie. Sans le dire officiellement, en espérant incidemment les détourner d’Amazon ou du service en ligne de la Fnac. Pas sûr, pour autant, que cette décision ne dope le marché du livre, redevenu atone, en 2023, après une parenthèse de deux années de grâce pendant la pandémie. Une étude IFOP de septembre 2023 commandée par Amazon, prévoit que 51 % des lecteurs vont réduire leurs achats de livres à compter de la mise en œuvre de cette mesure.

Depuis 2014 et jusqu’au 7 octobre, Amazon ne facturait l’envoi d’un livre que 1 centime d’euro à ses abonnés Prime. Tout comme la Fnac. Légitimement, les libraires indépendants se plaignaient de la concurrence déloyale de ces géants du secteur qui « orchestrent ce dumping pour améliorer leur part de marché », analyse Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF). La nouvelle mesure constitue, selon lui, « une grande amélioration », mais laisse les libraires « au milieu du gué ». Les frais de port devraient, à ses yeux, être facturés 7,50 euros par ouvrage – ce que paient les libraires pour expédier leurs commandes en ligne. « Avec cet arrêté, nous traitons en fait une anomalie », assure M. Husson.

« Effet inflationniste majeur »

Mais en ces temps d’inflation et de réduction des dépenses des ménages, ajouter 3 euros au prix d’un livre pourra sembler élevé. Cette somme représente en effet 40 % du prix d’un livre de poche vendu à 7,50 euros. Une étude Kantar TNS Sofres de 2021 brandie par Amazon assure que, sur les 400 millions d’ouvrages vendus chaque année, 17 % le sont par le commerce en ligne (soit 68 millions d’ouvrages). La décision du gouvernement représentera donc 204 millions d’euros supplémentaires de frais de transport si les ventes se maintiennent au même rythme.

Selon Amazon, « l’introduction d’un tarif minimum d’expédition [aura] un effet inflationniste majeur, induisant une hausse du coût d’acquisition des livres vendus en ligne et affectant le pouvoir d’achat des lecteurs – et plus particulièrement de ceux qui résident loin des points de vente physiques et n’ont pas d’alternative ». Toujours selon l’étude IFOP, 49 % des Français achètent des ouvrages en ligne en raison de l’éloignement des points de vente physiques. Proportion qui monte à 75 % dans les communes rurales.

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Dans les banques, les négociations salariales commencent mal

Devant une agence BNP Paribas, à Paris, en 2011.

Du jamais-vu dans l’histoire de la plus grande banque française : la première séance des négociations annuelles obligatoires (NAO) chez BNP Paribas, mardi 26 septembre, a duré un quart d’heure en tout et pour tout.

Le temps pour la directrice des ressources humaines (DRH) du groupe, Sofia Merlo, d’exposer ses propositions en matière de rémunérations pour 2024… et pour les deux syndicats présents, le SNB/CFE-CGC et la CFDT, de les rejeter sèchement avant de quitter la salle.

Les représentants du personnel ont jugé choquante et indécente l’absence d’augmentation générale des salaires pour 2024 dans le projet de la direction, alors que l’inflation reste historiquement élevée (4,9 %, sur un an, à fin septembre, selon l’Insee). Un vide que les autres propositions sont très loin de combler à leurs yeux, qu’il s’agisse de l’enveloppe d’augmentations individuelles représentant 1,5 % de la masse salariale, des 5 millions d’euros consacrés à l’égalité salariale femme-homme ou de la prime de partage de la valeur (PPV, dite « prime Macron ») de 800 euros par salarié.

« L’entreprise noircit le tableau »

Pour justifier ses propositions, « la DRH nous a expliqué qu’il fallait “maîtriser” les rémunérations, que le groupe ne pouvait pas répercuter l’augmentation des coûts sur les clients », rapporte Richard Pons, délégué syndicat national CFDT. « L’entreprise noircit le tableau », ajoute-t-il, en dénonçant une direction « sourde ».

En 2022, les syndicats avaient obtenu 3 % d’augmentation générale, avec un minimum de 1 200 euros pour l’année, soit une hausse de rémunération de près de 5 % pour les plus bas salaires.

Le contraste avec les premières propositions du groupe pour 2024 a donc d’autant plus surpris les syndicats. « Ce qui nous a choqués, c’est que la direction considère que le travail en matière de rémunérations a été fait sur les années passées, et nous explique que l’avenir n’est pas si rose que cela et que l’inflation va ralentir », explique Rémi Gandon, délégué syndical national SNB/CFE-CGC.

Dans un communiqué commun, six organisations syndicales ont annoncé suspendre leur participation au dialogue social dans l’attente de nouvelles propositions salariales « sérieuses et fortes ».

« Juste répartition de la valeur »

Sollicitée, la direction de BNP Paribas n’a pas souhaité s’exprimer, rappelant simplement que deux nouvelles réunions sont déjà prévues dans le cadre des NAO, la prochaine le 10 octobre.

Le groupe, explique M. Pons, promet que les sommes versées en 2024 au titre de l’intéressement et de la participation intégreront une partie des 16,3 milliards de dollars (15,5 milliards d’euros) engrangés par le groupe lors de la vente de la filiale américaine Bank of the West. Une cession qui a notamment permis au groupe de lancer, en avril, un programme de rachats d’actions de 5 milliards d’euros, qui s’ajoute aux 4,8 milliards de dividendes distribués au titre de 2022.

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Handicap : « Aides humaines et soins à domicile : non-assistance à personnes en danger ! »

Il y a Olivier, qui vit seul chez lui, mais se demande parfois s’il va pouvoir y rester. Il a besoin d’être assisté pour tous les gestes de la vie quotidienne. Or l’association qui intervient à son domicile n’arrive plus à trouver assez de professionnels, ni à les fidéliser. « Les auxiliaires passent de plus en plus rapidement, de moins en moins souvent. J’ai l’impression qu’on ne respecte pas ma vie. »

Il y a aussi Jeanne et Jean-François, les parents de Vincent, 37 ans, atteint de myopathie de Duchenne, en situation de grande dépendance, trachéotomisé et ventilé vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ils ont été obligés d’emménager chez leur fils pour pallier les absences fréquentes de professionnels, par ailleurs très insuffisamment formés. Sans présence continue à ses côtés, Vincent est en danger de mort. « Nous sommes à bout ! »

Des témoignages comme ceux-là, nos associations, APF France handicap et AFM-Téléthon, en reçoivent tous les jours : vivre à domicile lorsqu’on est en situation de handicap est de plus en plus difficile et dangereux. Pour réaliser les gestes indispensables à leur vie (manger, se laver… ), garantir leur sécurité et leur bien-être, les personnes et leurs familles font appel à des services prestataires ou emploient directement des professionnels. Mais, depuis des mois, les métiers de l’aide à domicile sont en crise, et trouver du personnel compétent et stable relève de la gageure.

Les causes de cette crise d’une ampleur sans précédent sont bien connues : sous-financement public des besoins en aide humaine ; faiblesse de la rémunération des salariés ; déni de la charge mentale et physique ; conditions de travail dégradées par l’insuffisance des plans d’aide accordés par les maisons départementales des personnes handicapées ; manque de valorisation sociale de ces métiers ; retard culturel de notre pays sur la place des personnes en situation de handicap et sur le rôle de celles et ceux qui les accompagnent.

En foyer ou en Ehpad

Les conséquences sont catastrophiques. En plus de mettre leur vie en danger, cette pénurie d’aides à domicile prive les personnes en situation de handicap du droit fondamental de choisir leur mode de vie. Ce principe est établi et reconnu par la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations unies et la loi de 2005 sur la citoyenneté des personnes handicapées. Début 2023, le Conseil de l’Europe a d’ailleurs condamné la France pour violation des droits humains, soulignant l’importance des services d’aide pour « une bonne mise en œuvre du droit à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté ».

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Aux Etats-Unis, crise obligataire sur fond d’inflation et de troubles politiques

Sur le parquet de la Bourse de New York, le 3 octobre 2023.

Les taux d’intérêt à dix ans ont dépassé, mardi 3 octobre, les 4,8 % aux Etats-Unis, un record jamais connu depuis août 2007. Les investisseurs de Wall Street se demandent désormais si la barre des 5 % sera franchie d’ici à la fin du mois. C’est déjà le cas pour les taux à deux ans, qui sont à 5,15 %. Le taux des emprunts hypothécaires à trente ans, lui, a dépassé 7,7 %, un record depuis l’an 2000, ce qui renchérit considérablement l’achat d’un logement.

Six mois après la faillite de plusieurs banques régionales, mal protégées contre la hausse des taux et mal surveillées par la Fed, la banque centrale américaine, le phénomène pourrait plonger les Etats-Unis dans une crise financière et immobilière.

Cette flambée des taux a été alimentée par la publication, dans la matinée de mardi, des offres d’emploi, qui ont bondi fin août à 9,6 millions, contre 8,9 millions fin juillet. Meilleure que prévue, cette statistique indique un marché de l’emploi toujours trop tendu, qui risque de nourrir l’inflation. Cette tendance, si elle était confirmée par le chiffre de l’emploi de septembre, attendu vendredi 6 octobre, devrait conforter la Fed dans son intention de remonter ses taux à court terme avant la fin de l’année – ils sont aujourd’hui compris entre 5,25 % et 5,5 % – et, surtout, de maintenir le loyer de l’argent à un niveau élevé pendant toute l’année 2024.

Perte de crédibilité de l’Etat fédéral

Si l’inflation est retombée d’un plus haut de 9,1 % en rythme annuel en juin 2022 à 3,7 % en août 2023, un rebond est probable. L’obsession de la Fed, qui veut retrouver une inflation de 2 %, est d’éviter les erreurs des années 1970 et 1980, lorsqu’elle relâcha trop tôt la pression monétaire, laissant filer la hausse généralisée des prix. Le contexte incite à la méfiance. La grève des syndiqués de l’automobile chez General Motors, Ford et Stellantis, qui ont le soutien des responsables politiques et des candidats à la présidentielle américaine Joe Biden et Donald Trump, va mener à des augmentations salariales de plus de 25 % sur quatre ans. Après le mouvement de grève de scénaristes de Hollywood, Netflix va augmenter le prix de ses abonnements.

Lire aussi le reportage : Article réservé à nos abonnés Grève automobile aux Etats-Unis : « Tout augmente, sauf notre fiche de paie »

Le baril de pétrole texan tourne autour de 90 dollars (86 euros), contre 70 dollars au début de l’été, et devrait alimenter les pressions inflationnistes. Le prix du gallon de l’essence vaut en moyenne 3,80 dollars, contre un peu plus de 3,50 il y a trois mois. Le découplage avec la Chine et la démondialisation renforcent les coûts, alors que l’Amérique est engagée dans un processus de rapatriement des moyens de production.

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Transition écologique : à Romans-sur-Isère, on forme à un métier qui n’existe pas encore

Romans-sur-Isère (Drôme) va-t-elle se réinventer capitale de la réparation ? Sous la grande verrière qui abrite les machines de piquage et tout le matériel avec lequel ils s’affairent, huit stagiaires du centre de l’Agence pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) de la ville prennent un moment de pause dans leur séance de réparation textile pour juger leurs deux premiers mois de formation, financée par Pôle emploi.

« J’étais salariée en magasin de sport, je cherchais du sens à mon métier, et je m’interrogeais sur la seconde vie du vêtement que je vendais. J’ai fait une rupture conventionnelle, j’ai commencé à me former en couture-retouche, puis on m’a parlé de cette formation. Depuis, je vis et je dors réparation, s’enthousiasme Sophie Moyeux. J’habite à Chambéry, je passe la semaine ici, c’est un petit investissement, donc ça veut vraiment dire que je crois que c’est un métier d’avenir ! »

Ayant fait carrière dans la restauration, la menuiserie ou encore la santé, ils ont pour certains découvert la couture. « J’étais auxiliaire vétérinaire et je voulais me reconvertir dans l’artisanat, témoigne Anne-Sophie Contart. Je me suis formée deux mois et demi en maroquinerie, et le directeur m’a dit qu’il y avait une nouvelle formation. Ça ne me disait rien, j’ai fait des recherches. Je n’avais jamais cousu de ma vie, et je me suis trouvé un métier passion. »

Matthieu Froidevaux et Matthias Schul, responsables réparation chez Decathon, apportent du matériel défectueux sur lequel les stagiaires pourront se former, à l’AFPA de Romans-sur-Isère (Drôme), le 21 septembre 2023.

Noël Pioch, lui, a appris la couture il y a une vingtaine d’années. Concentré sur la réalisation d’une pochette pour son casque de moto, il vante la qualité des machines : « Ça, c’est de la Rolls ! » Il y a aussi de la fierté, devant le nombre de compétences déjà acquises, et tout ce qu’il reste à faire : dans cinq mois, ils sauront aussi bien recoudre et rénover des tentes, des sacs de couchage et des sacs à dos de randonnée, que réparer et coller des kayaks et des paddles, ou encore recevoir des clients.

Mylène Perrin (à droite), formatrice de la formation « Réparateur de matériel outdoor » avec ses stagiaires, à Romans-sur-Isère (Drôme), le 21 septembre 2023.

Les membres de cette promotion sont les premiers à se former pour devenir « réparateurs de matériel outdoor », ou d’activités en extérieur. Leur métier n’existe pas encore : c’est justement le but de cet « incubateur » de l’AFPA, concevoir et expérimenter un parcours de formation pour tenter de le certifier s’il s’avère efficace.

Le programme « Incubateurs » est né en 2019, sous la volonté de la direction générale de l’emploi et de la formation professionnelle. Dans une quarantaine d’expérimentations, l’AFPA a ainsi planché sur la définition de programmes liés à la filière hydrogène, à l’éolien en mer, à la conversion des véhicules thermiques ou encore aux dispositifs d’assistance respiratoire à domicile.

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« Œuvres choisies de droit social », une bible par le juriste Jean-Jacques Dupeyroux

Souvent, de bon matin, venant du quartier Montparnasse où il habitait en face de la Caisse nationale d’assurance-maladie, Jean-Jacques Dupeyroux déposait rue des Italiens, au siège du Monde, un article écrit de sa main. Immanquablement il était publié. Mort en mai 2020, à 91 ans, directeur de la revue Droit social de 1974 à 2011, ce farouche laïque, qui avait notamment travaillé sur la contribution sociale généralisée, n’aimait pas cette formule, mais « JJD » était incontestablement « le pape de la protection sociale ».

Qu’il s’agisse de la Sécurité sociale, sa passion, de la politique familiale, des accidents du travail, du droit du travail, du conseil des prud’hommes – il avait présidé le Conseil supérieur de la prud’homie – ou du droit de grève, il avait l’art, avec une plume souvent incisive et une ironie mordante, de rendre simple et attrayante une matière complexe et austère.

Des universitaires qui étaient ses amis ont eu la riche idée de réunir, dans Œuvres choisies de droit social (Dalloz, 850 p., 70 €), soixante-cinq articles du professeur, de nature différente, des billets et des papiers à thèse, publiés dans Droit social, Le Monde et Libération. « Il a incarné le droit de la Sécurité sociale pour de nombreuses générations d’étudiants et de professionnels, écrit dans sa préface Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’Etat. Il a inspiré bien des politiques sociales. » « Homme de bruit et de fureur », cet agrégé des facultés de droit, qui a longtemps enseigné à l’université Panthéon-Assas, « savait défendre avec une ténacité légendaire, rappelle M. Tabuteau, les causes qui lui tenaient à cœur : l’égalité entre les femmes et les hommes, la protection des oubliés de la société, des détenus aux prostituées, et plus largement la réduction des inégalités de ressources et de culture ».

« Ratage monumental »

De cette bible du droit social, on retiendra quelques pépites. Pour le 50anniversaire de la « Sécu », en 1995, « JJD » parle du « ratage monumental » de l’Assurance-maladie parce que « les intérêts tenus pour prioritaires furent ceux du corps médical et nullement ceux des assurés sociaux. Il en résulta, dans les années qui suivirent, un enrichissement vertigineux du premier aux frais des seconds : ce fut “l’âge d’or” de la médecine, accompagné d’un enlisement de l’Assurance-maladie dont il n’est pas certain qu’elle se relève jamais ».

Lors du plan Juppé, toujours en 1995, il fustige le projet de « débarrasser la Sécurité sociale d’une emprise syndicale déplorable (…), ce qui n’a pas empêché nombre de ceux qui, la veille, réclamaient à grands cris des syndicats forts, d’applaudir béatement : des syndicats forts, certes, mais à condition que ce soit de bons syndicats »…

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