Archive dans 2023

Un jour, un miracle : « J’entre sans espoir dans une agence d’intérim, et le téléphone sonne »

« A la fin des années 1970, je travaillais comme traducteur et professeur dans une entreprise madrilène. Ma femme, espagnole, était employée par la même compagnie en tant que secrétaire de direction. Un jour, la société, qui avait besoin de s’alléger en effectifs, nous propose de partir. Des licenciements avec trente mois de salaire. Nous étions jeunes, nous n’avions pas d’enfant et étions libres de nos choix : nous avons décidé d’aller passer un moment à Londres, puis à Paris.

Nous sommes arrivés à Paris juste après l’élection de Mitterrand, en 1981. Avec un peu de temps et d’argent devant nous, nous étions assez tranquilles, et, de toute manière, ma femme a tout de suite trouvé du travail grâce à ses trois langues : le français, l’anglais et l’espagnol. De mon côté, je pensais prendre mon temps, mais j’avais préparé deux CV manuscrits, au cas où, pour les distribuer à d’éventuels employeurs. Trois ou quatre jours après notre arrivée, ma femme et moi partons nous promener dans le quartier de ma sœur – qui nous hébergeait –, le 17e, près de La Fourche. A quelques centaines de mètres de chez elle, nous tombons sur une agence d’intérim Manpower, je crois. Nous passons devant, et je dis à ma femme : “Attends-moi là, j’en ai pour une minute”, avec l’intention de déposer mon CV. Je n’ai guère d’espoir : nous sommes en 1981, le chômage est très élevé, et puis on ne trouve pas de boulot de traducteur dans une agence d’intérim…

A l’intérieur, le directeur me reçoit gentiment. “Bonjour, je suis traducteur, je cherche du travail.” Il me regarde et me répond : “Monsieur, vous n’avez aucune chance chez nous. Ici, on cherche des soudeurs, des livreurs, des plombiers… mais pas des traducteurs !” Le directeur m’explique qu’il connaît plusieurs agences parisiennes, et qu’aucun employeur ne s’est jamais adressé à elles pour un poste de ce type. Je lui donne malgré tout mon CV, qu’il parcourt, avant de commenter : “Ah non, c’est impossible ! Mais je le garde, on ne sait jamais.” Je m’apprête à tourner les talons lorsque le téléphone sonne. Je n’écoute pas vraiment la conversation, mais je vois soudain le patron de l’agence changer de mine en me regardant. Il se décompose, et dit à son interlocuteur : “Il est devant moi.” Je ne comprends rien. Oui, je suis là, mais qui me demande ?

« J’interprète dix de mes titres devant Arlette Laguiller »

Le directeur raccroche et m’explique que c’était un appel du Crédit lyonnais, qui cherchait un traducteur d’anglais et d’espagnol pour un remplacement de quinze jours. Il est éberlué. Il n’a jamais vu ça. Je vais chercher ma femme pour ne pas la faire attendre dehors, et lui raconte ce qu’il se passe. Je remplis les formalités et, quelques jours plus tard, en août 1981, je commence au Crédit lyonnais.

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« Le régime d’immigration français, prisonnier du passé, tourne le dos à ses intérêts »

Des étudiants étrangers lors du Welcome Day, la journée d’accueil des étudiants internationaux de l’Université de Lorraine, à Nancy, le 21 septembre 2023.

Le Parlement a adopté définitivement, mardi 19 décembre, la loi sur l’immigration. La veille, El Mouhoub Mouhoud, membre du cercle des économistes, spécialiste des migrations internationales et de la mondialisation, a signé la lettre ouverte des dirigeants de grandes écoles et d’universités du pays pour déplorer le durcissement à l’égard des étudiants internationaux.

Vous appelez à un discours global sur l’immigration et pas seulement orienté vers les plus qualifiés. Quels peuvent être les effets économiques de la loi votée ?

On assiste à un recul inquiétant des arguments rationnels sur le sujet. J’ai signé l’appel des présidents d’universités car envoyer des signaux négatifs aux étudiants internationaux, c’est se couper de la possibilité de puiser dans les compétences mondiales, pour un gain économique nul.

Jusqu’ici, le discours politique français dominant visait à disjoindre les mauvaises migrations des bonnes : d’un côté les migrants non qualifiés, irréguliers ou issus du regroupement familial ; de l’autre, les talents qu’on disait encore vouloir attirer ou garder. Cela n’a pas marché : en dépit des progrès des entrées liées aux « passeports talents », l’attractivité de la France en matière de compétences mondiales reste en deçà des grands pays industrialisés.

Faire l’hypothèse qu’on peut tenir un discours de rejet de l’immigration tout en restant attractif pour les talents est illusoire. Plus les compétences sont élevées, plus les migrants choisissent leur pays d’accueil et sont sensibles aux discours politiques sur le sujet. La loi remet en cause des mécanismes d’intégration qui faisaient consensus, avec des effets qui seront négatifs.

La droite craignait que les régularisations ne créent un appel d’air incitatif. Qu’en est-il ?

Pas un seul papier sérieux d’économiste ou de démographe ne confirme cette idée. Les flux d’immigration à l’échelle mondiale sont déterminés par des facteurs structurels comme la mondialisation des échanges, les écarts démographiques, les crises géopolitiques et humanitaires ou les chocs technologiques.

Depuis une dizaine d’années, les délocalisations vers les pays à bas salaires ralentissent, tandis que les Etats promeuvent les relocalisations et la réindustrialisation. Plus une entreprise relocalise, plus elle va chercher des territoires à fort avantage technologique et de recherche et développement, plus elle va avoir besoin de compétences. La réindustrialisation est étroitement liée aux politiques de formation, mais aussi à l’attractivité des étudiants internationaux et de migrations qualifiées.

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En 2024, après l’inflation, le risque de la récession

C’est peut-être la seule donnée sur laquelle les économistes n’ont aucun doute – mais aucune prise non plus : en 2024, le risque numéro un pour l’économie sera… la géopolitique. Les suites de la guerre menée par la Russie en Ukraine, l’extension éventuelle du conflit entre Israël et le Hamas, la poursuite ou non des troubles en mer Rouge pèseront dans les équations économiques. A quoi il faut ajouter la série de scrutins majeurs qui rythmeront le calendrier. « L’an prochain, 60 % du PIB mondial seront concernés par des élections, et aucune région ne sera épargnée », relèvent ainsi les économistes d’Allianz Trade.

Si les élections européennes, en juin, occupent déjà les esprits, il faudra aussi compter avec les législatives en Inde et au Royaume-Uni. Mais surtout, deux présidentielles pourraient avoir des conséquences déterminantes pour le reste du monde : celle de Taïwan, en janvier, puis en novembre l’élection suprême aux Etats-Unis. « Ces incertitudes politiques pourraient figer les ménages et les entreprises dans l’attentisme, au risque d’une année sans élan », analyse Ludovic Subran, chef économiste d’Allianz. De plus, de nouveaux virages politiques, comme celui marqué par l’arrivée du populiste Javier Milei en Argentine en décembre, ne sont pas exclus dans certains pays.

La récession est-elle toujours en embuscade ?

Début 2023, beaucoup d’économistes jugeaient qu’en raison de la remontée des taux de la Réserve fédérale (Fed) et donc, des coûts du crédit, la récession était inévitable aux Etats-Unis. Ils ont eu tort : l’économie américaine a étonnamment bien résisté, notamment grâce à la bonne tenue du marché du travail et au soutien budgétaire massif de l’administration Biden. « Ces prochains mois, le pays devrait connaître un atterrissage en douceur », estime Gilles Moëc, chef économiste d’Axa. Selon le Fonds monétaire international (FMI), le produit intérieur brut (PIB) américain devrait en effet progresser de 1,5 % en 2024, après 2,1 % en 2023.

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Le tableau est un peu moins réjouissant de ce côté-ci de l’Atlantique. La zone euro devrait croître de 0,3 % à 0,8 %, selon les différents instituts, dont 0,6 % à 0,8 % pour la France, et guère plus de 0,6 % pour l’Allemagne. « La question de l’année sera de savoir si l’Europe échappera ou non à la récession », résume M. Subran. Nombre d’Etats membres devraient limiter leurs dépenses publiques pour se conformer aux règles budgétaires européennes, ce qui pèsera sur l’activité. « Ils risquent de freiner aussi les investissements indispensables à l’industrie verte, et de creuser un peu plus encore notre retard à l’égard des Etats-Unis en la matière », souligne Philippe Waechter, chef économiste chez Ostrum Asset Management.

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Dominique Méda, sociologue : « Confirmer le tournant social de l’Union européenne est la meilleure manière de rendre moins attractifs les discours de l’extrême droite »

Pourquoi l’extrême droite progresse-t-elle en Europe ? Un article de l’économiste américain Dani Rodrik fournit une synthèse passionnante de la littérature socio-économique sur ce sujet. Selon l’auteur, la mondialisation porte – avec le libre-échange, la libéralisation des capitaux et l’automatisation – une responsabilité essentielle dans ce processus parce qu’elle a provoqué depuis les années 1990 une forte insécurité économique pour certaines populations. La désindustrialisation, les délocalisations, la déformation du partage entre capital et travail se sont opérées à leur détriment.

Cette situation aurait dû logiquement profiter à la gauche, mais les dirigeants politiques d’extrême droite ont réussi à la retourner à leur avantage en mobilisant le clivage ethnonational et culturel, c’est-à-dire en construisant un récit dans lequel ce sont les étrangers ou les minorités qui seraient les vrais responsables. La crise migratoire européenne de 2015 a rendu un tel discours plus vraisemblable : il a envahi l’espace public dans de nombreux pays européens. La conclusion de Rodrik est que le grand défi auquel sont aujourd’hui confrontés les décideurs politiques est de rompre avec une mondialisation conçue en fonction des besoins du capital afin d’obtenir un rééquilibrage en faveur du travail.

La France ne semble pas avoir choisi cette voie, bien au contraire. Pendant que rien n’est fait pour améliorer des conditions de travail très dégradées, et que tout converge pour accroître la suspicion à l’égard des allocataires du revenu de solidarité active et des demandeurs d’emploi, le débat sur l’immigration sature l’espace public pour la plus grande joie des leaders d’extrême droite. Ce sont la Commission et le Parlement européens qui semblent amorcer un tournant social, freiné par les Etats, au premier chef desquels la France.

Mettre un terme au dumping social

En effet, plusieurs directives sont porteuses d’un réel progrès pour les travailleurs. Le 13 décembre, un accord politique a été conclu entre le Parlement européen et les Etats de l’Union européenne (UE) sur la directive relative à l’amélioration des conditions de travail des personnes travaillant par le biais d’une plate-forme numérique. Celle-ci énumère les critères permettant d’opérer une distinction, au sein de ces travailleurs, entre vrais indépendants et ceux qui devraient être reconnus comme des salariés (environ 5,5 millions de personnes selon la Commission). Le texte devrait permettre de mettre un terme au dumping social auquel se livrent les nombreuses plates-formes qui échappent aux obligations du droit du travail et font perdre à la Sécurité sociale des centaines de millions d’euros de cotisations. Las, le 22 décembre, plusieurs Etats dont la France ont voté contre cet accord.

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En Belgique, un arrêt « de principe » pour requalifier en salariés des coursiers de Deliveroo

Un livreur Deliveroo, à Paris, le 20 avril 2022.

Pour Noël, tout ce que voulaient les 29 coursiers, parties à l’affaire contre Deliveroo, c’était un arrêt favorable de la cour du travail de Bruxelles. C’est exactement ce qu’ils ont obtenu, le 21 décembre, devant cette juridiction qui statuait en appel, à la suite d’un jugement du tribunal du travail du 8 décembre 2021.

Les magistrats ont pleinement adhéré aux arguments des coursiers, suivant ainsi des juridictions françaises, italiennes ou espagnoles. Les livreurs auraient dû être considérés comme des salariés, stipule la cour, munis d’un contrat de travail, et bénéficier d’une protection sociale. Quant à l’entreprise, elle aurait dû déclarer ces travailleurs comme salariés, payer les cotisations sociales et respecter les conventions collectives du secteur. Ces travailleurs devront donc être « requalifiés » en tant que salariés.

« C’est un précédent jurisprudentiel important, affirme Fabrizio Antioco, magistrat et porte-parole de l’auditorat de Bruxelles, le ministère public pour les affaires de droit pénal social. Au-delà de la situation des personnes qui sont parties à l’instance, c’est tout un système qui a été disséqué, analysé et questionné. C’est un arrêt de principe dont il faudra tirer tous les enseignements dans le futur. » C’est un arrêt qui compte pour l’auditorat. C’est bien le ministère public qui, en octobre 2017, a déclenché une information pénale et confié à plusieurs inspections sociales le soin de conduire l’enquête, au cours de laquelle 115 coursiers ont été entendus.

Un arrêt « enthousiasmant »

Le tribunal du travail a été saisi par l’auditorat en 2019, avant que d’autres parties, et non des moindres, ne se joignent à la cause : 29 coursiers, l’Union belge du transport et deux syndicats, la Fédération générale du travail de Belgique et la Confédération des syndicats chrétiens (CSC). Pour Martin Willems, responsable national, au sein de la CSC, d’United freelancers, en défense des travailleurs autonomes, cet arrêt est « enthousiasmant, car la cour [leur] donne raison sur toute la ligne, même si [ils] l’accueill[ent] avec prudence, car ce n’est pas la fin de l’affaire ». Deliveroo a menacé de se pourvoir en cassation.

L’entreprise est touchée au cœur de son modèle. Car l’arrêt confirme que les livraisons de repas par le biais de la plate-forme Deliveroo ne font pas partie du « régime de l’économie collaborative ». Ce régime, intégré dans la loi belge en 2016, permet d’effectuer des prestations rémunérées de particulier à particulier, pour des activités « non professionnelles », tout en étant exonéré de cotisations sociales et en ne payant que 10,7 % d’impôts pour tout revenu en deçà d’un plafond de 7 170 euros. Ce régime hors normes, qui échappe à la classification en « salarié » ou en « indépendant », et n’offre donc pas de protection sociale, couvre plus de 85 % des coursiers de Deliveroo. Pour la cour, c’est très clair : les relations de travail entre un coursier et la plate-forme correspondent à une activité professionnelle et ne collent pas à ce régime d’exception.

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« Manager la religion au travail » : la délicate gestion d’un « sujet pas comme les autres »

Un salarié qui porte un signe religieux dans l’enceinte de l’entreprise, un autre qui demande un après-midi de congé pour des raisons confessionnelles, un troisième qui prie chaque jour avec plusieurs collègues au milieu d’un atelier… Le fait religieux s’invite de plus en plus au cœur des organisations. Il concernerait aujourd’hui deux entreprises sur trois, laissant souvent les manageurs démunis : quelle attitude adopter ? Que dit le droit ? Quel mode opératoire déployer pour encadrer les pratiques ? Comment garantir la cohésion du collectif de travail face aux tensions qui peuvent naître ?

Ce n’est pas, pour les encadrants, « un sujet comme les autres. Ils le considèrent comme plus sensible et plus risqué », résume Lionel Honoré, professeur en sciences de gestion et directeur adjoint de l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Brest. Afin de leur donner des clés de compréhension mais aussi des repères pratiques pour la gestion quotidienne des équipes, ce spécialiste du fait religieux vient de publier un nouvel ouvrage, Manager la religion au travail (Dunod).

Son essai rappelle tout d’abord quelques règles fondamentales. En premier lieu, que le principe de neutralité ne s’impose que dans le secteur public – et dans les organisations effectuant des missions de service public. Dans les entreprises privées, c’est la liberté de conviction qui fait figure de socle juridique. Un salarié peut donc porter une kippa, avoir une icône de la Sainte Famille sur son bureau ou prier durant un temps de pause. Mais ce premier principe doit immédiatement être associé à un second : « L’exercice de cette liberté religieuse au travail peut être limité et encadré », explique l’ouvrage.

A la recherche d’un équilibre

L’entreprise sera guidée en cela par un vecteur principal : le fait que la bonne marche du travail ne soit pas entravée. Pour assurer une gestion du fait religieux, les manageurs doivent disposer d’un cadre. L’auteur souligne ainsi que « le préalable (…) est l’établissement de règles et de dispositions dans le règlement intérieur ». On attend également de l’entreprise une « prise de position politique ». Elle doit « définir sa posture entre tolérance minimale et inclusion, entre prendre en compte la pratique religieuse de ses salariés au cas par cas ou institutionnaliser une place pour la religion dans le fonctionnement organisationnel ».

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le fait religieux en entreprise serait-il une affaire d’hommes ?

Fort de ce cadre, le manageur de proximité devra mener une gestion du fait religieux à la recherche perpétuelle d’un équilibre. Selon les faits observés, les demandes et la posture du collaborateur concerné, il devra ainsi faire preuve d’ouverture ou de fermeté. Ouverture pour inviter à la discussion et rechercher le compromis, selon la « logique de l’accommodement raisonnable ». Fermeté pour prendre des mesures restreignant la liberté religieuse lorsque la situation l’exige. Ce sera par exemple le cas lorsque certains salariés font œuvre de prosélytisme et font pression sur certains de leurs collègues.

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Chefs d’entreprise et administration dénoncent la paperasserie : « Les aides à l’export, c’est tellement compliqué que je ne les demande même plus ! »

Les ministres Bruno Le Maire (économie) et Olivia Grégoire (PME), au ministère de l’économie, à Paris, le 1ᵉʳ  juillet 2023.

« Vous êtes ici dans votre maison, ce ministère est le vôtre, celui de ceux qui prennent des risques, qui créent des emplois, qui font grandir notre pays. » L’introduction de la ministre des petites et moyennes entreprises, Olivia Grégoire, a de quoi mettre à l’aise le parterre d’entrepreneurs franciliens, cent cinquante hommes et femmes de générations différentes, réunis au ministère de l’économie en ce 18 décembre pour les « rencontres de la simplification ».

Cette grande consultation de visu et en ligne lancée en novembre avec le ministre de l’économie et des finances doit permettre d’identifier ce qui pourrait leur simplifier la vie, dans leurs démarches quotidiennes ou l’application de la réglementation.

Dix ans après le « choc de simplification » déjà promis par François Hollande en 2013. Et quatre ans après la loi Pacte et son « guichet unique », plate-forme en ligne censée regrouper l’ensemble des formalités administratives pour les entreprises mais dont les premiers pas se sont révélés si « chaotiques », selon la Cour des comptes, que les anciennes procédures, via Infogreffe ou sur papier, ont dû être ressuscitées. Donnant à quelques-uns des participants l’occasion d’ironiser poliment sur les risques collatéraux de la simplification, sans s’y attarder.

« Ça part du terrain »

Cette fois « ça part du terrain, du très concret, c’est une nouvelle méthode », affirme-t-on dans l’entourage de la ministre. « Plus vous entrez dans le détail, tel numéro de Cerfa [formulaire administratif] ou telle norme B12 alinéa 4 qui vous complique la vie, plus on sera efficient », encourage Olivia Grégoire aux côtés des députés Renaissance Louis Margueritte et Alexis Izard.

« Le temps qu’on passe pour une embauche… », commence le président de l’Union des entreprises de proximité (U2P) d’Ile-de-France (artisans, commerçants, professions libérales), Antony Hadjipanayotou. « C’est une journée, une journée et demi à prendre sur notre travail pour faire les déclarations à toutes les caisses. Quand on n’a que quatre salariés, c’est trop lourd. » Les contraintes réglementaires et administratives pèsent particulièrement sur les PME, qui ne sont pas aussi bien « équipées » en ressources humaines que les grands groupes, souligne le président du Medef francilien, Daniel Weizmann.

« 80 % de mon activité se fait à l’international, mais les aides à l’export c’est tellement compliqué que je ne les demande même plus, je préfère payer les taxes », témoigne ainsi un brocanteur des Puces. « Devant les démarches pour obtenir le label RGE [reconnu garant de l’environnement], beaucoup de professionnels du bâtiment laissent tomber », renchérit Antony Hadjipanayotou. Le crédit impôt recherche ? « Le calcul déclenche un contrôle fiscal les trois quarts du temps », constate un participant. Le crédit de TVA, « une abomination !, déplore un autre. Un expert-comptable s’y colle, mais c’est pas gratuit ! » Les aides à la rénovation énergétique ? « Ça aussi on s’y perd ! » « On vient de lancer la version bêta d’une plate-forme pour aider les petites boîtes à s’y retrouver dans plus de 300 aides à la transition écologique », signale la ministre.

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Pimkie impose à ses salariés un nouveau plan social

Le siège de Pimkie à Villeneuve-d’Asq, le 8 janvier 2018.

Le début de l’année 2024 promet d’être sinistre dans l’habillement. Le 10 janvier, au lendemain du coup d’envoi des soldes d’hiver, les représentants du personnel de Pimkie ont rendez-vous avec la direction de l’enseigne d’habillement pour une mise à jour du plan d’économie en cours. D’après le site d’informations L’Informé, l’ordre du jour sera consacré à un nouveau plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) relatif à une cinquantaine de fermetures de magasins, en sus de la soixantaine annoncée au printemps 2023. Sans démentir ni confirmer ce chiffre, la direction de Pimkie dit, dans un texte envoyé au Monde, « envisager des fermetures de magasins supplémentaires à partir de 2024 ».

La chaîne d’habillement fondée en 1971 connaît des difficultés depuis près de vingt ans. De guerre lasse, fin octobre 2022, après des mois de tractations, son actionnaire historique, l’association familiale Mulliez (AFM), qui détient Auchan, Décathlon et Leroy-Merlin, avait annoncé sa cession à Pimkinvest, un consortium constitué de la marque de jeans Lee Cooper, de Salih Halassi, repreneur des slips Mariner et des chaussettes Kindy, et de l’entreprise turque Ibisler Tekstil, l’un des fournisseurs de l’enseigne.

Lors de la cession, début 2023, les nouveaux actionnaires avaient obtenu de l’AFM les liquidités nécessaires pour abonder un plan social induit par la fermeture de 100 magasins. Echaudés par la suppression de 200 postes en 2010 et environ 300 en 2018, les élus du personnel craignaient alors la disparition de 500 des 1 400 postes de l’entreprise de Villeneuve-d’Ascq (Nord).

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Finalement, un mois après cette signature, « un plan d’économie fondé sur le redimensionnement » du parc de magasins avait réduit les fermetures à 63 adresses. Le plan doit être réalisé par étapes d’ici à 2027, entraînant la suppression de 257 postes. Ce PSE a été validé en juillet.

Le secteur de la chaussure aussi à la peine

Depuis, l’enseigne a changé de directrice générale ; en remplacement de Sandrine Lilienfeld, ancienne patronne de Camaïeu, qui ne sera restée en fonction que six mois, Elodie Chelle, ex-dirigeante de Don’t call me Jennyfer, est entrée en fonction à l’automne, sous la présidence de M. Halassi. « Le contexte économique actuel, la baisse de fréquentation (…) et l’inflation impactent considérablement [les] ventes et [les] résultats économiques », avance aujourd’hui l’enseigne pour expliquer être « contrainte » à ce PSE. Au passage, Pimkie reviendrait au plan initial de restructuration. Actuellement, l’entreprise exploite 196 boutiques dans les centres-villes et les centres commerciaux.

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Les chasseurs de têtes s’intéressent aux non-cadres et aux professions intermédiaires

Etre joint sur son téléphone portable afin d’être débauché, sans avoir rien demandé, n’est plus une attention strictement réservée aux cadres supérieurs. En raison des tensions de recrutement persistantes, la chasse de têtes se démocratise. Confronté depuis plusieurs années à une pénurie de personnels, le groupe de BTP GCC (2 900 salariés) a décidé de recourir à ces méthodes avec l’aide d’un cabinet spécialisé, afin d’embaucher des techniciens de chantier ou des metteurs au point. « Pour ces métiers, la cooptation ne suffit plus. Ces profils ne sont pas visibles en ligne et ne répondent pas aux annonces », souligne Eric Spielmann, le DRH.

Ruser pour obtenir les coordonnées de ces profils opérationnels réputés introuvables, c’est la spécialité du cabinet Headhunting Factory (180 salariés). Sa particularité est d’avoir étendu les méthodes de chasse de têtes, aussi dite « d’approche directe », à des non-cadres. Soudeurs, chaudronniers, techniciens de maintenance, et même aides à domicile ont pu être directement démarchés par les 120 chasseurs de têtes de ce cabinet.

Signe de l’état du marché, « un groupe d’intérim nous a même contactés afin que nous l’aidions à remplir ses bases de candidats », assure le président de ce cabinet, Olivier de Préville. L’objectif de Hubworkair, cabinet spécialisé dans l’aéronautique, est aussi de « démocratiser » cette pratique aux profils aux niveaux opérationnels. « Des ingénieurs, on en manque, mais la difficulté se trouve davantage du côté des mécaniciens et des techniciens », remarque son président, Romain Rochet.

Retournement du marché avec la crise sanitaire

Pour réussir ses recrutements, cette start-up va jusqu’à miser sur des chasseurs « externes », appuyant ses équipes salariées. Ces professionnels du secteur, parfois d’ex-candidats placés par le cabinet, sont rétribués en cas de mise en relation réussie. « C’est l’un des moyens de chasse dans le marché caché », souligne Yoann Huang, le cofondateur de cette plate-forme spécialisée, créée en 2015.

Chiffres

Certains postes de non-cadres dans le secteur tertiaire exigent eux aussi une approche plus proactive. « Aujourd’hui, il est plus difficile de trouver un comptable qu’un contrôleur de gestion », remarque Emilie Narcy, directrice des opérations chez Approach People Recruitment. Le retournement du marché depuis la crise sanitaire conduit les cabinets de recrutement à draguer de plus en plus de candidats. « Il faut aller chercher ceux qui ne se posent même pas la question de savoir s’ils veulent changer d’entreprise. Avec eux, il faut employer des techniques particulières, pour susciter l’intérêt, comprendre leurs motivations », précise la responsable.

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