Karen Messing : « Le milieu du travail a été conçu en fonction du corps des hommes »

Karen Messing : « Le milieu du travail a été conçu en fonction du corps des hommes »

A l’occasion du Prix « Penser le travail » 2023, organisé par Sciences Po et Le Monde, et qui sera décerné le 25 octobre 2023, Le Monde publie les entretiens avec les auteurs des trois ouvrages finalistes : Le deuxième corps de Karen Messing, Le travail pressé de Corinne Gaudart et Serge Volkoff et Le soin des choses de Jérôme Denis et David Pontille.

Dans Le deuxième corps, la généticienne et ergonome canadienne Karen Messing explore les conséquences des différences biologiques entre les femmes et les hommes sur leurs conditions de travail. L’ouvrage se fonde sur un grand nombre d’études de terrain, réalisées sur plusieurs décennies dans des entreprises nord-américaines de secteurs différents : usine de transformation de volaille, centre d’appels, maison d’hébergement de femmes victimes de violences conjugales…

Pourquoi votre réflexion s’est-elle concentrée sur le corps féminin au travail, et pourquoi le qualifier de « deuxième corps » ?

Aujourd’hui, beaucoup de chercheurs se concentrent sur le genre, c’est-à-dire les normes sociales qui guident le comportement des femmes et hommes dans la société. Je me suis dit qu’il fallait que j’explore clairement ces différences biologiques. Chronologiquement, nous sommes le deuxième corps à être arrivé dans la plupart des emplois. Ce qui explique que dans bien des cas, le milieu du travail a été conçu en fonction du corps des hommes. Par exemple, les claviers d’ordinateur, au début, étaient un outil masculin…

Et aujourd’hui encore, de nombreux claviers ne sont pas appropriés pour les mains des femmes qui sont plus petites en moyenne. Bien évidemment, chez les hommes et femmes, il y a une énorme variation dans les paramètres biologiques : quand on parle de manque d’adaptation, on parle aussi des hommes plus petits. Il faut que tous les milieux s’adaptent à toutes les personnes qui travaillent.

Tout au long de l’ouvrage, vous insistez sur la difficulté des femmes à faire remonter les inégalités qu’elles subissent. Pourquoi ?

Souvent, les femmes ne veulent pas être identifiées comme femmes. Surtout dans les environnements majoritairement masculins où elles sont dénigrées, car elles ont peur de l’être encore plus. Pourtant, nos études montrent qu’il est très satisfaisant de partager nos craintes, nos mauvaises expériences notamment de harcèlement sexuel, pour comprendre les mécaniques à l’œuvre.

En France comme au Québec, les milieux ne sont pas adaptés à l’arrivée massive de femmes : elles ont pourtant beaucoup plus de troubles musculo-squelettiques, notamment. Pendant longtemps, elles se sont fait dire « c’est la ménopause » quand elles se plaignaient, mais on commence à se rendre compte que quand on fait beaucoup de petits mouvements répétitifs, ce qui est plus souvent le cas des femmes, il y a un coût physiologique à la longue.

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LJD

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