Archive dans mars 2023

Réforme des retraites : le dispositif sur les « carrières longues » ne profite pas aux travailleurs les plus éprouvés

Lors de la journée de mobilisation contre la réforme des retraites, sur le vieux port de Marseille, le 7 mars 2023.

Voilà deux notes que l’exécutif et les parlementaires auront en tête au moment des arbitrages sur la réforme des retraites. Publiées lundi 6 mars par l’Institut des politiques publiques, elles montrent que le système dit des « carrières longues », réservé aux personnes ayant commencé à travailler tôt, ne profite pas principalement à celles qui sont les moins qualifiées ou les plus abîmées par leur emploi. Allant à rebours des idées reçues, un tel constat est susceptible d’influencer des choix à venir, puisque le gouvernement – aiguillonné par des députés de droite – envisage d’étendre le dispositif, selon des modalités incertaines à ce stade.

Créé en 2003, rendu plus généreux en 2012, le mécanisme des carrières longues permet de partir à la retraite avant l’âge légal – soit 62 ans, aujourd’hui. Pour bénéficier de cette dérogation, il faut avoir commencé sa vie active avant 20 ans et afficher une « durée d’assurance » au moins égale à celle qui est requise pour une pension à taux plein (quarante-trois ans, à terme). Ces règles ont un impact significatif : pour la génération née en 1953, par exemple, elles ont offert la possibilité d’un départ anticipé dans près d’un cas sur quatre, si l’on raisonne sur le régime général.

Ce corpus de normes « est souvent vu comme touchant des personnes peu diplômées (…), ayant plus souvent exercé des métiers manuels » ou physiquement éprouvants, écrit Patrick Aubert, l’auteur des études. Or, le lien entre la pénibilité professionnelle et le fait d’être éligible au dispositif n’est « pas aussi évident qu’il n’y paraît ».

Explications : Les questions pour comprendre la réforme des retraites : petites pensions, carrières longues et impact pour les femmes

Ceux qui ont eu droit à une retraite avant 62 ans « pour carrière longue » ont « une espérance de vie égale, voire supérieure à celle des autres retraités non invalides ». Ils semblent aussi « moins souvent en situation de handicap ». Ainsi, parmi les individus qui sont partis à 60 ans ou à 61 ans durant la période 2017-2020, 5 % disent avoir été fortement limités dans leurs activités au cours des douze premiers mois de retraite et 10 % déclarent avoir été « limités mais pas fortement » (contre 7 % et 16 % chez ceux qui sont partis à 62 ou 63 ans, « hors invalidité ou handicap »).

« Trous de carrière »

Si l’on s’intéresse aux catégories sociales, l’étude montre que les ouvriers et les employés non qualifiés sont « nettement sous-représentés » dans les départs anticipés. De même, seuls 2 % des bénéficiaires du système de carrières longues font partie des retraités les plus modestes, s’agissant de la génération 1954.

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« L’Hécatombe invisible » : quand le travail tue

Le drame a lieu en 2014, dans les Vosges. Sophie, 21 ans, travaille au sein de son entreprise spécialisée dans le recyclage de fibres. La jeune femme se charge de l’entretien d’une étireuse. Toujours en marche, la machine va lui happer le bras puis le reste du corps. L’employée meurt sur le coup. Le patron sera condamné en 2016 à trois ans de prison avec sursis pour homicide involontaire dans le cadre du travail, et à 45 000 euros d’amende. « Et pour cause, la machine (…), qui avait été récemment acquise auprès d’un fournisseur chinois, ne répondait absolument pas aux exigences françaises en matière de sécurité », explique Matthieu Lépine dans son ouvrage L’Hécatombe invisible (Seuil).

Depuis quatre ans, ce professeur d’histoire-géographie s’est donné pour mission de « briser le silence qui entoure les milliers d’accidents du travail graves ou mortels qui surviennent chaque année en France ». Il a entrepris leur recensement quotidien par le biais des réseaux sociaux. Son essai est une deuxième étape pour « rendre visible ce qui ne l’est pas ».

Au fil des pages, les drames se succèdent. Dans le BTP, où l’auteur rappelle qu’en moyenne un employé meurt chaque jour travaillé, mais aussi dans l’agriculture, le bûcheronnage, l’industrie, les transports… M. Lépine raconte en détail des chutes, des écrasements, des travailleurs ne rentrant pas chez eux après leur journée à l’usine, des vies brisées, des mères, pères, conjoints ou enfants portant le deuil.

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Au-delà du constat, l’auteur met en relief les défaillances qui augmentent les risques. Il n’y a pas de fatalité, à ses yeux : un accident du travail « résulte toujours d’un manque. Manque de formation, manque d’information, manque d’évaluation des risques, manque de respect à la législation en matière de sécurité et de santé ».

Déficit d’information et de prévention

Dans cet essai engagé, il pointe les failles des entreprises en matière d’organisation et la prime aux impératifs économiques, déplorant « un monde du travail où la sécurité passe souvent après la rentabilité ». Dans le même temps, il souhaite aussi « confronter les politiques aux conséquences de leurs actions ou de leur inaction ». M. Lépine cible notamment le « détricotage en règle » du code du travail, à travers, entre autres, la loi « travail » de 2016.

L’orientation actuelle du monde du travail ne peut, selon lui, que fragiliser ses acteurs. « Au nom de la flexibilité, le recours à une main-d’œuvre extérieure, intérimaire, sous-traitante, détachée, voire sans papiers, s’est généralisé depuis une trentaine d’années (…). Evoluant dans un environnement éphémère, contraints à la polyvalence et insuffisamment formés, on confie pourtant [à ces travailleurs] les tâches parmi les plus dangereuses », s’insurge-t-il. Une situation qui touche tout particulièrement les plus jeunes.

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La coopérative sucrière Tereos, affectée par la flambée de l’énergie et des matières premières, se déleste de trois usines en France

A la raffinerie de la coopérative sucrière française Tereos, à Lillers (Pas-de-Calais), le 18 novembre 2011.

Nouvelle restructuration dans la filière sucrière française. La coopérative Tereos, connue pour ses marques La Perruche et Béghin Say, a annoncé, mercredi 8 mars, sa décision de se délester de trois usines. Deux seront fermées, en l’occurrence la sucrerie d’Escaudœuvres, dans le Nord, et la distillerie de Morains, à Val-des-Marais, dans la Marne, avec respectivement 123 et 26 postes supprimés. La troisième, le site de transformation de pommes de terre en fécule d’Haussimont, également dans la Marne, cherche un acquéreur.

Lire aussi : Le sucrier Tereos annonce la fermeture de deux sites industriels en France

Cette décision stratégique intervient alors que Tereos, forte d’un chiffre d’affaires 2021-2022 (clos fin mars) de 5,1 milliards d’euros, tente de redresser ses comptes. Une opération délicate. Sa dette nette a encore augmenté de 22 %, sur les neuf premiers mois de son exercice fiscal 2022-2023, à 2,9 milliards d’euros. Le groupe, dont les revenus sont en forte progression, a prévenu que sur l’ensemble de l’exercice la dette sera supérieure à celle de l’année précédente. En cause : la forte hausse du coût des matières premières et de l’énergie, qui a conduit à une augmentation du besoin en fonds de roulement.

Crise de gouvernance

Or, c’est justement ce lourd endettement qui avait suscité une crise de gouvernance inédite à la tête du géant sucrier, qui fédère 12 000 agriculteurs en France. A l’issue d’une longue épreuve de force, des coopérateurs menés par Gérard Clay avaient contraint au départ, en décembre 2020, les dirigeants historiques, critiqués pour leur politique de développement jugée risquée.

Depuis, M. Clay assume la fonction de président du conseil de surveillance de Tereos, mais deux directeurs généraux se sont succédé. Le troisième, Jorge Boucas, nommé après les deux évictions, qui dirigeait la coopérative laitière Sodiaal, prendra ses fonctions en avril. Sa feuille de route a été tracée. « Il lui reviendra d’achever le redressement du groupe coopératif, de déployer dans les meilleurs délais le plan de décarbonation face aux enjeux énergétiques qui touchent notre industrie et de proposer au conseil d’administration de nouvelles orientations de croissance », a précisé Tereos.

L’objectif fixé par la nouvelle direction était de faire passer la dette sous la barre des 2 milliards d’euros d’ici à 2024. Tereos a déjà vendu son activité amidonnière en Chine, puis s’est séparé de sa filiale au Mozambique et d’une sucrerie en Roumanie. Le couperet tombe, maintenant, sur la France.

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L’enjeu est de saturer au maximum les usines pour accroître la rentabilité d’outils très consommateurs de ressources financières. D’autant que cette industrie lourde doit se décarboner. Or, la sucrerie d’Escaudœuvres nécessitait peut-être plus que d’autres des investissements. En avril 2020, la rupture d’une digue de cette usine, qui retenait les eaux de lavage de betteraves, avait entraîné une pollution de l’Escaut. Tereos a été condamné, en janvier, à verser 9 millions d’euros de dommages et intérêts.

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Contre le tabou de l’illettrisme, des entreprises s’engagent dans la formation continue

La Bibliothèque nationale de France, le 8 avril 2020.

L’ambiance est studieuse dans la petite salle de formation nichée dans la Bibliothèque nationale de France (BNF). Y accéder nécessite de se repérer dans un dédale de couloirs et d’escaliers, mais les apprenants connaissent le lieu, parfois depuis plus de vingt ans. Ils sont employés par l’entreprise Samsic, qui gère la propreté du site François-Mitterrand. Ce jeudi matin de février, neuf volontaires planchent avec Doris Mihailovici, formatrice d’Accentonic, dans le cadre d’une formation de 150 heures organisée par leur employeur, la BNF et l’association StopIllettrisme.

Depuis 2007, Dieneba Cissoko s’occupe des sanitaires et des bureaux, de 13 heures à 20 heures. Elle est arrivée du Mali il y a trente-quatre ans, et, si elle sait lire, elle a toujours des difficultés avec l’écriture. « Quand je vois que quelque chose ne fonctionne pas, je ne peux pas laisser de mot de transmission », regrette-t-elle. Pour ses démarches administratives, c’est sa fille « qui fait tout ». Or, « il faut bien qu[’elle] apprenne à [s]e débrouiller » ! En face d’elle, Fatima Boumhaout, originaire du Maroc, peine à s’exprimer. Au quotidien, elle doit se reposer sur l’une de ses collègues qui parle l’arabe pour comprendre les instructions.

« Ce type de formation est acrobatique », souligne Doris Mihailovici, qui doit jongler entre des niveaux et des attentes divers, tout en respectant le cahier des charges donné par la branche professionnelle du nettoyage, qui prévoit un certain nombre de compétences à acquérir et une certification à la clé. L’AKTO, l’opérateur de compétences (OPCO) de la branche, finance la formation.

Approche pragmatique

Quelque 7 % de la population de 18 à 65 ans seraient concernés par l’illettrisme, soit environ 2,5 millions de personnes, selon l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (Anlci). « Et plus de la moitié sont en emploi, relève Lamia Allal, cheffe de projet développement des compétences et de la lutte contre l’illettrisme dans le monde du travail à l’Anlci. Cette situation complique la réalisation de leurs tâches et limite leurs possibilités d’évolution professionnelle. » Tous les secteurs d’activité sont affectés par l’illettrisme, même si certains – l’agroalimentaire, le BTP, l’agriculture, l’industrie – comptent davantage de salariés concernés. « La difficulté réside dans le repérage, car ce sont des salariés qui, au fil des années, ont développé des stratégies de contournement. »

A la BNF, le point d’entrée pédagogique est « professionnel » : « Ce que nous étudions a un lien direct avec l’activité quotidienne des agents », note Doris Mihailovici. L’idée n’est pas de « donner des cours de français », mais bien de permettre à tous, quel que soit le niveau, d’acquérir les compétences de base : comprendre et s’exprimer à l’oral, lire, écrire, calculer, se repérer dans le temps et l’espace, utiliser les outils numériques. La formation a lieu pendant le temps de travail – une demi-journée et une heure de tutorat par semaine – et exige « une grande motivation ».

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Direction d’entreprise : « Les femmes présentes dans les conseils d’administration ne souffrent plus du syndrome de l’imposteur »

On a beaucoup parlé du « plafond de verre » qui bloquait les carrières des femmes et plus récemment des « falaises de verre », ces promotions proposées aux femmes dans des situations critiques où leurs chances de succès étaient minimes et leur exposition majeure. La situation est-elle en train de changer, et radicalement ?

Depuis la loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle dite loi Rixain, votée en décembre 2021, les grandes entreprises sont tenues de veiller à une nomination plus équilibrée du genre minoritaire (entendez les femmes) parmi les cadres dirigeants, et de leur accorder une place au sein des comités de direction.

Alors que les femmes constituaient en 2015, 15 % des effectifs des instances dirigeantes du SBF 120, elles étaient 24 % en 2022 et leur part doit monter à 30 % en 2026 puis 40 % à partir de 2029. Un véritable appel d’air pour les femmes cadres supérieures, amenées à accéder à des postes de pouvoir dans des conditions que leurs aînées n’ont jamais connues. Nos recherches montrent que ce changement d’ordre légal intervient dans une période où le rapport des femmes au pouvoir s’est profondément transformé.

Les changements depuis 2011

En 2011, alors que la loi Copé-Zimmerman ouvrait les portes des conseils d’administration et de surveillance, nombre de femmes souffrant du syndrome de l’imposteur, ne se sentaient pas à la hauteur pour exercer des fonctions d’administratrice et, pire lorsqu’il s’agit de celles de direction.

Il fallait aller les chercher, s’ensuivait un phénomène induit de reconnaissance, de surinvestissement au travail, elles avaient une parole trop rare et très prudente, et au final n’occupaient pas toute la place méritée.

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Nos nouveaux travaux démontrent un changement d’attitude. Les femmes aujourd’hui pressenties pour des postes de direction font partie d’un vivier assez restreint et le savent.
Elles n’hésitent plus à poser des conditions pour accepter les nominations. Comme les hommes, elles osent dire qu’elles veulent connaître les moyens dont elles disposeront pour mener leurs missions à bien. De nouveaux comportements ou demandes apparaissent.

Suivre le mouvement pour ne pas faire figure de dinosaures

Alors qu’il y a dix ans, elles avaient une approche sacrificielle de leur vie privée, elles réclament des aménagements en matière de voyages professionnels, la possibilité de télétravailler, la cessation des réunions à plus d’heure, bref la possibilité de conserver un équilibre entre leurs vies professionnelle et personnelle.

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Quand les violences conjugales franchissent le seuil de l’entreprise

« Vous pouvez mentir à votre maman au téléphone, vous ne pouvez pas mentir à votre collègue quand il voit le nombre de nuits blanches que vous passez ou le nombre de textos que vous recevez. » Longtemps, trop longtemps, le quotidien au travail de Sarah Barukh, autrice à la tête de l’ouvrage collectif 125 et des milliers (HarperCollins, 544 pages, 20 euros), a été régenté à distance par le harcèlement et les menaces commises à son encontre par son ex-compagnon.

Intervenue lors d’une conférence sur les violences conjugales au travail, organisée par le cabinet Technologia le 28 février, Sarah Barukh a raconté comment son agresseur l’obligeait à « quitter des réunions capitales pour répondre au téléphone », lui interdisait de porter certaines tenues, ou encore d’assister à des réunions avec des hommes. Face à son amie qu’elle voyait sombrer sans réagir, son ancienne collègue a témoigné son désarroi : « J’avais face à moi une force qui n’était pas rationnelle. »

Au-delà des bonnes intentions, comment les employeurs et les collègues peuvent-ils aider les victimes à s’extraire de cette mécanique de la violence ? « L’entreprise est bien souvent le seul endroit où la personne est physiquement loin de son conjoint », fait valoir Béatrice Lestic, secrétaire nationale à la CFDT en charge des questions d’égalité femmes-hommes.

Soucieux de se présenter l’entreprise comme un « refuge », les employeurs sont de plus en plus nombreux à afficher leur engagement contre les violences conjugales. A l’instar de L’Oréal, Korian, EDF ou encore BNP Paribas, une dizaine de grands groupes ont rejoint le réseau OneInThreeWomen, cofondé avec la Fondation Kering en 2018 afin de sensibiliser sur la question au sein des entreprises.

Un guide et des modules d’e-learning

Un engagement qui n’a pas manqué de susciter des réserves du côté des élus syndicaux et des responsables associatifs, estimant que les employeurs devaient d’abord balayer devant leur porte avant de se poser en chevaliers blancs. « Aux yeux de l’employeur, il est parfois plus facile de s’occuper de la violence faite aux femmes à l’extérieur de l’entreprise que de ce qui se passe au sein de son entreprise », souligne Béatrice Lestic.

Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés Violences conjugales : « Nous appelons tous les employeurs à intégrer cette question dans les enjeux de l’égalité professionnelle »

Partenaire d’ONU Femmes France depuis 2013, Carrefour Market a réalisé un guide contre les violences faites aux femmes pour sensibiliser ses collaborateurs. Comptant 83 % de femmes dans ses effectifs, Korian a mis en place des modules d’e-learning sur les violences de tout type, suivis par près de 1 400 collaborateurs. Surtout, « nous sommes une des rares entreprises à posséder un service d’assistance sociale », souligne la société. Sur 51 salariés suivis en 2022, 21 % des cas portaient sur l’accompagnement des violences intrafamiliales.

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Licencier et prôner la solidarité : le « en même temps » des mutuelles

Carnet de bureau. A la mi-février, la direction de la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF) a annoncé la suppression du quart de ses effectifs : 62 postes sur 240 d’ici à juillet. Toute l’équipe de leur magazine Santé & Travail, hormis le rédacteur en chef, est concernée. Une « énorme surprise », un « plan brutal, injuste et violent qui cible les plus de 50 ans », dénoncent aussitôt les représentants du personnel. « Un conflit de valeurs, reprend la secrétaire du comité social et économique (CSE), Françoise Troublé Uchôa. Comment peut-on le même jour annoncer un PSE [plan de sauvegarde de l’emploi] et envoyer un petit tweet “prenez soin de votre cœur” », interroge-t-elle ?

Huit jours après, tandis que salariés et syndicats protestaient devant le siège de la Mutualité contre ce plan de sauvegarde de l’emploi, le président de la FNMF, Eric Chenut, défendait sur France Inter l’amélioration de la santé au travail, et en particulier les conditions d’emploi des seniors. Hasard de calendrier ? Sans doute, mais les 59 % de seniors potentiellement concernés par le plan social de la Mutualité ont peu apprécié ce malencontreux écho.

Comment prôner la solidarité et la santé au travail et dans le même temps décider de recourir à un plan de départs volontaires puis contraints, pour gérer des difficultés économiques. C’est un exercice délicat que mène la FNMF, comme certaines mutuelles santé qu’elle rassemble.

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Leur écosystème est en pleine mutation. La réduction des parts de marché des mutuelles au profit des organismes du code des assurances est considérable. Depuis vingt ans, plus de 10 points de pourcentage de la part des cotisations en contrats de santé ont basculé des mutuelles vers les assurances, confirme le dernier rapport de la direction de la recherche du ministère de la santé (Drees). Et, dans le même temps, le nombre de mutuelles est passé de plus de mille à environ trois cents. Ce qui a logiquement diminué les ressources de la Mutualité qui les fédère.

Professionnalisation du secteur

Mais dans l’ensemble, les mutuelles se portent plutôt bien. C’est le mouvement de fusion-concentration en cours qui change l’équilibre des pouvoirs et entraîne des difficultés, dont des PSE.

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Les vingt premières mutuelles concentrent 85 % du marché. Et la professionnalisation du secteur se concrétise par l’arrivée de nouveaux manageurs, qui ont une vision plus financière que les anciens, loin des valeurs de l’économie sociale.

« Il faut revenir à un développement rentable », explique Olivier Brenza, le nouveau directeur d’Aésio mutuelle, fruit de la récente concentration de quatre mutuelles. Quitte à envisager un PSE ?, l’interrogeaient fin janvier deux journalistes de l’Argus de l’assurance. « C’est une option », répond-il. Du côté de la Mutualité, la direction justifie également la réorganisation de la fédération par « un retour à l’équilibre économique ».

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« Prétendre analyser le rapport au travail au prisme de l’âge ou des générations est très discutable »

L’idée que « les jeunes ne veulent plus travailler » ou qu’ils « valorisent moins le travail que leurs aînés » fait actuellement florès. Si ce propos rejoint les éternelles rengaines sur « les jeunes d’aujourd’hui » qui ne sont jamais comme ils devraient, les mises en cause de la (dé) valorisation du travail posent de vraies questions vis-à-vis des jeunes comme vis-à-vis du travail et de l’emploi.

Qui sont « les jeunes » dont on prétend décrire le rapport au travail : les 18-25 ans, les 15-30 ans ? Cesse-t-on d’être jeune à un âge donné, à la sortie de la formation initiale, lorsque l’on quitte le logement parental – ce qui varie selon l’époque et le pays ?

Par ailleurs, parler de « la » jeunesse conduit à essentialiser ce groupe social alors qu’il n’est pas homogène. La vie des jeunes diffère selon leurs origines et situations familiales, leurs moyens économiques, leurs lieux et conditions de logement, leurs cursus scolaires, leurs capitaux culturels, leurs réseaux amicaux et de voisinage.

Ecarts de niveaux et de modes de vie

Ces différences sociales influencent les façons d’interpréter ce que l’on vit et de se représenter son environnement social. Elles affectent ce que l’on trouve important, bien et juste en général, et au travail en particulier. Prétendre analyser le rapport au travail au prisme de l’âge ou des générations est donc très discutable.

Si les membres d’une génération partagent quelques goûts (vestimentaires, musicaux, culinaires…), les écarts de niveaux et de modes de vie, les différences de socialisation (en famille ou à l’école, puis à l’entrée dans la vie active) comptent bien plus que ce qui leur est commun. Les inégalités affectent notamment la scolarité et les positions professionnelles, qui influencent à leur tour ce que chacun sait et pense du travail et peut en attendre.

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Comme pour leurs aînés, le rapport au travail des jeunes est un construit social affecté par leur place dans la société et par leurs parcours de vie, un construit variant avec les différences sociales. La durée des études et les diplômes obtenus – que l’on sait corrélés aux origines sociales – sont les principaux facteurs conditionnant les débuts de vie active en termes de qualification, de parcours d’insertion, d’exposition au chômage et à la précarité, de recrutement, de qualité des emplois occupés, de contenu du travail, de type de contrat et de rémunération.

Les positions occupées et espérées dans le travail affectent les possibilités de s’y réaliser ou les risques d’y souffrir, et cela influence grandement le regard des jeunes (comme des moins jeunes) sur l’importance et la valorisation du travail.

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La parité de salaires stagne dans l’OCDE, les femmes souffrent d’une « pénalité de maternité »

A ce rythme, il faudra 50 ans pour atteindre la parité, estime le cabinet. Les progrès vers l’égalité de salaires entre hommes et femmes dans les pays de l’OCDE ont été « excessivement faibles » ces dix dernières années, selon une étude de PriceWaterhouseCooper . L’enquête « Les femmes au travail » (Women in Work Index) affiche notamment un écart de salaire persistant de 14%, qui n’a reculé que de 2,5 points de pourcentage depuis 2011, détaille PwC dans un communiqué publié mardi 7 mars.

D’autant que les améliorations « au cours de l’année passée découlent davantage de la reprise post-covid sur le marché du travail que de progrès authentiques », précise PwC.

La firme de conseil estime qu’une « pénalité de maternité », soit une perte de rémunération au cours de la vie pour les femmes qui élèvent des enfants, est le principal facteur expliquant cet écart de salaire.

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Elle est due à une progression de carrière plus lente lorsque celles-ci retournent travailler après une naissance, et à la part « injustement faible des soins et de l’éducation des enfants prise par les pères » à travers le monde.

L’enjeu du coût des gardes d’enfants

L’étude s’attarde notamment sur le Royaume-Uni, parlant d’une « crise des gardes d’enfants devenues inabordables et d’une faible part des hommes qui prennent des congés parentaux », forçant « une part croissance des femmes à ne plus travailler ». « Un coût abordable des gardes d’enfants est essentiel pour atténuer les pressions sur les mères et les familles et réduire la charge de travail non rémunérée des femmes ».

« Repenser les politiques de congés parentaux pour soutenir un modèle de “deux salaires, deux carrières” aiderait à modifier les attitudes sociétales » sur le rôle des pères et des mères et bénéficierait économiquement à la société entière, insiste PwC.

Au sein des pays de l’OCDE, le Royaume-Uni a perdu cinq places dans l’indice de PwC sur l’égalité salariale entre femmes et hommes, passant de la 9e en 2020, en pleine pandémie, à la 14e place un an plus tard, la dernière année de données disponibles. Le pays reste malgré tout en tête des pays du G7, devant le Canada (18e place), les Etats-Unis (25), la France (23), l’Allemagne (21), le Japon (28) et l’Italie (30).

Luxembourg, Nouvelle-Zélande et Slovénie ressortent aux trois premières places de l’indice, avec la plus forte avancée marquée par la Hongrie, désormais 13e, et la plus forte chute par la Suisse (20e).

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Le Monde avec AFP

Pour les salariés itinérants, le temps du déplacement professionnel peut désormais être rémunéré

Droit social. Le droit européen peut-il compléter, en certains points, le code du travail français ? L’article 31 de la Charte de droits fondamentaux de l’Union européenne (UE) dispose que « tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire (…) ».

Il est précisé dans les traités européens que « l’Union soutient et complète l’action des Etats membres dans le domaine de l’amélioration du milieu de travail, pour protéger la sécurité et la santé des travailleurs » : cette compétence d’attribution subsidiaire a conduit, entre autres, à l’élaboration d’un droit européen du temps de travail.

Ainsi, la directive européenne 2003/88 impose notamment aux Etats membres de l’UE un temps de travail hebdomadaire limité, un certain temps de pause, une période minimale de repos journalier ou encore une période minimale de repos hebdomadaire. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a, dans un arrêt de 2021, considéré que les Etats membres ne peuvent déterminer unilatéralement la portée de la notion de « temps de travail », qui doit être définie selon des caractéristiques objectives et en accord avec la finalité de la directive.

Droit français inverse

En 2015 déjà, la CJUE avait, en se fondant sur l’article 2 de la directive européenne 2003/88, décidé que « dans des circonstances dans lesquelles les travailleurs n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, constitue du “temps de travail”, au sens de cette disposition, le temps de déplacement que ces travailleurs consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier clients désignés par leur employeur ».

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Le droit français ne voit pas les choses de la même manière : l’article L. 3121-4 du code du travail pose à l’inverse en principe que « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif (…) », sauf à percevoir, sous conditions, « une contrepartie ».

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C’est dans ce contexte qu’une cour d’appel a fait prévaloir la lecture du juge européen sur le texte français. Elle avait constaté qu’un salarié n’avait pas de lieu de travail habituel, et que son employeur lui demandait d’intervenir avec un véhicule de la société dans le cadre d’un parcours de visites programmé sur un secteur géographique très étendu.

A la disposition de l’employeur

La cour a aussi constaté que le salarié devait, pendant les temps de déplacement domicile-clients, se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles : ces temps sont dès lors du temps de travail effectif à rémunérer.

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