Archive dans mars 2023

Déserts médicaux : « Il faut augmenter d’au moins 30 % le nombre d’étudiants admis dans le cursus médical »

L’état catastrophique de notre système de santé est connu et l’intervention du président de la République le 6 janvier est venue confirmer que tous les plans précédents n’avaient pas suffi à apporter les solutions adéquates. Mais, à nouveau, aucune mesure n’est proposée pour résoudre une des causes essentielles de la crise, la pénurie de médecins en France. C’est en effet, avec la « grande démission » des personnels soignants, la seconde explication de l’effondrement de notre système de soins.

Il manque des médecins quasiment partout dans le pays : plus de 95 % des territoires d’Ile-de-France sont considérés comme sous-dotés en généralistes, selon les données de l’agence régionale de santé (ARS) ; certaines spécialités sont complètement absentes de nombreux départements ; les postes vacants dans les hôpitaux se comptent par milliers ; et il n’y a pas une filière qui ne soit en souffrance (santé scolaire, médecine du travail, protection maternelle et infantile, etc.).

Dans l’immédiat, le « docteur Macron » et son ministre vont amplifier les soins palliatifs : ajouter des assistants médicaux, optimiser le temps de travail, déléguer des tâches à d’autres professions elles-mêmes en pénurie, faciliter la venue de médecins étrangers qui sont déjà très nombreux dans nos hôpitaux – au risque d’appauvrir encore leurs pays d’origine –, et développer de la télémédecine que beaucoup considèrent comme des soins au rabais.

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Mais rien n’est fait pour traiter réellement l’origine de la maladie, c’est-à-dire le nombre insuffisant de médecins formés par nos universités. Le discours récurrent qui prétend que la suppression du numerus clausus va tout résoudre dans dix ans est au mieux de la pensée magique et au pire une diversion malhonnête. Les promotions d’étudiants issus de la réforme de la première année des études de médecine, qui reste très sélective, n’ont augmenté que d’à peine 15 % par rapport aux précédentes, ce qui laisse des milliers de candidats brillants et motivés sur le carreau.

Les mêmes erreurs

Les projections montrent que, dans dix ans, nous serons revenus à des effectifs de médecins équivalents à ce qu’ils étaient dans les années 2000. Une époque où on connaissait déjà des déserts médicaux. Et, surtout, les besoins de santé ne font que croître d’année en année : la population augmente et vieillit, avec plus de maladies chroniques nécessitant des prises en charge longues.

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Dans le même temps, les transformations de la société touchent autant les médecins que les autres professions : leur temps de travail reste élevé mais a nettement diminué, et ils aspirent à des fonctions plus souvent salariées avec des durées d’exercice encadrées.

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L’argot de bureau : le « panic hiring », gare aux erreurs de casting

Argot de bureau

Janvier 2009 : en crise de résultats sportifs, l’immense Real Madrid s’attache à la surprise générale les services de l’attaquant français Julien Faubert, aux qualités certaines mais qui ne s’imaginait pas jouer dans le plus grand club de football du monde.

Ce recrutement est considéré comme un « panic buy » : après avoir échoué à enrôler un certain nombre de talents, le club s’est précipité dans les dernières heures du mercato pour recruter un joueur qui, faute de mieux, pourrait « faire l’affaire ». Finalement, le joueur ne jouera que… deux matchs, avant de repartir.

En Bourse aussi, et plus généralement chez les consommateurs, les « achats en panique » (ou ventes précipitées pour des actions) consistent à acheter une quantité inhabituelle d’un produit, en prévision d’une augmentation du prix ou d’une pénurie, alors qu’il n’y a aucun besoin réel dans l’immédiat. Exemple : la ruée en mars 2020 sur les pâtes et le papier toilette.

Un contexte défavorable aux recruteurs

Dans le milieu des ressources humaines, force est de constater que l’après-Covid ressemble peu ou prou à cela : les Anglo-Saxons parlent de « panic hiring » pour désigner l’urgence à combler des postes vacants, et le terme trouve un léger écho en France.

Le développement d’une telle pratique est indissociable d’un contexte défavorable aux recruteurs. Le redémarrage brutal de l’économie ayant relancé l’emploi avec vigueur, nombre de corps de métier ont vite fait face à une pénurie de main-d’œuvre. La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail dénombrait encore 351 100 emplois vacants en France au quatrième trimestre 2022.

Ainsi, les recruteurs peuvent être tentés de « bâcler » leur processus de recrutement pour l’accélérer. Pour remplacer Vanessa, brillante ingénieure qui a choisi de démissionner et de se réorienter à la faveur des confinements, regrettée par tous, le DRH – sous le coup de l’émotion – s’empressera de recevoir toutes les candidates prénommées Vanessa. Comme il n’y en avait que deux, il découvrira au bout de quelques jours de travail que Vanessa bis a en réalité fait des études de communication. Oups !

Comme c’est le cas pour les achats de panique en Bourse, le « panic hiring » est un comportement grégaire, fondé sur la peur de rater une opportunité. Ici, c’est la peur de prendre du retard sur la concurrence qui conduit à adopter la maxime – détournée – « Mieux vaut être mal accompagné que seul ».

Anguille sous roche

Le terme existe pour dire aux recruteurs de ne pas procéder ainsi. L’argument principal est le coût exorbitant d’un recrutement raté ; 35 % des entreprises ayant voulu recruter des cadres en 2022 ont fait face à des refus une fois la proposition d’embauche formulée, selon une étude de l’Association pour l’emploi des cadres.

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Il faut voter une loi selon laquelle « la rémunération des décideurs économiques serait proportionnelle aux accomplissements écologiques »

Sommes-nous condamnés à choisir entre écologie et économie ? Non, il existe un espoir. Il consiste à changer l’objectif des entreprises. Comment ? Par le vote d’une loi à l’Assemblée nationale qui modifierait la façon de calculer les revenus de leurs propriétaires, les actionnaires.

Trois critères gouverneraient leur rémunération : la baisse des émissions de gaz à effet de serre ; l’investissement net (comme indicateur de prospérité macroéconomique) ; et la justice sociale (sous la forme d’une réduction des inégalités salariales entre les dirigeants et le reste des employés).

Puisque ce sont les actionnaires qui nomment et révoquent les gestionnaires, on provoquerait ainsi un big bang managérial. Au lieu de viser la maximisation des profits, les entreprises chercheraient en priorité à réduire les gaz à effet de serre.

Aucun dividende en cas de hausse des émissions

En effet, des trois critères, c’est celui-ci qui dominerait, si bien que les actionnaires n’auraient droit à aucun dividende en cas de hausse des émissions. Il ne serait pas possible de compenser avec les deux autres. Mais leur présence impliquerait que la lutte contre le changement climatique devienne compatible avec la prospérité économique.

Non seulement la rémunération des décideurs économiques serait proportionnelle aux accomplissements écologiques et à l’investissement, mais il n’y aurait pas de dividende en cas de désinvestissement. Il faudrait également inclure les émissions des fournisseurs et des transporteurs dans les calculs, afin d’inciter les entreprises à se montrer vertueuses de bout en bout.

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Ce simple changement changerait tout. En ne modifiant qu’une règle, on chamboulerait le jeu tout entier. Appelons « climatisme » ce nouveau système économique. Quoique toujours fondé sur l’initiative privée, il ne tournerait plus autour des profits, mais de la conciliation entre préservation du climat et prospérité macroéconomique, puisque de l’investissement dépendent les capacités de production de l’économie dans son ensemble. En somme, il s’agit de rendre l’intérêt individuel des actionnaires compatible avec l’intérêt commun, la sauvegarde de la planète – sans lui sacrifier l’activité économique ni la justice sociale.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « L’engagement écologique de l’entreprise est un élément de plus en plus important pour les salariés »

Par là, on inciterait les entreprises à endosser la responsabilité écologique et macroéconomique de leurs activités. Cette incitation serait constante, puisqu’elle conditionnerait la rémunération des actionnaires. Les profits seraient relégués à la place qui leur convient : l’arrière-plan. Ils ne joueraient d’autre rôle que secondaire, car les règles usuelles de faillite continueraient de s’appliquer, si bien qu’en cas d’accumulation de pertes, l’entreprise cesserait d’exister.

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Un nouvel audit accable les méthodes de management de Lise Boëll chez Plon

Le siège du groupe Editis, en avril 2008.

Les conclusions de « l’analyse d’une situation sensible au sein de la maison Plon (groupe Editis) » rédigées par le cabinet d’experts de la santé psychologique au travail Stimulus semblent particulièrement alarmantes sur le management de Lise Boëll. Cette éditrice historique d’Eric Zemmour et de Philippe de Villiers a pourtant été adoubée, vendredi 3 mars, par la direction d’Editis (Vivendi, groupe Bolloré) comme seule et unique patronne à la tête de Plon, en obtenant la préférence face à sa rivale Céline Thoulouze, qui dirigeait l’autre équipe, historique, de la même maison. Depuis dix-huit mois, Plon était scindée en deux (Plon A et Plon B), chaque entité ayant ses équipes, ses locaux et ses auteurs.

Ce document confidentiel – rendu public par Mediapart vendredi 10 mars et que Le Monde a pu consulter – avait en effet été restitué oralement mercredi 1er mars aux membres du comité de pilotage et à Guillaume Dervieux, directeur délégué à la stratégie et à la transformation et directeur de la littérature d’Editis.

Trente-six des trente-sept salariés ont été auditionnés individuellement dans le cadre de cette enquête réalisée à la suite de deux alertes, l’une du comité social et économique d’Editis, l’autre de la médecine du travail. Il en ressort « des facteurs de souffrance identifiés pour les deux équipes (celles de Lise Boëll et de Céline Thoulouze) ayant des retentissements sur leurs conditions de travail et leur santé psychologique ».

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« La Cyril Hanouna de l’édition »

Une première enquête établie par le cabinet Nayan en novembre 2021 sur le management de Lise Boëll et de ses deux adjoints évoquait déjà « des humiliations répétées en public », une « infantilisation », du « dénigrement », une « remise en question des compétences professionnelles », une « absence de clarification sur le management », « une désorganisation du travail », un « management autoritaire et centralisé » ou encore « des demandes formulées dans des délais intenables ». Des accusations graves mais Lise Boëll, qui avait été clairement menacée de renvoi à la réception de ce premier audit, avait été soutenue in extremis par Arnaud de Puyfontaine, président du directoire de Vivendi. C’est lui qui l’avait initialement imposée à la tête de Plon.

Les choses n’ont guère changé. Dans la dernière étude, l’équipe historique de Plon (Plon A) de Céline Thoulouze affirme que « cette maison bicéphale génère une concurrence interne incohérente » en termes de lignes éditoriales, mais aussi vis-à-vis des libraires, des salons, des représentants et des auteurs. Ils jugent que Lise Boëll est « en situation de complète impunité », « qu’elle est intouchable », allant jusqu’à être identifiée comme « la Cyril Hanouna de l’édition ». La direction d’Editis est pointée du doigt comme ayant « créé une situation [qui] a fait des dégâts considérables ». Le cabinet note que Plon A a opté pour une stratégie de « protection du collectif », les salariés se soutenant pour faire front face à Plon B, considérée comme une menace.

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Après la mise à l’arrêt de l’usine de pizzas Buitoni de Caudry, dans le Nord, la crainte d’une fermeture définitive

L’usine Buitoni de Caudry (Nord), le 15 septembre 2022.

L’annonce a fait l’effet d’un coup de tonnerre et pris tout le monde de court. Le 2 mars, les salariés de l’usine de pizzas Buitoni de Caudry, dans le Nord, apprennent que leur site est mis à l’arrêt « jusqu’à nouvel ordre ». Propriété de Nestlé France, il s’est retrouvé au cœur d’un scandale sanitaire en mars 2022, après la mort de deux enfants et l’intoxication de dizaines d’autre part la bactérie Escherichia coli.

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Les victimes avaient consommé des pizzas surgelées à pâte crue de la gamme Fraîch’Up fabriquées sur ce site. Une première inspection des services sanitaires avait révélé « de nombreuses anomalies graves en matière de nettoyage et d’entretien général des locaux et matériels (…), ainsi que la présence de rongeurs au niveau de l’atelier boulangerie », justifiant la décision de fermeture du site, prise par le préfet du Nord, le 1er avril 2022.

L’usine a rouvert partiellement à la mi-décembre 2022, mais seule la ligne de pizzas à pâte cuite, non concernée par le scandale, a été autorisée à redémarrer. « Nestlé a fait 2 millions d’euros de travaux pour remettre le site aux normes sanitaires. Il est au top aujourd’hui », note Frédéric Bricout, le maire (divers droite) de Caudry, pour qui « la crise a été très mal gérée » par le géant agroalimentaire. Le porte-parole de Nestlé explique la décision d’arrêter la production par « des prévisions de commandes fortement dégradées ».

« Notre usine est désormais nickel »

Il ajoute que « le marché de la pizza surgelée a chuté de 20 % en un an et a d’autant plus impacté la marque Buitoni, en première ligne de cette crise ». Des arguments qui viennent rouvrir une plaie ouverte chez les salariés. « Notre usine est désormais nickel. Tous les tests faits depuis la réouverture le confirment. Et cent quarante personnes vont perdre leur boulot ? », questionne Stéphane Derammelaere, délégué Force Ouvrière, très pessimiste sur une reprise de l’activité après le 30 mars.

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C’est la date qu’a donnée Nestlé « pour revenir vers les partenaires sociaux », précisant qu’« à ce stade, aucune décision n’a été prise pour le futur de l’usine ». Pas de quoi rassurer les salariés, persuadés que le couperet tombera à la fin du mois. « On nous a fait croire que ça repartirait et, du jour au lendemain, plus rien. Moi, je n’y crois plus », se désespère Caroline Teixeira, 45 ans, agent de production depuis dix ans.

Sa collègue Nathalie (qui n’a pas souhaité donner son nom), 54 ans, est dévastée. « On a tout donné pour assurer le nettoyage, et on en arrive là… Nous, on n’a rien fait, ça n’est pas de notre faute. Si on avait repéré un problème, on l’aurait fait remonter. » La voix étranglée par l’émotion, elle ajoute : « On est juste des pions. » Caroline et Nathalie racontent comme elles ont mal vécu d’être pointées du doigt après la mort des deux enfants contaminés par la bactérie.

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« Créer du lien est au cœur de chaque métier du soin »

Pour accompagner dignement les personnes fragiles, âgées ou en situation de handicap, nous devrons collectivement attirer d’ici cinq ans plusieurs centaines de milliers de professionnels.

La formation est un bon moyen d’y parvenir, car elle constitue le premier pan visible pour quiconque envisage d’exercer un métier d’aide ou de soin. Créer un parcours simple qui reflète la réalité vécue au quotidien et motiver sur le long cours relèvent en théorie du b.a.-ba Pourtant, avec près de soixante diplômes différents dans le secteur, nous en sommes encore très loin.

La construction actuelle du secteur, avec une frontière nette entre le secteur du « prendre soin » et celui du soin, ne facilite pas la réflexion. Nous avons ici rendez-vous avec l’histoire.

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Depuis plusieurs décennies, ces deux secteurs sont disjoints et on ignore leur promiscuité au point de fermer les yeux sur de nombreux glissements de tâches quotidiens qui ne sécurisent ni les professionnels ni les personnes fragiles. Nous devons y mettre un terme et abolir ces chasses gardées.

Réduire le champ des diplômes

Car une solution existe, et s’impose de plus en plus comme la réponse logique aux écueils actuels : elle consiste à réduire le champ des diplômes et à mettre en avant une montée en compétences claire, avec trois niveaux de qualification échelonnés sur plusieurs années.

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Le premier niveau serait une formation courte pour « mettre le pied à l’étrier », permettant d’obtenir un diplôme d’Etat inspiré de titres existants – formation des assistantes/assistants de soins en gérontologie (ASG), assistant(e) de vie aux familles (ADVF), etc. – et que nous pourrions appeler « accompagnateur du prendre soin ». Cela évitera l’embauche de personnels non formés, de plus en plus fréquente.

Le deuxième niveau correspondrait à la fusion des diplômes d’auxiliaire de vie et d’aide-soignant : il favoriserait la jonction entre le « prendre soin » et le soin.

Troisième étape, le diplôme d’infirmier, aujourd’hui bien circonscrit. En somme, trois niveaux clairs, que nous pouvons mettre en avant très tôt pour engager dans la durée.

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Allons encore plus loin en considérant que le premier point commun à faire émerger entre tous ces métiers devrait être leur dimension humaine, car ils consistent au premier chef à aider chacun à préserver ou recouvrer son autonomie. Dit autrement, créer du lien est au cœur de chaque métier et les gestes techniques, s’ils sont bien sûr différents, constituent une occasion de créer ce lien singulier, si essentiel pour la personne aidée.

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Derrière l’engouement pour le yoga, le maquis des formations et le quotidien précaire des professeurs

Des drapeaux de prière tibétains ont fait leur apparition le long du canal Saint-Martin. Ce territoire d’à peine cinq kilomètres de long, en plein centre de Paris, concentre les toutes dernières tendances : boutiques à la mode, bars à cocktails et, depuis 2020, un centre de 420 mètres carrés consacré au yoga jivamukti.

Développée dans les années 1980 à New York par deux défenseurs des droits des animaux, cette discipline allie exercices physiques et enseignement philosophique, et attire une jeunesse désireuse de renouer avec une forme de spiritualité.

Fin février, une trentaine d’élèves assistait au cours donné par Ian Szydlowksi-Alvarez, professeur d’origine chilienne, passé par Berlin, Munich ou Barcelone, avant de rallier Paris : « J’ai commencé le yoga en 1988. A l’époque, il n’y avait pas vraiment d’écoles, c’était une discipline marginale, à laquelle m’a initié ma mère, qui était hippie. Aujourd’hui, ça explose : j’ai travaillé dans un studio à New York où on accueillait 500 personnes tous les jours. » Au début du cours, l’enseignant fait vibrer son harmonium et invite la classe à chanter, après lui, des mots en sanskrit antique. « Il s’agit de versets tirés des Yoga-sutras de Patanjali, un recueil d’aphorismes. Le jivamukti est une pratique physique, éthique et spirituelle », précise-t-il, avant de passer à un enchaînement de postures plutôt sportives.

« Chaque cours comporte des chants, de la méditation, de la respiration et de la récitation de textes anciens », explique Sonia Gabriel. La trentenaire s’est plongée dans le yoga il y a plus de dix ans, après le décès de son père. En 2019, elle démissionne de son poste de professeure d’économie à l’université de Beyrouth pour ouvrir le studio Jivamukti à Paris, qui reçoit près de 5 000 personnes chaque mois – des femmes majoritairement, jeunes, souvent très diplômées, et désireuses d’approfondir leur passion.

« Renouer avec son humanité »

Alors que la pratique du yoga a plus que triplé ces dix dernières années, passant de trois millions à plus de dix millions de pratiquants en France, selon une enquête menée par le Syndicat national des professionnels du yoga (SNPY), de plus en plus de yogis s’inscrivent à des formations professionnalisantes.

« Je pratique le yoga depuis mon adolescence. J’ai découvert le jivamukti il y a quelques années, à Amsterdam, grâce à une amie rencontrée à Bali. C’est bien plus qu’un simple sport », témoigne Francesca Dunne, 36 ans. Cette ancienne chargée de communication a quitté son poste chez L’Oréal en 2022 pour devenir professeure de yoga.

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Le compte personnel de formation victime de son succès

Politique de l’emploi

[La politique de l’emploi s’appuie sur des dispositifs créés au fil des besoins, qui restent parfois méconnus longtemps après leur création. Quelle est leur efficacité contre le chômage ? Elle n’est pas toujours évaluée. Le Monde publie une série d’articles sur les aides à l’emploi, pour tenter d’estimer ce qu’on en sait – leur objectif initial, leurs résultats.]

Le compte personnel de formation (CPF) va-t-il être bridé ? Afin de réduire son impact sur les finances publiques, l’exécutif a discrètement déposé, fin 2022, un amendement au projet de loi des finances 2023, instaurant un reste à charge pour les bénéficiaires. Face à la bronca des partenaires sociaux et des élus, y compris au sein de la majorité, le décret d’application, qui doit notamment fixer le montant de ce reste à charge, est encore dans les tiroirs.

L’objectif du dispositif

Un statu quo sans doute provisoire pour ce dispositif, né sous la présidence Hollande, dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle de 2014. Rattachant le droit à la formation à la personne et non plus à son emploi, l’objectif du CPF était d’inciter les actifs à se former davantage, et tout au long de la vie, afin de lutter contre le chômage. Il a remplacé sous une autre forme le droit individuel à la formation (DIF).

Le CPF, mobilisable directement par une application, peut être utilisé pour financer le permis de conduire ou une formation de langue par exemple.

Le CPF permet de financer une formation qualifiante ou certifiante, un bilan de compétences ou encore une validation des acquis de l’expérience (VAE), sans avoir à passer par son employeur. Il peut être utilisé pour financer le permis de conduire ou une formation de langue, par exemple. Après l’élection du président Macron en 2017, le tout jeune dispositif a été réformé. Depuis 2019, le CPF n’est plus exprimé en nombre d’heures mais en euros et est mobilisable directement par une application.

Le fonctionnement

Depuis 2019, un salarié à temps plein ou au moins à mi-temps voit son compte alimenté à hauteur de 500 euros par année de travail (ou 800 euros pour les actifs peu ou pas qualifiés ou en situation de handicap), dans la limite d’un plafond de 5 000 euros (8 000 euros pour les peu ou pas qualifiés ou en situation de handicap). En dessous, le budget alloué est calculé en fonction de la durée de travail. Dans le secteur public, le dispositif diffère. L’autorisation de l’employeur reste nécessaire et le CPF demeure crédité en heures : 25 heures par an, jusqu’à 150 heures maximum.

Le déblocage du CPF est relativement simple : le demandeur sélectionne une formation sur le site Internet Moncompteformation.fr ou l’application ad hoc et réserve la session souhaitée. Après acceptation de son dossier par l’organisme, le financement de sa formation est automatiquement débité de son CPF. D’autres acteurs peuvent aider le bénéficiaire à financer sa formation : son employeur, les opérateurs de compétences (OPCO), Pôle emploi, le conseil régional… Le montage du dossier se fait entièrement en ligne.

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Caviste, une reconversion prisée chez les trentenaires

Sur la photo de son compte LinkedIn, Coraline Lan-Lemasson, 35 ans, pose tout sourire avec un tire-bouchon entre les mains. Un accessoire qui résume à lui seul sa nouvelle vie professionnelle. Cette ancienne responsable du marketing dans l’industrie pharmaceutique a rencontré son époux, Thomas, 35 ans également, au sein des Laboratoires Pierre Fabre. Après un début de carrière prometteur, le jeune couple s’envole pour un tour du monde de neuf mois. A leur retour en France, en 2019, ils tentent, en vain, de renouer avec le métro-boulot-dodo parisien. Au bout de six mois, l’envie de se reconvertir leur semble évidente. « On voulait exercer un métier plus concret, raconte la jeune femme, avec enthousiasme. On s’est souvenu que les deux choses qui nous avaient le plus manqué en voyage, c’étaient le vin et le fromage. On a donc décidé de s’engager dans ce secteur passion. »

Les jeunes mariés ont beau avoir quelques connaissances acquises au fil de visites de vignobles et de bonnes tables, ils ont commencé par se former. Pendant un an, Coraline a suivi les cours du Centre interprofessionnel de formation des commerces de l’alimentation de Toulouse pour obtenir son certificat de qualification professionnelle (CQP) de vendeur conseil caviste. Une formation pour laquelle elle n’a rien déboursé, le tout étant financé par la branche professionnelle. Après quelques mois de recherche et un prêt à la banque, Coraline et Thomas ont inauguré, en septembre 2021, La Bonne Combine, un lieu chaleureux au cœur de la capitale de l’Occitanie, qui allie 300 références de vins et un peu moins de fromages.

Le couple Lemasson n’est pas le seul à avoir choisi de bouleverser son quotidien pour s’installer au milieu des bouteilles de rouge et de blanc. « Depuis le Covid, nous avons constaté l’arrivée de jeunes professionnels, relate Patrick Jourdain, président du Syndicat des cavistes. Souvent lassés par un quotidien urbain, ils quittent leur emploi pour se lancer dans le secteur en quête d’une autre qualité de vie. » Patrick Jourdain n’est pas étonné de cet engouement. Depuis plusieurs années, la proportion de reconversions « frôle les 80 % ». « Les cavistes qui s’engagent en formation initiale dans la profession sont très rares », poursuit-il. En général, les profils sont toujours les mêmes : des CSP+ passionnés, souvent d’anciens cadres dans la banque ou la grande distribution, qui se tournent vers un milieu qui les fait rêver.

Pas de diplôme spécifique

« Après le Covid, les gens ont redécouvert leurs cavistes, ces commerçants de proximité restés ouverts pendant le confinement, analyse Géraldine Gossot, la directrice de l’Université du vin de Suze-la-Rousse (Drôme), une formation réputée dans le milieu. Beaucoup ont alors sauté le pas pour concrétiser leur envie de changement et on a eu un gros coup de chaud sur les inscriptions à la rentrée 2020-2021. » Un succès qu’elle explique par des raisons culturelles, puisque « beaucoup de gens sont passionnés par le vin en France » mais aussi par l’accessibilité du métier. « C’est une profession généraliste, concrète, qu’on peut exercer sans se former de manière trop technique, analyse-t-elle. Devenir vigneron, c’est plus difficile par exemple. »

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Matthieu Lépine brise le silence sur la mort au travail

Matthieu Lépine, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 3 mars 2023.

Taille moyenne, barbe bien taillée, tenue sombre. Matthieu Lépine, 36 ans, est professeur d’histoire et de géographie au collège Lenain-de-Tillemont de Montreuil (Seine-Saint-Denis), mais il pourrait tout aussi bien être bassiste d’un groupe de rock. Il admet d’ailleurs avec une pointe de gêne avoir été le chanteur d’un groupe de copains, durant son ­adolescence à Laval (Mayenne). « Je ne savais pas chanter, mais il fallait bien que quelqu’un s’y colle », avoue-t-il en souriant. La phrase pourrait illustrer le combat qui l’occupe depuis plus de six ans : faire connaître au grand public le drame des morts du travail. Entamé sur les réseaux sociaux, son « travail », comme il ­l’appelle lui-même, a donné lieu à un livre. Dans L’Hécatombe invisible (Seuil), qui vient de paraître, Matthieu Lépine ­poursuit son inventaire des morts au travail et dénonce les négligences systémiques qu’elles illustrent.

« Mourir si jeune et si vieux, avec ce putain de statut d’autoentrepreneur qui fait de vous un ouvrier sans en avoir les droits… Ces deux morts m’ont poussé à vouloir être plus efficace. » Matthieu Lépine

C’est une phrase d’Emmanuel Macron qui l’a déterminé à se lancer. En 2016, à quelques jours du forum économique de Davos, celui qui est alors ministre de l’économie de François Hollande dit sur BFM-TV que « la vie d’un entrepreneur, elle est bien souvent plus dure que celle d’un salarié. Il ne faut jamais l’oublier. Il peut tout perdre, lui. » Matthieu Lépine est alors un jeune professeur dans un collège classé REP +. Après avoir fait ses armes à l’université Rennes-II lors du mouvement contre la réforme du contrat première embauche, en 2006, il s’est engagé au Parti de gauche, puis à La France insoumise, participant, en 2012 et en 2017, aux campagnes d’Alexis Corbière à Montreuil. Dans le même temps, il tient un blog sur l’histoire des luttes sociales.

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Après la « petite phrase », il commence à recenser quotidiennement les accidents du travail. Début 2019, deux autoentrepreneurs meurent à quelques jours d’intervalle. Michel Brahim, couvreur à la retraite, continuait de travailler pour compléter sa pension de 700 euros mensuels. Franck Page, 19 ans, coursier pour Uber Eats, décède à la suite d’un accident de la route. « Mourir si jeune et si vieux, avec ce putain de statut d’autoentrepreneur qui fait de vous un ouvrier sans en avoir les droits… Ces deux morts m’ont poussé à vouloir être plus efficace », explique-t-il aujourd’hui.

Selon les calculs de Matthieu Lépine, au moins 896 personnes sont mortes d’un accident du travail en 2019. Cette même année, l’Assurance-maladie en dénombrait 733 et la Dares 790, soit le taux d’incidence le plus élevé d’Europe selon les données d’Eurostat.

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