« L’Hécatombe invisible » : quand le travail tue

« L’Hécatombe invisible » : quand le travail tue

Le drame a lieu en 2014, dans les Vosges. Sophie, 21 ans, travaille au sein de son entreprise spécialisée dans le recyclage de fibres. La jeune femme se charge de l’entretien d’une étireuse. Toujours en marche, la machine va lui happer le bras puis le reste du corps. L’employée meurt sur le coup. Le patron sera condamné en 2016 à trois ans de prison avec sursis pour homicide involontaire dans le cadre du travail, et à 45 000 euros d’amende. « Et pour cause, la machine (…), qui avait été récemment acquise auprès d’un fournisseur chinois, ne répondait absolument pas aux exigences françaises en matière de sécurité », explique Matthieu Lépine dans son ouvrage L’Hécatombe invisible (Seuil).

Depuis quatre ans, ce professeur d’histoire-géographie s’est donné pour mission de « briser le silence qui entoure les milliers d’accidents du travail graves ou mortels qui surviennent chaque année en France ». Il a entrepris leur recensement quotidien par le biais des réseaux sociaux. Son essai est une deuxième étape pour « rendre visible ce qui ne l’est pas ».

Au fil des pages, les drames se succèdent. Dans le BTP, où l’auteur rappelle qu’en moyenne un employé meurt chaque jour travaillé, mais aussi dans l’agriculture, le bûcheronnage, l’industrie, les transports… M. Lépine raconte en détail des chutes, des écrasements, des travailleurs ne rentrant pas chez eux après leur journée à l’usine, des vies brisées, des mères, pères, conjoints ou enfants portant le deuil.

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Au-delà du constat, l’auteur met en relief les défaillances qui augmentent les risques. Il n’y a pas de fatalité, à ses yeux : un accident du travail « résulte toujours d’un manque. Manque de formation, manque d’information, manque d’évaluation des risques, manque de respect à la législation en matière de sécurité et de santé ».

Déficit d’information et de prévention

Dans cet essai engagé, il pointe les failles des entreprises en matière d’organisation et la prime aux impératifs économiques, déplorant « un monde du travail où la sécurité passe souvent après la rentabilité ». Dans le même temps, il souhaite aussi « confronter les politiques aux conséquences de leurs actions ou de leur inaction ». M. Lépine cible notamment le « détricotage en règle » du code du travail, à travers, entre autres, la loi « travail » de 2016.

L’orientation actuelle du monde du travail ne peut, selon lui, que fragiliser ses acteurs. « Au nom de la flexibilité, le recours à une main-d’œuvre extérieure, intérimaire, sous-traitante, détachée, voire sans papiers, s’est généralisé depuis une trentaine d’années (…). Evoluant dans un environnement éphémère, contraints à la polyvalence et insuffisamment formés, on confie pourtant [à ces travailleurs] les tâches parmi les plus dangereuses », s’insurge-t-il. Une situation qui touche tout particulièrement les plus jeunes.

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LJD

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