Archive dans 2022

Mort d’un salarié en CDD du ministère de la justice : la famille demande des comptes

Vincent Moussarie avait 36 ans. Le 4 avril 2017, en sortant de son travail dans les bureaux du ministère de la justice situés près de la Porte d’Aubervilliers à Paris, ce célibataire sans enfant fait quelques dizaines de mètres avant de s’effondrer. Les pompiers ne parviendront pas à le réanimer. Près de cinq ans plus tard, son père, Gérard Moussarie, s’est dit, en découvrant le retentissement de la « tribune des 3 000 » magistrats sur la pression du rendement et la souffrance au travail qu’elle génère, que son fils n’était peut-être pas un cas isolé. Il a contacté Le Monde pour raconter son histoire. « Mon fils a été victime des pressions qu’exerçait sa hiérarchie en raison du manque de moyens. »

Lire la tribune : Article réservé à nos abonnés L’appel de 3 000 magistrats et d’une centaine de greffiers : « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout »

Le tribunal administratif de Paris examinera jeudi 19 mai la requête du père, qui demande la reconnaissance d’une faute du ministère de la justice engageant la responsabilité de l’Etat.

Vincent Moussarie avait un emploi précaire. Il enchaînait les contrats à durée déterminée (CDD) au sein de l’administration du ministère de la justice, affecté à une équipe chargée de moderniser le système informatique de gestion des ressources humaines des magistrats et des greffiers. Il donnait sans doute satisfaction puisque son premier CDD de trois mois, commencé le 1er juin 2015, a été suivi d’un CDD d’un an, puis d’un contrat de deux ans.

Mais les conditions de travail sont dures, au point que l’équipe se réduit comme peau de chagrin. Un collègue quitte le service, puis deux, puis trois. Vincent Moussarie se retrouve seul pour mener ce projet.

Deux malaises sur son lieu de travail

L’enquête menée après le décès par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l’administration centrale du ministère révèle, dans un rapport du 11 octobre 2017, que Vincent Moussarie « était très angoissé dans son poste actuel sur son avenir professionnel : craignant le non-renouvellement de son contrat ; avait peur de ne jamais suffisamment bien faire ; prenait avec difficultés ses congés de peur de perdre sa place ; était très fatigué ces dernières semaines, fumait de plus en plus et bégayait » ; etc.

Selon son père qui le voyait souvent, habitant le même immeuble, « il était épuisé, faisait plus d’heures que demandé. Le pire est qu’on lui a trouvé comme solution de lui adjoindre un permanent non formé, charge à lui de le former, comme s’il avait le temps ».

Dans les semaines qui précèdent sa mort, Vincent Moussarie fait deux malaises sur son lieu de travail qui nécessitent l’intervention des pompiers. Mais le service médical de prévention n’est pas prévenu. De plus, déplore le CHSCT, ce salarié n’a jamais passé la visite médicale d’embauche, pourtant obligatoire aussi pour un CDD, ni lors des renouvellements de ces contrats.

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La loi Pacte a convoqué la question du partage de la valeur dans les entreprises

Le 22 mai, la loi Pacte aura trois ans. Son objectif était de faciliter la croissance par la transformation des entreprises, notamment en renforçant l’attractivité de toute forme d’investissement des salariés dans l’entreprise : par l’intéressement, la participation, l’épargne et l’actionnariat salarial. Qu’a-t-elle changé dans les entreprises ? Des DRH issus du monde de l’industrie, de l’assurance et du conseil se sont réunis mardi 10 mai, à Paris, pour en débattre, dans le cadre des Rencontres RH, le rendez-vous mensuel de l’actualité du management créé par Le Monde, en partenariat avec ManpowerGroup.

« La France est un pays original au niveau mondial sur l’actionnariat salarié, avec une proportion de salariés qui possèdent une part du capital deux fois plus élevée que dans le reste des pays européens », a introduit Kevin Levillain, enseignant-chercheur en sciences de gestion, à Mines ParisTech.

L’actionnariat salarié est très répandu en Europe : 94 % des grandes entreprises européennes le proposent, selon le rapport 2021 de la Fédération européenne de l’actionnariat salarié. « Les études ont montré qu’avoir un actionnariat salarié permet d’avoir une gouvernance plus équilibrée et une compétence plus proche de l’activité. La loi Pacte a voulu rendre le dispositif plus attractif pour l’employeur comme pour le salarié dans son volet “Mieux partager la valeur”. Notre hypothèse est que l’actionnariat salarié soit un levier pour créer du collectif », explique M. Levillain.

Renforcer l’engagement, faute de fidéliser

Présenté dans la loi Pacte comme un élément de fidélisation puisque le niveau de décote du prix de l’action varie en fonction de la durée d’engagement des salariés, l’actionnariat salarié a plutôt été perçu par les DRH comme un « instrument d’engagement » des collaborateurs. « Rémy Cointreau est un groupe familial coté au SBF 120. Nous avons mis en place l’actionnariat salarié en 2021. Le taux de souscription des salariés a été de 77 %. Ce qui nous a confortés dans l’idée qu’il y avait une véritable attente », témoigne Marc-Henri Bernard, le DRH du groupe.

L’alcoolier a réservé des actions aux salariés qui sont en France, dans le cadre d’une augmentation de capital inscrite dans le plan de transformation de la société d’ici à 2030. « On a défini un plan stratégique à dix ans. L’actionnariat salarié donne une perspective aux collaborateurs. C’est un instrument d’engagement plus que de fidélisation des salariés, qui deviennent propriétaires de parts dans un fonds commun de placement. L’actionnariat salarié change les relations interprofessionnelles, car on est tous intéressés par la performance de l’entreprise. C’est un vecteur de pédagogie et d’explication de la stratégie », estime Marc-Henri Bernard.

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Directeur de la décarbonation, du métavers ou de l’éthique… Nouveaux métiers ou titres éphémères ?

Elles et ils sont directrices ou directeurs de la performance extrafinancière, du Web3 (l’une des dernières générations d’Internet) ou du numérique responsable, voire de la souveraineté, des algorithmes ou de l’accélération. Leurs titres s’affichent plutôt en anglais, tels le chief revenue officer ou le chief impact officer. Directement liés aux transformations numériques, écologiques et énergétiques ou encore aux modes de travail que la pandémie de Covid-19 a popularisés, ces nouveaux intitulés de poste se multiplient.

« Plus que de nouveaux métiers, il s’agit souvent de nouvelles appellations qui correspondent soit à des évolutions technologiques ou sociologiques, soit au besoin de renommer une fonction qui combine des compétences jusque-là distinctes, pour lesquelles il n’existe pas forcément de double diplôme, comme le numérique et le juridique pour la fonction de DPO [data protection officer], le délégué à la protection des données, précise Patrick Vanoli, directeur du pôle intelligence marché du groupe Randstad France. Quand ce n’est pas tout simplement lié à la créativité des recruteurs… »

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Plusieurs tendances se conjuguent pour expliquer cette créativité. Les start-up et les licornes (valorisées à plus de 1 milliard de dollars) ont grandi en s’inspirant des modes d’organisation et des fonctions d’outre-Atlantique, appellations pas toujours faciles à traduire. De plus, face à la pénurie de talents dans les domaines du développement durable ou du numérique, par exemple, un nouvel intitulé peut rendre une offre plus attractive, ou donner accès à un vivier plus large de candidats.

Les nouveaux intitulés se multiplient notamment dans les domaines liés à l’environnement. « Après les termes “carbone” et “décarbonation” sur notre site, on voit maintenant apparaître des offres précisant “compensation bas carbone” ou “bilan carbone”, etc. Et depuis moins d’un an, l’augmentation du nombre d’offres qui intègrent le “développement durable” est particulièrement forte. Cela répond à la fois à l’urgence pour les entreprises d’agir et aux attentes des candidats qui sont très demandeurs de diversité, d’inclusion, d’attention au climat… », constate Camille Fauran, directrice générale de la plate-forme Welcome to the Jungle. Cette tendance contribue à la multiplication des intitulés mentionnant les acronymes ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance), RSE (responsabilité sociétale des entreprises) ou ISR (investissement socialement responsable).

Modernisation ou nécessité

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En quête de sens ou d’une porte de sortie : le succès du bilan de compétences

Quel point commun entre Laura, ex-téléopératrice dans un centre d’appels, Tiphaine, qui a créé son entreprise après avoir été licenciée d’Airbnb, Denis, magasinier devenu assistant de gestion, Elodie, photographe indépendante, ou Chloé, avocate ? Tous ont réalisé un bilan de compétences ces deux dernières années. « Et c’est le cas d’énormément de personnes autour de moi depuis le Covid-19 », témoigne Tiphaine Szczypawka.

Créé en 1991, cet outil d’accompagnement et d’orientation accessible à tous les actifs pour faire un point sur leurs compétences et s’interroger sur leur carrière, semble connaître un regain d’intérêt. Si les données centralisées manquent, plusieurs indicateurs en témoignent. Selon la Caisse des dépôts qui pilote le compte personnel de formation (CPF) par lequel les actifs peuvent mobiliser les droits accumulés durant leur vie professionnelle, 85 000 demandes de financement de bilans de compétence via le CPF ont été validées en 2021, en augmentation de 63,5 % sur un an. Au moins 100 000 pourraient être validées d’ici à la fin de l’année. Cette appétence s’observe aussi sur les plateformes de recherches de formation. « On assiste à une explosion des requêtes pour des bilans de compétence, constate Jérémy Plasseraud, directeur High-Tech du site Hellowork. Elles ont été multipliées par deux entre 2019 et 2020, et par quatre entre 2020 et 2021, pour atteindre plus de 105 000 demandes individuelles. Et ça continue d’accélérer. »

Un coût accessible

Comment l’expliquer ? D’abord, par des aspects pratiques. C’est une formation courte – vingt-quatre heures d’entretien sur trois mois avec un professionnel des ressources humaines –, que l’on peut réaliser en dehors de ses heures de travail, sans prévenir son employeur. Et on peut désormais la financer directement avec son CPF, pour un coût accessible : selon la Caisse des dépôts, le prix moyen d’un bilan de compétences est de 1 605 euros, quand le montant moyen des droits mobilisables par les salariés du privé est de 1 573 euros.

Ensuite, le contexte de la crise sanitaire a joué à plein. « Toutes les périodes de crises posent la question de l’orientation professionnelle et la reconversion des salariés », rappelle Aurélie Gonnet, du laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (CNRS et CNAM) qui a consacré sa thèse au bilan de compétences.

« Quelle que soit la raison qui amène à faire un bilan, il y a toujours au départ, une insatisfaction professionnelle » Sophie Clamens, déléguée générale de la Fédération des Centres interinstitutionnels des bilans de compétences

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« Quand arrêter de s’obstiner ? » : pour les docteurs qui rêvaient d’une carrière universitaire, les défis de la reconversion

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Publié aujourd’hui à 04h24

Se décider à arrêter les frais, sept ans après le doctorat. Pourtant, re­noncer à une carrière acadé­mique était un pas difficile à franchir pour Sébastien Crouzet. Quand il décroche son diplôme de docteur en neurosciences en 2010, il n’envisage rien d’autre. Sa thèse ayant été menée dans un laboratoire reconnu, il a déjà de bonnes publications à présenter. Mais il voit qu’autour de lui de moins en moins de jeunes docteurs parviennent à être titularisés. Le nombre de postes diminue, et « les critères d’embauche explosent ». Il poursuit en postdoctorat dans un centre de recherche en informatique aux Etats-Unis, un passage à l’étranger devenu quasi obligé. Puis, durant ses deux années de contrat court à Berlin et trois autres à Toulouse, Sébastien Crouzet se lance dans la course au poste de titulaire. Et déchante vite. Il s’épuise à envoyer dossier sur dossier, sans succès.

« La flamme s’était aussi un peu éteinte, raconte-t-il aujourd’hui. Je me rendais compte que le métier de chercheur était de moins en moins séduisant. Mes collègues passaient surtout leur temps à chercher des financements, beaucoup étaient en grand mal-être. » En 2017, âgé de 35 ans et fatigué par ces « échecs répétés », il décide de se tourner vers le privé. « Cela n’avait rien d’évident, je viens d’une famille de fonctionnaires. Le business, ce n’est pas mon truc. Mais je travaillais dans un domaine, le machine learning, très recherché à ce moment-là. » Il est rapidement embauché par une société de services et d’ingénierie en informatique (SSII), avant d’être recruté par une start-up en tant que datascientist.

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Face à une entrée dans la carrière académique de plus en plus compliquée, beaucoup de jeunes docteurs choisissent de se reconvertir, parfois après plusieurs années à tenter leur chance dans l’enseignement supérieur public. Le nombre de postes de maîtres de conférences (MCF) ouverts y a été réduit de plus de la moitié en une décennie. On n’en comptait que 1 070 en 2019 contre 2 216 en 2009. Cela dissuade, en premier lieu, de se lancer dans une thèse. Mais, malgré une baisse significative du nombre de doctorants sur dix ans, le taux de réussite aux concours pour ces postes est passé de 21 % à 13 %, selon la Conférence des praticiens de l’enseignement supérieur et de la recherche, et l’âge moyen de titularisation, à 34 ans.

Vacations et contrats courts

« Cette question centrale revient sans cesse : au bout de combien d’années décide-t-on d’arrêter de s’obstiner ? », constate Alexis Alamel, maître de conférences en géographie à Sciences Po Rennes. Ce dernier mène une enquête sur les trajectoires des docteurs ayant candidaté à plusieurs reprises aux postes de MCF en vain, et ceux qui ont décidé en conséquence de quitter la recherche publique. Malgré la situation de l’emploi, largement connue, dans ce secteur, les « vocations » persistent, note-t-il, au prix d’une forte précarisation, quand les docteurs enchaînent les vacations et les contrats courts.

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En Espagne, le gouvernement approuve un avant-projet de loi instaurant un congé menstruel

Pour les uns, c’est la reconnaissance tardive d’une douleur que de nombreuses femmes affrontent sans oser en parler à leur employeur. Pour les autres, c’est une mesure risquée qui associe le fait d’être femme à une maladie et menace de creuser davantage les inégalités en freinant l’embauche des femmes.

Après un débat intense, y compris au sein de la coalition de gauche au pouvoir, le gouvernement espagnol a approuvé, mardi 17 mai, en conseil des ministres, l’avant-projet de loi de santé sexuelle et reproductive et d’interruption volontaire de grossesse, incluant un nouveau droit social pour les femmes : le congé menstruel.

La mesure permettra à celles qui souffrent de règles « invalidantes » (douleur intense, crampes, coliques, nausées…) de disposer d’un arrêt maladie rémunéré par la sécurité sociale, après une première consultation médicale. Si, en Asie, plusieurs pays comme le Japon, la Corée du Sud ou l’Indonésie accordent depuis longtemps des congés menstruels, l’Espagne pourrait devenir le premier pays d’Europe à adopter une telle mesure. « C’est une des questions les plus révolutionnaires et qui définit le mieux ce gouvernement de coalition, qui prend des mesures pour améliorer la vie [des femmes] », s’est félicitée la ministre de l’égalité, issue du parti de la gauche radicale Podemos.

Des frictions au sein du gouvernement

L’avant-projet de loi n’en a pas moins suscité des frictions au sein du gouvernement. Lorsque le brouillon, rédigé par le ministère de l’égalité, a été diffusé dans la presse, mercredi 11 mai, la vice-présidente de l’exécutif et ministre de l’économie, la socialiste Nadia Calviño, avait prévenu que le gouvernement n’allait « jamais adopter de mesures stigmatisant les femmes ».

« Ce qui stigmatise, c’est de ne pas avoir la sensibilité suffisante pour comprendre que les hommes et les femmes sont différents et que le monde du travail n’est pas neutre », a rétorqué la deuxième vice-présidente du gouvernement et ministre du travail, la communiste Yolanda Diaz. Le chef de l’opposition, le président du Parti populaire (PP, droite), Alberto Nuñez-Feijoo, s’en est mêlé : « C’est le médecin qui donne [l’arrêt maladie], pas la seconde vice-présidente du gouvernement, contre la volonté de la première vice-présidente. »

Jusque-là, il était en théorie possible de demander un arrêt maladie à son médecin en cas de règles douloureuses, mais la salariée n’était couverte et rémunérée qu’à partir du quatrième jour d’absence, et à condition de cumuler 180 jours de cotisations sociales durant les cinq dernières années.

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Livraisons rapides : « On se rachète à tour de bras en espérant que le dernier debout ramasse la mise »

Un livreur de la société de livraisons allemande Gorillas, à Berlin, le 8 juillet 2021.

L’histoire de la vente à distance a réellement commencé avec l’essor du train. On commandait sur le catalogue de Manufrance ou des 3 Suisses, on recevait le produit dans le mois, parfois la semaine. Un progrès considérable qui a essaimé jusque dans les campagnes la société de consommation naissante. Aujourd’hui, attendre une heure devient insupportable, même en pleine nuit.

Le confinement a fait émerger de nouveaux acheteurs compulsifs et de nouveaux métiers. A l’instar des pionniers du Pony Express ou de l’Aéropostale, des livreurs à vélo sillonnent les rues de plus en plus vite, de plus en plus stressés. La nouvelle jauge est désormais de dix minutes. Un délai maximal promis par les chevaliers du « quick commerce ». Gorillas, Getir, Cajoo, Dija, Flink, Yango Deli… Près d’une dizaine de sociétés ont émergé en moins de deux ans, comme des champignons après la pluie. Lundi 16 mai, l’allemand Flink a annoncé le rachat du dernier acteur français de ce secteur, Cajoo, qui s’était allié au distributeur Carrefour, en septembre 2021.

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Un an auparavant, en décembre 2020, Oliver Merkel, ancien consultant chez Bain, crée la société Flink (« agile », en allemand), à Berlin, avec une obsession : la vitesse. Vite pour la livraison, vite aussi pour la croissance, pour dépasser les myriades de concurrents partis en même temps. Avec la promesse de révolutionner le commerce de proximité, il séduit les investisseurs avides de nouvelles martingales, dans un monde où les placements pépères ne rapportent plus rien.

En Bourse, la fête est finie

Visiblement convaincant, il ne met que trois mois pour trouver 50 millions d’euros, puis 230 millions trois mois après, puis 720 millions en décembre 2021, valorisant l’entreprise à plus de 2 milliards d’euros. Il faut dire que, dans le même temps, la firme avait ouvert des dizaines d’entrepôts et s’était installée en France et aux Pays-Bas. Comme leurs coursiers avec leurs énormes sacs à dos, les acteurs du secteur vivent sous stress. Ils savent que les autorités locales chercheront, tôt ou tard, à limiter leurs ambitions, comme elles l’ont fait pour les trottinettes ou les locations d’appartement, et que les concurrents sont eux aussi très riches. L’autre allemand Gorillas ou le turc Getir ont amassé des sommes équivalentes et couvrent les murs des métros de leurs publicités.

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Vite, vite, avant qu’il ne soit trop tard, que la réalité ne les rattrape, leur rappelant que leur modèle économique ne tient pas la route et que la fête est finie pour les valeurs technologiques qui s’effondrent en Bourse. Uber, DoorDash ou Deliveroo ont dégringolé de plus de 50 % en un an. Ce sera bientôt le cas pour l’investissement privé, qui se concentrera sur les seules entreprises rentables. Alors, on se rachète à tour de bras en espérant que le dernier debout ramasse la mise. Gorillas croque le français Frichti, Flink dévore Cajoo et accueille à son capital Carrefour, lui-même allié à Uber Eats. La course va bientôt prendre fin, et les dix minutes sont presque écoulées. Déjà ?

Très léger recul du nombre de chômeurs au premier trimestre

Pour le moment, le marché du travail continue de faire bonne figure, malgré le récent coup d’arrêt de la croissance. Au premier trimestre, le nombre de chômeurs, au sens du Bureau international du travail (BIT), a reflué de 18 000 par rapport aux trois derniers mois de 2021, se situant désormais à 2,232 millions, selon une note diffusée, mardi 17 mai, par l’Insee. Le taux de chômage, lui, est « quasi stable », à 7,3 %. Il s’agit du pourcentage le plus faible depuis 2008, si l’on met de côté « la baisse ponctuelle “en trompe-l’œil” » qui s’était produite lors du premier confinement de 2020, avec des dizaines de milliers de personnes ayant cessé de chercher un poste à cause des mesures de restriction prises à l’époque.

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Tout se passe comme si l’emploi résistait au brutal ralentissement de l’activité enregistré entre début janvier et fin mars, sous l’effet de plusieurs événements : invasion de l’Ukraine, mise à l’arrêt d’entreprises en Chine du fait du redémarrage de l’épidémie de Covid-19, désorganisation des chaînes d’approvisionnement, etc. Les recrutements dans le secteur privé sont toutefois un peu moins dynamiques : + 0,3 % au premier trimestre, contre + 0,6 % de début octobre à fin décembre 2021. Cette moindre hausse montre que certains secteurs accusent le coup, notamment dans l’industrie, mais on n’assiste pas, à ce stade, à un renversement de tendance.

Vif succès de l’apprentissage

La plupart des indicateurs publiés mardi sont bien orientés. Ainsi, la proportion de personnes âgées de 15 à 64 ans qui occupent un poste a de nouveau progressé, passant à 68 %, ce qui constitue un record depuis 1975 – l’année où l’Insee a commencé à calculer ce ratio. L’évolution est également très positive si l’on resserre la focale sur les jeunes : le taux d’emploi des 15-24 ans s’accroît de 0,7 point en trois mois, s’élevant à 34,6 %, ce qui représente « son plus haut niveau depuis 1991 ». Une envolée sans doute liée, au moins en partie, au vif succès de l’apprentissage, que le gouvernement a soutenu en accordant des primes aux sociétés qui embauchent dans le cadre de ce dispositif.

Autre donnée encourageante : la part des individus de 15 à 29 ans qui ne sont ni en emploi ni en formation régresse d’un demi-point, à 11,8 %, ce qui correspond à un point bas en huit ans (déjà atteint au troisième trimestre 2021).

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Cependant, les performances de la France sont moins éclatantes que celles d’autres pays. En Allemagne, le taux de chômage est égal à 3 %. Quant à la proportion de personnes de 15 à 64 ans qui sont en activité, elle dépasse la barre symbolique des 70 % dans plusieurs Etats membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (Royaume-Uni, Suède, Canada…).

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Les travailleurs des plates-formes, grands absents pour l’élection de leurs représentants

La première élection des représentants des travailleurs des plates-formes de mobilité, qualifiée de « rendez-vous historique », lors de l’ouverture du scrutin, le 9 mai, par Elisabeth Borne, alors ministre du travail, a plutôt l’allure d’un rendez-vous manqué, lors de sa clôture, le 16 mai. Parmi les 39 314 chauffeurs de VTC et les 84 243 livreurs à deux-roues et trois-roues appelés aux urnes, seuls 3 088 d’entre eux ont pris part au vote, avec une participation de 3,91 % chez les VTC et de 1,83 % chez les livreurs.

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L’offre était pourtant pléthorique, avec, au total, seize organisations et syndicats candidats. Chez les VTC, l’Association VTC de France (42,81 %) arrive largement en tête, parmi les sept listes élues. Chez les livreurs, seules quatre sur neuf passent la barre des 5 % des suffrages exprimés pour être déclarées représentatives, avec, en tête, la Fédération nationale des autoentrepreneurs (FNAE), à 28,45 %, talonnée par la CGT, à 27,28 %, suivie de l’Union Indépendant (dont la CFDT est membre fondateur), à 22,32 %. Parmi les autres syndicats, seul SUD-Commerces est représentatif (5,39 %), la CFTC, FO, la CFTC, la CNT-SO et l’UNSA étant éliminées.

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A l’Autorité des relations sociales des plates-formes d’emploi (ARPE), une structure publique créée pour organiser l’élection et les concertations qui devraient suivre entre les plates-formes et les représentants des travailleurs, Bruno Mettling, son président, se réjouit que « des négociations vont pouvoir s’engager », même s’il admet « une déception » sur la participation. Mais cette faiblesse n’entache pas, à ses yeux, la légitimité des organisations élues.

Le mode de scrutin pose question

Le mode de scrutin pose question. Il s’agissait d’un vote électronique pour lequel les travailleurs devaient recevoir par courriel un identifiant de la part du prestataire choisi par le gouvernement, puis entrer celui-ci en se connectant au site du vote ainsi qu’une donnée personnelle : pour les VTC, leur numéro de carte professionnelle ; pour les livreurs, les cinq derniers chiffres de leur numéro IBAN de compte bancaire. Or, « les livreurs ont souvent plusieurs IBAN, en changent souvent », explique Joël Blondel, directeur général de l’ARPE. « Indéniablement, ce système a pu être un frein à la participation. »

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« Je me réjouis de notre score, mais je suis déçu par les modalités assez compliquées » du vote, réagit Karim Daoud, président de l’Association VTC de France. Malgré son bon résultat, la CGT parle, elle, de « fiasco annoncé » : « Comme nous l’avons vérifié auprès des centaines de livreurs rencontrés (…), la très grande majorité [d’entre eux] n’[ont] pas pu voter, faute d’avoir reçu les identifiants. »

Une polémique, apparue dès le début du scrutin, a également pu peser. M. Mettling a, en effet, été mis en cause dans un article de L’Humanité comme étant « le principal auteur de la contribution d’Uber », lors de la mission Frouin sur le statut des travailleurs et le dialogue social dans les plates-formes, en 2020, ce qui aurait créé « un conflit d’intérêts » pour le président de l’ARPE. Ce que l’intéressé conteste : « Le cabinet de stratégie AT Kearney a réuni des experts du numérique, dont moi-même. Ensuite, ce cabinet a remis mon expertise à Uber. Je n’ai pas écrit l’argumentation d’Uber. »

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Elisabeth Borne, une image de gauche ternie par la réforme de l’assurance-chômage

C’était sans doute la pire des périodes pour devenir ministre du travail. Elisabeth Borne a été désignée à ce poste début juillet 2020, alors que l’économie française venait de subir l’une des plus violentes récessions de son histoire – en lien avec l’épidémie due au Covid-19 qui avait mis à l’arrêt des dizaines de milliers d’entreprises. A l’époque, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité, inscrits en catégorie A, avait battu tous les records, culminant à plus de 4,4 millions. La plupart des conjoncturistes broyaient du noir, se demandant si les mois à venir allaient être seulement mauvais ou carrément catastrophiques.

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La suite a finalement prouvé que le pire n’est jamais certain. Au moment de quitter l’hôtel du Châtelet, le siège du ministère du travail situé rue de Grenelle à Paris, Mme Borne peut se prévaloir de statistiques relativement flatteuses. La file d’attente en catégorie A s’est fortement réduite, à 3,19 millions au premier trimestre. Le taux de chômage, lui, se situe désormais à 7,3 % (soit 2,2 points de moins par rapport à la mi-2017). Ces performances sont, certes, inférieures à celles enregistrées dans d’autres pays – comme l’Allemagne qui, avec 3 % de chômeurs, se prélasse dans le plein-emploi. Mais la tendance à l’amélioration en France est incontestable.

De généreuses subventions

Mme Borne y est-elle pour quelque chose ? Le « quoi qu’il en coûte » l’a, en tout cas, beaucoup aidée à déployer toute une palette de mesures destinées à soutenir les embauches. Rien que pour le plan « 1 jeune 1 solution », lancé durant l’été 2020, plus de 10 milliards d’euros ont été mis sur la table, avec de généreuses subventions en faveur des sociétés qui prennent des apprentis. Résultat : plus de 700 000 personnes ont été recrutées sous ce statut en 2021. Il s’agit d’un niveau inégalé, mais comme le dit, au second degré, l’économiste Bruno Coquet, un tel dynamisme s’explique par l’utilisation du « pot belge » (mélange de produits dopants très en vogue, jadis, dans le milieu du cyclisme). En d’autres termes, toute la question, maintenant, est de savoir si l’apprentissage sera aussi vigoureux quand les enveloppes budgétaires seront revues à la baisse.

Une chose, au moins, paraît acquise : durant les vingt-deux mois qu’elle a passés rue de Grenelle, Mme Borne « a tenu la maison », selon la formule de Raymond Soubie, président de la société de conseil Alixio et ex-conseiller social de Nicolas Sarkozy à l’Elysée. « Elle a bien mené les discussions techniques avec le patronat et les syndicats sur le recours au télétravail durant la crise sanitaire. » Numéro un de la Confédération des petites et moyennes entreprises, François Asselin confie qu’il y a eu des « tensions » quand la ministre a voulu rendre obligatoire l’activité à distance, mais elles n’ont pas duré. « C’est une femme fiable, une “pro”, qui soigne la préparation de ses dossiers en amont de chaque réunion », ajoute-t-il. Un haut gradé du patronat la qualifie de « solide, loyale, sérieuse » : « C’est quelqu’un qui bosse. »

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Des appréciations que partagent plusieurs responsables syndicaux. « Nous n’avons pas forcément été d’accord avec toutes les options qu’elle a retenues pour affronter la pandémie, mais les échanges avec elle et avec son équipe ont été plutôt bons », enchaîne François Hommeril, le leader de la CFE-CGC. « On a eu avec elle un dialogue franc, sincère, transparent, assorti de mesures à la hauteur pour accompagner les travailleurs et les employeurs face aux conséquences du Covid-19 », renchérit Cyril Chabanier, le président de la CFTC.

« Elle se préoccupe de l’insertion des jeunes »

En matière de réformes, elle a un tableau de chasse sans doute moins garni que celui de sa prédécesseure, Muriel Pénicaud, qui avait collectionné les textes au début du quinquennat (ordonnances de 2017 réécrivant le code du travail, loi de septembre 2018 sur la transformation de la formation continue et de l’apprentissage, etc.). Mais Mme Borne a montré qu’« elle se préoccupe de l’insertion des jeunes », observe l’économiste Philippe Aghion, en faisant allusion au « contrat d’engagement », qui constitue « une bonne réforme » : entré en vigueur le 1er mars, ce dispositif s’adresse aux moins de 26 ans (et aux moins de 30 ans s’ils sont handicapés) qui peinent à trouver leurs marques dans le monde du travail.

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Un dossier lui aura causé de gros tourments : le durcissement des règles de l’assurance-chômage, que les syndicats, unanimes, ont combattu. Engagé par Mme Pénicaud, ce chantier avait dû être réorienté, le Conseil d’Etat ayant invalidé certaines règles en novembre 2020. Plusieurs décrets ont été pris, réécrits, attaqués par les organisations de salariés devant le juge administratif… Finalement, les nouvelles dispositions ont commencé à s’appliquer en plusieurs étapes à partir du 1er juillet 2021, sous les critiques des centrales syndicales qui dénoncent la diminution de l’indemnisation mensuelle pour les plus précaires. Ce différend a laissé des traces dans les relations qu’Elisabeth Borne entretient avec Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT. Il a aussi fourni des arguments à tous ses contradicteurs qui réfutent l’idée qu’elle puisse être présentée comme une femme ayant une sensibilité de gauche.