Livraisons rapides : « On se rachète à tour de bras en espérant que le dernier debout ramasse la mise »

Livraisons rapides : « On se rachète à tour de bras en espérant que le dernier debout ramasse la mise »

Un livreur de la société de livraisons allemande Gorillas, à Berlin, le 8 juillet 2021.

L’histoire de la vente à distance a réellement commencé avec l’essor du train. On commandait sur le catalogue de Manufrance ou des 3 Suisses, on recevait le produit dans le mois, parfois la semaine. Un progrès considérable qui a essaimé jusque dans les campagnes la société de consommation naissante. Aujourd’hui, attendre une heure devient insupportable, même en pleine nuit.

Le confinement a fait émerger de nouveaux acheteurs compulsifs et de nouveaux métiers. A l’instar des pionniers du Pony Express ou de l’Aéropostale, des livreurs à vélo sillonnent les rues de plus en plus vite, de plus en plus stressés. La nouvelle jauge est désormais de dix minutes. Un délai maximal promis par les chevaliers du « quick commerce ». Gorillas, Getir, Cajoo, Dija, Flink, Yango Deli… Près d’une dizaine de sociétés ont émergé en moins de deux ans, comme des champignons après la pluie. Lundi 16 mai, l’allemand Flink a annoncé le rachat du dernier acteur français de ce secteur, Cajoo, qui s’était allié au distributeur Carrefour, en septembre 2021.

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Un an auparavant, en décembre 2020, Oliver Merkel, ancien consultant chez Bain, crée la société Flink (« agile », en allemand), à Berlin, avec une obsession : la vitesse. Vite pour la livraison, vite aussi pour la croissance, pour dépasser les myriades de concurrents partis en même temps. Avec la promesse de révolutionner le commerce de proximité, il séduit les investisseurs avides de nouvelles martingales, dans un monde où les placements pépères ne rapportent plus rien.

En Bourse, la fête est finie

Visiblement convaincant, il ne met que trois mois pour trouver 50 millions d’euros, puis 230 millions trois mois après, puis 720 millions en décembre 2021, valorisant l’entreprise à plus de 2 milliards d’euros. Il faut dire que, dans le même temps, la firme avait ouvert des dizaines d’entrepôts et s’était installée en France et aux Pays-Bas. Comme leurs coursiers avec leurs énormes sacs à dos, les acteurs du secteur vivent sous stress. Ils savent que les autorités locales chercheront, tôt ou tard, à limiter leurs ambitions, comme elles l’ont fait pour les trottinettes ou les locations d’appartement, et que les concurrents sont eux aussi très riches. L’autre allemand Gorillas ou le turc Getir ont amassé des sommes équivalentes et couvrent les murs des métros de leurs publicités.

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Vite, vite, avant qu’il ne soit trop tard, que la réalité ne les rattrape, leur rappelant que leur modèle économique ne tient pas la route et que la fête est finie pour les valeurs technologiques qui s’effondrent en Bourse. Uber, DoorDash ou Deliveroo ont dégringolé de plus de 50 % en un an. Ce sera bientôt le cas pour l’investissement privé, qui se concentrera sur les seules entreprises rentables. Alors, on se rachète à tour de bras en espérant que le dernier debout ramasse la mise. Gorillas croque le français Frichti, Flink dévore Cajoo et accueille à son capital Carrefour, lui-même allié à Uber Eats. La course va bientôt prendre fin, et les dix minutes sont presque écoulées. Déjà ?

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LJD

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