Archive dans avril 2021

La difficile mobilisation autour des chômeurs

Manifestation de professionnels du spectacle et de travailleurs précaires, à Paris, le 26 mars.

L’abrogation de la réforme de l’assurance-chômage : cette revendication revient en force dans les théâtres et les opéras occupés depuis un peu plus d’un mois. Pourtant, les intermittents du spectacle ne sont pas touchés par les nouvelles règles, inscrites dans un décret du 30 mars qui doit commencer à s’appliquer à partir de l’été. Mais ils exigent l’abandon de ce texte, tout en portant des doléances qui leur sont propres : la réouverture des lieux culturels et une autre « année blanche » – c’est-à-dire la prolongation, pendant douze mois supplémentaires, des droits à indemnisation chômage pour les salariés des industries artistiques. Dans leur esprit, il faut se mobiliser en faveur des « intermittents de l’emploi », ces travailleurs abonnés aux boulots précaires, qui, eux, vont être affectés par la réforme : employés de l’hôtellerie-restauration, guides touristiques, etc.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Pourquoi l’exécutif tient autant à sa réforme de l’assurance-chômage

« Un même combat », pouvait-on lire sur une pancarte brandie, le 2 avril, lors du deuxième « vendredi de la colère » organisé par la CGT-Spectacle place de l’Hôtel-de-Ville, à Paris. « Nous fonctionnons de la même manière, nous avons le même système d’emploi, les mêmes horaires sauf que nous ne sommes pas protégés de la même façon [que les intermittents du spectacle] », déplorait Maxime, 36 ans. Le décret du 30 mars va « majoritairement » pénaliser les personnes en « contrats courts », s’indigne-t-il, en faisant allusion au changement du mode de calcul de l’allocation, qui va entraîner une baisse du montant mensuel de la prestation pour des centaines de milliers de chômeurs.

A la tête de la CGT-Spectacle, Denis Gravouil se dit frappé par cette volonté d’« élargissement » de la lutte dans le monde culturel à des mots d’ordre qui ne le concernent pas directement : « Même si c’est embryonnaire, il y a un fil à tirer. » Mais cet ancien chef-opérateur, qui gère le dossier de l’assurance-chômage au sein de la confédération, sait que la réforme ne fait guère bouger les foules depuis qu’elle a été dévoilée, il y a presque deux ans, puis reportée à cause de la crise, avant d’être récemment remise sur des rails. En juin 2019, la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC et l’UNSA n’avaient rassemblé que quelques centaines de personnes devant le ministère du travail, à Paris. La CGT, elle, à travers plusieurs de ses organisations est montée à l’assaut à maintes reprises, mais sans parvenir à drainer beaucoup plus de monde.

Il vous reste 61.18% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Pourquoi l’exécutif tient autant à sa réforme de l’assurance-chômage

Pas question de renoncer à la réforme de l’assurance-chômage. Sauf coup de théâtre, les demandeurs d’emplois seront soumis, à partir du 1er juillet, à des règles plus sévères que celles qui prévalaient au début du quinquennat. Sur ce dossier, le gouvernement a fait preuve d’une détermination sans faille, en dépit de l’hostilité des syndicats et de la gauche, tout comme des critiques exprimées par plusieurs économistes ayant soutenu Emmanuel Macron en 2017. Comment expliquer un tel volontarisme alors que d’autres projets emblématiques, tels que la construction d’un système universel de retraites, sont reportés sine die ?

La transformation du régime d’indemnisation des demandeurs d’emplois s’est déroulée en plusieurs étapes. Les premières fondations ont été posées dans la loi « avenir professionnel » de septembre 2018, avant d’être complétées par des décrets, en juillet 2019.

Ces mesures avaient pour but de réaliser des économies, tout en résorbant la précarité sur le marché du travail et en incitant les chômeurs à accepter des offres de postes durables. Mais à cause de la crise déclenchée par l’épidémie de Covid-19, le gouvernement a décidé, en 2020, de repousser l’entrée en vigueur de la réforme puis de réécrire les dispositions les plus controversées. Résultat : un nouveau décret, en date du 30 mars, a été pris. Il entraînera des diminutions du montant mensuel de la prestation moins importantes que celles occasionnées dans la mouture de juillet 2019.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Avec la réforme de l’assurance-chômage, l’allocation de 1,15 million de demandeurs d’emploi pourrait baisser la première année

La ministre du travail, Elisabeth Borne, demeure convaincue qu’« il est légitime » de changer les règles. Il s’agit, selon elle, de « mettre fin à des iniquités entre demandeurs d’emplois et de répondre à une urgence : la prolifération des contrats courts ». « Cette réforme est juste, poursuit-elle, car nous mettons fin au fait que le salarié qui travaille tous les jours à mi-temps a une allocation qui est quasiment la moitié de celui qui travaille un jour sur deux ou une semaine sur deux. » Mme Borne insiste aussi sur l’idée que le décret du 30 mars est « plus équilibré » que ceux édictés en juillet 2019 « qui pouvaient conduire à des niveaux d’allocations trop basses ». « Nous ne touchons pas au montant total des droits accumulés par chaque demandeur d’emploi, assure-t-elle. Les versements mensuels dureront plus longtemps. »

« Marque de fabrique »

Un plaidoyer auquel adhèrent, bien évidemment, des personnalités de la majorité parlementaire en pointe sur le dossier. Co-rapporteure du projet de loi « avenir professionnel », la députée La République en marche (LRM, Gironde) Catherine Fabre estime que la démarche de l’exécutif « conserve toute sa justification, sur le fond », car elle corrige les « aberrations » qui régnaient dans l’ancien système. A ceux qui dénoncent le coup porté aux chômeurs, l’élue macroniste répond que de multiples mesures ont été prises, durant l’année écoulée, afin de soutenir les publics précaires, et que le régime reste « l’un des plus favorables au monde ». Ce n’est donc pas le moment d’abandonner « l’ambition réformatrice, qui est notre marque de fabrique », souligne-t-elle.

Il vous reste 37.5% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Reprendre des études après quelques années de vie active, une tendance en plein essor

C’est un modèle qui a longtemps été une caractéristique française, et qui, peu à peu, se fissure. Celui du diplôme unique obtenu juste avant d’entrer dans la vie active, et dont on se prévaut tout au long de sa vie. Ce paradigme, lentement, commence à changer.

Les jeunes adultes sont de plus en plus nombreux à reprendre des études pour obtenir un nouveau diplôme quelques années après avoir commencé leur vie active, observe le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq), dans une étude parue fin 2020. Depuis vingt ans, « ce phénomène continue d’augmenter au fil des enquêtes », constate Alexie Robert, chargée d’études au Céreq. La part de jeunes qui reprennent des études dans les sept ans qui suivent leur entrée dans le monde professionnel est ainsi passée de 14 % pour les jeunes diplômés en 1998, à 23 % pour ceux sortis en 2010, tous niveaux de diplômes confondus. Et c’est sans compter toutes celles et ceux qui se reconvertissent au moyen des formations courtes non diplômantes.

Comment l’expliquer ? Par les difficultés d’insertion professionnelle tout d’abord. L’âge moyen d’accès à un premier emploi stable est passé de 20 ans en 1975 à 27 ans aujourd’hui, selon une étude du Conseil économique, social et environnemental. « La transition entre études et marché du travail s’est fluidifiée pour les plus favorisés, mais elle est devenue plus floue et labyrinthique pour les autres. L’enjeu de ces reprises d’études est souvent de s’assurer un poste stable et un niveau de rémunération correct », estime le sociologue François Sarfati, chercheur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Le diplôme détermine le destin des jeunes, et engendre de multiples clivages sociaux »

Des reprises à tous niveaux

La propension à reprendre ses études en début de vie active touche tous les niveaux de diplôme, note le Céreq. Mais ceux qui ont un niveau baccalauréat sont les plus enclins à revenir sur les bancs de l’enseignement supérieur. Comme Claire Lottin qui, après avoir raté son bac littéraire, a commencé tout de suite à travailler. « J’en avais marre, je voulais gagner de l’argent et être indépendante », se souvient-elle. S’en suivent cinq années de petits boulots dans l’animation, la restauration, l’événementiel. Elle décide ensuite de reprendre les études, par le biais d’un diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU) à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, à la rentrée 2020. « Quand j’ai choisi de chercher du travail après ma terminale, je savais déjà que je reprendrais mes études un jour. Dans notre société, si tu n’as pas de diplôme, tu n’es pas reconnu, estime l’étudiante, qui veut travailler dans la criminologie. Certains concours de la fonction publique sont accessibles sans le bac, mais avec le DAEU, si je veux me reconvertir à nouveau, ce sera plus simple. »

Il vous reste 63.52% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Dans les entreprises, la campagne de vaccination contre le Covid-19 avance à pas de fourmi

« On avance comme on peut, au jour le jour, sans réelles certitudes. » Dans ce service de santé au travail d’Auvergne, la campagne de vaccination contre le Covid-19 s’est imposée dans l’agenda des médecins et s’accompagne d’une multitude de problématiques à résoudre. Que faire, par exemple, si seuls trois salariés se présentent lors d’une session de vaccination alors qu’un flacon de vaccin contient… dix doses ? Comment garantir, par ailleurs, au nom du secret médical, que deux collaborateurs d’une même entreprise ne se croisent pas dans les locaux ? « Cela peut sembler anecdotique, mais ces réflexions et la mise en place de solutions nous prennent un temps considérable », explique un médecin.

De fait, avec l’ouverture de la vaccination aux services de santé au travail fin février, les médecins du travail se sont engagés, en Auvergne comme ailleurs, dans une campagne riche en inconnues et demandant un important travail préparatoire. « Cela fait un mois et demi que des groupes de travail ont été montés pour l’organiser », explique Muriel Legent, médecin dans l’Oise au service de santé au travail Médisis. Le centre a pu réaliser dans la seconde quinzaine de mars ses premières injections, rejoignant ainsi d’autres centres et des services autonomes présents au sein de grandes entreprises.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les entreprises pourront vacciner au plus tôt au printemps

Chez Axa, par exemple, la vaccination a débuté le 9 mars. Elle a été lancée le 15 chez Safran. Au total, 1 691 médecins du travail avaient passé commande de doses lors de la semaine du 29 mars, sur les 5 000 que compte la France, indique-t-on au secrétariat d’Etat en charge de la santé au travail, qui y voit « une première étape avant une montée en puissance progressive ».

Débuts modestes

Sur le terrain, les professionnels de santé le reconnaissent : les débuts de cette campagne de vaccination sont modestes. Tout d’abord en raison du public ciblé. Pour l’heure, seuls sont concernés les salariés âgés de 55 à 64 ans présentant une comorbidité (pathologies cardiovasculaires, diabète de type 1 et 2…).

Le décryptage politique : Début de sortie de crise « à la mi-mai » : Macron pris en tenaille par son agenda

Mais ce tempo lent a une autre explication : la difficulté à obtenir des doses du vaccin AstraZeneca. « Nous nous sommes préparés puis avons dû rester longtemps sur les starting-blocks à attendre le vaccin, explique ainsi une médecin du travail du Loiret. Le début des injections a donc été repoussé de trois semaines, pour débuter le 1er avril ». De son côté, Sibylle Quéré-Becker, directrice du développement social d’Axa France indique : « Nous adaptons le rythme de vaccination aux flacons que les médecins reçoivent ».

Il vous reste 55.16% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Télétravail : la tentation du nomadisme

« A l’avenir, la généralisation du télétravail est souhaitée par plus de sept Français sur dix (72 %) et plus de huit télétravailleurs sur dix (81 %), selon une étude publiée fin mars par l’Observatoire Cetelem.  »

Carnet de bureau. Le tiers-lieu va-t-il trouver sa place dans l’organisation du travail ? Les contraintes sanitaires imposées à toute la France depuis le 6 avril ouvrent une nouvelle étape du développement du télétravail, généralisé par le Covid-19. Les négociations sur les accords relatifs au télétravail se poursuivent dans les grandes entreprises, mais un cap est franchi : c’est devenu un « mode d’organisation standard » dans le dernier accord d’Allianz France, par exemple, voire de « référence en termes d’organisation collective du travail », pour la Société générale. Il faut désormais faire avec. Alors autant l’organiser.

A l’avenir, la généralisation du télétravail est souhaitée par plus de sept Français sur dix (72 %) et plus de huit télétravailleurs sur dix (81 %), selon une étude publiée fin mars par l’Observatoire Cetelem. Les salariés interrogés pour cette enquête privilégient une solution mixte, avec deux ou trois jours de travail par semaine en dehors du bureau, que ce soit chez soi, en extérieur ou en espace de coworking. Près d’un actif sur deux (49 %) apprécierait, au moins de temps en temps, pouvoir travailler dans un tiers-lieu. Le nomadisme est bel et bien une option, pour les salariés comme pour les acteurs politiques et les employeurs, qui y réfléchissent.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Congés, télétravail, chômage partiel : les salariés contraints de s’adapter

Le sénateur Julien Bargeton a ainsi déposé le 5 février une proposition de loi pour faciliter l’accès à des bureaux de proximité. « Des tiers-lieux peuvent permettre de profiter des avantages du télétravail en supprimant une partie de ses inconvénients : on y retrouve le principe de la machine à café où on fait des rencontres professionnelles, la connexion y est meilleure parce qu’assurée par de grandes entreprises, on peut avoir des postes de travail bien équipés avec trois écrans, et ça soutient aussi le développement des villes moyennes et des centres-bourgs », a-t-il expliqué au Sénat, le 1er avril, lors d’une table ronde sur « Les perspectives pour le télétravail ».

2 030 gares fermées ou désaffectées

Sur la même ligne, dans un rapport publié en février, le Conseil économique et social d’Auvergne recommande de repenser le maillage territorial en créant des tiers-lieux « pour réduire la fracture numérique et rompre l’isolement » des salariés. Erwann Tison, le directeur d’études de l’Institut Sapiens, note qu’avec plus de 2 030 gares fermées ou désaffectées sur tout le territoire, la puissance publique dispose d’un levier. L’ex-gare de Vaugirard, à Paris, récemment transformée en espace de coworking, peut ainsi permettre à des télétravailleurs d’échapper aux contraintes de leur domicile.

Il vous reste 26.98% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Hyperconnexions : fixer la loi commune

« Déconnexion technique ne signifie ni fin du travail sur écran (clé USB) ni déconnexion intellectuelle : quand une idée nous travaille, nos neurones n’en font qu’à leur tête.»

Droit social. Depuis la démocratisation du télétravail au domicile liée à la crise sanitaire, la question de la surconnexion est devenue centrale, avec la suppression des frontières géographiques et temporelles entre vie privée et vie professionnelle. Et le fameux « Always on ! » (« toujours prêt ») : une calamité personnelle mais aussi familiale, et un désastre professionnel (risques psychosociaux ou burn-out, mais aussi conséquences sur la qualité du travail).

Comme d’autres « droits à », notre « droit à la déconnexion », né le 8 août 2016, est devenu un mot-valise facile à évoquer pour les « yakafokon », mais plus compliqué à mettre en œuvre dans un monde désormais connecté, en particulier pour les jeunes générations vivant 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 sur leurs réseaux sociaux… y compris sur leur temps de travail.

L’axiome selon lequel la surconnexion ne peut être que le résultat d’une pression patronale, est aussi un peu court : il existe les techniques « Parapluie », « Patate chaude », « Moi, Je », etc. Alors pour éviter d’associer l’inutile au désagréable pour des télétravailleurs ravis de leurs nouvelles marges de manœuvre, il s’agit moins de penser « droit à » que « droit de » se déconnecter, dans le respect des règles d’ordre public (ex : 11 heures de repos journalier).

Lire l’éditorial du « Monde » : Mesurer les effets du télétravail

Mais se déconnecter… de quoi au juste ? Les confinements successifs ont multiplié les canaux de télécommunications : courriels et textos, mais aussi conférences téléphoniques et autres visioconférences. Sans parler des organisations créées à l’insu de l’entreprise : combien d’équipes tournent aujourd’hui grâce à leur groupe WhatsApp ? Alors couper l’accès aux serveurs à 19 h 30 permet certes de se protéger juridiquement…

Harcèlement managérial

Se déconnecter de qui ? Car courriels et autres SMS ne proviennent pas seulement de l’employeur ou des collègues, mais parfois aussi de clients pressés ou de fournisseurs exigeants, pour lesquels, sans même parler de fuseaux horaires, le respect des temps de repos du destinataire n’est pas la préoccupation principale.

Enfin déconnexion technique ne signifie ni fin du travail sur écran (clé USB) ni déconnexion intellectuelle : quand une idée nous « travaille », nos neurones n’en font qu’à leur tête.

A l’instar du télétravail, l’hyperconnexion est un phénomène individuel percutant frontalement le collectif… certaines organisations défaillantes réussissant cependant à tourner par ce biais. Elle est par ailleurs contagieuse, a fortiori si elle est le fait de dirigeants. Mais s’ils ne s’en préoccupent pas, le réveil pourrait être brutal.

Il vous reste 31.15% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« C’est le moment ou jamais pour des changements de vie » : quand des jeunes diplômés repensent leur avenir

Si quantité de jeunes adultes ont vécu les différents confinements comme des traumatismes, certains, majoritairement privilégiés et bien diplômés, y ont vu des occasions d’heureux rebonds. C’est le cas des « brécheurs » en quête de sens, inscrits aux programmes en ligne gratuits proposés par La Brèche – une communauté « pour les paumé.e.s qui veulent s’engouffrer dans le monde d’après tout de suite maintenant ». « Cette crise sanitaire, c’est le moment ou jamais pour des changements radicaux de vie », prône ainsi Aurore Le Bihan, l’une de ses fondatrices.

Bien sûr, les confinements n’ont pas provoqué à eux seuls l’envie d’une nouvelle vie. Plutôt qu’un révélateur, les brécheurs parlent d’un « accélérateur » – le contexte étant propice à l’introspection, à la mise à distance d’un quotidien souvent prenant. Les graines de la reconversion étaient déjà là : il a fallu les arroser collectivement.

« Ces jeunes représentent une certaine population, plutôt sans enfant, qui s’est retrouvée soit en télétravail soit au chômage partiel, et qui profite de ce moment pour avancer dans ses questionnements, analyse la sociologue du travail Ludivine Le Gros, rattachée au Conservatoire national des arts et métiers. Ceux-là évoquent une parenthèse enchantée. »

Un « boulot utile »

Depuis son lancement en juin 2020 par l’incubateur de projets sociaux Makesense, La Brèche compte près de 1 500 participants et plus d’une centaine de bénévoles « mobilisateurs ». Un public majoritairement féminin, âgé de 25 à 35 ans. A raison d’un courriel par jour et de réunions Zoom régulières, chacun s’offre deux semaines de réflexion pour « passer à l’action ». Au choix parmi les différentes thématiques : « Faire un job du monde d’après », « quitter la ville », « se déconstruire pour mieux bâtir ».

Horaires à rallonge, stress permanent, perte de sens… De nombreux diplômés, notamment de grandes écoles de commerce, témoignaient déjà, avant-crise, d’une forme de malaise, voire de mal-être, au travail. « Il y avait un terreau, et l’effet de groupe agit ici comme une réassurance, souligne Ludivine Le Gros, dont la thèse porte sur les reconversions des “élites managériales. Avec ce type de programmes, ils partagent des aspirations communes et se disent : je ne suis pas seul et je ne suis pas fou. »

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Reconversions, démissions, lassitude… L’inconnue du retour dans l’entreprise des salariés en chômage partiel

« Pour moi, c’était latent », confirme Elise Cappon, 31 ans. Diplômée d’un master de traduction à l’université de Toulouse-II, la jeune femme a vécu un burn-out juste avant le début de la crise sanitaire. Elle s’occupait, ces trois dernières années, du support informatique de clients anglophones et hispanophones. « J’avais une masse de boulot énorme, raconte-elle. Mon arrêt de travail a commencé le jour du premier confinement. Me retrouver chez moi m’a permis de réfléchir à ce à quoi j’aspirais. »

Il vous reste 73.82% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Le scénario optimiste de sortie de crise du gouvernement sème le doute chez les économistes

Le ministre de l’économie Bruno Le Maire, au ministère de l’économie et des finances de Bercy à Paris, le 15 février 2021.

« La prospérité est au coin de la rue », assurait le président Herbert Hoover en 1929, alors que les Etats-Unis sombraient dans la dépression. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, promet, lui, un rebond vigoureux au sortir de la crise sanitaire. « Je vous dis que c’est une affaire de quelques mois. Je ne peux pas vous dire au mois près si ce sera au mois de juillet, au mois d’août, au mois de septembre, mais regardez la situation actuelle. Aujourd’hui, l’économie française tourne à 95 % », a-t-il affirmé sur RTL, dimanche 4 avril. « Regardez nos résultats à la sortie du premier confinement : nous avons eu 18 % de croissance au troisième trimestre, le taux le plus élevé de l’Union européenne !, avait-il indiqué un peu plus tôt dans un entretien au Journal du dimanche. Croyez-moi, nos fondamentaux sont solides ; nous saurons rebondir. »

Lire aussi : Le troisième confinement national, un nouveau coup dur pour l’économie

L’histoire des crises est parsemée de petites phrases malheureuses passées à la postérité, à l’image du « contre le chômage, on a tout essayé », prononcé par François Mitterand en 1993. Mais la crise du Covid-19 n’est pas comme les autres. « Bruno Le Maire a raison de prendre ce risque, explique Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’IFOP. Les Français sont très inquiets de la situation économique, mais une majorité d’entre eux font confiance au gouvernement pour aider les entreprises en difficulté. Cela n’était pas du tout le cas en 2009, par exemple. » Absorbés par l’épidémie, les Français, pourtant si sévères face aux promesses non tenues de l’exécutif sur le plan sanitaire, ne lui tiennent pas rigueur quand il jure que l’économie va « reprendre de la vivacité, des couleurs » et produire « de belles performances d’ici à la fin de l’année 2021 », comme l’a dit Bruno Le Maire dimanche.

A court terme, toutefois, lesnouvelles mesures de fermeturedes écoles et des commerces non essentiels ont contraint Bercy à revoir ses prévisions pour l’année en cours. La croissance, estimée jusqu’alors à 6 %, est ramenée à 5 %, tandis que le déficit devrait atteindre 9 % du PIB, soit un demi-point de plus que prévu. La dette grimpera à 118 % du PIB, contre 115 % attendus initialement.

Reprise similaire à celle des Années folles ?

S’il préoccupe moins les Français que la vaccination, le calendrier de la reprise de l’activité fait toutefois l’objet d’un vrai débat. Des doutes subsistent sur l’aptitude du pays à rebondir dès cet été, ainsi que sur l’ampleur des dommages non visibles subis par l’économie. L’activité sera-t-elle revenue à la normale au troisième trimestre ? « Ce n’est pas du tout certain, juge Patrick Artus, économiste chez Natixis. Il y aura sans doute encore beaucoup de restrictions au tourisme, par exemple, en particulier si les variants continuent de se diffuser. » Même son de cloche dans l’opposition. « Je ne crois pas à un scénario où, une fois l’écueil [du confinement] passé, la situation économique s’arrangera subitement, affirme le député La France insoumise (LFI) Eric Coquerel. La courbe du chômage ne va pas redescendre aussi vite qu’elle est montée. »

Il vous reste 52.83% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Le rapport qui acte la fin de la croissance folle des plateformes VTC

L’ère de l’ubérisation a-t-elle pris fin ? Partout, par petites touches, sont apparus depuis plus d’un an les signes d’un affaiblissement de l’économie ultralibéralisée des plates-formes numériques de transport de personnes, dont le californien Uber est l’inventeur. Les décisions de régulation des villes ou des Etats se multiplient, les chauffeurs réclament des statuts moins précaires. Dernier épisode en date : au Royaume-Uni, Uber a cédé et accordé le 16 mars à ses chauffeurs d’être des « travailleurs salariés ».

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Statut des chauffeurs VTC : le syndicat INV a saisi le tribunal administratif

Un rapport, publié mardi 6 avril, consacré à l’activité des transports publics particuliers de personnes (T3P), autrement dit les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (VTC), vient confirmer cette impression. Signé par Jean-Charles Simon, économiste, président-fondateur de la société d’études Stacian, le travail de recherche a été réalisé – détail important – à la demande de l’Union nationale des industries du taxi (Unit). M. Simon était déjà auteur, en 2016, d’un rapport sur le même sujet, avec le même commanditaire, mettant en évidence les risques liés à la saturation de ce marché des T3P avec la montée fulgurante des plateformes de VTC.

En 2021, la tonalité du nouveau rapport Simon a changé. L’étude note d’abord le puissant coup d’arrêt de l’activité des T3P : probablement autour des − 40 % en France en 2020, avec des creux à − 90 % pendant le confinement strict du printemps. Surtout, le rapport met en évidence le fait que le secteur a atteint un point de bascule majeur avant même la pandémie. « A l’arrivée du Covid, le secteur des taxis et VTC présentait tous les signes d’un marché en phase de consolidation », résume M. Simon.

Tendance au recul

Pour étayer sa thèse, l’auteur dispose, en France, de peu de chiffres directs. Le rapport fustige d’ailleurs le fait que la transmission de données sur les T3P prévue dans la loi Grandguillaume de 2016 n’est pour le moment pas appliquée. Mais il repère les signaux de ce retournement. Alors que le nombre de chauffeurs de VTC a explosé dans les années 2016-2018 (on est passée de 13 500 inscrits au registre des VTC en 2015 à 47 500 début 2020, contre 18 500 taxis l’an dernier), la préfecture de police indique des hausses inférieures à 10 % à partir de fin 2018.

Pour la première fois, en 2020, les revenus des livraisons ont dépassé chez Uber ceux des VTC

De même, le nombre d’inscrits aux épreuves d’admissibilité taxis-VTC en Ile-de-France était en recul de 2,5 % entre 2019 et 2020, alors qu’il avait augmenté de 53 % entre 2018 et 2019. Quant à la vaste enquête transports de l’Observatoire de la mobilité en Ile-de-France, elle indiquait pour 2019 une stabilisation du ratio des déplacements en T3P : 60 % en VTC et 40 % en taxis.

Il vous reste 46.77% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’Etat vole au secours d’Air France en devenant son premier actionnaire

Avions de la compagnie Air France, le 15 septembre 2014, à l’aéroport d’Orly (Val-de-Marne).

Réuni en urgence un lundi de Pâques, le conseil d’administration d’Air France-KLM a approuvé, lundi 5 avril, les conditions de l’accord passé entre le gouvernement français et la Commission européenne pour une nouvelle aide financière de l’Etat à Air France. Pour participer à la recapitalisation de la compagnie, Paris va ouvrir en grand son porte-monnaie et apporter un nouveau coup de pouce.

Lire aussi Air France va être recapitalisée et obtenir une aide de l’Etat de 4 milliards d’euros

Il y a un an, le gouvernement avait déjà accordé 7 milliards d’euros à la compagnie aérienne sous la forme de deux dispositifs : un prêt garanti par l’Etat (PGE) de 4 milliards d’euros et un prêt d’Etat de 3 milliards d’euros. Selon l’accord intervenu avec Bruxelles, ce prêt d’actionnaire va être transformé en obligations convertibles, des instruments financiers considérés comme des quasi-fonds propres.

En sus, jusqu’à 1 milliard d’euros pourra être apporté en cash en échange d’une montée dans le capital d’Air France. Avec ces nouvelles dispositions, la compagnie ne devra plus rembourser, comme elle s’y était engagée, l’aide de 3 milliards d’euros en quatre ans, mais sur une période beaucoup plus longue. Cette opération se fera à l’occasion d’une augmentation de capital.

Juste sous les 30 %

Comme le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, l’a confirmé, mardi 6 avril, « l’Etat va monter au capital d’Air France-KLM » pour redevenir « le premier actionnaire » de la compagnie, avec une participation pouvant aller jusqu’à 29,9 %. Juste sous les 30 %, pour ne pas avoir à lancer une offre publique d’achat (OPA) sur la totalité du capital. Cette opération se traduira par une recomposition du tour de table du groupe franco-néerlandais.

En février 2019, les Pays-Bas étaient montés de façon surprise et agressive à hauteur de 14 % du capital d’Air France-KLM pour égaler les 14,3 % de la participation de la France au tour de table. Cette fois, les autorités néerlandaises ont indiqué qu’elles ne suivraient pas la future augmentation de capital. De même, l’américaine Delta Airlines, qui détient 8,8 % du capital, a fait savoir qu’elle ne participerait pas non plus à l’augmentation de capital. Seule China Eastern, qui possède aussi 8,8 % des parts, a indiqué qu’elle participerait à l’opération, mais que sa participation future sera « strictement inférieure à 10 % du capital social ».

Lire aussi Air France-KLM : Paris et La Haye calment le jeu

Si Bruxelles a donné son feu vert à la recapitalisation, la Commission européenne a posé ses conditions. Elle a obtenu qu’Air France abandonne 18 « slots », des créneaux de décollages et d’atterrissages quotidiens, à Orly et à Roissy. Ces contreparties ont fait l’objet de négociations acharnées entre Paris et Bruxelles. A l’origine, la Commission européenne exigeait d’Air France qu’elle abandonne 24 slots quotidiens, comme elle l’avait demandé à l’allemande Lufthansa pour valider un plan d’aide financière.

Il vous reste 51.67% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.