Archive dans avril 2021

La purge se poursuit à Canal+

Le logo de la chaîne Canal+.

Chez Canal+, la chasse aux sorcières ne connaît pas de répit, après l’éviction brutale de Sébastien Thoen cet hiver. Vendredi 30 avril, la direction de l’opérateur de télévision payante a présenté devant le Comité social et économique (CSE) le projet de licenciement pour motif « disciplinaire » de Solange Tricaud, indique au Monde un témoin.

La journaliste est membre de la société des journalistes (SDJ). Elle faisait partie des salariés à l’initiative de la pétition interne signée par 150 journalistes pour protester contre le licenciement de Sébastien Thoen, coupable, aux yeux de la direction, d’avoir participé à un sketch parodiant Pascal Praud, animateur star de CNews, la chaîne d’informations de Canal+.

Selon nos informations, la direction de Canal+ reproche à la journaliste des fuites reprises dans un article des Jours, publié le 31 mars, et relatant le contenu d’une réunion intervenue le 24 mars entre la SDJ et quatre dirigeants de Canal+ : le directeur général, Frank Cadoret, le patron des antennes, Gérald-Brice Viret, le patron des sports, Thierry Cheleman, et son adjoint, Didier Lahaye.

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La SDJ avait sollicité cette rencontre, afin d’avoir des explications sur les scènes disparues au montage du documentaire, Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste, de Marie Portolano, et qui mettait Pierre Ménès en accusation. Vendredi 30 avril, pendant trois heures, la direction, notamment représentée par Gérald-Brice Viret, a détaillé les griefs retenus contre la journaliste, s’appuyant « sur une note de deux pages ».

« Violation de la confidentialité »

L’article « dont les propos sont rapportés, décrivant même certaines de leurs attitudes physiques durant la réunion, établit sans aucun doute possible la violation de la confidentialité et de l’engagement pris par Mme Tricaud », indique le document dont Le Monde a pris connaissance. Sans toutefois donner de preuves concrètes prouvant que Solange Tricaud est bien à l’origine des informations de l’article des Jours.

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« Ils n’ont rien démontré du tout », relate un représentant du personnel. « Ils étaient six à cette réunion. Comment prouver que c’était eux. Par ailleurs, Solange Tricaud, en tant que membre de la SDJ, avait fait un compte rendu de cette réunion devant 80 personnes », indique un autre. L’accusée elle-même s’est défendue de façon véhémente lors du CSE de vendredi, assurant qu’ils n’avaient pas le début d’une preuve, rapporte un témoin. Cette « démonstration [qui] se voulait sans faille » n’a donc pas convaincu le CSE, qui, « à l’unanimité, s’est prononcée contre le licenciement de la journaliste ».

Plusieurs lettres de licenciement

L’avis des représentants des salariés n’est rendu qu’à titre informatif. En revanche, la chaîne devra obtenir l’aval de l’inspection du travail pour mener ce licenciement. Mme Tricaud n’est pas la seule à faire les frais du courroux des dirigeants de Canal+.

Ces derniers ont décidé de licencier également un autre journaliste, qui était également présent à la réunion du 24 mars. Mais le cas de ce dernier, non élu, n’a pas été présenté en CSE. Interrogé, Gérald-Brice Viret ne « fait pas de commentaire sur les procédures en cours ».

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Depuis le début de la crise déclenchée par le sketch de Sébastien Thoen, qui s’est poursuivie par l’éviction du commentateur sportif Stéphane Guy et par une pétition, « entre cinq et six salariés » auraient reçu des lettres de licenciement. « On pense que c’est plus, mais que la direction n’envoie plus de lettres pour éviter les fuites et essaie de régler cela à l’amiable », confie un élu.

« La pénurie de main-d’œuvre guette la reprise » de l’après-Covid

Le président de la République, comme il en a maintenant l’habitude, a réglé à nouveau les pendules de notre vie sociale et économique. Bars et restaurants n’ont désormais plus en tête que le 19 mai, date de la réouverture des terrasses. Il faut, d’ici là, faire le ménage, renouveler les stocks de bière et… rappeler au travail les troupes dispersées. Celles qui ont eu la chance de bénéficier du chômage partiel reviendront. Pour les autres, indépendants, saisonniers, et tous ceux qui ont trouvé une autre occupation, ce sera plus difficile. Peu perceptible encore en France, c’est déjà une réalité aux Etats-Unis ou en Grande Bretagne : la pénurie de main-d’œuvre guette la reprise.

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Le 5 avril, la compagnie aérienne Delta annonçait avoir été contrainte d’annuler 100 vols par manque de personnel. L’hebdomadaire The Economist raconte que certains restaurants McDonald’s des Etats-Unis sont allés jusqu’à donner un chèque de 50 dollars (41 euros) à tous les candidats qui voudraient bien se présenter à un entretien d’embauche. Les vacances de postes dans le pays seraient à leur plus haut niveau depuis vingt ans.

Même constat en Grande Bretagne. Le groupe Pizza express n’a pas rouvert ses 1 000 restaurants, mais il peine déjà à recruter les 1 000 employés dont il a besoin. Dans Londres, les pubs recherchent des serveurs disparus. Pourtant, le secteur a perdu 355 000 emplois dans la crise sanitaire, dont la moitié de personnes de moins de 25 ans. C’est la raison pour laquelle le gouvernement britannique a lancé son « kickstart scheme », une aide à l’emploi qui finance six mois de salaire d’un jeune embauché, pourvu qu’il ait entre 16 et 24 ans. Les restaurateurs se sont rués sur cette aubaine et les offres ont explosé.

Le mal s’est étendu

Mais où sont donc parties ces armées de dociles serveurs, plongeurs et cuisiniers ? Beaucoup d’étrangers sont repartis dans leur pays, d’autres ont changé de métier. Nous ne sommes donc pas au bout de nos surprises sur ce fameux monde d’après, étrangement marqué du sceau des pénuries en tout genre.

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Ce sont les constructeurs automobiles qui ont sonné l’alarme les premiers en constatant qu’ils ne parvenaient plus à se fournir en puces électroniques pour piloter leurs bolides. Puis le mal s’est étendu. La machine industrielle, en reprenant de la vigueur, s’est mise à manquer de tout, de composants comme de matières premières, et maintenant de main-d’œuvre. Le blocage du canal de Suez durant une semaine, en mars, n’a rien arrangé. Ford a annoncé ce jeudi 29 avril qu’il s’attendait à perdre 50 % de sa production du fait des pénuries de puces.

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1er-Mai : les syndicats réinvestissent la rue

Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, à l’Elysée, le 29 avril.

Cette année encore, le 1er-Mai est placé sous le signe de la crise sanitaire. Mais, contrairement à l’édition 2020, les traditionnels défilés pour la Journée internationale des travailleurs sont autorisés. La CGT, Force ouvrière, la FSU et Solidaires appellent à battre le pavé, samedi, afin de défendre « les droits sociaux et les libertés ». La CFDT, de son côté, propose un temps d’échange sur Facebook avec son secrétaire général, Laurent Berger.

Les mesures prises depuis le début de l’épidémie de Covid-19 ont mis à l’épreuve les syndicats : effritement du lien avec les salariés placés en chômage partiel ou convertis au télétravail, raccourcissement des délais pour consulter les représentants du personnel dans les entreprises, restrictions au droit de manifester et de se rassembler dans l’espace public… « La période a été difficile, car notre action repose sur le contact, la relation, souligne Cyril Chabanier, le président de la CFTC. Il nous a fallu procéder différemment, en l’espace de quelques jours, et nous avons parfois eu un mal fou à le faire. »

« Nous avons fait preuve d’inventivité »

Soudainement soumises à des contraintes inédites, les confédérations ont dû s’adapter. Et elles considèrent qu’elles y sont parvenues. « Nous avons fait preuve d’inventivité », confie Philippe Martinez, le leader de la CGT, en évoquant, par exemple, la mise en place de numéros d’appel gratuits destinés à informer les travailleurs dans ce contexte d’urgence sociale. En interne, il a fallu se familiariser avec les réunions en visioconférence et remanier le fonctionnement des instances « pour que le syndicat ne s’arrête pas », complète Yves Veyrier, le dirigeant de FO.

Même si les troupes sont « un peu rincées », elles ont rempli leur mission, aux yeux de M. Berger. « On a été à la hauteur, on a obtenu des choses qui n’auraient pas été accordées si les organisations de salariés n’avaient pas été là », assure-t-il, en observant que celles-ci se sont « recentrées sur l’essentiel, la vie concrète ». « On s’en sort mieux que je ne le craignais, renchérit François Hommeril, le président de la CFE-CGC. Dans beaucoup d’endroits, au moins dans les esprits, la situation que nous avons vécue a rapproché les salariés des syndicats : ils ont vu tout le boulot qui était effectué. » M. Martinez, lui, met en exergue les efforts déployés par ses militants pour aller au-devant des salariés des très petites entreprises et des travailleurs des plates-formes numériques. Efforts couronnés d’un certain succès, d’après lui, ce qui prouve que les organisations de salariés « font référence » et « sont utiles ».

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La rédaction de « 20 Minutes » en grève contre des suppressions d’emplois

La quasi-totalité de la rédaction du quotidien 20 Minutes s’est mise en grève, jeudi 29 avril, pour protester notamment contre des suppressions d’emplois décidées récemment par la direction du journal gratuit. « Plus de 90 % des journalistes de la rédaction », soit 71 des 77 journalistes présents jeudi, ont voté « une journée de grève pour protester contre les suppressions et non-remplacements de postes décidés de façon opportuniste et erratique par la direction ces derniers mois », expliquent les grévistes dans un communiqué. L’édition numérique du journal ne paraîtra donc pas vendredi, jour où les salariés grévistes poursuivront leur mouvement, ont-ils voté jeudi soir en assemblée générale.

Un plan de licenciement collectif prévoit « six licenciements dont deux à la rédaction » sur un total de 207 salariés, a précisé Hakima Bounemoura, déléguée syndicale CFDT, dont le syndicat soutient le mouvement, avec les élus du CSE. Contactée par l’Agence France-Presse (AFP), la direction du journal gratuit n’a pas fait de commentaires.

Quelque 80 % de la rédaction du quotidien gratuit avait voté, le 12 mars, une motion de défiance contre la direction, après l’annonce de suppressions de postes et d’un recours élargi au chômage partiel. Selon Hakima Bounemoura, la direction du journal ne pense qu’à « économiser, tailler dans les effectifs et les charges fixes sans chercher à trouver de nouvelles solutions pour essayer de rebondir ».

Le journal, filiale du quotidien régional Ouest-France et de l’éditeur de presse belge Rossel, a été fortement fragilisé par la crise sanitaire, du fait notamment de la chute du marché publicitaire. Dernière décision en date qui a cristallisé les tensions : « un déménagement du siège dans des locaux plus petits qui ne peuvent accueillir que 60 % des salariés parisiens. Alors même qu’aucun accord de télétravail n’a encore été négocié », explique la rédaction en grève. « La perspective d’un déploiement du “flex-office” inquiète fortement » et « contribue à la dégradation des conditions de travail », ajoutent les journalistes. « Le dialogue social au sein de l’entreprise est devenu complètement délétère », estiment-ils, appelant le PDG du quotidien à « ouvrir un dialogue avec les élus » sur la base de leurs revendications.

Créé en 2002, 20 Minutes s’est fortement développé sur le numérique et revendique un total de 23 millions de lecteurs par mois, dont 15 millions sur mobile, et près de 3 millions de lecteurs par jour pour ses éditions imprimées. Le média gratuit cible les actifs urbains de 15 à 49 ans, notamment dans les transports en commun et en mobilité. Sa diffusion a pâti des restrictions de déplacement liées à la crise sanitaire.

Le Monde avec AFP

Jean Latreille : « Le revenu universel ne nous fera pas moins travailler, au contraire »

Tribune. C’est officiel : le revenu universel (RU) n’est plus un gadget socialiste. La preuve : The Economist, le très distingué hebdomadaire britannique, en a fait la « une » de son édition du 2 mars (traduit dans Courrier international n° 1588, 8 au 14 avril 2021). Les « indemnités Covid », très largement versées dans les pays riches, l’ont remis pour quelque temps à l’agenda politique.

Projet utopique pour les uns, cauchemar pour les autres, les adversaires du RU tournent leurs regards depuis l’origine dans la même direction : vers le « surfeur de Malibu » ! C’est avec cette figure emblématique du parasite social américain que John Rawls, philosophe de la justice sociale, avait interpellé son jeune collègue belge Philippe Van Parijs, farouche défenseur du revenu universel. La question posée était la suivante : le RU va-t-il détourner de la saine obligation de travail rémunéré des cohortes entières d’enfants gâtés de la société de consommation en leur permettant de sauter sur l’occasion pour ne plus jamais rien faire d’utile socialement ?

Odieuse injonction

Car le système marchand est fait pour que l’on travaille pour lui à plein temps. C’est à cette obligation que Margaret Thatcher (1925-2013) [première ministre du Royaume-Uni de 1979 à 1990] faisait allusion en rappelant aux chômeurs les paroles de saint Paul : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus. » Cette injonction au travail était odieuse de la part de quelqu’un qui pensait que le chômage est toujours volontaire, et qu’il ne pouvait être que la conséquence de la volonté individuelle de crever joyeusement de faim plutôt que de travailler.

En fait, le système marchand et le marché du travail rémunéré ne nous ont jamais laissé d’autre choix que de participer au grand cirque des créations de valeurs prédatrices de ressources et destructrices du climat. Ce fut notre malédiction. Et cela pourrait rester celle des générations à venir si l’on ne faisait rien pour changer les règles du jeu.

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Or, l’une des règles les plus importantes du jeu économique – augmenter les ressources de l’efficacité productive – est en passe de changer inexorablement. Si nous voulons éviter la catastrophe climatique, nous devrions réduire l’usage des ressources fossiles au maximum. Avec cette conséquence automatique : la productivité du système va connaître une lente et inexorable décrue.

La science économique ne s’appuie pas sur un grand nombre de lois, mais il en est une qui est incontestable : quand la productivité diminue, le travail augmente. C’est pour cela que le revenu universel ne nous fera pas moins travailler. Il nous faudra au contraire travailler plus, en sachant être innovants pour rendre le travail enfin agréable, et en nous appuyant sur les low-tech. La réduction nécessaire et inévitable de la productivité qui nous attend, avec la mise au placard des énergies fossiles, va nécessiter une mobilisation inédite et inattendue, en réalité, de nos forces vives, désireuses de manger et de vivre bien, et prêtes pour y parvenir à « mettre la main à la pâte ».

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Aides à domicile : le privé veut une harmonisation avec le secteur associatif

Hausse historique ou traitement de faveur ? En annonçant une augmentation de 13 % à 15 % au 1er octobre 2021 des salaires des personnels qui interviennent auprès des personnes âgées dépendantes ou handicapées, Brigitte Bourguignon avait déclaré le 1er avril : « Jamais nous n’avons été aussi loin dans la revalorisation des métiers de l’aide à domicile. » En réalité, cette évolution ne concerne que le secteur associatif, soit quelque 154 000 postes. La ministre déléguée chargée de l’autonomie se voit reprocher par les entreprises commerciales du secteur – qui revendiquent environ 111 000 salariés auprès des « publics fragiles » – de créer une « distorsion de concurrence salariale » alors qu’elles « peinent déjà à recruter ».

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« Le gouvernement a voulu éteindre, à peu de frais, l’incendie dans les rangs des aides à domicile, traitées comme les dernières de corvée durant la crise sanitaire, se désole Antoine Grézaud, directeur général de la Fédération du service aux particuliers (FESP). En n’intégrant pas les entreprises privées dans son équation, l’équipe Bourguignon n’aura fait que souffler sur les braises. »

« Pas de marges suffisantes »

Un mauvais procès selon le cabinet de cette dernière. « Ce qu’on reproche à la ministre, s’agace-t-on au ministère, c’est d’avoir fait son boulot ! » La branche associative a signé, en février 2020, un avenant à sa convention collective en vue d’une remise à niveau salariale de 13 % à 15 %. Mais l’avenant doit être agréé par l’Etat pour s’imposer aux employeurs. Mme Bourguignon a pris l’engagement d’accorder l’agrément d’ici fin mai. Tutelle et financeurs, services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD), les départements vont verser aux structures qui ont un statut associatif une dotation spécifique pour couvrir la hausse des salaires au terme de l’avenant. Le coût serait de 300 millions d’euros pour les départements. Mme Bourguignon a proposé que l’Etat prenne en charge 50 % de la somme via les 200 millions d’euros inscrits dans la loi de financement de la protection sociale (PLFSS) pour 2021.

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Plusieurs départements ont déjà annoncé qu’ils mettraient la main à la poche : le Maine-et- Loire, le Morbihan, le Rhône… « Jamais aucun gouvernement depuis celui de Lionel Jospin n’avait fait autant pour les aides à domicile que celui de Jean Castex avec Brigitte Bourguignon », se félicite Julien Mayet, président de l’Union syndicale de la branche du domicile (USB), au nom du secteur associatif. « Il est évident que la revalorisation des salaires du secteur associatif va majorer nos rémunérations par rapport au privé. Mais personne, ajoute-t-il, n’empêche le secteur privé d’augmenter les salaires… »

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« Ils en ont marre » : après un an de crise sanitaire, les travailleurs font face à un certain abattement

Dans quel état d’esprit sont les travailleurs après un an de crise sanitaire ? Alors que la France vit un troisième confinement, l’institut Kantar, mandaté par la CFDT, a posé la question à 1 000 personnes, issues du public et du privé, et interrogées du 12 au 20 avril selon la méthode des quotas. « Ils en ont marre et sont fatigués psychologiquement », résume Emmanuel Rivière, qui dirige la division Public du cabinet d’études. Sans surprise, c’est le principal enseignement de cette enquête, que Le Monde a pu consulter en exclusivité et qui intervient après une précédente édition en mai 2020.

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Un an plus tard, la quasi-totalité des personnes interrogées travaillent (91 %) quand elles n’étaient que 67 % lors du premier confinement. A l’époque, 17 % avaient totalement basculé en chômage partiel, ils ne sont plus que 5 % aujourd’hui. Parmi les travailleurs qui continuent leur activité, les deux tiers se rendent exclusivement dans leur entreprise tandis que les autres, principalement des cadres, sont soit en télétravail toute la semaine, soit alternent entre l’entreprise et le domicile.

« Lassitude », « patience » et « inquiétude »

Mais, après plus d’un an de contraintes dues à l’épidémie de Covid-19, un certain abattement s’est installé. Les sondés définissent leur état d’esprit principalement avec trois mots : « lassitude », « patience », « inquiétude ». Parmi eux, 61 % estiment que l’état psychologique de leurs collègues s’est détérioré et ils sont 53 % à avoir ce sentiment à titre individuel. C’est particulièrement vrai chez les professions intermédiaires, les employés et les cadres. Les raisons invoquées sont multiples mais révélatrices de la période actuelle : « l’angoisse face à l’avenir incertain », « la dégradation ou diminution des interactions sociales » ou encore « l’isolement du fait des mesures sanitaires ». Trois réponses qui arrivent devant « l’inquiétude face au risque de contamination ».

Une majorité de ceux qui ont une activité (54 %) dit n’avoir pas vu ses conditions de travail changer mais 29 % des autres, notamment les cadres, soulignent une détérioration. Cette dégradation est aussi décrite par les personnes employées dans un établissement recevant du public ou qui exercent en extérieur. A noter également que 46 % des personnes interrogées, notamment parmi les ouvriers et dans les petites entreprises, indiquent avoir subi une baisse de salaire ou en anticipent une dans les mois à venir.

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Le coaching appartient au futur

Livre. Pourquoi un nouveau livre sur l’accompagnement et le coaching ? Parce que, loin d’être un simple effet de mode, le coaching est une tendance de fond, même si « on ne sait toujours pas exactement ce qu’on met derrière ce mot », regrette Evelyne Deret, la responsable de formation des formateurs à l’université Paris-Dauphine, qui a coordonné De l’accompagnement au coaching en entreprise (Erès).

« De l’accompagnement au coaching en entreprise », coordonné par Evelyne Deret. Editions Erès, 240 pages, 20 euros.

L’ouvrage est le résultat de deux décennies d’échanges. Depuis 1996, au sein de l’association AD Coach, une équipe de professionnels actifs se réunit régulièrement pour partager perceptions et analyses quant aux évolutions des métiers et de l’accompagnement. Ils pratiquent dans différents secteurs d’activité pour des profils variés : équipes de direction, salariés d’entreprises, d’administrations, d’associations, d’organismes de formation, cadres, etc.

Le livre s’adresse aux spécialistes de la pratique, ainsi qu’à tous les esprits curieux désireux de connaître l’univers de l’accompagnement en général, et plus spécifiquement celui du coaching. Il présente les multiples facettes de l’activité, « sans omettre des points de vue critiques et en envisageant ses évolutions probables et souhaitables ».

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Initialement réservé au domaine sanitaire et social, le terme d’accompagnement s’est généralisé à tous les secteurs d’activité. Se faire guider, suivre, chaperonner devient de plus en plus naturel, que ce soit en lien avec une institution ou à titre personnel. Pour autant, le coaching n’est « en rien une formule magique, à laquelle chaque institution ou chacun d’entre nous devrait recourir. Mais au-delà d’un engouement parfois surprenant, le recours au coaching est une réponse à des besoins profonds de nos sociétés ».

Légitimité et légitimation

Après un premier chapitre rappelant le contexte historique et social favorable à l’émergence de l’accompagnement, les auteurs reviennent sur les pratiques diversifiées du coaching, et ce qui le structure. Une de ses spécificités est qu’« il n’hésite pas à s’inscrire dans une certaine forme de subversion », en testant les limites du chemin emprunté par le coaché, en en questionnant la raison d’être, et la possibilité d’envisager d’autres voies.

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L’ouvrage évoque aussi les modes de légitimité et de légitimation des coachs, et propose une réflexion prospective sur le futur de leur travail et sa professionnalisation. Son ambition est de « contribuer, à plus long terme, à l’élaboration d’une véritable politique de l’accompagnement, à la hauteur de la mondialisation à la fois économique et sociétale, de plus en plus profonde et radicale ».

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En Isère, les ouvriers de FerroPem veulent sauver leur usine

Devant l’usine FerroPem des Clavaux, à Livet-et-Gavet (Isère), le 19 avril 2021.

Lorsque Xavier Millan a découvert, à la fin du mois de mars, son licenciement et celui de l’ensemble des 128 autres ouvriers de l’usine FerroPem des Clavaux, située à Livet-et-Gavet (Isère), au sud de Grenoble, l’agent de fabrication assure être « tombé de très haut ». Aux yeux de ce père de famille de 39 ans, qui a grandi et travaille au pied des pentes abruptes de la vallée de la Romanche, sur cet immense site de production de silicium chimique, les arguments avancés par le groupe hispano-américain Ferroglobe – la maison mère de FerroPem – pour justifier leur éviction ne passent pas. C’est un « coup monté », s’indigne-t-il. « Ils veulent nous faire croire qu’elle est à genoux. C’est inadmissible. »

Pour expliquer la mise en sommeil de son usine iséroise et de celle de Château-Feuillet, en Savoie, ainsi que le licenciement de 350 ouvriers sur un total d’un millier d’employés en France, Ferroglobe, qui a perdu près de 74 millions d’euros en deux ans, s’appuie sur le défaut de compétitivité de ses sites. Mardi 13 avril, la direction a enclenché la procédure de licenciement, ouvrant la voie à de premières négociations avec les syndicats début mai.

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Comme Xavier Millan, ouvriers et responsables syndicaux des Clavaux soutiennent que la rentabilité de cette usine centenaire, nichée au cœur d’une vallée en pleine désindustrialisation, n’a pas été jugée équitablement. Ils affirment que l’examen de sa compétitivité, effectué sur les trois derniers exercices, a été faussé par la prise en compte de la production réalisée chaque année de janvier à mars – lorsque le prix de l’énergie est le plus élevé –, alors que les autres usines de FerroPem étaient temporairement à l’arrêt.

« On est les dindons de la farce »

« La conséquence, ce sont des coûts de revient supérieurs de 200 euros », analyse Sébastien Manca, le responsable des produits finis. Le quadragénaire explique que les fours des Clavaux ont été les seuls à fonctionner sans interruption durant cette période pour absorber les commandes. « On a joué les élastiques pour entretenir les relations du groupe avec ses clients. Aujourd’hui, on est les dindons de la farce », peste-t-il, évoquant l’objectif dissimulé de la direction « d’embaucher de la main-d’œuvre à moindre coût ».

« Le problème n’est pas structurel, mais conjoncturel. On est un dommage collatéral du Covid », s’indigne de son côté Mourad Moussaoui, le délégué syndical central FO de FerroPem. Le responsable syndical déplore que « l’usine ait été jugée sur ses faiblesses à un instant T » et enjoint à sa direction d’instaurer le chômage partiel de longue durée ou d’ouvrir la porte à une reprise. « Si on est si peu compétitifs, quel risque prend-elle à nous vendre ? », s’interroge-t-il.

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Des manifestants mobilisés contre la fermeture du dernier site français de recyclage papier

Fumigènes, banderoles, des mannequins en bois portant gilets de sécurité et pancartes « SOS » ont été lancés dans la Seine.

Une centaine de papetiers en France se sont donné rendez-vous au pied de Bercy, à Paris, mercredi 28 avril, pour réclamer l’aide de l’Etat contre la délocalisation du dernier centre de recyclage de papier situé dans la banlieue de Rouen. « Sauvons la Chapelle Darblay ! » : le collectif Plus jamais ça !, qui regroupe syndicats et associations, a appelé à une « action de désobéissance » tôt jeudi matin pour avoir l’oreille du ministre de l’économie, Bruno Le Maire.

Fumigènes, banderoles, mannequins en bois portant gilets de sécurité et pancartes « SOS » de la CGT, FSU, Solidaires, de Greenpeace et d’Attac ont été lancés dans la Seine. « On a besoin d’appuyer plus fort pour sauver la Chapelle Darblay. Ce combat représente l’avenir de l’industrie en France, cette usine représente un tiers du recyclage du papier français », a expliqué le délégué syndical de la CGT, Cyril Biffault, devant une grande banderole tendue sur le quai de Bercy proclamant « pour qu’industrie rime avec écologie ».

Sans repreneur depuis sa mise en vente en 2019 par le géant finlandais du papier UPM, l’usine Chapelle Darblay de Grand-Couronne (Seine-Maritime) est maintenue en état de marche jusqu’au 15 juin, date à laquelle les machines seront envoyées sur un nouveau site en Amérique du Sud, selon le collectif.

« On a une usine qui (…) conjugue industrie et écologie avec des salariés compétents et on a un propriétaire qui refuse de vendre, alors qu’il y a des repreneurs. Et un Etat qui nous dit : “si le propriétaire ne veut pas vendre, qu’est-ce que vous voulez que je fasse ?” Donc ce qu’on exige de Bercy, de M. Le Maire (…) c’est qu’ils disent par écrit : “oui, on s’engage à la réouverture du site dans les plus brefs délais” », a complété le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez.

Après presque quatre heures de présence, Greenpeace France a regretté dans un tweet que le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, et son homologue déléguée à l’industrie, Agnès Pannier-Runacher, « refusent » de les recevoir. « Ma porte est ouverte aux organisations syndicales. Je regrette que la main tendue ce matin ait été refusée », a répondu un peu plus tard sur Twitter Mme Pannier-Runacher.

« Symbole d’économie sociale et solidaire »

La Chapelle Darblay, où 228 personnes ont été licenciées en 2020, représente un « symbole d’économie sociale et solidaire », selon Greenpeace. « Il y en a marre des belles paroles sur la transition écologique et sociale. Si ce gouvernement veut être crédible, qu’il commence par sauver cette usine de Chapelle Darblay, a déclaré la porte-parole d’Attac, Aurélie Trouvé. On attend aujourd’hui un engagement concret et ferme [de Bercy]. Tant qu’on n’a pas cet engagement, on reste là. » « Il faut être attentifs à la reprise du site industriel, on veut que Bruno Le Maire s’implique, il est capable de peser sur le choix du repreneur », a fait savoir la directrice générale d’Oxfam France, Cécile Duflot.

Le collectif est né en mars 2020 avec la publication d’une tribune signée notamment par Les Amis de la Terre, Attac, la CGT, la Confédération paysanne, la FSU, Greenpeace, Oxfam, l’union syndicale Solidaires, se donnant pour objectif de « reconstruire ensemble un futur écologique, féministe et social » face au « désordre néolibéral ». Une réunion des antennes locales du collectif en vidéoconférence est prévue les 28 et 29 mai, selon la CGT.

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Le Monde avec AFP