Incarcérée depuis juin à Téhéran la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah a entamé le 25 décembre une grève de la faim et de la soif. Jean-François Bayart et Béatrice Hibou, piliers de son comité de soutien, lancent un cri d’alarme dans une tribune au « Monde ».
Cela vient comme un cri du cœur : «On a été et on est toujours naïfs et romantiques. On pensait qu’une direction du théâtre devait être une direction artistique. » Marie-José Malis, nommée en 2014 à la tête du Théâtre La Commune, à Aubervilliers, déchante. Le combat qui l’oppose depuis plus d’un an à la chef de la billetterie, déléguée syndicale, et une partie de l’équipe nommée par son prédécesseur, Didier Bezace, n’en finit pas de plomber l’ambiance. «Là-dessus, il faut le dire, on n’a pas été très bons. On vient des compagnies. Habitués au bricolage, on s’est pris un effet de réel », convient la metteuse en scène.
De Béthune à Dijon, metteurs en scène remarqués, ils ont débarqué dans les Centres dramatiques nationaux – consacrés à la création théâtrale –, en pensant toucher le Graal : un lieu et des moyens pour faire exister leur travail à grande échelle au service du plus grand nombre ! Ils ont découvert des entreprises lourdes à manœuvrer, à l’outil souvent obsolète ou à rénover, et aux subventions en berne. Après Rodrigo Garcia à Montpellier, c’est Philippe Quesne qui a jeté l’éponge, annonçant en juillet son départ de Nanterre pour la fin de l’an prochain.
Résultat, à Aubervilliers comme partout, les avocats en droit du travail, les consultants en ressources humaines et les maisons d’audit (Technologia, La Belle Ouvrage, PK Consultants) sont désormais sur le devant de la scène… Un marché qu’on n’imaginait pas hier. Psychologues, médiateurs, cursus et plates-formes de formation font désormais partie du paysage. «En bout de chaîne, c’est autant d’argent que les artistes n’auront pas », soupire la directrice de théâtre épuisée. La formule est dans l’air du temps : « souffrance au travail » à tous les étages.
Micha Ferrier-Barbut est consultante en management. Présidente de l’association Le Pacifique, le centre de développement chorégraphique national de Grenoble, elle a codirigé en 2017 un petit opus qui a fait débat dans le milieu, La Gestion des ressources humaines dans le secteur culturel(Territorial éditions). «C’est un secteur pour qui le capital humain est longtemps resté un impensé, explique-t-elle. Ces structures se sont construites sur une sorte de militance – laquelle est de moins en moins vraie –, avec des formes d’organisation très hiérarchisées. Pas toujours nommées d’ailleurs, mais des hiérarchies symboliques très élevées. »
Se livre ainsi en coulisse un combat à couteaux tirés entre la liberté de création et le droit du travail. D’un côté, des artistes patrons défendant la révolution permanente sur le plateau, apanage de l’art, dont la mission est de faire bouger les lignes et d’interroger les marges. De l’autre, des salariés, politisés, cultivés – plus que la moyenne des actifs –, aspirant à une forme de réalisation personnelle, où l’attachement à ces structures implique « une gestion particulière, comme le suggère un consultant. Au risque de voir l’émotivité transformer le conflit social en des clivages de personnes». Et, pour couronner le tout, derrière l’ensemble, les fantômes très actifs des « hiérarchies symboliques» antérieures – qui, aux temps bénis des vaches grasses, ont pu acheter la paix sociale facilement.
Après six mois et six jours sur le piquet de grève devant l’agence Chronopost d’Alfortville, Sekou, Demba et sept autres travailleurs sans-papiers, qui déchargeaient les camions de colis de l’opérateur, sont soulagés. Ils ont obtenu, le 17 décembre, leur « admission exceptionnelle au séjour » en France, indique la préfecture du Val-de-Marne. Ils sont donc régularisés. Venus d’Afrique, ces travailleurs avaient été recrutés, racontent-ils, en présentant les papiers d’un ami ou d’un cousin en règle, un « alias », par Mission intérim, une société de travail temporaire à Créteil, pour le compte d’un sous-traitant de Chronopost, Derichebourg.
Un montage en cascade « qui dilue les responsabilités et permet d’exploiter les sans-papiers », estime Christian Schweyer, animateur du collectif des sans-papiers de Vitry (Seine-et-Marne), une ville voisine, qui soutient ce combat. Ces neuf régularisations viennent s’ajouter à celles obtenues par cinq de leurs collègues début décembre. « Je suis content, sourit Demba, un travailleur sénégalais régularisé, mais pas à 100 %. » Car 13 autres travailleurs sont encore dans l’attente. Alors la lutte continue.
Une lutte très visible à Alfortville. De part et d’autre du trottoir qui longe le site de Chronopost, la filiale de La Poste qui livre des colis express, des dizaines de tentes vertes sont alignées, recouvertes de bâches bleues. A un bout du camp se trouvent quatre Sanisettes, financées par la mairie d’Alfortville (PS). A l’autre bout, un barnum chauffé en cas de besoin, fourni par le conseil départemental (PCF). Ils sont environ 120 sans-papiers à vivre sur place, dont 27 qui affirment avoir travaillé sur le site de Chronopost.
« Toutes les heures n’étaient pas payées »
Même régularisé, Sekou, un Malien de 29 ans qui a travaillé vingt mois chez Chronopost entre 2016 et 2018, « ne veu[t] pas quitter le camp tant que la situation des 13 autres n’est pas débloquée. Il est plus important d’obtenir des papiers que d’avoir un travail sans papiers », estime-t-il.
A partir de 3 heures 30 ou 4 heures 30 du matin, jusqu’à 7 heures 30, ils déchargeaient les camions chez le logisticien. « Il fallait aller le plus vite possible », raconte l’un d’eux. Mais le 11 juin 2019, ils ont dit stop. Stop à leur précarité, qui permettait aux chefs d’équipe de « leur mettre la pression en permanence, sous la menace de les remplacer par d’autres sans-papiers », ajoute M. Schweyer. « Toutes les heures n’étaient pas payées, raconte Demba. Mais si tu réclames, tu es viré. »
Des apprentis dans l’établissement des Compagnons du tour de France, à Saint-Thibault-des-Vignes, près de Paris, le 18 avril. STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
La France s’est elle – enfin – convertie à l’apprentissage ? Longtemps boudé dans l’Hexagone, ce mode de formation, où alternent périodes de cours et d’autres en entreprise, séduit de plus en plus. En juin, 458 000 jeunes étaient en apprentissage, un record. Au premier semestre 2019, le nombre de contrats de ce type a augmenté de 8,4 % par rapport à 2018, qui était déjà une excellente année, selon les chiffres du ministère du travail.
« Nous pouvons espérer battre d’autres records cette année », affirmait le ministère, lors d’un bilan de mi-parcours rendu public en septembre. A cette date, 172 540 nouveaux contrats avaient été signés depuis le 1er janvier, le chiffre le plus élevé depuis 1993. Un signal positif, alors que la réforme contenue dans la loi du 5 septembre 2018, dite « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », qui modifie profondément l’organisation de l’apprentissage en France, va entrer pleinement en vigueur au 1er janvier 2020.
Dans les grandes écoles
A quoi est dû ce succès inédit des formations en alternance ? Les campagnes de communication menées ces dernières années à l’initiative du gouvernement ont, sans aucun doute, porté leurs fruits. Le volontarisme politique de certaines régions, qui tiennent – encore pour quelques jours, jusqu’au 1er janvier, date à laquelle les branches professionnelles prendront le relais – les cordons de la bourse, également. Mais, selon l’économiste Bertrand Martinot, expert des questions d’emploi, c’est surtout à la croissance économique et aux tensions sur le marché du travail que l’on doit cet engouement. « Les entreprises ont d’énormes problèmes de recrutement, rappelle-t-il, et voient dans l’apprentissage une option intéressante pour trouver de la main-d’œuvre. »
Mais derrière cet engouement, l’apprentissage semble de plus en plus éloigné de sa cible initiale, celle des jeunes les moins qualifiés, dont les difficultés d’accès au marché du travail sont les plus grandes. « La hausse globale du nombre de contrats cache de fortes disparités : on va se rendre compte que la progression est de 15 % pour les étudiants du supérieur… mais de 0 % pour les jeunes de niveau bac ou en dessous », poursuit M. Martinot.
Les étudiants y voient une excellente formule pour se former en finançant leurs études
De fait, on constate un très fort intérêt pour ce type de formation dans les grandes écoles de commerce ou d’ingénieurs, particulièrement au niveau master. Les étudiants y voient, en effet, une excellente formule pour se former en finançant leurs études, tout en faisant leur entrée dans la vie professionnelle : plus d’un étudiant sur trois est embauché à l’issue de son contrat d’apprentissage, et pour 84 % d’entre eux, il s’agit d’un CDI. « Un vrai passeport pour l’emploi », selon l’expression d’Anne-Lucie Wack, présidente de la Conférence des grandes écoles (CGE). Il n’est donc pas étonnant que les effectifs augmentent : les établissements affiliés à la CGE comptent plus de 31 000 étudiants en apprentissage en 2018-2019, contre 24 823 en 2016-2017.
Avec plus de 260 000 créations d’emplois cette année (à comparer aux 188 000 enregistrées en 2018), un taux de chômage qui a atteint en milieu d’année 2019 son point le plus bas depuis 2009, à 8,5 % de la population active, la France est sans conteste dans une trajectoire positive.
Sauf retournement de situation – dû par exemple au conflit social autour des retraites –, les entreprises devraient continuer à embaucher début 2020, et le taux de chômage pourrait continuer à baisser de 0,1 % par trimestre l’année prochaine, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
Ces bons chiffres s’expliquent, en grande partie, par la croissance économique, dont l’atterrissage en fin d’année est fixé à 1,3 % par l’Insee. « La totalité de la croissance passe en emplois », observe ainsi Patrick Artus, chef économiste chez Natixis. Faute de gains de productivité suffisants, les entreprises n’ont d’autre solution que d’embaucher pour faire face à l’accroissement de l’activité.
Infographie Le Monde
Un autre facteur a également joué un rôle, selon Eric Heyer : les transformations du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en baisse de cotisations sociales. Même si le résultat comptable est le même, l’effet psychologique sur les chefs entreprises ne l’est pas, explique cet économiste à l’OFCE. « Si vous baissez l’impôt – ce qui était le cas dans la première version du CICE –, vous n’obtenez pas le même résultat que si vous baissez le coût du travail, qui incite davantage à embaucher. » L’Insee estime à 30 000 le nombre d’emplois créés en 2019 grâce à cette transformation du CICE. Un impact qui sera nettement plus faible l’an prochain.
Tous les secteurs ont bénéficié de l’embellie. Fait notable, l’industrie recrute à nouveau depuis 2018, après une quinzaine d’années de décrue quasi ininterrompue. En 2019, comme en 2018, environ 12 000 emplois ont été créés dans les entreprises industrielles, notamment dans le secteur agroalimentaire.
Même orientation positive dans la construction, une activité qui avait, elle aussi, perdu massivement des emplois entre 2009 et 2016. L’approche des élections municipales de mars 2020, ainsi que les grands projets, comme le Grand Paris Express, ne seraient pas étrangers au dynamisme du secteur qui a créé 41 000 emplois en 2019.
La locomotive reste cependant le tertiaire, et tout particulièrement les services marchands aux entreprises – conseil, services informatiques, ingénierie, juridique… – avec 167 500 emplois nouveaux cette année. Du côté de l’emploi non marchand, la baisse du nombre de bénéficiaires de contrats aidés se traduit par seulement 14 000 postes supplémentaires sur l’ensemble de l’année. Jugeant ce type de contrats peu efficaces pour un coût budgétaire élevé, le gouvernement d’Edouard Philippe a, en effet, revu drastiquement les dispositifs de financement. Au lieu de 320 000 contrats en 2017, ils ont été réduits avec l’objectif d’en financer 100 000 nouveaux par an.
« La Participation des salariés », de Patricia Crifo et Antoine Rebérioux. Les Presses de Sciences Po, 128 pages, 9 euros.
Le livre. Voici une donnée qu’il faudrait toujours garder à l’esprit lorsqu’on annonce la fin proche du travail et qu’on déclare que le futur appartient aux free-lance : en 2018, en France, dans le secteur privé, ce sont toujours 19,4 millions de personnes qui vivent leur expérience au travail en tant que salariés. « Comprendre et analyser le travail en France, c’est se pencher d’abord sur le travail salarié », rappellent Patricia Crifo et Antoine Rebérioux dans La Participation des salariés (Les Presses de Sciences Po).
Alors que la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) du 22 mai 2019 prescrit une plus grande participation des salariés au capital et aux décisions stratégiques de l’entreprise, la professeure d’économie à l’Ecole polytechnique et le professeur d’économie à l’université de Paris analysent les liens entre engagement et performance. Comment concilier les exigences de responsabilité, de participation et d’efficacité ? Comment associer les employés à la gouvernance ?
Jusque dans les années 1970, l’intégration des travailleurs dans l’entreprise reposait sur un échange entre protection et subordination. « Un salarié travaille, sous les ordres d’un employeur et n’est pas là pour donner son avis ou participer aux décisions prises dans l’entreprise », explicitent les professeurs. Cet édifice va progressivement s’éroder sous le coup de deux mutations parallèles.
La première mutation concerne le travail lui-même. A partir des années 1980 se développent de nouvelles formes d’organisation du travail visant à rompre avec un modèle appréhendé sous le seul angle de la subordination. « La promotion de l’autonomie et l’affaiblissement du principe hiérarchique sont perçus comme un moyen d’accroître la productivité et de redonner du sens au travail salarié », soulignent les auteurs.
Vecteur de création de valeur
La deuxième mutation concerne l’entreprise : avec la prise de conscience de l’essoufflement de notre modèle de développement et des dommages environnementaux et sociaux que peut produire l’activité économique, la responsabilité des entreprises est de plus en plus sollicitée. « Ces deux mutations vont se conjuguer pour mettre au-devant des réflexions la participation des salariés aux décisions », résument la membre du Crest et le membre du Ladyss.
S’il emprunte à d’autres sciences sociales et à l’analyse juridique, l’ouvrage opte pour un regard essentiellement économique. Il analyse différents dispositifs de participation des salariés : droit économique du comité d’entreprise, négociation collective, représentation au conseil d’administration…
« La palme du bien paradoxal revient sans conteste aux géants du Web (…). Amazon prétend en plus atteindre la neutralité carbone avec dix ans d’avance sur l’accord de Paris. L’envers du décor ? Des centres-villes désertés, une hypercroissance pour doper la valeur boursière… » DPA / Photononstop
Tribune. Etre rentable ne suffit plus. Il faut aussi être juste, vert, éthique. Aujourd’hui, qui ne l’est pas, ou qui ne prétend pas l’être ? La question est de savoir où commence le for good bashing.
Les crises sociale et écologique ont peu à peu obligé les entreprises à justifier d’un intérêt collectif. Elles ont fait feu de tout bois, précédées ou suivies par les pouvoirs publics : les labels privés se sont multipliés, tout comme les statuts, tels que « l’entreprise à mission » du rapport Notat-Senard, le statut ESUS [entreprise solidaire d’utilité sociale] pour les entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) ou encore le label privé américain B Corp, dont l’obtention est officiellement visée par Danone. La « raison d’être » et le for good [« au service du bien commun »] hantent les entrepreneurs.
Et pourtant, le for good pour tous est une calamité dans cette légitime quête de sens. S’accrochant à leurs activités, certaines entreprises ne peuvent que se limiter à un affichage. D’autres peuvent être good pour le client, mais ni pour les salariés ni pour les fournisseurs. D’autres encore peuvent l’être pour l’humanité, mais pas pour la planète. On savait que l’enfer était pavé de bonnes intentions, on en découvre la version 4.0.
La palme du bien paradoxal revient sans conteste aux géants du Web, comme Facebook, régulièrement épinglé pour des collectes de données illégales, ou Google, champion dans la catégorie « Big Brother », mais dont la maxime est « Do not evil » (« Ne faites pas le mal »)…
Un produit de plus en plus suspect
Le cas d’Amazon est encore plus parlant. Sa raison d’être ? « Etre l’entreprise la plus orientée client ». Proposer le plus de marchandises possible, livrées le plus vite possible. Amazon prétend en plus atteindre la neutralité carbone avec dix ans d’avance sur l’accord de Paris. L’envers du décor ? Des centres-villes désertés, une hypercroissance pour doper la valeur boursière, une relation salariée supplantée par une relation commerciale comme on le voit avec ses « travailleurs du clic » qui œuvrent pour 3,30 dollars l’heure, ou avec ses livreurs poussés à bout.
Pis encore, le quasi-monopole physique et technologique visé avec son activité d’hébergeur Amazon Web Services, de loin la plus stratégique et la plus rentable. La privatisation rampante d’un bien commun n’est pas l’exacte définition de l’intérêt général… Le pluralisme économique et démocratique, la vision citoyenne exigeraient le démantèlement d’un tel géant.
Un collectif d’une centaine d’universitaires, parmi lesquels Aurore Lalucq, Pierre Khalfa, Gérard Filoche et Henri Sterdyniak, s’élève contre le manque de pluralisme des nominations effectuées par le ministère de la recherche dans la section « Economie » du Conseil national des universités, en charge des recrutements et des carrières de la discipline.
Plusieurs facultés alertent sur le manque de moyens pour mettre en place les nouveaux cursus. La plate-forme d’admission dans l’enseignement supérieur a ouvert vendredi.
Pour Laurent Escure, secrétaire général de l’UNSA, premier syndicat à la RATP et très présent à la SNCF et dans l’enseignement, les propositions sont sur la table. Au gouvernement de décider.
Comment en est-on arrivé là ?
Je l’ai dit au premier ministre : le gouvernement aurait pu éviter le mur du 5 décembre et la crise sociale qui s’enkyste depuis quinze jours. Tout ce qui est aujourd’hui sur la table pour tenter de sortir du conflit a été porté depuis l’origine par les syndicats réformistes : la prise en compte de la pénibilité, l’aménagement des fins de carrière, le relèvement du minimum contributif qui doit être supérieur à 1 000 euros pour ceux qui ont travaillé toute leur vie, le renforcement des garanties sectorielles. Edouard Philippe aurait dû nous écouter. Dès l’origine, nous avons marqué notre refus de l’âge pivot qui n’a rien à voir avec la transformation du système de retraite. C’est une mesure paramétrique qui va conduire à faire travailler plus longtemps les futurs retraités, y compris ceux qui n’étaient pas concernés par la réforme. Ce n’est pas acceptable.
Une trêve est-elle possible ?
Je vais être précis. Si ce sujet du paramétrique ne bouge pas, nous lancerons des actions en janvier. Pour ce qui est de la SNCF et de la RATP, un certain nombre d’avancées que nous demandions pour faire respecter le contrat social sont sur la table. Les modalités de calcul pour l’entrée dans le nouveau système pourraient être un peu plus favorables que ce qui était prévu. Il faut à présent que les directions de ces deux entreprises convainquent non seulement les cadres syndicaux, mais aussi les personnels de terrain que ces avancées leur seront profitables.
Craignez-vous que les syndicats soient débordés par leur base ?
La radicalité, qui a émergé lors du mouvement des « gilets jaunes » s’exprime également dans les syndicats. La CGT a lancé des actions comme les coupures d’électricité que je condamne fermement. On ne peut pas plaider pour la valorisation du dialogue social et la démocratie sociale et en même temps ne pas respecter les principes élémentaires de la démocratie. Cette radicalité crée un effet d’entraînement sur des gens qui n’ont pas besoin d’être beaucoup poussés. Au 15e jour de grève, ils se disent : « J’ai perdu cela. Qu’est-ce que j’ai en face ? »
Pourquoi l’âge pivot constitue-t-il pour vous un tel casus belli ?
En soi, la réforme des retraites est un dossier très anxiogène. Si vous y ajoutez en plus des contraintes financières…
On peut retourner le raisonnement : n’est-ce pas anxiogène d’entrer dans le nouveau système sans se soucier de savoir s’il est ou non équilibré ?
Bien sûr qu’il faut viser l’équilibre si nous voulons préserver la répartition mais nous refusons la méthode du gouvernement qui consiste à nous tendre la main puis à nous tordre le bras.
L’espérance de vie a sensiblement augmenté au cours des trente dernières années. Cela ne plaide-t-il pas pour un allongement de la durée de la vie active ?
En réalité, l’espérance de vie stagne ces dernières années et l’espérance de vie en bonne santé diminue. Par ailleurs, 40 % des personnes qui liquident la retraite à 63,3 ans ou bientôt à 63,5 ans, sont au chômage depuis deux ou trois ans, parfois sans indemnité. Elles n’ont pas manifesté la volonté de travailler plus. Elles ont attendu un peu dans l’espoir d’avoir une retraite correcte.
Qu’est-ce que ce conflit dit du climat social ?
La société française est à la fois tendue et profondément fracturée. Cela interroge le syndicalisme. Notre défi est de parler aux 30 %, 40 % de travailleurs éloignés de la vie démocratique, syndicale et sociale. Nous voulons leur être utiles. Il ne peut y avoir une classe moyenne ou une classe moyenne supérieure qui profitent de la situation et le reste des Français qui se sentent dépassés par les transitions écologiques et technologiques.
Un nœud de la crise actuelle concerne la difficulté à avoir confiance dans la parole publique. Les alternatives politiques crédibles au gouvernement n’apparaissent pas. Celui-ci en bénéficie mais c’est un jeu dangereux car nul ne sait à qui profite toute cette colère sociale.