Le compte personnel de formation livre ses premières données

La ministre du travail, Muriel Pénicaud, s’exprime à l’Assemblée nationale, à Paris, le 4 février.
La ministre du travail, Muriel Pénicaud, s’exprime à l’Assemblée nationale, à Paris, le 4 février. THOMAS SAMSON / AFP

Créé sous le quinquennat Hollande, profondément remanié par le gouvernement d’Edouard Philippe, le compte personnel de formation (CPF) est de plus en plus utilisé par les salariés, tout en demeurant relativement confidentiel. C’est ce qui ressort d’une enquête diffusée mercredi 19 février par la Dares – la direction chargée de la recherche au ministère du travail.

Entré en vigueur début 2015, le CPF offre « un droit à la formation attaché à la personne » tout au long de sa carrière, comme le rappelle l’étude de la Dares. Un tel dispositif, graduellement ouvert à l’ensemble des actifs – demandeurs d’emploi inclus –, est libellé en euros et mobilisable à partir d’une application numérique, depuis novembre 2019.

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Grâce au CPF, « près de 900 000 formations ont été suivies » de 2015 à 2018 par des personnes employées dans le secteur privé, dont 383 000 pour la seule année 2018, soit une hausse de 41 % en douze mois. La progression est donc spectaculaire, mais le public concerné reste limité : le « taux de recours » à cet outil est de 1,7 % parmi les salariés du privé, la proportion étant plus élevée chez les cadres et les professions intellectuelles supérieures (2,7 %). Les ouvriers, eux, sont en queue de peloton (1 %). Autant de pourcentages qui reflètent les inégalités d’accès, anciennes, à la formation, selon les catégories socioprofessionnelles.

Des disparités existent également en fonction de l’âge : les jeunes de moins de 25 ans emploient moins le CPF que les autres générations (0,8 %, contre 2,2 % chez les 25-44 ans et 1,4 % pour les personnes d’au moins 45 ans, en 2018).

Réduction des « cofinancements »

Au 1er janvier 2018, près de 12 500 certifications étaient proposées dans le cadre du CPF, « mais seule une petite partie d’entre elles » sont mobilisées par les salariés. Ainsi, un peu plus de la moitié des entrées en formation (55 %) s’effectuent dans une dizaine de cursus. Dans la grande majorité des situations, les intéressés s’inscrivent à des modules de quelques dizaines d’heures « préparant à des certifications en langues, en informatique ou dans le domaine des transports » – avec, en particulier, le certificat d’aptitude à la conduite en sécurité (Caces), qui initie au pilotage d’engins de manutention.

Seule une petite minorité (12,5 %) des entrées en formation réalisées avec le CPF vise à obtenir une certification diplômante : celle-ci est généralement beaucoup plus longue « que les formations sans niveau spécifique », précise la Dares (410 heures en moyenne dans le premier cas, contre 50 dans l’autre, en 2018).

Révélations sur le salaire de ses dirigeants : la FNSEA « assume pleinement »

A Laval, le 23 août 2016.
A Laval, le 23 août 2016. STEPHANE MAHE / REUTERS

Après les révélations de Mediapart, mercredi 19 février, sur les salaires des dirigeants du principal syndicat agricole de France, et à deux jours de l’ouverture du Salon de l’agriculture à Paris, la FNSEA a dénoncé « un article tenant plus du règlement de comptes que de l’enquête journalistique », tout en « assumant pleinement » la politique salariale de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles.

Mediapart a publié mercredi les salaires du nouveau directeur général du syndicat Clément Faurax, de son remplaçant au poste de directeur adjoint Jean-Louis Chandellier, et les différentes rémunérations attribuées à la directrice générale sortante Catherine Lion. Selon le média d’informations ligne, M. Faurax « émarge aujourd’hui à 13 400 euros brut mensuels » à l’issue d’une revalorisation de 22 % décidée après son arrivée en avril 2019, soit quelque 3 000 euros de plus que le ministre de l’agriculture actuel Didier Guillaume, selon Mediapart, qui rappelle que l’essentiel des ressources de la fédération provient des cotisations des adhérents.

Toujours selon cet article, son remplaçant, M. Chandellier, a bénéficié pour sa part d’une augmentation de 30 % de sa rémunération, désormais de 9 600 euros brut. « Les augmentations réalisées restent dans la tendance des augmentations habituelles », avait répondu M. Faurax dans un entretien à Mediapart.

Enfin, le journal en ligne s’était penché sur les rémunérations attribuées à Catherine Lion après son départ de la direction. Restée conseillère à temps partiel jusqu’en septembre, elle avait bénéficié d’un salaire de base de 8 900 euros et d’une prime mensuelle de 6 000 euros –l’équivalent de ce que touche en moyenne un exploitant agricole sur une année entière, selon les calculs de Mediapart –, selon l’avenant à son contrat de travail consulté par le média en ligne. A la retraite depuis octobre, elle cumule désormais sa pension avec un salaire à temps partiel (notamment car elle a été désignée par le syndicat pour siéger au Conseil économique, social et environnemental) pour un montant total de 12 500 euros, sans que cette situation de cumul soit inédite au sein de la FNSEA, signale Mediapart.

Plainte

Pour la présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), Christiane Lambert, interrogée sur France Inter jeudi matin, les chiffres ont été « tronqués », « comparer les salaires bruts de nos directeurs avec le salaire net du ministre, ce n’est pas du bon travail », s’exclame-t-elle, sans démentir les montants avancés par le journal en ligne. « Nous avons besoin d’experts de haut niveau », fait valoir Mme Lambert.

Dans un communiqué publié le jour de la sortie de l’enquête, mercredi, la FNSEA disait « assumer pleinement les niveaux de rémunération de ses cadres dirigeants », situés selon elle « en dessous des normes de rémunération pour une organisation professionnelle nationale de cette taille ». Le syndicat affirme également que les informations divulguées par le journal d’investigation ont fait l’objet d’un « vol » pour lequel une plainte a été déposée.

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En rachetant UBI, Intesa Sanpaolo deviendrait la quatrième banque européenne

Devant les bureaux de la banque italienne Intesa Sanpaolo, à Turin, en janvier 2017.
Devant les bureaux de la banque italienne Intesa Sanpaolo, à Turin, en janvier 2017. MARCO BERTORELLO / AFP

L’offensive a été rondement menée. Lundi 17 février, en fin de soirée, Carlo Messina, directeur général de la première banque d’Italie, Intesa Sanpaolo, a appelé son homologue d’Unione Banche Italiane (UBI), Victor Massiah, pour le prévenir qu’allait être annoncé, dans les minutes suivantes, le lancement d’une offre publique d’échanges sur son établissement, troisième de la place financière italienne en termes de capitalisation boursière. Un peu après minuit, c’était au tour du ministre des finances, Roberto Gualtieri, d’être mis dans la confidence, juste avant la publication du communiqué.

Si l’on considère que l’effet de surprise est la condition indispensable de la réussite d’une opération de ce type, force est de constater qu’en la matière, le succès est total. Selon la direction d’Intesa Sanpaolo, l’offre n’a pas été préparée conjointement par les deux groupes, mais elle se veut parfaitement amicale. Dans les heures ayant suivi l’annonce, Carlo Messina a d’ailleurs fait savoir que, s’il le souhaitait, Victor Massiah aurait, à l’avenir, « un rôle de premier plan » dans le futur groupe. Ce dernier, qui venait, quelques heures plus tôt, de présenter, à Milan, le nouveau plan industriel d’UBI – en misant sur la dématérialisation et prévoyant plus de 2 000 suppressions d’emplois –, ne s’est pas encore exprimé publiquement. La direction de la banque bergamasque a pour l’heure fait savoir qu’elle étudie l’offre tranquillement, en se laissant le temps de réfléchir.

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Un conseil d’administration extraordinaire, chargé de donner un premier avis sur la proposition, devait se tenir dans la journée de mercredi 19 février. Dans tous les cas, l’opération durera plusieurs mois : l’avis de l’Autorité de la concurrence devrait tomber fin juin, et l’offre d’échange en elle-même se dérouler dans la foulée.

Une offre à 4,8 milliards d’euros

En pratique, l’offre porte sur 100 % du capital d’UBI, pour un montant de 4,8 milliards d’euros. Elle se présente sous la forme d’un échange de titres (17 actions d’Intesa Sanpaolo pour 10 d’UBI), à des valorisations représentant, pour les porteurs de titres UBI, une prime de 27 % par rapport au prix de leurs actions, à la clôture de la Bourse de Milan, vendredi 14 février.

Tout au long de la journée de lundi, le cours des titres UBI s’est envolé, au point de dépasser la valeur de l’offre d’Intesa Sanpaolo. Pour l’heure, Carlo Messina a exclu de rehausser le prix proposé : « L’offre nous paraît équitable et nous n’avons aucune intention d’en changer les conditions », a-t-il affirmé.

« Le modèle de l’entreprise se situe entre celui de la cathédrale et celui du bazar »

« La possibilité de s’exonérer pour partie du cadre formel, à travers l’octroi d’une initiative renforcée voire libérée, permet de stimuler ainsi l’innovation par une forme de lâcher prise ».
« La possibilité de s’exonérer pour partie du cadre formel, à travers l’octroi d’une initiative renforcée voire libérée, permet de stimuler ainsi l’innovation par une forme de lâcher prise ». Ingram / Photononstop

Tribune. Le hacker américain Eric Raymond s’est fait connaître comme l’un des fervents propagandistes du terme « open source » qu’il a largement popularisé, notamment dans un essai célèbre considéré souvent comme un texte fondateur intitulé The cathedral & the bazaar (1999). Dans cet ouvrage, qui reste largement d’actualité, l’auteur distingue ainsi « deux styles de développement fondamentalement différent » : celui de la cathédrale et celui du bazar.

Il affirme que le modèle de la cathédrale est adopté par « la majorité du monde commercial », reposant sur une approche « centralisée », soigneusement élaborée « par des sorciers isolés ». On relèvera d’ailleurs qu’en vieux français, le verbe cathédrer et le participe cathédrant ont signifié « présider ». De même on peut considérer que le style gothique des cathédrales, dans la recherche de verticalité, participe assurément à l’expression de son esthétique.

Décrivant le modèle du bazar, Eric Raymond se réfère au monde de Linus Torvalds, créateur du fameux système d’exploitation Linux, qu’il qualifie de « subversif ». Il prend forme « comme par magie à partir de bidouilles » issues d’un grand nombre d’utilisateurs traités en tant que codéveloppeurs et organisés sous forme de communautés.

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Le hacker souligne complémentairement que le monde Linux, sous de nombreux aspects, « se comporte comme un marché libre ou un écosystème, un ensemble d’agents égoïstes qui tentent de maximiser une utilité, ce qui au passage produit un ordre spontané, autocorrecteur, plus élaboré et plus efficace que toute planification centralisée n’aurait pu l’être ». On peut parler d’apparente désorganisation – c’est bien le sens auquel se réfère le terme « d’ordre spontané » au sens sociologique – émanant du comportement et des interactions des individus.

Deux types de démarches volontaristes

On relèvera cependant que les études de sciences sociales sur le bazar urbain iranien laissent entrevoir une certaine forme de structuration. Ainsi, l’organisation des quartiers du bazar se fait en fonction de plusieurs facteurs comme l’attractivité du produit, la compatibilité des commerces, l’incompatibilité des produits, etc.

Chaque quartier possède même un chef hiérarchique (« kadkhoda »), généralement élu, dont la mission consiste en particulier à rappeler aux vendeurs d’être honnêtes, et à instruire les plaintes éventuelles des clients. Ce qui au passage comporte des analogies avec les nouveaux espaces collaboratifs des organisations propices à l’innovation, fonctionnant comme des villes en miniature avec ses rues, ses quartiers et ses banlieues. On peut donc utiliser le terme de « bazar organisé », en l’appliquant, avec des intensités variables, aux organisations.

Dans le public, les services de paie bousculés par la simplification administrative

« A terme, 5,6 millions de personnes travaillant dans le public seront concernées par cette opération de simplification administrative. Une paille par rapport aux quelque 20 millions de salariés du privé, dont les employeurs ont déjà effectué cette transition. »
« A terme, 5,6 millions de personnes travaillant dans le public seront concernées par cette opération de simplification administrative. Une paille par rapport aux quelque 20 millions de salariés du privé, dont les employeurs ont déjà effectué cette transition. » Philippe Turpin / Photononstop

Remue-ménage en vue dans les services de paie des administrations. Obligatoire pour toutes les entreprises du secteur privé depuis le 1er janvier 2017, le passage à la déclaration sociale nominative (DSN) va s’imposer aux trois versants de la fonction publique. D’ici à 2022, ses employeurs devront utiliser ce document unique, établi à partir des données de la paie de chaque salarié, pour transmettre à l’ensemble des organismes sociaux les informations relatives à sa rémunération, ses arrêts maladie ou encore ses fins de contrat.

Trois vagues ont été fixées, en fonction de la taille des établissements : les plus gros employeurs de la fonction publique territoriale, du secteur hospitalier et des services de l’Etat (dont la paie est directement assurée par l’établissement employeur) devaient ouvrir la marche au 1er janvier 2020.

A terme, 5,6 millions de personnes travaillant dans le public seront concernées par cette opération de simplification administrative. Une paille par rapport aux quelque 20 millions de salariés du privé, dont les employeurs ont déjà effectué cette transition. Au niveau des services de paie, le basculement s’est parfois opéré dans la douleur. Dans le public, l’opération s’annonce tout aussi délicate.

« Aujourd’hui, beaucoup ne sont pas prêts, mais on va y arriver », considérait, optimiste, Eric Hayat, le président du groupement d’intérêt public de modernisation des déclarations sociales (GIP-MDS) fin janvier. Lors de la phase de test avec des établissements volontaires, mise en place en 2019, seulement 365 déclarations avaient été déposées sur la plate-forme pilote – dont la moitié n’était pas concernées par l’échéance de cette année.

Un mois après la première vague, combien ont finalement respecté la date butoir du 1er janvier 2020 ? « S’agissant des chiffres nous ne disposons pas d’autre élément à ce stade », indiquait le GIP-MDS le 7 février. Mais son président ne mâchait pas ses mots : « Le public, c’est long, c’est lourd, c’est compliqué. On a une réunion toutes les semaines avec eux. Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’autorité générale qui gère la fonction publique ».

Anticipation

Au demeurant, aucune pénalité n’est prévue pour les retardataires. Ceux qui n’auront pas fait le basculement en ce début d’année doivent simplement reporter leur passage à la DNS au 1er janvier 2021. « Comment voulez-vous que le public s’applique à lui-même des pénalités ? », ironise Eric Hayat.

Rapport Racine sur les auteurs : comment transformer l’essai ?

Ils sont tous venus. De l’Union nationale des peintres illustrateurs à la Guilde française des scénaristes, du syndicat des éditeurs à celui des photographes. Le grand salon de la rue de Valois est comble pour entendre les propositions que Franck Riester, le ministre de la culture, doit annoncer à la suite du rapport Racine sur « L’auteur et l’acte de création ». Le ministre est en retard… « Y a un suspense de dingue. J’ai jamais vu un rapport qui fasse autant de boucan, s’amuse un briscard de ce genre d’exercice. Sauf peut-être le rapport Lescure… Et il n’en est presque rien resté. »

Le mois dernier, la publication du rapport Racine, du nom de l’ancien patron de la Bibliothèque nationale de France, a su, en effet, canaliser la colère qui grondait depuis quelques années – et notamment au dernier festival de la bande dessinée d’Angoulême – en épousant la cause des « artistes-auteurs ». En 140 pages et 23 propositions, le document, touffu, tentait de dresser une ligne directrice entre des métiers souvent éloignés les uns des autres (plasticiens, écrivains, musiciens…) mais réunis par deux mots (la création et les difficultés économiques), et avait au passage suscité l’ire des éditeurs qui se sentaient stigmatisés.

Autant dire que c’est à un travail d’équilibriste que s’attend, ce mardi 18 février, le ministre – jusqu’ici plus salué pour son travail sur l’audiovisuel que par le monde de la culture – et, derrière lui, tout son cabinet mobilisé sur le sujet, devant une audience aux aguets. Franck Riester va ainsi dérouler un long plan d’action en quatre axes : garantir les droits sociaux, faire évoluer les modèles économiques, donner aux artistes-auteurs les moyens d’être mieux représentés, et enfin, au niveau du ministère, se doter d’outils d’analyse et de suivi.

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Une nouvelle mobilisation possible

Sur le premier point, alors que le gouvernement est en pleine redéfinition des régimes spéciaux de retraite, le ministre fait justement valoir qu’il a gagné des arbitrages et a su manœuvrer pour défendre ses ouailles. Mais entamer sa démonstration par sa volonté d’élargir le statut d’auteur aux directeurs de collection, qui est une demande de longue date des éditeurs, suscite déjà des agacements du côté des auteurs. L’ensemble du discours va être à cette aune. Acquiescements lorsqu’il annonce une aide financière accordée aux festivals pour payer les séances de dédicaces et les intervenants, mines épanouies quand il promet la mise en place d’outils de suivi que tout le monde appelle de ses vœux, ou la nomination au sein de son cabinet d’un conseiller en charge de ces questions (dont le nom n’est pas encore connu), sourires lorsqu’il annonce des assises nationales d’artistes-auteurs : « Je serai attentif à la question du financement des organisations représentatives. Défendre les intérêts des artistes-auteurs, cela demande du temps et des moyens. »

L’humour, antidote au pire du management

Gabs/Cartoonbase / Photononstop

Carnet de bureau. « Bob était plutôt orienté “résultats”, comme on dit (…). Il aimait à dire que la sympathie était l’exact opposé de l’efficacité et de la performance. » Bob est mort, assassiné. Figure de roman, il est le héros grotesque du dernier livre de Gaël Chatelain-Berry, à paraître en mars. Depuis une dizaine d’années, ce consultant sur la bienveillance au travail décrypte le pire du management (podcast, blog, manuels). L’intérêt du thriller Mais qui a tué Bob ? (Dunod) est l’interrogatoire des salariés, tous suspects, qui décrivent une à une les attitudes toxiques.

« Il imposait le respect par la terreur, personne n’aurait jamais osé s’opposer à lui, sauf Jessica peut-être… », dit Caroline, la secrétaire de Bob. « Il n’aurait jamais supporté d’être pris en défaut de compétence ou de faiblesse », ajoute-t-elle. Didier, l’adjoint souffre-douleur, complète le portrait-robot du pire des manageurs : « C’était un lâche, Monsieur Bob (…). Toute la basse besogne, c’était pour moi » ; « Rappeler des délais, des objectifs, tout ce qui n’était pas sympathique et qu’il n’osait pas faire » ; « Mon quotidien n’était fait que d’humiliations et de brimades (…). Jamais de reconnaissance, même pas un petit bonjour ou un merci, jamais ». Ce thriller tient presque du manuel pédagogique.

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Dans la réalité, heureusement, tous les mauvais manageurs ne meurent pas de leurs méfaits, malgré les dégâts humains et économiques qu’ils provoquent. Dans Histoires pour gestionnaires insomniaques. Ce que les vaches, les mauvaises herbes et les œufs brouillés peuvent nous apprendre sur la gestion (Les Editions de l’homme, 2019), un des papes du management, Henry Mintzberg, raconte, entre autres, comment Eastern Airlines a coulé en 1991 pour une histoire d’œufs brouillés. En une anecdote drôle, le professeur de gestion pointe l’aveuglement du manageur qui, fort de ses rapports chiffrés, est devenu sourd aux avertissements des salariés sur la dégradation du service client.

« Une espèce de geste social »

L’humour et la fiction appliqués au management laissent la double impression d’être au coeur du sujet et de comprendre comment mettre fin aux dérives. Les auteurs qui s’y essaient offrent des antidotes au pire du management : Le Cri du corps. Harcèlement moral au travail : mécanismes, causes et conséquences (Michalon, 2018) d’Anne-Véronique Herter, est une bible sur le harcèlement moral, dont elle fut victime ; Les Décisions absurdes (Gallimard, trois tomes entre 2014 et 2018) de Christian Morel, sont une anthologie drolatique des erreurs stratégiques.

« Le Nouvel esprit du salariat » : des salariés toujours plus autonomes

« Le Nouvel Esprit du salariat », de Sophie Bernard (PUF, 256 pages, 20 euros).
« Le Nouvel Esprit du salariat », de Sophie Bernard (PUF, 256 pages, 20 euros).

Le livre. On ne compte plus les travaux sur le chômage, la précarité ou l’indépendance : tant les recherches que le débat public se focalisent depuis une vingtaine d’années sur les marges du salariat. Depuis les années 1970, en effet, ce statut subit en France une déstabilisation. Mais ce zoom sur les marges risque « d’occulter les transformations affectant la majorité des travailleurs et travailleuses », met en garde Sophie Bernard.

Neuf personnes en emploi sur dix sont salariées, dont une écrasante majorité en CDI. Dans Le Nouvel Esprit du salariat (PUF), la professeure de sociologie à l’université Paris-Dauphine analyse « les mutations les plus significatives qui s’opèrent, non dans les marges, mais au cœur du salariat stable ». Par nouvel esprit du salariat, la chercheuse à l’Institut de recherches interdisciplinaires en sciences sociales (Irisso) désigne « une nouvelle forme de mobilisation de la main-d’œuvre favorisant l’avènement d’un travailleur autonome et responsable », foyer central de diffusion de valeurs individualistes et méritocratiques.

Cette figure est-elle un dépassement du salariat ou une nouvelle forme de sujétion des travailleurs ? L’ouvrage s’organise en trois chapitres qui analysent successivement trois figures salariales émergentes.

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Le premier chapitre porte sur le salarié « associé », « qui se caractérise par une forte intégration dans l’entreprise et dans le collectif de travail ».

A partir d’une enquête réalisée dans le secteur de la grande distribution, l’ouvrage analyse en quoi le partage des bénéfices participe d’une convergence des intérêts de l’employeur et de ceux des salariés, favorisant la responsabilisation et l’investissement au travail. Mais la distribution des bénéfices peut également se transformer en partage des risques, les salariés prenant alors conscience des inégalités liées aux primes variables.

Forte autonomie mais aussi incertitude

Le deuxième chapitre s’intéresse au salarié « méritant », exploré à partir de l’analyse de la distribution de primes sur objectifs dans le secteur bancaire. Au-delà de l’apparente neutralité et rationalité des critères d’évaluation, le livre analyse comment elles sont attribuées. L’enquête démontre que la manière de procéder des manageurs est aussi façonnée par leurs conceptions de la justice, et peut entrer en contradiction avec les objectifs initiaux associés aux primes sur objectifs, en aboutissant à une opacification des critères de répartition.

Services publics : « Sans l’expertise des professionnels, les plans d’économie aggravent l’inefficacité »

« Partout, on dénonce un manque de moyens et une dévalorisation des métiers » (Manifestation à Paris).
« Partout, on dénonce un manque de moyens et une dévalorisation des métiers » (Manifestation à Paris). Sébastien Rabany / Photononstop

Chronique « Entreprises ». La crise de l’hôpital qui couvait depuis des années est maintenant manifeste. Simultanément, ce sont les universitaires qui expriment leur épuisement et le sentiment que leur métier n’est plus compris. A l’école, le cycle des crises et des réformes est permanent. Partout, on dénonce un manque de moyens et une dévalorisation des métiers. Cependant, ces institutions diffèrent d’autres secteurs du service public par un trait commun : des professions qui reposent sur une forte autonomie garantie par la loi.

Ces « bureaucraties professionnelles » ont, depuis longtemps, intéressé la recherche car leur gestion ne peut se faire qu’avec le concours et le plein assentiment de ces personnels. Les crises récurrentes de l’hôpital, de l’université et de l’école signalent donc la difficulté ancienne et persistante qu’ont les doctrines administratives dominantes pour penser « avec » cette autonomie.

La notion de « bureaucratie professionnelle » a été introduite par le chercheur canadien Henry Mintzberg (The structuring of organizations, Pearson, 1978). Elle est définie par contraste avec les bureaucraties classiques, où il y a subordination des salariés et où les règles de travail sont définies par la hiérarchie ou par des services techniques compétents.

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Car, pour un médecin, un professeur ou un chercheur, ces principes ne tiennent plus. Les valeurs, les règles de l’art, le jugement des pairs, le service du public constituent des limites opposables à leurs administrations. En outre, l’innovation étant continue dans ces métiers, ces professionnels doivent consacrer des efforts importants et faire des choix difficiles pour rester au meilleur niveau.

Défiance

Or, dans ces organisations, un cercle vicieux doit être soigneusement évité. Il s’amorce en général par une tentative administrative autoritaire d’économie, d’évaluation ou de transformation des activités. Celle-ci provoque, chez les professionnels, le sentiment que des fondamentaux de leur métier et de leur autonomie sont incompris. Ils se plient alors à certaines injonctions, mais ne s’approprient pas la réforme et, sur des points essentiels, privent celle-ci de leur concours à sa réussite. On aboutit à une défiance entre professionnels et administrateurs, ainsi qu’à des résultats mitigés. Suivent de nouvelles réformes, d’autant moins élaborées en commun, qui creusent la défiance sans obtenir le succès, et font fuir les talents.

Heureusement, cette spirale n’est pas inéluctable. Mais une fois installée, elle aboutit inévitablement à une crise sévère des moyens. En effet, lorsque les premiers manques apparaissent, les alertes des professionnels sont négligées par des administrations défiantes ou incapables, avec leurs outils d’évaluation, de justifier ces besoins.

HSBC : l’Europe, première cible de la suppression de 35 000 emplois

Devant une agence HSBC, à Paris, en 2010.
Devant une agence HSBC, à Paris, en 2010. LOIC VENANCE / AFP

La première banque européenne ne croit plus dans le Vieux Continent. Ou si peu. Le britannique HSBC, premier établissement en Europe par la taille de son bilan, a annoncé, mardi 18 février, un grand plan de restructuration visant à se recentrer sur l’Asie, sa région d’origine.

La banque va réduire ses effectifs de 35 000 personnes, passant de 235 000 employés actuellement à « environ 200 000 » d’ici à 2022. Cela s’accompagne d’une très sérieuse purge de son bilan, avec 100 milliards de dollars (93 milliards d’euros) d’actifs qui doivent être supprimés, sur un total de 843 milliards. La banque veut dégager, d’ici à 2022, des économies annuelles de 4,5 milliards de dollars, soit une réduction de 12 % de ses coûts.

Si les Etats-Unis sont également touchés par la restructuration, la première région visée par ce grand coup de balai est l’Europe. HSBC veut y supprimer le tiers de ses actifs. « [Le Vieux Continent] mobilise 20 % de notre capital, mais nous y perdons de l’argent, explique Noel Quinn, le directeur général par intérim. Ce n’est pas acceptable. »

« Pas l’intention de nous retirer complètement de France »

Concrètement, il n’est pas question de se retirer d’Europe. Mais l’établissement va fortement limiter sa présence à deux niveaux. D’abord, il va réduire son activité dans la banque d’investissement. HSBC est avant tout l’établissement du commerce international. Sa spécialité est de financer les grandes multinationales et d’accompagner la mondialisation. En revanche, le groupe a toujours peiné, en Europe, sur des métiers comme le conseil en fusions et acquisitions ou les produits financiers pointus. Faute de rentabilité, il va réduire ces activités. De même, la recherche (notes d’analyse sur l’économie et les entreprises) sera réduite, et sa présence à la City va en prendre un sérieux coup.

Le deuxième niveau de coupes en Europe continentale concerne la banque commerciale, celle qui finance les entreprises. HSBC entend se concentrer sur les grandes entreprises internationales, qui peuvent profiter de sa présence un peu partout dans le monde. Les clients nationaux en Europe – grosses PME, entreprises qui n’exportent pas ou peu… – ne sont plus sa priorité.

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Quant à la banque de détail, tout dépend des marchés. HSBC a annoncé, en 2019, qu’elle entendait vendre son réseau d’agences en France. Le processus est en cours, sans nouvelle mise à jour. « Nous n’avons pas l’intention de nous retirer complètement de [l’HExagone] », précise cependant M. Quinn.