Archive dans mai 2023

En France, les premiers fruits de la réindustrialisation

Emmanuel Macron aime les « grandes causes nationales », une formule légitime dans le cas de la réindustrialisation de la France, l’une des priorités du programme des cent jours de sa première ministre, Elisabeth Borne. Les ministres, élus locaux et chefs d’entreprise présents autour du président de la République, le 12 mai, à Dunkerque (Nord), l’auront certainement en tête, qu’elle soit prononcée ou non. M. Macron doit en effet y annoncer l’implantation de l’usine de batteries pour voitures électriques du taïwanais ProLogium Technology, un investissement de 5 milliards d’euros pour la quatrième gigafactory créée dans les Hauts-de-France.

Il est plus facile en France de parler de « désindustrialisation » que de « réindustrialisation » tant les chiffres sont éloquents. « Elle a commencé dans les années 1970, mais s’est brutalement accélérée à l’aube de l’an 2000 », résume cruellement le patron de Bpifrance, Nicolas Dufourq, dans l’ouvrage La Désindustrialisation de la France. 1995-2015 (Odile Jacob, 2022). En vingt ans, le pays a perdu près de la moitié de ses usines et un tiers de ses emplois industriels. Dans une indifférence générale, des bassins d’activités ont été rayés de la carte, des savoir-faire perdus à jamais, des familles détruites. L’industrie ne pèse plus aujourd’hui que 12 % du PIB, dix points de moins qu’en Allemagne.

Le sursaut n’est intervenu qu’en 2016, et il faut en attribuer le premier mérite à François Hollande. Ces dernières années, les ouvertures d’usines ont été plus nombreuses que les fermetures et le solde d’emplois s’élève à quelques dizaines de milliers, sur 21 millions de salariés du privé. Pas encore de quoi pavoiser, donc.

La réindustrialisation reste fragile, mais responsables politiques, patrons et syndicalistes s’accordent sur un point : l’enjeu productif est majeur. Le secteur offre de meilleurs salaires, contribue à la cohésion des territoires et génère de nombreux services associés ; il affiche des gains de productivité, assure la plus grosse part de la recherche et développement privée et renforce la souveraineté nationale.

Retard de compétitivité

Lors du prochain sommet Choose France, le 15 mai au château de Versailles, M. Macron devrait annoncer quelque 10 milliards d’euros d’investissements étrangers dans l’Hexagone. Il aura beau jeu de souligner, baromètre annuel du cabinet EY à l’appui, que l’attractivité du pays a bien résisté en 2022. La France a même conservé la première place du podium européen avec 1 259 projets d’implantations ou d’extensions de sites, un bilan inenvisageable il y a dix ans. Depuis 2017, l’Etat y a mis les moyens. Il prévoit 54 milliards d’euros d’investissement sur 2022-2027 en faveur de l’industrie, des technologies innovantes et de la transition écologique.

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Il faut cependant rappeler que les capitaux étrangers créent près de deux fois plus d’emplois en Allemagne et au Royaume-Uni, pays où l’on compte plus de créations que d’extensions d’usines. La France accuse un retard de compétitivité sur ses grands concurrents. Elle n’a jamais connu un déficit commercial aussi abyssal (164 milliards d’euros en 2022) ni supporté une telle dette.

Et le cabinet EY prévient que « les récentes tensions politiques et sociales ont pu conduire les investisseurs à s’interroger sur la capacité du gouvernement à poursuivre les réformes ». Leurs projets à trois ans sont en recul. Convaincre que la France est revenue sur de bons rails, désormais conformes à l’indispensable prise en compte de la crise climatique en cours, demandera encore des efforts.

Le Monde

« Les départements disposent de leviers essentiels pour améliorer la situation des travailleurs de la “première ligne” »

Une quinzaine de présidentes et de présidents de conseils départementaux ont affirmé avec force la nécessité de défendre une autre vision du travail pour ce qu’ils appellent les métiers de la première ligne (aides à domiciles, agents d’entretien, ripeurs,…), dans une belle tribune « Redonner leur dignité aux travailleurs et travailleuses de “première ligne” », parue dans Le Monde du 2 mai, ils soulignent que ces professions ont une utilité sociale majeure et doivent être mieux reconnues socialement et matériellement. Leur travail doit pouvoir être effectué dans de meilleures conditions et bénéficier de temps et de ressources leur permettant de mieux faire et de mieux vivre leur travail.

Cette initiative est d’autant plus remarquable qu’elle émane de responsables des exécutifs des départements, institutions qui, en France aujourd’hui, pilotent des politiques décisives dans la construction et la régulation des emplois en question. Prenons les deux principaux exemples. Les aides à domicile (et l’ensemble des travailleurs intervenant auprès des personnes en perte d’autonomie) sont assurément les premières concernées. Le « département » fixe le montant de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), mais aussi les règles de contractualisation avec les prestataires : favorise-t-il les acteurs à but non lucratif ? apporte-t-il un soutien aux formes innovantes de management ? permet-il le financement des temps collectifs ?

Des agents à la frontière de la précarité

Répondre à ces questions revient au département, car il est le principal prescripteur des conditions d’emploi. Et, de fait, des différences départementales très importantes sont visibles y compris sur le seul plan des rémunérations : dans les Landes, où le secteur public est porté par une politique départementale volontariste depuis longtemps, les aides à domicile gagnent en moyenne annuelle près d’un quart de plus que la moyenne nationale (14 600 euros versus 11 685 euros en 2019). A l’inverse, dans le département de la Somme, le salaire annuel moyen est de 9 620 euros la même année.

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Les 600 000 aides à domicile ne sont pas les seules à dépendre directement ou indirectement des décisions des conseils départementaux. Ceux-ci, tout comme les régions et les communes, gèrent également de très nombreux bâtiments publics (locaux administratifs, musées, établissements scolaires, …). Rien que pour les collèges et lycées, ce sont au moins 100 000 salariés qui sont concernés. Il ne s’agit évidemment pas uniquement des agents de service et des contractuels que les collectivités territoriales emploient de manière directe, mais également de tous les salariés des entreprises prestataires (propreté, sécurité, accueil, restauration collective…) dont ils sont les donneurs d’ordre.

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« Enquête sur Michel-Edouard Leclerc » : un patron dans la bataille de l’opinion

Lorsqu’il était ministre de l’agriculture (2020-2022), Julien Denormandie a envoyé chaque semaine, durant plusieurs mois, les prospectus des centres E. Leclerc à Michel-Edouard Leclerc. Etaient entourés en rouge les prix du kilo de porc ou de tomates. Le responsable politique apposait son commentaire : « Pas assez cher ».

Julien Denormandie fait partie d’une cohorte de dirigeants politiques, syndicaux ou de professionnels que les pratiques du géant de la distribution insupportent. Et qui dénoncent à l’envi, chez Michel-Edouard Leclerc, un « double langage », une « démagogie », voire un « populisme ». Un ancien ministre l’assure : « J’ai vite compris que j’avais affaire à un vendeur de pommade magique. »

En janvier 2022, lorsque le prix de la baguette a été bloqué à 29 centimes d’euros dans les magasins E. Leclerc, le chef cuisinier Thierry Marx s’est, lui aussi, emporté dans une tribune dans Libération : « En baissant le prix de la baguette (…), au moment où les matières premières flambent, c’est toute une filière qu’on assassine. » L’accusation est toujours la même : en prétendant défendre les prix bas et le pouvoir d’achat, Michel-Edouard Leclerc mettrait en péril des pans entiers de l’économie.

Dans un ouvrage paru chez Plon, Enquête sur Michel-Edouard Leclerc, Magali Picard, journaliste à LSA, magazine spécialisé dans la consommation des ménages, s’est penchée sur le parcours, les combats, et les ambivalences apparentes de ce patron si médiatique, « sympathique » et « manipulateur ». Elle offre ainsi une plongée dans les coulisses des établissements E. Leclerc, qui permet de mieux comprendre pourquoi l’homme est tout à la fois sous le feu permanent des critiques de ses opposants, et présenté comme « le patron préféré des Français ».

Procès multiples

Ses croisades menées contre les monopoles et les prix réglementés l’illustrent bien. Il va par exemple s’opposer de manière frontale au lobby des pharmaciens dans les années 1980 en s’imposant progressivement comme un vendeur de produits de parapharmacie, jusqu’alors chasse gardée des officines. Les procès seront multiples. Mais il saura l’emporter, prenant l’opinion à témoin, dénonçant « les marges des pharmaciens, ainsi que les ententes avec les laboratoires », rappelle l’autrice.

Au nom de la défense du pouvoir d’achat, Michel-Edouard Leclerc met en scène son insoumission, s’insurge contre des réglementations injustes à ces yeux. Quitte à ne pas respecter la loi. Au début des années 1980, il s’élève contre la mise en place du prix unique du livre. Son enseigne « pratique deux tarifs reconnaissables à leurs étiquettes apposées sur les bouquins : le prix Leclerc en orange – évidemment le moins cher – et le prix Lang [correspondant à la loi] en rose ». Là encore, les procès pleuvront. Mais cette fois-ci, Michel-Edouard Leclerc ne gagnera pas.

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Epargne locale : trois régions françaises à la pointe

L’épargne des clients est souvent redistribuée sous la forme de prêts pour développer des projets locaux en matière d’énergies renouvelables ou de mobilité douce.

Les initiatives permettant aux particuliers de contribuer, par leur épargne, au développement économique local fleurissent sur tout le territoire. Mais dans certaines régions, la préférence régionale trouve plus qu’ailleurs à s’exprimer. Ainsi, les habitants des Hauts-de-France ont accès à de nombreuses solutions, notamment conçues autour de la troisième révolution industrielle (Rev3), un programme porté depuis une dizaine d’années par la région et la chambre de commerce et d’industrie pour promouvoir la transition énergétique et numérique.

Le Crédit coopératif propose le Livret Rev3, rapportant 1,20 % jusqu’à 15 000 euros (0,20 % au-delà). Les dépôts des clients sont utilisés au minimum à 75 % sous la forme de prêts pour financer des projets locaux dans les domaines des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique, de l’économie circulaire, de la mobilité douce.

« Nous garantissons la traçabilité des financements du Livret Rev3 dans les Hauts-de-France, où quatre-vingts entreprises ont bénéficié d’un prêt en 2022, pour un total de 56 millions d’euros », rapporte Imad Tabet, directeur du marché des particuliers, qui précise que ce livret est commercialisé partout en France. Le Crédit coopératif propose aussi douze livrets – un par région – dénommés « Coopération pour ma région » et rémunérés 0,60 % brut. La totalité des encours (77 millions d’euros) sert, au sein de chaque territoire, à accorder des prêts à des entreprises de l’économie sociale et solidaire.

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Depuis fin mars, le Crédit agricole Nord de France propose à ses clients sociétaires un fonds commun de placement à risque (FCPR) appelé « PME et Territoire », investi dans des entreprises régionales à hauteur de 50 % minimum. Le ticket d’entrée s’élève à 2 500 euros – c’est peu pour ce type de produit investi au capital d’entreprises non cotées. « Le fonds est géré par une équipe de dix personnes basées à Lille. La proximité avec les entreprises est essentielle. Nous accompagnons les dirigeants dans leur gestion, en particulier à des moments clés, comme lors d’une acquisition ou d’un investissement important », souligne Christophe Deldycke, président du directoire de Turenne Capital, dont la filiale commune avec le Crédit agricole Nord de France gère le FCPR.

Un fonds souverain régional

L’épargne au service de son territoire : un concept qui fait aussi écho en Auvergne-Rhône-Alpes, où la région s’est mobilisée, dans le contexte de la relance post-Covid-19, pour soutenir les entreprises locales. Elle a ainsi été à l’initiative du premier fonds souverain régional français, qui totalise 100 millions d’euros d’encours. « Un FCPR a été créé pour permettre aux particuliers d’en être souscripteurs, aux côtés de la région, de Bpifrance et des partenaires privés (Groupama, Apicil, des banques mutualistes…). C’est un dispositif original, le grand public n’ayant généralement pas accès aux fonds des investisseurs institutionnels », précise Pierre Taillardat, responsable chez Siparex, la société de capital-investissement aux commandes de ce fonds souverain.

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En France, beaucoup d’investissements étrangers mais peu d’emplois

Le ministre de l’industrie, Roland Lescure, à l’Elysée, le 19 avril 2023.

Sauf énorme surprise, quelques bouchons de champagne devraient sauter vendredi 12 mai pour saluer l’arrivée à Dunkerque (Nord) du taïwanais Prologium Technology et son usine géante, ou « gigafactory », de batteries électriques, avec quelque 3 000 emplois à la clé. Une annonce de bon augure à trois jours du sommet Choose France, qui doit réunir, lundi 15 mai à l’Elysée, deux cents chefs d’entreprise étrangers. Et, surtout, une perspective qui s’ajoute à plusieurs autres projets d’usines centrées sur la production de batteries électriques, dont celui du chinois Envision à Douai ou de ACC à Douvrin (Pas-de-Calais), près de Béthune.

Faut-il en conclure que, après vingt-cinq années de désindustrialisation, la France est devenue une terre d’accueil pour les investisseurs ? Ce serait aller un peu vite en besogne. Le Baromètre de l’attractivité, établi tous les ans depuis 2000 par le cabinet EY et publié jeudi 11 mai, livre un bilan un peu plus nuancé.

Avec 1 259 implantations ou extensions de sites en 2022 sur un total de 5 962 investissements recensés en Europe, la France reste bien le pays le plus attractif du continent, pour la quatrième année de suite. Autre élément positif, 40 % de ces projets sont de nature industrielle, un bon point pour la réindustrialisation du pays.

« Dynamique d’ensemble »

Mais le nombre d’emplois créés, lui, est nettement moindre que chez nos voisins. En moyenne, un investissement étranger se traduit par 33 nouveaux emplois en France, quand on en dénombre 58 en Allemagne, 59 au Royaume-Uni… ou 326 en Espagne. Au total, le nombre de postes créés par les investisseurs étrangers a baissé de 15 % entre 2021 et 2022, alors que celui des projets augmentait de 3 %.

Un bémol que Laurent Saint-Martin, directeur général de Business France, l’agence d’attractivité de la France, relativise. « Il suffit parfois d’un ou deux projets à plusieurs milliers d’emplois pour changer la donne, fait-il valoir. Ce qui compte, c’est la dynamique d’ensemble. » « Lorsque des investisseurs ont des projets en Europe, ils appellent la France en premier, avant nous étions cinquième ou sixième », se félicite le ministre de l’industrie, Roland Lescure.

Mais ces appels n’aboutissent pas toujours, à en croire les données du baromètre EY. « Si la France fidélise les entreprises implantées, elle a plus de difficultés que d’autres à attirer de nouveaux projets : 65 % de ceux annoncés en France en 2022 sont des extensions de sites existants, quand cette proportion n’est que d’un tiers environ en Allemagne et au Royaume-Uni », explique Marc Lhermitte, associé EY chargé du baromètre.

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Le syndicalisme s’organise à petits pas chez les travailleurs indépendants

Un an après les élections des représentants des travailleurs des plates-formes, en mai 2022, les premiers accords voient le jour dans la douleur. Le 20 avril, trois textes, fixant notamment un revenu minimal de 11,75 euros de l’heure pour les livreurs à deux-roues, ont été signés avec les plates-formes de type Deliveroo et Uber Eats. « Une première étape importante dans le dialogue social de ce secteur », s’est réjoui le ministre du travail, Olivier Dussopt. « Un accord bidon », ont dénoncé cinq organisations (CGT-Livreurs, Collectif des livreurs autonomes des plates-formes, CNT-SO, FO-JustEat et SUD-Livreurs·euses). Jugé insuffisant par ces dernières, l’accord sur le tarif a seulement été signé par la Fédération nationale des autoentrepreneurs et microentrepreneurs.

Malgré des premiers pas chancelants, ces négociations ouvrent un dialogue social inédit dans la communauté morcelée des indépendants, peu habituée à la négociation syndicale classique et longtemps ignorée par les organisations syndicales traditionnelles. « A leurs yeux, il n’y avait rien en dehors du salariat », résume Martin Richer, fondateur du cabinet Management & RSE, qui a notamment travaillé sur les évolutions du syndicalisme.

Lire aussi le deuxième article de la série Article réservé à nos abonnés Les collectifs d’indépendants, un juste milieu entre salariat et travail en free-lance

L’explosion du nombre d’autoentrepreneurs a finalement incité les syndicats, confrontés à l’érosion de leurs effectifs, à se pencher sur cette catégorie d’actifs : l’Union nationale des syndicats autonomes a mis en place dès 2015 un syndicat des chauffeurs privés, un syndicat pour les coursiers à vélo a vu le jour dès 2017 à la CGT, et la Fédération communication, conseil, culture de la CFDT a lancé en 2016 un site à destination des travailleurs non salariés. Un premier pas vers la création, en 2019, de Union-Indépendants, une émanation de la CFDT. Reste à toucher cette catégorie de travailleurs : « Il faut arriver à leur faire comprendre que le collectif est plus efficace que l’action individuelle », admet Fabien Tosolini, chargé de mission chez Union-Indépendants.

Des « néosyndicats » sur la Toile

Les travailleurs indépendants ne les ont pas attendus pour s’organiser. Face au vide laissé par les syndicats traditionnels, une myriade de collectifs a vu le jour. Observateur de longue date du mouvement, Jean-Guilhem Darré, délégué général du Syndicat des indépendants (SDI), estime à « plus d’un millier » le nombre d’organisations définies « par domaine d’activité ou par région », qui se sont construites au fil du temps pour défendre les indépendants. Faute de données officielles, difficile de savoir ce que pèsent ces collectifs.

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Référendum d’entreprise : les sirènes de la démocratie directe

Carnet de bureau. « Bien souvent quand la démocratie représentative ne satisfait pas, la tentation est grande de se tourner vers la démocratie directe », explique le juriste Christophe Mariano, maître de conférences en droit privé à l’université Clermont-Auvergne. En entreprise comme en politique, la démocratie directe s’organise par référendum. Le dialogue social sort-il grandi de la place croissante donnée à ce mode de consultation dans les négociations ?

Mis en avant par la loi « travail » de 2016, il a été présenté comme un nouveau dispositif de négociations pour redonner la main aux salariés quelle que soit la représentation syndicale. Dès lors, un accord d’entreprise minoritaire pouvait obtenir sa validation de cette manière. Une seule question posée aux salariés peut alors sortir une négociation de l’impasse. A Orange Business Services, cette procédure a permis d’obtenir la mise en œuvre, en 2022, d’un accord d’intéressement auquel s’opposaient la majorité des organisations syndicales.

Mais la médaille a son revers : c’est ainsi qu’en 2017 les salariés de l’entreprise de santé Novo Nordisk avaient décidé au nom de la compétitivité d’imposer un temps de travail supplémentaire non rémunéré qui ne concernait en fait qu’un quart de l’effectif.

Des conséquences mal maîtrisées

C’est le premier risque pour les salariés : permettre à un syndicat minoritaire de faire valider un accord socialement moins-disant. D’autant plus que le référendum est assez simple à mettre en œuvre et offre l’avantage d’être accessible à tout type d’entreprise, des plus grandes aux plus petites. Le bilan annuel de la négociation collective publié par le ministère du travail en septembre 2022 indique d’ailleurs que la part d’accords validés par référendum dans les petites entreprises est en forte hausse depuis cinq ans, atteignant 83 % des textes « hors épargne salariale ».

Dans celles de moins de vingt salariés, 40 % du total des accords ont été ainsi approuvés. « C’est le plus souvent le temps de travail qui a été négocié, avec, à chaque fois, une tendance à la dégradation des conditions de travail des salariés », remarque M. Mariano.

Dans un second temps, les ordonnances Macron de 2017 ont donné la possibilité aux employeurs des grandes entreprises de prendre l’initiative et de l’organiser. Avec parfois aussi des conséquences mal maîtrisées : comme en 2018, lorsqu’un vote organisé pour prendre le pouls des collaborateurs sur l’accord salarial d’Air France a finalement abouti à la démission du PDG, Jean-Marc Janaillac. Il s’agit d’une autre de ses faiblesses. Le dispositif est binaire et polarise à l’extrême, à l’inverse du dialogue social représentatif dont le propre est de tenir compte de toutes les forces en présence dans l’entreprise.

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Crise de confiance au « Parisien », entre difficultés économiques et inquiétudes sur l’indépendance de la rédaction

Le siège du Groupe Les Echos-Le Parisien, à Paris, le 20 décembre 2022.

Trois lettres ont longtemps défini Le Parisien. RER, pour « révéler, étonner, raconter ». « Avec Bernard Arnault, on voit bien que les révélations ont des limites », grince une journaliste, qui a requis l’anonymat, précisant que les scoops existent toujours dans les pages du quotidien « mais pas à propos de n’importe qui ». LVMH, dont l’actionnaire majoritaire est Bernard Arnault, a racheté ce titre en 2015. Huit ans après, l’érosion des ventes se poursuit et, aux inquiétudes quant à la santé du journal, sont venues s’ajouter des interrogations sur la ligne éditoriale et sur l’interventionnisme supposé de l’actionnaire principal.

Ce sentiment de malaise a été exprimé lors des deux assemblées générales tenues début avril, qui ont réuni plus de la moitié des 410 cartes de presse de la rédaction. Certains dénoncent la « dérive partisane de la ligne éditoriale » en faveur de l’exécutif depuis le début de la contestation contre la réforme des retraites. Certains au sein de la rédaction ont vu la main de Bernard Arnault derrière cette inflexion. Nicolas Charbonneau, directeur des rédactions, conteste farouchement ces attaques.

Preuve de l’étendue de l’inquiétude ressentie, le 12 avril, très majoritairement la rédaction a refusé d’accorder sa confiance à la direction. L’éviction de Nicolas Barré de la direction de la rédaction des Echos − quotidien également détenu par LVMH − quelques jours auparavant avait relancé les spéculations chez ceux qui s’inquiétaient des interventions de l’actionnaire.

Lancinante, la question revient lors de chaque assemblée générale de la rédaction du Parisien. Pourquoi Bernard Arnault a-t-il choisi de miser sur un quotidien populaire que l’on trouve encore souvent sur le zinc des bistrots franciliens ? Pour profiter de son influence et du prestige de la marque ? « C’est un passage obligé pour tout milliardaire, mais il voulait aussi en faire un instrument de pédagogie de l’économie de marché », explique l’un de ses proches. Entendu en janvier 2022 dans le cadre de la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration des médias, M. Arnault avait avancé l’« intérêt général » pour justifier sa présence dans le secteur des médias. « Sinon, certains titres n’auraient pas survécu », avait-il dit, se présentant ainsi en mécène.

Très attentif

« Bernard Arnault, qui est très attaché à la presse, a choisi de montrer qu’il croyait à ce secteur », assure au Monde Francis Morel, qui était le PDG des Echos en 2015. Persuadé que le journal économique risquait de devenir un acteur isolé dans un paysage en pleine concentration, M. Morel a œuvré pour convaincre M. Arnault de réunir Le Parisien et Les Echos (qu’il possédait depuis 2007) dans le même groupe, arguant des économies de mutualisation de fonctions supports (abonnement, ressources humaines, etc.) ainsi qu’une plus grande force de frappe d’une régie publicitaire commune. « Soit on sortait, soit on se renforçait », résume-t-il, aujourd’hui.

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LinkedIn ferme son réseau social en Chine et licencie plus de 700 personnes

Le réseau social LinkedIn a annoncé, lundi 8 mai dans un communiqué signé de son PDG, Ryan Roslansky, la fermeture au mois d’août de sa dernière application disponible en Chine, InCareer. L’entreprise, propriété du groupe américain Microsoft, compte 20 000 salariés dans le monde et a fait savoir qu’elle allait licencier 716 de ses employés à l’occasion d’une réorganisation.

Le géant de l’informatique était l’une des rares sociétés américaines d’Internet à avoir réussi à imposer dans le pays un réseau social en dépit de la censure et d’une stricte réglementation locale. En 2021, elle avait rendu inaccessible son application LinkedIn en Chine continentale et l’avait remplacée par une version locale et simplifiée, nommée InCareer. « Après mûre réflexion, nous avons pris la décision de mettre fin à InCareer à compter du 9 août 2023 », a expliqué lundi le réseau social dans un communiqué.

La plupart des multinationales américaines d’Internet (Facebook, Twitter, Instagram, YouTube…) sont bloquées en Chine de longue date, à défaut de se plier à une législation locale stricte et aux contours pas toujours clairs. Les géants de la tech sont poussés à bloquer en ligne tous les contenus indésirables et sujets considérés comme politiquement sensibles au nom de la stabilité sociale. LinkedIn avait été critiqué ces dernières années pour avoir retiré des comptes de dissidents et effacé des contenus politiquement sensibles de ses pages.

Le secteur de la tech a connu de nombreuses coupes dans les effectifs ces derniers mois : 27 000 personnes chez Amazon, 21 000 chez Meta (maison mère de Facebook et Instagram), 12 000 chez Alphabet (propriétaire de Google). Microsoft, qui a acheté LinkedIn en 2016 pour 26 milliards de dollars (24 milliards d’euros), avait pour sa part annoncé en janvier le départ de 10 000 personnes.

Le Monde avec AFP et Reuters

Responsabilité sociale et environnementale : « Il est un peu facile de renvoyer dos à dos partisans et adversaires de l’ESG en égalisant leurs approches »

La controverse actuelle autour de la prise en compte des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans la stratégie des entreprises et les choix des investisseurs tourne souvent autour de la question de la nature de ces critères extra-financiers. Pour certains, ils sont intemporels, et militer pour ou contre aujourd’hui serait donc un faux débat, une « guéguerre bidon ». Mais pour d’autres, il est un peu facile de renvoyer dos à dos partisans et adversaires de l’ESG en égalisant leurs approches, en réalité radicalement différentes. Aussi, pour éviter que le « tout est égal » ne devienne un « tout m’est égal », il est nécessaire de faire quelques distinctions, quelques nuances.

Tout d’abord, on ne peut pas affirmer que la solvabilité des entreprises a de tout temps dépendu d’éléments extra-financiers. Même si certains, à l’instar d’Henry Ford, ont très tôt constaté que certains éléments importants, comme les employés et la réputation, n’apparaissaient pas dans les états financiers des entreprises, depuis 1949 et à la suite de Benjamin Graham, reconnu en son temps comme « l’investisseur le plus doué de la planète », tout le monde se concentre sur « les sociétés avec peu de dettes, une marge bénéficiaire supérieure à la moyenne et un cash-flow suffisant » (L’Investisseur intelligent, Benjamin Graham, Valor Editions, 2018). Les notes de crédit émises par Moody’s et Standard & Poor’s reposent en conséquence sur sept ratios financiers fondamentaux.

Si l’analyse extra-financière a pris de l’importance, c’est parce qu’à partir des années 1980 les valeurs boursières des sociétés du S&P 500 se sont fortement écartées de leurs valeurs comptables, les actifs corporels figurant au bilan des entreprises ne représentant aujourd’hui plus que 10 % de la valeur de ces dernières. Cela explique pourquoi, en 2004, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, Kofi Annan, n’a pas eu beaucoup de mal à convaincre les PDG des plus grandes institutions financières d’intégrer les critères dits « ESG », donnant ainsi naissance au rapport « Who Cares Wins » et aux principes pour l’investissement responsable.

On notera également que les premières « politiques sectorielles » de BNPP, Société générale, Natixis et Crédit agricole, qui précisent les critères ESG des projets et opérations que ces banques souhaitent ou non accompagner, ont été publiées à partir de 2010, et leurs premières stratégies climat dans la foulée.

Devoir fiduciaire inviolé

La responsabilité fiduciaire, qui consiste pour un mandataire à agir au mieux des intérêts de ses mandants, n’a également pas toujours consisté à gérer l’argent d’autrui en cherchant à optimiser sa performance financière à court terme. Ce n’est qu’en 1974, quand le président Gerald Ford a promulgué l’Employee Retirement Income Security Act pour transformer les fonds de pension des entreprises en organismes financiers autonomes capables de diversifier leurs placements, que la recherche du profit financier à court terme est devenue une obligation légale.

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