Droit de grève : les risques de la dissuasion
Carnet de bureau. Si l’entrave à la liberté du travail (article 431-1 et 431-2 du code pénal) est condamnable, l’entrave au droit de grève l’est également. Quel que soit le climat social, voire la situation économique de l’entreprise, il est toujours malavisé pour un manageur ou un employeur de vouloir dissuader les salariés de faire grève.
La société Vencorex France vient de le découvrir à ses dépens : elle a été condamnée fin février par le tribunal judiciaire de Chambéry à indemniser la CGT de son site chimique du Pont-de-Claix (Isère) pour « atteinte à la liberté syndicale et au libre choix des salariés d’exercer leur droit de grève ».
La contestation sociale ne concernait pas encore la réforme des retraites. Le syndicat avait alors appelé les salariés à faire grève pour protester contre la Loi travail. Mais, l’usine du Pont-de-Claix ayant déjà perdu plusieurs jours de production à cause des mouvements sociaux, la direction de l’entreprise, estimant avoir perdu « plusieurs millions d’euros », a cru bon d’adresser une « lettre ouverte » au représentant de la CGT du site affirmant « être choqué[e] par l’appel à la grève », soulignant « les conséquences néfastes » pour l’entreprise, qualifiant la « situation » de « regrettable » et concluant ainsi : « Nous espérons qu’elle ne se reproduira plus. » Un exercice de pédagogie, selon la défense.
Une liberté fondamentale
Le document a aussi été diffusé sur l’intranet de l’entreprise. Le propos de la direction s’adressait alors à l’ensemble des salariés, discréditant au passage l’action syndicale : « Au final, cette grève du samedi 2 avril [2022] n’a eu aucun effet sur la cause qu’elle prétendait défendre », précisait la lettre ouverte signée par le comité de direction.
L’entrave à la liberté syndicale a vite été démontrée. Le tribunal a rappelé qu’« il n’appartient pas à une société ou à ses représentants de donner une opinion subjective sur l’utilité d’une organisation syndicale représentative au sein de l’entreprise qui tire sa légitimité d’une liberté fondamentale », que cette organisation est « en droit de déposer un préavis de grève pour contester une loi qu’elle considère comme contraire aux intérêts des salariés qu’elle défend », même en cas d’« impact sur le fonctionnement de l’entreprise ».
Quant à l’exercice du droit de grève, c’est une liberté fondamentale défendue par la Constitution. Chaque salarié doit pouvoir y recourir sans subir de pression individuelle ou professionnelle. Or la lettre de la direction mettant en parallèle « la grève » et les pertes de production, de ventes, de clients et l’énergie nécessaire à préparer un avenir commun était de nature à dissuader les salariés.
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