Archive dans mars 2023

Grève à partir du 7 mars : malgré les concessions de l’exécutif, les cheminots annoncent un durcissement du mouvement

Des agents de la SNCF à la gare Saint-Lazare, à Paris, lors de la manifestation du mardi 31 janvier 2023 contre la réforme des retraites.

Depuis plusieurs semaines, le gouvernement multiplie les annonces favorables au secteur des transports. L’objectif est double : favoriser le report des automobilistes vers le rail pour réduire les émissions de CO2, mais aussi désamorcer les raisons qui pourraient pousser les cheminots et les agents de la RATP à devenir le fer de lance de la lutte contre la réforme des retraites, en bloquant le pays.

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Ces efforts n’ont visiblement pas convaincu. Pour preuve, tous les syndicats de la SNCF appellent à une grève reconductible à partir du mardi 7 mars. Entre vendredi 24 février et lundi 27 février, les adhérents de la CFDT Cheminots ont, à 80 %, voté en faveur d’un durcissement du mouvement. A l’UNSA Ferroviaire, deuxième syndicat de la SNCF, habituellement modéré, le secrétaire général Didier Mathis menace de « mener dix jours de grève d’affilée et bloquer Paris au moins deux week-ends ». Un ton très dur, alors même que la première ministre, Elisabeth Borne, vient d’annoncer sa « nouvelle donne ferroviaire », avec un financement de 100 milliards d’euros à la clé.

Cent milliards d’ici à 2040, c’est pourtant une promesse choc, qui répond quasiment à l’euro près à la demande formulée par Jean-Pierre Farandou, le PDG de la SNCF, à l’été 2022. Il avait réclamé cette somme, étalée sur quinze ans, pour moderniser les infrastructures ferroviaires et doubler la part du train dans nos déplacements. « Un combat gagné », se félicitait le ministre délégué chargé des transports, Clément Beaune, au moment de l’annonce, obtenue envers et contre le ministère des finances. Bercy estime que l’Etat en a déjà assez fait en reprenant 35 milliards d’euros de dette à la SNCF il y a deux ans pour ne pas avoir à remettre la main au portefeuille.

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D’autres messages positifs ont été envoyés aux cheminots : pas un euro des bénéfices record de leur entreprise (2,4 milliards d’euros pour 2022) ne reviendra à son actionnaire, l’Etat. Tout sera réinvesti, et pas seulement les 60 % fléchés automatiquement vers la rénovation du rail. M. Beaune a aussi trouvé 5 millions d’euros pour sécuriser 130 sites sensibles du réseau en Ile-de-France.

Plans de recrutement massif

La RATP n’est pas oubliée. En décembre 2022, le ministre a accordé une rallonge budgétaire de 200 millions d’euros à Ile-de-France Mobilités (IDFM), l’autorité qui finance les transports en Ile-de-France. Cette somme a permis à Jean Castex, le PDG de la RATP, de proposer une hausse de l’enveloppe salariale de 5,7 %, en assurant une augmentation mensuelle de 105 euros net à tous les agents.

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Réforme des retraites : le chômage des seniors, angle mort du débat public

Quatrième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, à Marseille, le 11 février 2023.

La réforme des retraites risque de causer des dégâts collatéraux dont il a peu été question, jusqu’à présent, dans le débat public. C’est l’une des réflexions qui vient à l’esprit à la lecture d’une étude publiée, mercredi 1er mars, par l’Unédic, l’association paritaire qui gère l’assurance-chômage. Elle remet en lumière un phénomène déjà exploré par d’autres recherches : le fait de reculer l’âge d’ouverture des droits à une pension est susceptible de se traduire par un plus grand nombre de seniors sans activité.

Le document diffusé par l’Unédic s’intéresse en particulier aux incidences de la loi de novembre 2010, qui avait reporté de 60 à 62 ans l’âge légal de départ à la retraite. En préambule, les auteurs de la note prennent la précaution de souligner que les résultats auxquels ils aboutissent ne peuvent pas « être projetés tels quels » sur la période à venir, notamment parce que « les générations ne sont pas comparables d’une décennie à l’autre », tout comme les « contextes économiques ». Pour autant, ce retour sur le passé apporte un éclairage sur ce qui pourrait advenir avec la réforme en cours d’examen au Sénat, puisqu’elle repousse, elle aussi, de deux années l’âge d’ouverture des droits.

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Entre la mi-2010 et la mi-2022, le nombre de bénéficiaires de l’allocation-chômage, âgés d’au moins 60 ans, s’est accru de 100 000. Quant aux indemnisations versées aux demandeurs d’emploi d’au moins 55 ans, elles ont augmenté de 38 % entre 2010 et la période allant de la mi-2021 à la mi-2022. Soit une progression très supérieure à celle observée pour les moins de 55 ans (+ 16 %). Là encore, la prudence s’impose, car « l’effet propre des réformes des retraites sur les dépenses [pour les] seniors est complexe à isoler », plusieurs facteurs entrant en ligne de compte (conjoncture économique, modification des règles de l’assurance-chômage, évolution démographique…).

Des propositions au Sénat

Ces données convergent avec celles issues d’enquêtes conduites antérieurement. Deux d’entre elles, réalisées par des directions ministérielles, ont été présentées lors d’une réunion du Conseil d’orientation des retraites en janvier 2022. L’une indique que le décalage de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans « se traduirait » par une hausse de « près de 84 000 » du nombre de bénéficiaires de l’allocation-chômage, « dont près de 60 000 » auraient 62 et 63 ans. L’autre montre qu’une telle mesure d’âge pourrait faire basculer davantage de personnes vers les minima sociaux : + 30 000 pour ce qui est du revenu de solidarité active et + 30 000, également, s’agissant de l’allocation de solidarité spécifique attribuée aux chômeurs en fin de droit – cette évolution étant très concentrée sur les tranches d’âge situées après 60 ans.

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Les députés votent le rallongement du congé pour le décès d’un enfant

Loin des polémiques qui avaient secoué l’Assemblée nationale il y a trois ans sur le sujet, les députés ont voté à l’unanimité, jeudi 2 mars en soirée, en faveur d’un allongement du congé minimum pour le décès d’un enfant, en le portant de cinq à douze jours dans le code du travail.

Un amendement La France insoumise (LFI) a été adopté en ce sens, dans le cadre de l’examen d’une proposition de loi du groupe Horizons qui vise à améliorer l’accompagnement des familles d’enfants gravement malades. Frédéric Mathieu (LFI) a défendu cet allongement, nécessaire pour « accomplir les démarches administratives » et « matérielles » autour d’un décès. « Aucun jour de congé ne remplacera jamais la perte d’un enfant », a-t-il aussi souligné.

Le code du travail prévoit actuellement cinq jours pour le décès d’un enfant, ou sept jours ouvrés s’il a moins de 25 ans. Pour le décès d’un enfant de moins de 25 ans, a été ajouté en 2020 un « congé de deuil parental » de huit jours supplémentaires, fractionnable, pour partie pris en charge par la Sécurité sociale.

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Le rejet initial par l’Assemblée, il y a trois ans, d’un allongement du congé dans le code du travail, qui était proposé par Guy Bricout (UDI), avait suscité une vague d’indignation, et la ministre du travail de l’époque, Muriel Pénicaud, s’était retrouvée sur la sellette.

Le congé après annonce du handicap d’un enfant est allongé lui aussi

Les députés ont évité jeudi soir de reproduire un tel épisode, mais le rapporteur Paul Christophe (Horizons) s’est dit « assez embarrassé » que cet amendement intervienne dans le cadre d’un texte visant à « protéger les parents d’un enfant bien vivant ». Il a plutôt invité, mais en vain, à faire un bilan de la disposition de 2020. Le ministre des solidarités, Jean-Christophe Combe, a souligné qu’« on ne peut qu’être d’accord sur ce sujet » du congé deuil, et s’en est remis à la « sagesse » de l’Assemblée.

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Examinée en première lecture, la proposition de loi sur « la protection des familles d’enfants atteints d’une maladie ou d’un handicap, ou victimes d’un accident d’une particulière gravité » a elle aussi été adoptée à l’unanimité et doit maintenant passer au Sénat, ainsi complétée. Elle prévoit de porter de deux à cinq jours la durée pour les parents du congé pour annonce de la survenue d’un handicap ou d’une pathologie chronique d’un enfant.

Le texte prévoit en outre d’interdire le licenciement de tout parent salarié concerné, de faciliter l’accès au télétravail ou encore le maintien dans le logement, sous conditions, en cas de renouvellement de bail. Les députés du Rassemblement national ont provoqué une large réprobation en présentant des amendements afin de réserver certaines mesures aux parents dont au moins l’un est de nationalité française. M. Combe a dénoncé une « inhumanité sans limite ».

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Le Monde avec AFP

A Lyon, la direction d’Euronews annonce deux cents licenciements et le « redéploiement des équipes de journalistes »

Le siège lyonnais de la chaîne de télévision d’information multilingue Euronews, dans le quartier Confluence de Lyon, en novembre 2018.

« C’est un jour terrible, nous avons l’impression que le rêve d’une chaîne européenne vole définitivement en éclats », confie Charles (prénom d’emprunt), jeudi 2 mars, devant le siège d’Euronews, à Lyon, alors que la direction de la chaîne européenne vient tout juste d’annoncer 198 licenciements, au cours d’un conseil social et économique (CSE) extraordinaire. Le journaliste quadragénaire préfère ne pas donner son nom, compte tenu du contexte social.

« L’esprit de cette maison, c’était de réunir des journalistes de toutes nationalités dans un même lieu, pour qu’ils croisent leurs regards. Tout cela est démantelé. Humainement, c’est extrêmement dur », poursuit Charles, le visage marqué, persuadé qu’il vit « la fin de quinze ans de travail, passionné ». Dans le hall et les couloirs des six étages de l’immeuble des bords de Saône, les mines sont accablées.

Les salariés ont connu trois plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) en six ans, dans cette entreprise aux trente nationalités. Les mesures de celui-ci sont sans précédents. Il est question de supprimer près de la moitié des effectifs, actuellement constitués de 478 salariés.

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Une version européenne de CNN

Selon un communiqué interne de la section locale du syndicat national des journalistes (SNJ), cette suppression « massive de postes » s’accompagne d’un « redéploiement des équipes de journalistes », « dans un délai de six mois ». La direction envisage l’ouverture d’une rédaction centrale à Bruxelles, ainsi que six bureaux à Rome, Berlin, Lisbonne, Madrid et Londres, le principe étant de renvoyer les journalistes dans leurs pays d’origine.

Resteraient à Lyon des journalistes de nationalité française. Mais aussi russe, iranienne et turque, en raison des dangers à exercer leur métier dans leur pays. Ce qui représenterait un effectif de 142 personnes maintenues à Lyon. « Le démantèlement de notre chaîne à Lyon est désormais quasiment total », estime le SNJ.

La cession du célèbre immeuble à la façade métallique vert pomme ne fait plus de doute. Un mandat de vente a été activé en début d’année pour commercialiser les 10 000 mètres carrés du site. Un coup dur pour la ville de Lyon, tant l’implantation du siège d’Euronews symbolisait la reconversion du quartier futuriste de Confluence, au sud de l’agglomération. Créée en 1993 à Ecully, à l’ouest de Lyon, la chaîne avait déménagé dans ce nouveau siège, se voulant une version européenne de CNN. Le plan annoncé aujourd’hui prévoit l’externalisation de plusieurs services, comme la régie finale, la production des magazines, ou le service des plannings.

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« Si l’on veut endiguer le Rassemblement national, il faut comprendre les fondements sociologiques de sa dynamique politique »

Il y a des phrases politiques qui restent dans l’histoire comme des symboles d’une défaite. Il y avait le fameux « l’Etat ne peut pas tout », de Lionel Jospin, face aux salariés de Michelin en 2000, deux ans avant l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Il pourrait y avoir bientôt les étonnants propos d’Elisabeth Borne, rapportés dans Le Monde du 7 janvier. « Si on avait la recette… Elle est très insaisissable », a dit la première ministre en commentant la dynamique politique du Rassemblement national (RN) et de sa cheffe, comme un aveu d’impuissance.

Assise sur ses 42 % de voix obtenues au second tour de l’élection présidentielle et ses 88 députés, l’extrême droite n’a objectivement jamais été aussi proche du pouvoir sous la Ve République. La grande banalisation du RN s’est achevée avec son entrée dans les institutions. Alors qu’il avait cahin-caha fonctionné lors de toutes les élections précédentes, le front républicain s’est effondré lors des législatives, et le RN y a percé son plafond de verre. En 2017, La République en marche avait remporté plus de 90 % des duels qui l’opposaient au RN dans les circonscriptions. Aux législatives de 2022, la coalition présidentielle en a perdu plus de la moitié.

Lire la tribune : Article réservé à nos abonnés « L’habitude de voter Rassemblement national s’enracine dans une partie du corps électoral »

La conjoncture sert les desseins politiques du RN, la crise du pouvoir d’achat alimentant les colères qui nourrissent l’extrême droite. Nul besoin d’avoir fait de longues études d’histoire pour savoir comment, à la suite de la crise de 1929, l’inflation et l’appauvrissement des classes moyennes ont contribué à l’avènement du fascisme en Europe. Une majorité de Français disent aujourd’hui « s’en sortir difficilement » avec les revenus dont ils disposent. Cette majorité peut désormais rendre une droite extrême majoritaire.

Du renoncement au ressentiment

Les difficultés face au coût de la vie, l’impopularité de la réforme des retraites, la perception que le gouvernement l’impose de manière brutale sans comprendre les Français nous font changer de temporalité, et passer du grand renoncement au grand ressentiment. Le renoncement (au vote par exemple) était un retrait individuel, un repli résigné sur soi et son cercle proche. Le ressentiment, c’est-à-dire le fait d’en vouloir à un tiers, ici le gouvernement, pour les torts subis, est une colère sourde, aux effets politiques plus dévastateurs. Ce ressentiment enfle : on le lit dans le fait que 60 % des Français et 67 % des actifs comprendraient aujourd’hui le blocage du pays pour faire plier le gouvernement. Le basculement des classes moyennes est la clé d’une future conquête du pouvoir pour Marine Le Pen. Le ressentiment pourrait bien accélérer les ralliements.

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Retraites : le lien entre l’âge légal de départ et le chômage des seniors confirmé par une étude

Manifestation, au cinquième jour des rassemblements nationaux organisés depuis le début de l’année, contre une refonte des retraites profondément impopulaire, à Bordeaux, dans le sud-ouest de la France, le 16 février 2023

L’âge légal de départ à la retraite et les règles de l’assurance-chômage ont-ils un impact sur la stratégie des entreprises – parfois partagées par les syndicats et les salariés concernés – pour se séparer des séniors ? Selon une étude de l’Unédic, publiée mecredi 1er mars, cette hypothèse tend à se confirmer.

L’âge légal de départ à la retraite entraîne en effet un pic de ruptures conventionnelles trois ans avant, ce qui correspond à la durée d’indemnisation chômage dont pouvaient bénéficier les plus de 55 ans, selon une étude de l’Unédic.

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Dans cette dernière, l’association observe en 2021 une nette hausse à 59 ans de ces ruptures « d’un commun accord », qui donnent droit au chômage, alors que l’âge légal de départ à la retraite est de 62 ans et que les plus de 55 ans pouvaient être indemnisés pendant trois ans.

Alors que 17 % des ouvertures de droit au chômage à 56 ans le sont à la suite d’une rupture, ce chiffre grimpe à 25 % à 59 ans, un taux « qui remonte au niveau de celui que l’on observe pour les trentenaires, catégorie d’âge la plus concernée par les ruptures conventionnelles », constate l’Unédic. En 2010, alors que l’âge légal de départ était encore de 60 ans, ce pic était atteint autour de 57-58 ans.

Ce pic devrait se décaler à l’avenir sous l’effet des nouvelles règles d’assurance chômage qui ont réduit depuis le 1er février la durée d’indemnisation maximale de 25 % pour les nouveaux entrants au chômage, soit 27 mois au lieu de 36 pour les plus de 55 ans.

Le gouvernement est aussi favorable, dans la réforme des retraites débattue au Parlement, à ce que les ruptures conventionnelles avant l’âge légal de départ soient soumises au même forfait social de 30 % que celles intervenant après alors qu’il n’est pour l’instant que de 20 %.

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Selon l’étude, le report de l’âge légal de 60 à 62 ans a entraîné entre 2010 et 2022 une hausse de 100 000 du nombre d’allocataires de plus de 60 ans. Parmi ces indemnisés supplémentaires, 65 000 ont 60 ou 61 ans du fait du décalage de l’âge légal. Et 20 000 ont 65 ou 66 ans, du fait du décalage de l’âge d’annulation de la décote (de 65 à 67 ans) et de la hausse de la durée de cotisation.

Enfin l’étude s’intéresse à une disposition qui permet, sous conditions, de continuer à être indemnisé par l’assurance-chômage au-delà de trois ans, jusqu’à l’accès à une retraite à taux plein, au plus tard à 67 ans. Fin juin 2022, sur les 72 000 allocataires indemnisés de 62 ans ou plus, 21 000 sont bénéficiaires de ce dispositif.

Notre sélection d’articles sur la réforme des retraites

Le Monde avec AFP

« En matière de parité, l’Islande bat tous les records »

« Je suis forte ! Je suis courageuse ! Je suis puissante ! » Encouragées par leur maîtresse, les petites élèves de maternelle crient ces mots, tout en lançant des bûches. Elles occupent la moitié de la cour, l’autre étant réservée aux garçons – ce qui évite que ces derniers ne monopolisent la totalité de l’espace central et relèguent les filles dans les coins, comme dans la plupart des écoles. Du foot à la poupée, qu’ils soient catalogués comme masculins ou féminins, les jeux sont ici pratiqués indifféremment par tous les enfants.

Cette école islandaise applique le modèle éducatif Hjalli, comme seize autres dans le pays. Diffusé récemment sur France 24, un documentaire de la journaliste Mélina Huet révèle comment ces établissements s’appliquent à ne pas enfermer les enfants dans les stéréotypes de genre. Margret Pala Olafsdottir, la pédagogue qui a développé cette méthode, a été décorée par le gouvernement pour sa contribution à la construction d’une société plus paritaire.

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De fait, l’Islande bat à peu près tous les records en la matière. Elle caracole depuis plus de dix ans en tête du classement sur l’égalité femmes-hommes du Forum économique mondial. Son Parlement est le plus féminin d’Europe, avec 47,6 % d’élues. Le taux d’emploi des Islandaises est très élevé (77,5 % en 2021, contre 67,5 % dans la zone euro), et le congé parental est pris quasiment à parts égales entre les deux parents.

Lois contraignantes

Mais quel est donc le secret de l’île volcanique ? Chaque année, à l’approche de la Journée internationale du droit des femmes du 8 mars, tous les regards se tournent vers l’Islande pour tenter de le percer. « Beaucoup de facteurs entrent en jeu », éclaire Eliza Reid, sa première dame, qui publie justement l’ouvrage sur la question Les Secrets des Sprakkar. Ces femmes qui changent le monde (Michel Lafon, 288 pages, 19,95 euros). « Le principal d’entre eux est la conscience largement partagée que travailler vers plus d’égalité profite à tous. Que ce n’est pas pour les femmes au détriment des hommes, mais un progrès déterminant pour bâtir une société meilleure pour l’ensemble de ceux qui y vivent. »

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En Islande, cette conscience est ancienne et tient sans doute en partie au faible nombre d’habitants (370 000), relativement homogène. Mais pas seulement. Ses lois sont aussi bien plus contraignantes qu’ailleurs. Depuis 2018, les entreprises islandaises de plus de 25 salariés comme les administrations sont en effet contraintes de respecter une norme d’égalité salariale à travail égal. Un organisme indépendant vérifie qu’elles répondent aux critères définis par la loi et leur accorde une certification, à renouveler tous les trois ans. Celles qui ne les respectent pas encourent une amende de 50 000 couronnes (330 euros) par jour, au plus. Un système bien plus efficace que l’index Pénicaud en vigueur en France, peu contrôlé et facilement contournable.

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Réforme des retraites : « Il est temps de passer à une nouvelle étape, plus sociale, du quinquennat »

La réforme des retraites, du moins le report de l’âge de départ à 64 ans, est massivement rejetée par les Français. Ceux-ci la trouvent injuste et ils ne souhaitent pas travailler plus longtemps. Nécessaire pour assurer le financement de nos régimes de retraite et pour augmenter le taux d’emploi des seniors, cette réforme ternit l’image du gouvernement et participe du climat morose que nous connaissons.

Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés « L’actuelle réforme des retraites est d’abord une renonciation à une réforme universelle »

Il est temps de passer à une nouvelle étape du quinquennat, à une étape plus sociale.

Il convient, en premier lieu, d’accompagner les seniors qui devront travailler plus longtemps. Il faut changer les mentalités, notamment celles des employeurs : on n’est pas vieux passé 60 ans. La formation professionnelle continue doit donc bénéficier massivement aux seniors. Il faut mettre l’accent sur le renforcement de la formation professionnelle au service des transitions professionnelles, notamment pour la dernière partie de carrière, ceci en renforcement des politiques de ressources humaines adaptées. Ainsi, l’entretien de mi-carrière à 45 ans pourrait être renouvelé à 55 ans. Tout cela s’inscrit dans une réaffirmation du dialogue social, tant au niveau des entreprises que des branches professionnelles. Faisons pour les seniors ce que les gouvernements d’Emmanuel Macron ont réussi à faire pour les jeunes avec la réforme de l’apprentissage.

Un véritable revenu jeunes

Mais il faut aller plus loin, redonner de l’espoir au pays. Cela passe par des efforts significatifs pour les jeunes. Après le plan 1 jeune, 1 solution et la réforme de l’apprentissage, adoptons un pacte pour la jeunesse qui favorise l’insertion des jeunes dans l’emploi et les aide à maintenir leur niveau de vie. Ce pacte doit comporter une réforme du lycée professionnel, déjà entamée mais qui doit être poursuivie, un système de bourses plus efficace et un véritable revenu jeunes, sur le modèle danois, qui aille au-delà du contrat d’engagement jeunes.

Lire l’entretien : Article réservé à nos abonnés Pierre Rosanvallon : « Le débat sur la réforme des retraites est le signe d’un ébranlement de notre démocratie »

Ce pacte doit également comporter une véritable réforme de l’école. L’école est trop absente de nos débats. Nous ne devons plus être une des écoles les moins performantes et les plus égalitaires de l’Organisation de coopération et de développement économiques, comme le disent les classements du Programme international pour le suivi des acquis des élèves. Nous ne devons pas en rester au dédoublement des classes de CP et de CE1, ni au retour de l’enseignement des mathématiques, deux mesures fondamentales qui doivent être complétées : il faut n’affecter en zones prioritaires que des enseignants ayant au moins deux ans d’ancienneté, en usant largement du recrutement sur postes à profil ; recourir au looping, c’est-à-dire au suivi des élèves par le même maître du CP au CE2 ; adopter un grand plan de formation au calcul mental et résolutions de problèmes ; créer des réseaux de conseillers pédagogiques en mathématiques dans les écoles…

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« Santé et travail dans les TPE » : des douleurs passées sous silence

C’est le paradoxe des très petites entreprises (TPE). Dans ces organisations qui regroupent moins de dix salariés, la santé des travailleurs est, à en croire la statistique publique, meilleure qu’ailleurs. Pourtant, « la présence des risques professionnels y est plus forte, et (…) la prévention (…) très peu développée », soulignent Emilie Legrand et Fanny Darbus, maîtresses de conférences en sociologie.

Afin d’éclairer cette contradiction, les deux universitaires ont mené une enquête dans ces petites structures, dans des secteurs d’activité (coiffure, restauration, bâtiment) où salariés comme patrons sont particulièrement exposés. Une étude minutieuse, conduite sur un terrain peu exploré jusqu’alors par la recherche, et dont elles livrent les conclusions dans un essai : Santé et travail dans les TPE (Erès).

L’ouvrage démontre rapidement que « ces métiers mettent (…) la santé à rude épreuve ». Voir ces petites structures comme des espaces préservés est une illusion. Station debout prolongée, port de charges lourdes, risque de chute, de brûlure… Les dangers et les pénibilités sont multiples, les pathologies rencontrées tout autant. Les douleurs chroniques (dos, mains…) sont fréquentes et peuvent toucher les plus jeunes.

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Souffrir au travail fait partie du quotidien des collaborateurs. C’est même une norme intégrée par nombre d’entre eux. Les risques sont « identifiés comme des composantes incontournables, sinon identitaires, du métier et souvent acceptés comme une fatalité », expliquent les autrices.

Une pénibilité acceptée

L’endurance est souvent célébrée. En conséquence, la plupart des salariés poursuivent leur activité même en cas de douleurs. Les problèmes de santé sont ainsi invisibilisés, les arrêts de travail sont rares, leur étude ne pouvant, par conséquent, permettre de saisir la réalité du terrain.

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Pourquoi une telle acceptation de la pénibilité et des risques ? Différents ressorts sont à l’œuvre. L’endurance et la résistance à la douleur sont des marqueurs culturels communs à de nombreux salariés, tout particulièrement ceux issus des classes populaires. Certains collaborateurs souhaitent, par ailleurs, soutenir la santé économique de l’entreprise, toute absence pouvant entraver sa bonne marche. Une solidarité peut d’ailleurs être à l’œuvre dans ces TPE où, souvent, « l’état du collectif de travail et la vitalité de l’entreprise passent avant la santé de chaque individu, et a fortiori celle des plus vulnérables ».

Pour éviter que les corps ne souffrent trop, des stratégies peuvent toutefois être déployées par les salariés. Elles sont souvent informelles : jouer sur le planning des rendez-vous dans les salons de coiffure, placer les tâches les plus exigeantes en fin de journée dans le bâtiment… De même, pour limiter la souffrance psychique et faire accepter les pénibilités, la cohésion apparaît essentielle. « S’assurer de la “bonne ambiance” au sein de l’équipe » semble agir comme un « antalgique », constatent les sociologues. Cette ambiance représente donc un « enjeu hautement stratégique » pour certains patrons de TPE, appelés à travailler leur management en conséquence.

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« Le problème des inégalités de genre ne peut se résoudre que lorsqu’un profond changement de mentalité a lieu »

Eliza Reid, première dame d’Islande, et le président, Gudni Thorlacius Johannesson, à Reykjavik, le 27 juin 2020.

Depuis plus d’une décennie, l’Islande figure en tête du classement sur l’égalité femmes-hommes du Forum économique mondial : le congé parental est presque pris à parts égales entre les deux parents, le taux d’emploi des femmes est de dix points supérieur à celui observé dans l’Union européenne… Mais quel est donc le secret égalitaire de cette petite île ?

Journaliste et écrivaine d’origine canadienne, Eliza Reid, devenue première dame d’Islande en 2016, lorsque son époux, Gudni Thorlacius Johannesson, a été élu président, tente d’y répondre dans un ouvrage aujourd’hui publié en France, Les Secrets des Sprakkar. Ces femmes qui changent le monde (Michel Lafon, 288 pages, 19,95 euros). Elle y dresse le portrait d’Islandaises de divers horizons, tout en soulignant les progrès que son pays d’adoption doit encore accomplir en la matière.

Qui sont les « sprakkar » évoquées dans votre livre ?

Sprakkar est le pluriel de sprakki, un ancien mot islandais signifiant « femme exceptionnelle ». Il est aujourd’hui tombé en désuétude, mais j’ai tenu à l’utiliser lorsque je l’ai découvert, pour une raison bien simple : il n’existe aucun mot équivalent en anglais ni dans la plupart des langues de ma connaissance. Au contraire, les qualificatifs utilisés pour désigner les femmes y sont plutôt connotés négativement.

Qu’est-ce qui, en matière d’égalité des sexes, vous a le plus surprise lorsque vous vous êtes installée à Reykjavik ?

J’ai grandi dans une ferme au Canada, et j’ai vécu plusieurs années au Royaume-Uni avant de m’installer sur cette île, à la vingtaine. A mon arrivée, j’ai travaillé dans une petite start-up de logiciels, dont le salariat était très masculin. La présidente du conseil d’administration était une femme. Un jour, je l’ai aperçue en train d’allaiter son bébé pendant une réunion.

Personne ne détournait le regard de façon gênée ni ne faisait de plaisanterie embarrassante, y compris les hommes : tout le monde se comportait comme si c’était absolument naturel. J’ai alors pensé qu’il devrait toujours en être ainsi, et pas seulement en Islande ! Ce souvenir s’est gravé dans ma mémoire.

Pourquoi dédier aujourd’hui un livre au sujet ?

Dans mon passé de journaliste, j’ai toujours été sensible à la question de l’égalité femmes-hommes. Durant la pandémie de Covid-19, lorsque nos quotidiens ont été bouleversés, j’ai pensé que venant d’un autre continent, j’étais peut-être bien placée, avec un regard extérieur, pour dresser le portrait de cette société plus proche de l’égalité que ne l’est aucune autre.

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