« Si l’on veut endiguer le Rassemblement national, il faut comprendre les fondements sociologiques de sa dynamique politique »

« Si l’on veut endiguer le Rassemblement national, il faut comprendre les fondements sociologiques de sa dynamique politique »

Il y a des phrases politiques qui restent dans l’histoire comme des symboles d’une défaite. Il y avait le fameux « l’Etat ne peut pas tout », de Lionel Jospin, face aux salariés de Michelin en 2000, deux ans avant l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Il pourrait y avoir bientôt les étonnants propos d’Elisabeth Borne, rapportés dans Le Monde du 7 janvier. « Si on avait la recette… Elle est très insaisissable », a dit la première ministre en commentant la dynamique politique du Rassemblement national (RN) et de sa cheffe, comme un aveu d’impuissance.

Assise sur ses 42 % de voix obtenues au second tour de l’élection présidentielle et ses 88 députés, l’extrême droite n’a objectivement jamais été aussi proche du pouvoir sous la Ve République. La grande banalisation du RN s’est achevée avec son entrée dans les institutions. Alors qu’il avait cahin-caha fonctionné lors de toutes les élections précédentes, le front républicain s’est effondré lors des législatives, et le RN y a percé son plafond de verre. En 2017, La République en marche avait remporté plus de 90 % des duels qui l’opposaient au RN dans les circonscriptions. Aux législatives de 2022, la coalition présidentielle en a perdu plus de la moitié.

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La conjoncture sert les desseins politiques du RN, la crise du pouvoir d’achat alimentant les colères qui nourrissent l’extrême droite. Nul besoin d’avoir fait de longues études d’histoire pour savoir comment, à la suite de la crise de 1929, l’inflation et l’appauvrissement des classes moyennes ont contribué à l’avènement du fascisme en Europe. Une majorité de Français disent aujourd’hui « s’en sortir difficilement » avec les revenus dont ils disposent. Cette majorité peut désormais rendre une droite extrême majoritaire.

Du renoncement au ressentiment

Les difficultés face au coût de la vie, l’impopularité de la réforme des retraites, la perception que le gouvernement l’impose de manière brutale sans comprendre les Français nous font changer de temporalité, et passer du grand renoncement au grand ressentiment. Le renoncement (au vote par exemple) était un retrait individuel, un repli résigné sur soi et son cercle proche. Le ressentiment, c’est-à-dire le fait d’en vouloir à un tiers, ici le gouvernement, pour les torts subis, est une colère sourde, aux effets politiques plus dévastateurs. Ce ressentiment enfle : on le lit dans le fait que 60 % des Français et 67 % des actifs comprendraient aujourd’hui le blocage du pays pour faire plier le gouvernement. Le basculement des classes moyennes est la clé d’une future conquête du pouvoir pour Marine Le Pen. Le ressentiment pourrait bien accélérer les ralliements.

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LJD

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