Archive dans février 2023

« En quatre semaines, le gouvernement détruit tout » : les salariés de l’IRSN mobilisés contre la réforme de la gouvernance du nucléaire

Des salariés en grève de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) manifestent à l’appel des syndicats pour protester contre la disparition programmée de l’institut, à Paris, le 28 février 2023.

Les premières précisions et les grands principes énoncés par le gouvernement n’ont pas suffi à rassurer les salariés de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Mardi 28 février, une grande partie d’entre eux ont répondu à un nouvel appel à la mobilisation pour protester contre le projet de réforme de la gouvernance du nucléaire, qui prévoit l’absorption de leur établissement par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Au moins 700 personnes, selon l’intersyndicale – sur environ 1 700 employés –, ont manifesté à Paris alors que le projet de loi d’accélération du nucléaire, par lequel doit être introduite cette réforme, entamait son examen en commission à l’Assemblée.

« D’habitude nous ne sommes pas des gens qui descendons dans la rue, l’IRSN est un établissement très feutré, rappelle Delphine Pellegrini, cheffe du service recherche et expertise sur les déchets radioactifs. Mais là, nous défendons nos valeurs et notre métier. » « C’est pour le cœur de notre métier que nous sommes inquiets, abonde Jean-François Barbier, ingénieur dans le domaine de la sûreté des installations. On a galéré pendant des décennies à construire cet établissement au service de la protection des citoyens et à établir la confiance, et en quatre semaines, le gouvernement détruit tout. »

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La gouvernance du nucléaire repose jusqu’ici sur deux piliers : l’IRSN, chargé de l’expertise et de la recherche, et l’ASN, responsable du contrôle et des décisions. La décision de démanteler le premier pour créer un pôle unique de sûreté a été annoncée de manière inattendue, le 8 février, dans la foulée d’un conseil de politique nucléaire. Selon le gouvernement, cette fusion vise à « renforcer les moyens et l’indépendance de l’ASN » alors que celle-ci va être confrontée à une charge de travail inédite.

« Fluidifier » les échanges

« Cette décision n’est pas du tout une critique du système actuel mais s’inscrit dans l’objectif d’une optimisation maximale dans le cadre de la relance du nucléaire », assure le ministère de la transition énergétique, qui met en avant la nécessité de « fluidifier » les échanges et de gagner en efficacité. « Dans le nouveau dispositif, les expertises techniques pourront être présentées directement au collège de l’ASN, permettant ainsi des décisions éclairées par la science plus rapides », précise-t-il.

L’annonce soudaine de cette réforme majeure a toutefois soulevé de vives inquiétudes. Pour tenter d’y répondre, le ministère a annoncé, le 23 février, que les compétences en matière de recherche et d’expertise seraient bien maintenues ensemble au sein de l’ASN, plutôt qu’éclatées entre l’ASN et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), comme prévu à l’origine. « La philosophie générale est de dire qu’il y a aujourd’hui une synergie entre l’expertise et la recherche et qu’il faut transférer cela en bloc de l’IRSN vers l’ASN », précise le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher.

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ChatGPT ou le miroir du savoir mondain

Entreprises. Avec l’accès de tous au système ChatGPT, le débat sur les dangers de l’intelligence artificielle (IA) a atteint le grand public. Dans de nombreux domaines, l’IA a déjà dépassé les capacités humaines. Mais ce qui trouble dans ChatGPT, ce n’est plus la puissance de raisonnement ou de calcul, mais sa capacité à mobiliser une grande masse de textes pour répondre, selon les règles communes du discours, à toutes les questions qu’on lui pose.

Observateurs, entreprises et enseignants se sont alors inquiétés de voir le système élaborer des synthèses professionnelles ou des devoirs académiques perçus comme « satisfaisants ». Mais n’est-ce pas cette satisfaction que ChatGPT nous impose plutôt d’interroger ?

A ses débuts, l’IA visait la captation des savoirs techniques et spécialisés. Les systèmes experts des années 1980 fournissent des diagnostics médicaux, aident les réparateurs de machines ou à la conduite des robots. Le savoir qu’ils capturent est celui d’un raisonnement mobilisant les faits et les règles d’un métier. Cette approche connaît sa percée la plus spectaculaire avec les logiciels d’échecs ou de jeu de go, qui battront les plus grands maîtres.

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La seconde étape de l’IA adopte une démarche inverse. Au lieu de partir du savoir d’un expert, on va tenter de générer celui-ci en entraînant un algorithme à partir de bases de données gigantesques. La reconnaissance faciale est emblématique de cette approche. L’IA peut alors apprendre à imiter un style littéraire ou musical et à générer des formes complexes à partir de millions d’exemples.

Un parfait rhéteur

Or, il n’a pas fallu longtemps aux usagers perspicaces de ChatGPT pour se rendre compte que le système raisonne et calcule mal. De même qu’il se révèle, par exemple, un piètre joueur d’échecs. Pourtant, il peut aisément disserter sur la théorie de la relativité générale d’Einstein, donner les règles d’une société civile immobilière ou aborder avec pondération un dilemme moral.

ChatGPT agit donc comme un parfait rhéteur, qui, sans comprendre ce dont il parle, cherche dans sa mémoire – bien supérieure à celle d’un humain – les phrases les plus établies, donc les lieux communs, qu’il agencera ensuite en une réponse convaincante.

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Cette rhétorique fascinante place les manageurs en attente de rapports et les professeurs correcteurs de dissertations devant un miroir inquiétant : doivent-ils encore se satisfaire de synthèses humaines, si elles répètent, comme ChatGPT, ce que disent les textes ?

Mais s’ils doivent solliciter, au contraire, des propositions originales, seront-ils capables de les reconnaître et d’y répondre eux-mêmes ? Une recherche expérimentale récente montre que pour qu’un leader ou un professeur puisse accueillir des propositions innovantes ou surprenantes, il faut qu’il soit lui-même capable de détecter les biais de son propre savoir et les limites de son processus créatif (Justine Boudier, Modéliser et expérimenter un « leader défixateur » en situation de fixations hétérogènes, thèse PSL, MinesParis, 2022)

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Fermeture de « Vice France » : la direction évoque des finances « préoccupantes », les salariés dénoncent une mauvaise stratégie

Vice France n’existera plus d’ici la fin du mois de mars. Paul Douard, le rédacteur en chef du pure player, ainsi que plusieurs membres de la rédaction ont annoncé l’avis de décès du bureau français de Vice après quinze ans d’existence, lundi 27 février sur Twitter. Vingt-cinq personnes en contrat à durée indéterminée devraient ainsi être licenciées d’ici la fin du mois prochain pour « motif économique ».

Le média 100 % numérique nourrissait également son site en faisant appel à des journalistes pigistes, qui feront bientôt les frais de cette disparition soudaine. Avec sa ligne éditoriale alliant des enquêtes sérieuses et des témoignages originaux, notamment reconnaissable par ses titres accrocheurs et un ton libre, voire irrévérencieux, le pure player à destination des 15-35 ans avait su se distinguer de ses concurrents Brut, Slate, Le HuffPost ou encore Konbini.

Cette annonce intervient quatre jours après la démission de la directrice générale de Vice Media, Nancy Dubuc, alors que le groupe ne parvient pas à monétiser son audience et chercherait à être racheté. Valorisé à 5,7 milliards de dollars en 2017, il vaudrait considérablement moins aujourd’hui, autour de 1,5 milliard, selon le Wall Street Journal.

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« Œillères » et « condescendance »

Contactée, l’entreprise n’a pas souhaité faire de commentaire, mais fait notamment valoir dans un courrier envoyé à ses salariés et que Le Monde a pu consulter qu’elle fait « face à une situation financière préoccupante depuis plusieurs années » et que « la crise sanitaire liée au Covid-19 a renforcé les difficultés existantes ». Vice Media fait le choix de fermer sa filiale française, après son bureau espagnol en 2020, estimant que la situation économique va continuer à se détériorer en 2023.

Mais cette version est difficile à digérer pour les salariés du média français. En interne, sous le couvert de l’anonymat, on déplore de « mauvais choix stratégiques » comme la fermeture de la régie publicitaire Virtue en 2020 ou la voilure réduite pour la verticale i-D, une plate-forme mettant en avant les talents dans la mode, la culture et la jeunesse. L’ancien rédacteur en chef adjoint Louis Dabir a par ailleurs jugé sur Twitter lundi que Vice France avait été « très mal exploité par les dirigeants américains et anglais, enchaînés par leurs œillères et leur condescendance ».

Si le chiffre d’affaires de la publicité de la branche française avait diminué de 5 millions à 4 millions d’euros entre 2021 et 2022, il repartait à la hausse depuis le début de l’année 2023, assurent plusieurs sources. Des arguments qui n’ont pas convaincu Vice Media. La directrice Europe des ressources humaines a convoqué les salariés pour un appel en ligne le 3 février pour leur annoncer, le jour même, les intentions du groupe américain, fondé au Canada en 1994. Une décision officiellement confirmée aux salariés le 23 février.

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Un fragile espoir pour les salariés du centre René-Laborie, dont la liquidation a déjà été prononcée

« Nous avons été virés du centre comme des malpropres le jeudi 16 [février] à 17 heures. Les salariés sous le choc étaient en pleurs », se désole Dominique (le prénom a été changé), une salariée du centre de santé René-Laborie, à Paris, qui a souhaité rester anonyme comme ses collègues. C’est pourtant sans surprise que le tribunal judiciaire de Paris a prononcé, le 16 février, la liquidation de la mutuelle livre III uMEn médical, la branche d’uMEn gestionnaire du centre de santé mutualiste René-Laborie.

Déficitaire depuis sa sortie du giron de la mutuelle Audiens, selon les syndicats, l’établissement est entré en cessation de paiement le 1er février. La liquidation avec cessation immédiate d’activité menace de laisser sur le carreau les 135 salariés du centre de soins, fréquenté par environ 75 000 personnes par an.

« Reprise partielle ou totale »

Mais le glas n’a pas encore sonné pour le centre de soins. Dans certains cas, une entreprise mise en liquidation judiciaire peut faire l’objet d’une offre de reprise (globale ou partielle), ce qui permet la reprise des activités, la sauvegarde des emplois et la suppression du passif. Deux mandataires judiciaires ont donc été nommés pour étudier les éventuelles offres de reprise.

Aux dires des organisations syndicales, trois repreneurs se seraient manifestés. « Plusieurs offres de reprise partielle ou totale, y compris avec les salariés, ont déjà été émises par plusieurs types d’opérateurs », a confirmé Laurent Joseph, le président d’uMEn médical, dans un communiqué.

« Reste à voir de quel type de repreneur il s’agit, s’inquiète un membre du CSE. Il ne faudrait pas non plus qu’on ouvre un Starbucks à la place du centre. » En attendant, les médecins s’inquiètent du devenir de leurs patients et de leurs dossiers. « On a contacté le mandataire pour demander un accès à Doctolib, mais pour le moment rien n’a été fait », précise Dominique.

Pas de reclassement

La direction a confirmé qu’en cas de licenciement, il n’y aurait pas de possibilité de reclassement au sein de la mutuelle. Le président d’uMEn médical, dont la gestion a été durement critiquée par les organisations syndicales, s’est également défendu : « Nous sommes allés au maximum des efforts possibles et autorisés pour sauvegarder le centre. »

La direction du centre a été accusée par les syndicats d’avoir eu « la folie des grandeurs ». En ligne de mire, les investissements massifs concédés dans la rénovation du centre, situé au cœur du deuxième arrondissement parisien. « Espérons que les importants investissements qui ont porté sur une impérative mise aux normes réglementaires du centre et une nécessaire amélioration du parcours de soins du patient seront de nature à favoriser des offres de reprise », a fait valoir Laurent Joseph.

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Grève du 7 mars à la SNCF : tous les syndicats appellent à un mouvement reconductible contre la réforme des retraites

La CFDT-Cheminots, quatrième syndicat représentatif de la SNCF, a lancé lundi 27 février un appel à la grève reconductible à partir du 7 mars, rejoignant ainsi la CGT-Cheminots, l’Unsa-Ferroviaire et SUD-Rail.

Les quatre syndicats représentatifs du groupe public se sont mis d’accord pour durcir le mouvement, comme l’avait déjà annoncé le 11 février dernier l’ensemble des organisations syndicales représentatives de la RATP qui ont elles aussi appelé à un mouvement reconductible.

Décryptage : Droit de grève : préavis, rémunération, réquisitions… Que dit la loi ?

Mercredi 22 février, l’ensemble des syndicats de la SNCF s’était réuni pour envisager la possibilité d’un mouvement reconductible unitaire. La CGT et SUD militaient pour, mais l’UNSA et la CFDT avaient fait savoir qu’elles souhaitaient consulter leurs adhérents d’abord.

Vendredi 24, l’UNSA a appelé à « reconduire le mouvement après le 7 mars », dans un communiqué. Le deuxième syndicat de la SNCF « analysera dès le 7 mars et chaque jour le taux de grévistes à la SNCF (…), mais également au niveau interprofessionnel, pour décider des suites à donner à ce mouvement », a-t-il dit.

Quant à la CFDT, elle a dévoilé les résultats d’une consultation lancée au cours du week-end auprès de ses adhérents. « Plus de 80 % sont favorables à une grève reconductible », a-t-elle révélé lundi.

Les éboueurs sont également appelés par leur fédération CGT à se mettre en grève reconductible à partir du 7 mars, tout comme les livreurs des plates-formes l’ont été par la CGT-Transports.

Jeudi 2 mars, la CGT-Cheminots doit se réunir avec les autres fédérations professionnelles de la CGT actives dans le mouvement (chimie, énergie, ports et docks) pour préparer la journée « France à l’arrêt » du 7 mars et des jours suivants.

Emmanuel Macron « souhaite que le Sénat puisse enrichir » le texte

A deux jours de l’examen de la réforme des retraites par le Sénat, le gouvernement multiplie de son côté les gestes d’« ouverture » et les appels à « l’enrichissement » du texte, notamment sur la situation des femmes, l’une des principales revendications des Républicains (LR), majoritaire à la chambre haute.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Réforme des retraites : le gouvernement prêt à des compromis avec la droite

« Je souhaite que le Sénat puisse enrichir » le texte « avec ce qui lui paraît utile » : samedi soir, dans les travées du Salon de l’agriculture, Emmanuel Macron a semblé donner presque un blanc-seing à son gouvernement pour toper avec LR lors des futurs débats de la réforme-phare de son deuxième quinquennat, une descente dans l’arène dont il s’était jusqu’alors gardé.

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Dix jours après la fin des discussions à l’Assemblée nationale émaillées d’échauffements et invectives dans l’hémicycle, parfois prolongées jusque dans les couloirs du Palais-Bourbon, l’heure est à l’apaisement.

Notre sélection d’articles sur la réforme des retraites

Le Monde avec AFP

« Que les pays du Nord puissent faire appel à une main-d’œuvre des pays du Sud inépuisable, bon marché et prête à migrer, est aujourd’hui plus que questionnable »

La migration de travail a toujours navigué entre des besoins de qualification de plus en plus pressants du marché du travail et les atermoiements à répétition des responsables politiques. Il est vrai que ces derniers sont soumis à la pression d’une opinion publique généralement peu favorable au recours à la main-d’œuvre étrangère.

Mais avec l’accélération du vieillissement de la population, sous le double effet d’une natalité chancelante et d’une espérance de vie qui n’en finit pas d’augmenter, cet équilibre devient fragile.

Le gouvernement, en proposant un projet de loi instaurant la création d’un titre de séjour des « métiers sous tension », réactive un vieux débat, celui de la fuite des cerveaux. Si certaines des branches qui souffrent d’un manque structurel de main-d’œuvre (BTP, hôtellerie-restauration, transport routier, infirmiers, aides à domicile, sans oublier le secteur agricole) donnent l’impression que les besoins se font sentir principalement dans des secteurs où la main-d’œuvre est peu ou moyennement qualifiée, il s’avère que les pénuries sont aussi persistantes dans les secteurs demandant du personnel hautement qualifié (ingénieurs, médecins…).

Une évidence

Ce phénomène n’est pas propre à la France, il concerne pratiquement tous les pays du Nord. On assiste dès lors à une vraie bataille entre ces pays afin d’attirer les talents, surtout ceux, plus nombreux, originaires des pays du Sud. Cette course aux talents est exacerbée par les mutations technologiques et la double transition verte et numérique. L’enjeu est de taille, car la réussite de cette dernière aura non seulement un impact sur la compétitivité des pays, mais participera, à n’en pas douter, à la lutte contre le changement climatique, le plus grand défi de notre époque.

Lire aussi l’entetien : Article réservé à nos abonnés « L’immigration permet de “mettre de l’huile” dans les rouages du marché du travail »

Le recours à la main-d’œuvre étrangère paraît dès lors comme une évidence malgré les réticences de l’opinion publique. Ce qui nous renvoie à une question éthique : la migration de personnes hautement qualifiées apparaît en effet comme une action qui peut nuire au pays d’origine. Le schéma classique, qui repose sur l’hypothèse que les pays du Nord puissent faire appel à une main-d’œuvre des pays du Sud inépuisable, bon marché et prête à migrer, est aujourd’hui plus que questionnable.

La littérature économique est unanime sur le rôle primordial du capital humain dans l’accélération de la croissance économique et du développement des pays. Puiser sans contrepartie dans le vivier des talents des pays du Sud, c’est leur ôter leur facteur de production le plus important. C’est économiquement coûteux, politiquement indéfendable et éthiquement impardonnable.

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L’argot de bureau : les « slasheurs », les couteaux suisses qui ne voulaient pas trancher

Argot de bureau

Quel est le point commun entre Vendredi 13, les films de la saga Scream, et un huissier de justice barman le soir et joueur de fléchettes le week-end ? Non, ne répondez pas « ils me font tous peur » : ce sont des slasheurs.

Connaissez-vous les slasher movies ? Ce sous-genre du film d’horreur met en scène les meurtres méthodiques d’un tueur en série, parfois dans une maison pleine de jeunes gens innocents, souvent la nuit, avec un profond sadisme, et un couteau qui coupe, to slash signifiant « trancher, taillader ». Massacre à la tronçonneuse (1974) est d’ailleurs l’un des premiers slashers.

Quel est donc le rapport avec la pluriactivité ? Aucun. Heureusement, l’étymologie n’a rien à voir avec un quelconque objet tranchant ou, à la rigueur, le « couteau suisse ». Elle provient tout simplement du slash, ce signe typographique qui sépare les différentes activités du slasheur.

Le slasheur (gardons le u pour le distinguer du slasher) enchaîne donc les boulots en série : la plupart du temps, il a choisi de ne pas choisir. S’il est possible de « slasher » au sein de la même entreprise (en ayant un poste polyvalent), cela se fait souvent pour le compte de plusieurs employeurs, parfois même sous différents statuts d’emploi (salarié à temps partagé, à mi-temps, indépendant, intermittent, intérimaire…).

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Six millions de pluriactifs en France

Marci Alboher, autrice américaine de One Person/Multiple Careers (2007), est connue pour avoir popularisé l’expression, qui sert à valoriser ce mode de travail qui diffère de la norme. Elle utilise souvent la métaphore de la tapisserie : à force de coudre différents morceaux différents de soi, on obtient une carrière customisée, unique… et non une personne instable.

Il existerait aujourd’hui six millions de pluriactifs en France, selon une étude menée en 2022 pour le Salon SME, qui réunit des indépendants. Le statut d’autoentrepreneur, né en 2009, a favorisé l’émergence du schéma « job alimentaire agrémenté d’une passion quelques heures par semaine ». Selon l’étude SME, 67 % des slasheurs le sont pour augmenter leurs revenus, 29 % pour tirer des revenus d’un hobby. Parmi les slasheurs sachant se lâcher, on trouvera le pompier/cracheur de feu, le dentiste/confiseur, le tradeur/président d’une association caritative.

Autonome, le slasheur est souvent présenté comme enthousiaste et audacieux, symbole du monde du travail en communauté, flexible, « ubérisé ». Sans vouloir se jeter de roses, bien sûr, les slasheurs se qualifieront parfois de multipotentiels ou de « polymathes », un terme grec signifiant qu’ils ont des compétences dans des domaines qui n’ont aucun lien, l’idole des polymathes étant Léonard de Vinci.

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Caution bancaire : quand votre profil Linkedln se retourne contre vous

Le banquier qui consent à un client « non averti » un crédit, dont il sait qu’il n’est pas adapté à ses capacités financières, a l’obligation de « mettre en garde » celui-ci contre les risques d’endettement qu’il court. S’il manque à cette obligation, le banquier peut être condamné à indemniser son client, le jour où il n’arrive pas à rembourser. Mais cette obligation de mise en garde n’a rien à voir avec un devoir de conseil, comme le rappelle l’affaire suivante.

En 2007, M. X, 48 ans, perd son poste d’« expert achat textile et chaussure » chez Carrefour – il accepte une rupture conventionnelle dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Avec son indemnité de départ, de 200 000 euros, il décide d’ouvrir une pizzeria sous franchise de La Casa Pizza Grill.

La société qu’il crée fait rénover les locaux d’un ancien McDonald’s, grâce à un emprunt de 840 000 euros qu’elle souscrit auprès de LCL, et dont il se porte caution, pour moitié. En 2014, avec un chiffre d’affaires de 1 million d’euros, au lieu de 1,4 million tel que prévu, et un loyer commercial trop élevé, de 15 000 euros, elle est placée en liquidation, et M. X doit honorer sa garantie.

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M. X reproche alors à LCL de ne pas avoir respecté son obligation de mise en garde. « LCL a accordé le prêt sans émettre de critique sur le budget prévisionnel établi par le franchiseur, alors que celui-ci était manifestement surestimé, de 30 % à 40 % », proteste-t-il, en se référant aux résultats des autres entités du groupe.

Rachat de créance

« Il ne faut pas confondre le devoir de mise en garde, qui consiste à informer la caution de ce qu’elle devra rembourser l’emprunt avec des intérêts, et le devoir de conseil, qui n’est pas obligatoire, et qui porte sur l’opération », explique Jérôme Lasserre Capdeville, universitaire spécialiste du droit bancaire, maître de conférences à Strasbourg. Le tribunal de commerce de Lyon juge ainsi que LCL n’avait pas à « se prononcer sur l’opportunité de l’opération financée ».

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Quant à M. X, le tribunal le considère comme une caution avertie, car il dispose du niveau bac + 4 en gestion. Cette information lui a été communiquée par la société de recouvrement suisse Intrum Justitia Debt Finance AG, épinglée, avec d’autres, pour leurs « méthodes agressives », par l’UFC-Que choisir.

Après avoir racheté la créance de LCL, la société de recouvrement a trouvé le profil que M. X avait publié sur le réseau social professionnel LinkedIn : il s’y déclare « titulaire d’une maîtrise de sciences économiques et gestion » – ce qui est vrai – et précise avoir des compétences en « management, business development, business analysis, gestion d’équipe [et] négociations ». Elle l’a produit, sachant que, Or, « selon la jurisprudence, une personne qui a fait des études supérieures dans un domaine économique est considérée comme avertie », comme l’explique M. Lasserre Capdeville.

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La cour d’appel de Lyon ayant confirmé le jugement, c’est sans succès que Me Sébastien Viaud, avocat de M. X en cassation, soutient que celui-ci n’était pas averti, puisqu’il opérait une reconversion professionnelle : il ne connaissait rien à la restauration, dans la mesure où il avait précédemment occupé un poste de commercial dans la distribution. Le 9 novembre 2022 (20-18.264), la Cour retient le raisonnement de son adversaire, Me Thomas Lyon-Caen, selon lequel il faut prendre en compte non seulement les « fonctions » précédemment exercées, mais aussi les « capacités » de la caution.

M. X souhaite toutefois ne payer que « le prix réel » auquel Intrum a racheté sa créance, ainsi que le permet l’article 1699 du code civil : comme elle refuse de le lui révéler, un nouveau combat judiciaire est engagé.

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Ils ont quitté le secteur de l’hôtellerie, du tourisme ou de la restauration : « J’en ai eu marre de me sacrifier »

Une maison achetée à crédit, un CDI à l’agence Orpi du centre-ville d’Aurillac, un van aménagé pour partir en week-end avec son compagnon : telle est la nouvelle vie de Marjolaine Guibal, 30 ans, depuis qu’elle a quitté le monde de l’hôtellerie. Elle y a passé dix ans, dont plusieurs saisons comme réceptionniste d’un village vacances à Super-Besse (Puy-de-Dôme). « Sans le Covid, j’y serais encore !, assure cette diplômée d’une licence en commerce. La pandémie a été un déclic. On devait se confiner, l’hôtel fermait, et je n’avais pas de logement à moi. J’ai compris que ce n’était plus possible. »

Comme Marjorie Guibal, de nombreux salariés du monde du tourisme (hôtellerie, restauration, campings, parcs de loisirs…) ont changé de vie au cours de ces trois dernières années, accentuant les difficultés de recrutement que connaît ce secteur. Les longues périodes de fermeture ou de ralentissement de l’activité liées à la crise sanitaire, en 2020 et 2021, ont accéléré leur prise de conscience, en particulier sur l’impact de leurs conditions de travail sur leur vie privée. Et ce, même si les personnes que nous avons interrogés parlent aussi avec nostalgie de leur ancien métier, du collectif, du plaisir du service, de « l’esprit de famille » qui s’en dégageait. Ou du sentiment de liberté que procurait cette possibilité de travailler comme saisonnier, l’hiver à la montagne, l’été au soleil.

« Quand tu es dans ce secteur, tu travailles quand tout le monde est en week-end ou en vacances. Tu rates tout : les anniversaires, les soirées, les mariages, la vie, quoi ! », exprime Delphine Palatan, 39 ans, qui, quinze ans durant, a été gouvernante dans plusieurs hôtels de Savoie. « Le Covid, ça a été un moment qui m’a permis de penser à moi », déclare celle qui a amorcé un processus de reconversion pour devenir formatrice, « avec des horaires normaux, du lundi au vendredi ».

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« A un moment, j’en ai eu marre de me sacrifier », poursuit Rodolphe Lucas Gome, 38 ans, ex-majordome dans un cinq-étoiles de la côte basque, et qui a quitté le secteur fin 2020. « Je faisais 40-45 heures par semaine, je remplaçais les collègues au dernier moment, je disais au revoir à tous mes congés pendant l’été… Et les heures sup ne sont pas toujours payées. » Depuis, il a créé sa société de marketing numérique.

Aucun d’eux ne dit regretter sa nouvelle vie, même Lucie Ha, 30 ans, qui précise gagner « un peu moins » aujourd’hui que lorsqu’elle travaillait en salle dans la restauration. Elle officie désormais dans une charcuterie installée au sein des halles de Poitiers. « J’embauche tôt le matin, mais au moins, j’ai deux jours de repos consécutifs. J’ai mes soirées, les horaires sont carrés. Pour la vie de couple, ça change tout », commente-t-elle.

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