Archive dans 2022

Conditionnalité du RSA : « Le droit à l’insertion est une particularité française en train de disparaître »

Dans le programme qu’il a présenté pour sa réélection, le président de la République, Emmanuel Macron, a souhaité que les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) aient une obligation de « quinze ou vingt heures d’activité ». Il a comparé cette réforme au « contrat d’engagement jeune », lancé juste avant la séquence électorale, censé compenser le refus d’étendre le RSA aux moins de 25 ans. Ces quinze ou vingt heures constitueraient, selon le président, une « activité qui permet l’insertion ».

La promesse vise en fait deux types de personnes. Les premiers sont les électeurs et les électrices de droite. Le projet est proche de celui de Valérie Pécresse et de collectivités locales comme le Haut-Rhin, où le « bénévolat obligatoire » a finalement été validé par le Conseil d’Etat et la cour d’appel de Nancy en 2020. Le but de l’annonce est évidemment de séduire de nouveaux électeurs par un message de « rigueur ». Les autres personnes visées sont… les pauvres, actuels et futurs allocataires du RSA. Plusieurs enquêtes (y compris des entretiens menés par mes soins) ont montré qu’ils ont reçu cette annonce avec appréhension.

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Dans leur vie courante, ils vivent déjà ce que les sociologues appellent des « freins à l’emploi » – très souvent, la garde d’enfants et le transport ne sont pas disponibles. Mais ils ressentent surtout, plus profondément, une mise en doute de leurs efforts. Le président place en effet sa proposition dans la catégorie des « droits et devoirs renforcés ». C’est un débat aussi ancien que la première mise en œuvre du revenu minimum d’insertion (RMI) en France, en 1988.

En 2014, Jean-Michel Belorgey, député PS et coauteur de la loi sur le RMI, soulignait l’originalité française par comparaison avec l’orientation « punitive » des dispositions sociales britanniques et américaines : on introduisait en France un deuxième droit qui accompagnait l’allocation. Ce fut le droit à l’insertion, qu’on appelle plus souvent, désormais, le droit à l’accompagnement, marquant la spécificité des politiques françaises – une particularité en train de disparaître, à l’instar de ce que souhaite le président de la République pour la protection sociale en général.

« Revenu de survie »

Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) a pourtant souhaité, le 28 février, que cet accompagnement soit universellement accessible, à la demande des personnes candidates à l’insertion. Or, il ne l’est pas encore, comme l’a confirmé avec éclat le rapport de la Cour des comptes en janvier : le RSA est sous-financé à hauteur de 40 % des dépenses ; les financements pour l’insertion et l’accompagnement des collectivités locales n’ont cessé de diminuer depuis 2009. Les personnes candidates à l’insertion connaissent parfaitement ces logiques. D’où les craintes des allocataires !

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« Le système de rémunération des fonctionnaires empêche de mettre en place une bonne gestion des ressources humaines »

Face à la remontée de l’inflation, Emmanuel Macron a dû promettre une hausse du salaire des agents publics avant l’été. C’est une volte-face, alors que, fin 2021, la ministre de la fonction publique, Amélie de Montchalin, avait annoncé, pour la cinquième année consécutive, le maintien du gel de la valeur du point d’indice. Le résultat est, pour les fonctionnaires, une absence de lisibilité salariale : tantôt des mesures d’économies financières, comme le gel de la valeur du point, tantôt des revalorisations sectorielles (Ségur de la santé, Grenelle de l’éducation, Beauvau de la sécurité…) au gré de l’actualité des tensions sociales.

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En fait, le fonctionnement actuel du système de rémunération des agents publics empêche de mettre en place une bonne gestion des ressources humaines. Devenu illisible par sa complexité, il entretient des disparités notamment entre les métiers et les sexes, et se trouve complètement inadapté au retour de l’inflation. Le gel du point d’indice engendre une détérioration du pouvoir d’achat ayant pour conséquences une baisse du nombre de candidats aux concours, une démobilisation des agents publics et une part croissante de fonctionnaires rémunérés au smic.

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En effet, le smic progresse plus vite que le salaire moyen de la fonction publique, ce qui entraîne un tassement des grilles indiciaires. Le rattrapage des augmentations successives du smic par les grilles indiciaires fait que de plus en plus d’agents de catégories C et B sont rémunérés au smic. Cela provoque un sentiment de stagnation pour les jeunes agents et signifie pour les plus anciens une forte réduction du différentiel salarial lié à l’expérience.

Ces défaillances nécessitent une architecture de rémunération adaptée aux enjeux d’attractivité, de lisibilité et d’équité. A la revalorisation annoncée de la valeur du point, qui devient urgente, doit donc s’ajouter une refonte plus profonde.

Pour éviter les à-coups salariaux et conforter la confiance salariale entre les agents publics et leur employeur, une formule connue et applicable d’indexation de la valeur du point s’impose pour garantir une progression régulière des salaires et ne plus revivre le gel de longue durée.

Performance collective

Cette indexation offrirait l’occasion de revoir les déterminants de la part salariale indiciaire afin d’accroître sa part au détriment des primes et indemnités, devenues illisibles et injustes. Il faut aller vers une rémunération plus simple, basée sur le métier, moins liée à la qualification et à l’ancienneté. Un agent public percevrait ainsi une rémunération indiciaire comprenant une composante liée à son grade (c’est-à-dire à la qualification et à l’expérience acquise lors de son recrutement), et une autre composante liée aux fonctions et responsabilités exercées. Cela permettrait de réduire la part grandissante du régime indemnitaire non pris en compte dans le calcul des droits à la retraite et de valoriser davantage la pénibilité de certains métiers.

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Réforme des retraites : « Une consultation constructive des partenaires sociaux ne sera pas chose facile »

Dans son discours d’investiture, le président réélu a affirmé, le 7 mai, vouloir partager « les objectifs, les ambitions, les responsabilités au niveau national, en faisant travailler ensemble le gouvernement, l’administration, le Parlement, les partenaires sociaux ». La question d’une véritable concertation entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux sur les réformes que les premiers voudraient engager dans le domaine social, comme celle des retraites, se pose en effet.

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Le dialogue social a pourtant connu de profondes mutations ces deux dernières décennies. Au niveau interprofessionnel d’abord. La loi Larcher du 31 janvier 2007 stipule que toute réforme touchant aux relations de travail, à l’emploi ou à la formation professionnelle doit obligatoirement faire l’objet d’une concertation avec les partenaires sociaux en vue d’une négociation nationale interprofessionnelle. Cette évolution a transformé les partenaires sociaux en prélégislateurs, via des accords nationaux interprofessionnels (ANI). Des ANI ambitieux ont ainsi été conclus, ensuite transposés dans le droit positif, comme celui du 11 janvier 2008 créant la rupture conventionnelle ou celui du 11 janvier 2013 créant le compte personnel de formation. Mais l’ambition et la force normative des ANI ont ensuite diminué, du fait des difficultés à réunir un nombre suffisant de signataires parmi les syndicats de salariés, comme en témoigne l’échec de la négociation sur le dialogue social en janvier 2015. La CGT s’illustre d’ailleurs par sa fréquente absence de signature. Les ANI sur le télétravail du 26 novembre 2020 ou sur la santé au travail du 10 décembre 2020 sont dans cette logique et apparaissent surtout comme un énoncé de principes.

Nouveaux espaces de décision

Au niveau des branches et des entreprises, la place laissée aux partenaires sociaux pour décider de normes dans de nombreux domaines a été élargie par des réformes successives. La dernière d’importance a été opérée par les ordonnances travail de septembre 2017 et la loi Pénicaud de mars 2018, instaurant une double supplétivité, autrement dit un renversement de la hiérarchie des normes. Supplétivité des règles inscrites dans le code du travail par rapport à celles issues de la négociation collective, dans les limites des droits fondamentaux et du droit supranational. Et supplétivité des normes issues de conventions de branches vis-à-vis de celles issues de conventions d’entreprise, dans les limites de « l’ordre public professionnel » défini par les premières. Ces évolutions ont été rendues possibles par les transformations des critères de représentativité des syndicats, amorcées par la position commune signée le 9 avril 2008 par les seules CFDT et CGT, côté syndicats de salariés, qui remplace une représentativité de droit par une représentativité basée sur les résultats des élections professionnelles.

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« Les critères fixés pour avoir une retraite “normale” sont idéalisés (et très masculins) : quarante-trois ans de carrière, ascendante et sans interruption »

Il existe une fausse symétrie entre les programmes électoraux qui envisagent le report de l’âge légal de la retraite à 65 ans et ceux qui proposent de rétablir la possibilité de partir dès 60 ans. En effet, le projet de report de l’âge légal de la retraite à 65 ans ne provient pas d’une réflexion sur le sort des salariés, ni même sur l’équilibre financier du système. Ce projet, et le président de la République l’admet volontiers, est motivé par une stratégie de baisse des dépenses publiques et d’augmentation de la main-d’œuvre disponible. A l’inverse, le projet de retraite à 60 ans porté par la gauche apparaît certes très coûteux, mais il a pour lui le mérite de mettre au cœur des enjeux la question fondamentale du travail, de sa dureté et de poser clairement le sujet des progrès sociaux envisageables ou non pour les cinq ans qui viennent.

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La question de l’âge légal est, à raison, mise au centre des débats, car elle surdétermine toutes les autres : la souffrance au travail, l’aspiration au temps libre, le chômage ou l’invalidité des seniors prendraient une tout autre dimension avec une retraite décalée de trois ans. C’est la raison qui fait de l’âge un enjeu premier pour les assurés. Mais elle n’épuise pas les améliorations possibles du système de retraite. En effet, si notre système de retraite remplit, en moyenne, plutôt bien son rôle, qui consiste à offrir une « mise en sécurité sociale » et un véritable revenu de remplacement aux seniors, il présente également des limites importantes.

Ce que nous montrent les études, c’est que la retraite protège. Elle protège d’abord de l’exposition à des mauvaises conditions de travail, physiques et psychiques. Les travaux récents d’Eric Defebvre et Thomas Barnay soulignent que le passage à la retraite diminue nettement la probabilité de déclarer une incapacité ou un trouble dépressif, particulièrement fort dans les professions exposées à des facteurs de risque.

Carrière idéalisée

La retraite protège également de la précarité. Pour la moitié des ménages au niveau de vie le plus élevé, le passage à la retraite est l’expérience d’une baisse modérée du niveau de vie de 5 % à 25 %, comme l’a mesuré Hicham Abbas, de l’Insee. Pour les plus modestes, en revanche, le passage à la retraite améliore les revenus, car il marque le plus souvent la fin d’un sas de précarité (inactivité, chômage, invalidité) entre le dernier emploi et le début de la retraite. Le passage de la retraite de 60 à 62 ans a d’ailleurs nettement allongé ce sas de précarité qui touche principalement (et massivement) les ouvriers et les employés.

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Les accusations contre Taha Bouhafs rejaillissent sur « Le Média »

Le journaliste au Media Taha Bouhafs à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), samedi 7 mai 2022.

Le Média est-il en train d’affronter la quatrième crise de son histoire ? Avec les accusations d’agressions sexuelles dont Taha Bouhafs est la cible, son employeur voit la sincérité de son engagement féministe contesté par plusieurs anciennes collaboratrices.

Le pure-player réputé proche de La France insoumise a pourtant pris soin de prendre ses distances, dès mercredi 11 mai, avec son reporter, en congés sans solde depuis quelques jours en raison de sa candidature – désormais caduque – aux élections législatives de juin. « Les faits reprochés à Taha Bouhafs sont en totale contradiction avec les valeurs féministes et progressistes que notre coopérative défend depuis sa création, notamment au travers de son engagement éditorial », écrit ainsi la direction du site, promettant de « prendre les mesures qui s’avéreront nécessaires » pour retrouver une certaine cohérence.

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Cette déclaration a immédiatement fait bondir Virginie Cresci, journaliste au Média entre 2018 et 2019, qui a raconté sur Twitter, et pour la première fois publiquement, y avoir été traitée de « menteuse » et de « féminazie » plusieurs fois par son supérieur hiérarchique. « Il n’y a pas d’engagement féministe au Média. Cessez d’instrumentaliser cette cause et soyez dignes », a, à son tour, rétorqué Maud Le Rest, pigiste pour le site entre février et août 2021, sur le réseau social.

Cette dernière témoigne en effet d’une certaine difficulté à voir les sujets ayant notamment trait aux violences faites aux femmes retenus. Motifs invoqués, selon les situations et selon plusieurs témoins contactés par Le Monde : le peu d’audience qu’ils étaient supposés provoquer, ou encore le manque de moyens financiers de l’entreprise, qui obligeait à d’autres arbitrages. A l’époque, la jeune femme venait de répondre à une offre d’emploi spécialisé sur les questions de féminisme et de genre. Mais sa collaboration s’était limitée à des piges, alors que Taha Bouhafs venait, de son côté, de bénéficier d’un emploi pérenne : au Média, aucune journaliste femme ne bénéficie d’un CDI (sur treize salariés, dont deux femmes, selon sa responsable administrative et financière).

« Nous ne sommes pas une organisation masculiniste »

En juin 2021, le rapport de stage d’une étudiante de l’IUT de journalisme de Lannion (Côtes-d’Armor), qui avait fréquenté la petite rédaction pendant plusieurs mois, soulignait cruellement : « La place des femmes est précaire et contraire aux valeurs “féministes” que Le Média cherche tant à avoir. Le Média est dirigé par des hommes, pour des hommes, et ne permet pas d’avoir un traitement correct des contenus LGBTQIA +, progressistes et féministes. » La présentatrice Nadiya Lazzouni et une cheffe d’édition de l’émission matinale, Lisa Lap, assurent au contraire au Monde ne pas travailler dans un climat sexiste.

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« L’urgence de rendre l’industrie plus attractive, de former les compétences et de libérer des terrains pour bâtir des usines »

Emmanuel Macron envisage dans l’usine GE de Belfort (Territoire de Belfort), le 10 février 2022.

Emmanuel Macron avait donné le sentiment d’enjamber l’élection présidentielle avec le lancement, en 2020 et 2021, de deux initiatives allant au-delà du premier quinquennat : un plan de relance de 100 milliards d’euros pour redresser l’économie ; et France 2030, doté de 34 milliards sur cinq ans, pour préparer l’avenir en orientant l’investissement vers des innovations dans les transports, l’énergie, le spatial ou les biomédicaments. Les deux plans ont pour ambition, entre autres, de relancer l’industrie manufacturière, qui ne pèse plus que 10,1 % de la richesse nationale, loin des 16 % de la moyenne européenne.

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Pour quel bénéfice sur l’emploi et la création de valeur industrielle ? Un rapport du cabinet de conseil PwC publié jeudi 12 mai estime, dans son scénario de référence, que cette part peut remonter à 12 % en 2030. Cela représenterait 68 milliards d’euros de valeur ajoutée supplémentaire, la création de 431 500 emplois directs et indirects, près de 98 milliards d’investissements et une forte réduction du déficit commercial, qui vient d’atteindre 100 milliards sur un an.

Former les compétences

Cela implique, selon PwC, un effort des entreprises, qui devront dépenser 2,50 euros pour chaque euro public de France 2030 investi, sur le modèle du « plan hydrogène ». Quatre secteurs en seraient les grands bénéficiaires : informatique électronique, équipements électriques pour le transport décarboné et de certaines industries, recyclage des matériaux non ferreux et du plastique, industrie pharmaceutique. On peut même rêver à un scénario plus « offensif », où le privé mettrait quatre fois plus de fonds que le public et générerait 500 000 emplois nouveaux…

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Ces scénarios prospectifs sont sérieux, mais ils présupposent une bonne exécution des plans de relance. Elle est loin d’être acquise, prévient Olivier Lluansi, auteur de l’étude avec Vladislava Iovkova. L’ancien conseiller de François Hollande à l’Elysée souligne l’urgence de rendre l’industrie plus attractive, de former les compétences et de libérer des terrains pour bâtir des usines, difficile en raison de l’impératif de « zéro artificialisation nette » des terres. Sans sous-estimer le risque d’une compétition des pays étrangers développant les mêmes secteurs à marche forcée. Les batteries automobiles en sont un bon exemple, où l’Allemagne a déjà plusieurs longueurs d’avance. Le risque est toujours grand de ne pas utiliser au mieux les deniers publics. Ou, pire, d’arroser le désert.

« Chaos » des chaînes logistiques, pénurie de matières premières… Michelin au bord de la paralysie

Usine Michelin de Cataroux, à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), le 30 septembre 2021.

« Vous voulez un résumé de la situation ? On n’a rien connu de semblable depuis la fin de la seconde guerre mondiale. C’est le chaos ! Un bazar innommable ! » En dépit des perspectives financières favorables qu’il doit présenter, vendredi 13 mai, à Clermont-Ferrand, devant l’assemblée générale des actionnaires, Florent Menegaux, le patron de Michelin, est en mode « crise permanente ».

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Le dernier communiqué financier du numéro un mondial des pneumatiques avait déjà donné le ton : « Les perturbations opérationnelles et les tensions inflationnistes ont été exacerbées par le conflit en Ukraine et par la résurgence du Covid-19 en Chine. » Lors d’une rencontre avec Le Monde, Florent Menegaux s’est fait plus concret. « On manque de matières premières, de semi-conducteurs, il n’y a pas assez de bateaux, ceux qui sont dans les ports sont bloqués, on manque de conteneurs, on manque de camions, on manque de chauffeurs de camion… » Bref, on est au bord de la paralysie.

Noir de carbone

« En période normale, la routine c’est deux ou trois cellules de crise activées par trimestre. En ce moment, il y en a une vingtaine d’ouvertes en permanence. » Avec des pics à cinquante en 2021. Dernier épisode en date, le Sri Lanka. Fragilisé par la crise du Covid-19, le pays n’a plus de réserves de devises, l’économie est au bord de l’effondrement, l’électricité ne fonctionne que par intermittence, la capitale est en proie aux émeutes, et les usines Michelin – le groupe est le premier exportateur national – sont quasiment à l’arrêt, pendant que ses stocks de pneus sont coincés.

Par rapport à la normale, la facture des fournisseurs s’est envolée de plus de deux points

Avec 123 sites de production dans 26 pays tout autour de la planète, et quelque 200 composants entrant dans la composition du pneu, les chaînes logistiques sont le talon d’Achille de Michelin. La rupture d’approvisionnement est d’ailleurs placée tout en haut de l’échelle des risques. Il y a quelques mois, le géant du pneu considérait que cette menace avait « une faible probabilité d’occurrence ». La guerre en Ukraine a transformé l’improbable en réalité. A partir du 3 mars, il a fallu « arrêter la production de certaines des usines en Europe, pour quelques jours ». En cause, le noir de carbone, un composant produit en Russie qui transitait habituellement par l’Ukraine. Il vient désormais de Chine.

Le 15 mars, Michelin a décidé de mettre en sommeil son usine russe de Davydovo, qui ne pouvait plus être alimentée par des produits semi-finis en provenance de Pologne et de Roumanie. « La Russie, ce n’est que 2 % de notre activité », note M. Menegaux. « Ce qui me préoccupe ce sont nos 750 salariés, que nous continuons à payer grâce à l’écoulement des stocks. » Pour l’usine, une décision sera prise d’ici la fin de l’année. Une vente n’est pas exclue.

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A Kalouga, en Russie, les ouvriers de l’automobile sentent venir le vent des sanctions

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Publié aujourd’hui à 02h52, mis à jour à 13h12

S’il avait su, Dmitri Petrov n’aurait peut-être pas entrepris ce chantier imposant : l’aménagement d’un second étage à la charmante maison de brique qu’il fignole, avec son épouse, depuis déjà trois décennies. Le résultat est convaincant, pourtant : la maison avance, le jardin prend des airs de petit parc anglais, avec sa mare proprette, son gazon bien tondu et le potager, bien russe, qui attend l’été pour donner des légumes juteux.

Mais il y a deux problèmes : depuis le début de l’« opération spéciale » en Ukraine, le 24 février, l’inflation est galopante, le prix des matériaux de construction a quasiment doublé. Et puis, explique M. Petrov, 50 ans, l’heure n’est pas aux projets grandioses, mais plutôt à l’incertitude, dans cette région de Kalouga, au sud de Moscou, sur laquelle le vent mauvais des sanctions commence à souffler.

Dmitri Petrov est ouvrier chez Volkswagen, conducteur de monte-charges. Demain, il entamera son troisième mois de chômage technique. Sa paie, qu’il juge d’ordinaire « très bonne », est réduite d’un tiers. Alors, il fait non seulement attention au prix des matériaux de construction, mais aussi à celui des produits de première nécessité, comme le lait, qu’il adore. S’il avait su dans quel bourbier la Russie allait se trouver, avec ces sanctions qu’il trouve « injustes », Dmitri Petrov aurait attendu un peu.

Dmitri Petrov, 50 ans, conducteur de monte-charges chez Volkswagen depuis onze ans, dans son jardin à Kalouga, en Russie, le 11 mai 2022.

A une époque, en Russie, on a parlé du « miracle économique » de Kalouga, ville de 330 000 habitants spécialisée, à l’époque soviétique, dans l’industrie de la défense. C’était à la fin des années 2000, quand, l’une après l’autre, les usines automobiles se sont installées : Volkswagen, Volvo Trucks, Stellantis, qui produit des véhicules Peugeot, Citroën, Opel… Le budget de la ville a explosé. On a refait les trottoirs et, dans les établissements scolaires, les jeunes rêvaient d’aller travailler dans l’automobile. Aujourd’hui, les usines emploient quelque 7 000 personnes, auxquelles il faut ajouter les sous-traitants et l’activité induite.

Soudaine déconnexion

Mais la force de Kalouga se retourne aujourd’hui contre elle. Voilà une autre « injustice » : les régions russes les plus dynamiques et qui ont su attirer les investisseurs sont les plus menacées par les sanctions occidentales et, plus largement, par leur soudaine déconnexion des circuits de la mondialisation, principalement logistiques, jusqu’au refus des exploitants de conteneurs de travailler dans le pays. Volkswagen et Volvo ont été les premiers, entre fin février et début mars, à suspendre leurs activités ; Stellantis a tenu jusqu’au 19 avril.

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Barème Macron : l’évaluation « au cas par cas » des licenciements retoquée

Emmanuel Macron sort vainqueur d’une guérilla judiciaire qui aura duré plus de quatre années. L’une de ses réformes sociales aussi emblématique que contestée vient d’être validée par la Cour de cassation. Dans un arrêt rendu mercredi 11 mai, la haute juridiction dispose que le plafonnement des indemnités prud’homales est conforme aux engagements internationaux de la France et que l’application de ce dispositif ne tolère aucune exception, dès l’instant qu’il s’agit de réparer un licenciement « sans cause réelle et sérieuse ». Le patronat se félicite d’une telle issue, qui évite, d’après lui, de tomber dans une forme d’« arbitraire ».

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La décision de mercredi s’inscrit dans le combat acharné que plusieurs organisations de salariés et le Syndicat des avocats de France ont engagé contre une mesure-phare des ordonnances de septembre 2017, dont le but était de flexibiliser les relations entre les employeurs et leurs personnels. La disposition incriminée se présente sous la forme d’un barème, avec des montants minimaux et maximaux. Le juge est tenu de s’y référer quand il octroie des dommages-intérêts à un salarié victime d’une rupture injustifiée de son contrat de travail. Cette grille entend donner de la « visibilité » aux entreprises et lever ainsi « la peur de l’embauche ».

Réparation financière suffisante

Le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel avaient donné leur bénédiction à ce mécanisme. Mais plusieurs conseils de prud’hommes l’ont écarté, considérant qu’il contrevenait à la convention no 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Ce texte prévoit que le tribunal d’un pays doit pouvoir attribuer une indemnité « adéquate » au travailleur mis à la porte sans motif valable.

Des juges prud’homaux ont estimé qu’ils n’étaient plus en mesure de compenser correctement ce type de préjudice avec le barème. Ils s’en sont donc affranchis – en invoquant son « inconventionnalité » – et ont ordonné le paiement de sommes supérieures aux plafonds.

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La Cour de cassation s’en est mêlée une première fois, en 2019, en formulant un avis qui concluait que la réforme était compatible avec la convention de l’OIT. Mais il ne s’agissait que d’un éclairage juridique, dépourvu de force exécutoire, et la fronde a continué. Plusieurs cours d’appel ont, en effet, estimé qu’elles étaient en droit de vérifier si la grille apportait une réparation financière suffisante, au regard du dommage subi par le salarié et de sa situation particulière (âge, état de santé, perspectives de retour à l’emploi, etc.). Ce faisant, les juridictions « rebelles » ont réalisé un contrôle concret (ou in concreto) afin de s’assurer que l’application de la loi débouche sur une indemnité « adéquate ».

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Déclaration de revenus : qui a intérêt à déduire ses frais réels cette année ?

Pour le calcul de l’impôt sur le revenu, les frais engagés par les salariés dans le cadre de l’exercice de leur profession sont déductibles de leur salaire imposable.

Leur prise en compte s’effectue par défaut par une déduction forfaitaire de 10 %, avec un minimum de 448 euros, et un maximum de 12 829 euros, pour ceux qui ont perçu une rémunération supérieure à 128 290 euros. L’abattement est automatique : il n’y a pas, sur la déclaration de revenus, de case spécifique à cocher pour en bénéficier.

Au moment de remplir votre déclaration de revenus, vous pouvez cependant renoncer à cette déduction forfaitaire et déduire vos frais réels. Mais, dans ce cas, les allocations et remboursements de frais éventuellement perçus deviennent taxables (par exemple les allocations pour frais de télétravail). Il faut donc les ajouter à votre salaire imposable. N’oubliez pas d’en tenir compte pour arbitrer entre les deux possibilités.

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Le choix des frais réels est bien sûr intéressant si ceux-ci ont représenté plus de 10 % de votre salaire annuel. Vous pouvez le retenir si vous avez eu des frais particulièrement élevés en 2021, et revenir l’an prochain à la déduction forfaitaire. En outre, chaque membre de votre foyer fiscal peut opter pour la solution la plus avantageuse pour lui.

Repas, abonnements, trajets…

Que pouvez-vous déduire ? Tous les frais liés à votre activité : frais de repas, de déplacement, d’hébergement et de téléphone, achats de vêtements inhérents à votre profession (blouses, uniformes, chaussures de protection, etc.), dépenses relatives à un local professionnel si votre employeur n’en met pas un à votre disposition ou à une double résidence si vous avez dû travailler loin de chez vous (coût du déménagement compris).

Pour les frais de déplacement, les trajets domicile-lieu de travail sont concernés dans la limite d’un aller-retour par jour (80 kilomètres au maximum, sauf circonstances particulières justifiant un éloignement plus important entre votre domicile et votre lieu de travail), si vous avez utilisé votre véhicule personnel. Les dépenses liées à la recherche d’un nouvel emploi sont aussi déductibles de vos revenus imposables dès lors que vous étiez inscrit à Pôle emploi : déplacement pour un entretien, équipement informatique, abonnement à Internet, frais de formation, etc.

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L’option pour les frais réels suppose que vous puissiez prouver leur réalité. Donc que vous ayez conservé les justificatifs (factures, quittances, notes d’hôtel, de restaurant…) : ils pourront vous être réclamés jusqu’en 2024.

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