Archive dans mai 2022

Premières expérimentations du congé menstruel en France : un bilan mitigé

Thomas Devineaux se souvient de cette responsable de production, venue au travail mais « littéralement épuisée » au bout de deux heures : « Pour une femme ébéniste qui a ses règles, c’est très difficile de rester sept heures debout à porter des plateaux de 15 kilos », reconnaît le PDG de Louis Design.

Ce constat a convaincu le patron de cette petite entreprise de mobilier écoresponsable de se pencher sur un sujet encore tabou dans l’entreprise : les menstruations. Une période banale, puisqu’elle revient chaque mois dans la vie de la majorité des femmes actives, mais qui s’accompagne de douleurs parfois handicapantes.

Alors que l’Espagne prépare une loi pour instaurer un congé menstruel pris en charge par l’Etat, Louis Design fait partie des rares entreprises françaises à avoir pris les devants. Sur la suggestion de l’une de ses collaboratrices, la start-up d’une vingtaine d’employés offre, depuis le 8 mars, à ses salariées qui connaissent des règles douloureuses la possibilité de poser un jour de congé par mois, financièrement pris en charge par l’entreprise et sans justificatif médical. Celles qui exercent un travail de bureau ont aussi la possibilité de poser une journée de télétravail.

« Lever le tabou »

De même que le syndrome prémenstruel, les douleurs pendant les menstruations restent un phénomène largement sous-étudié. Selon un sondage Ifop pour Intimina, près d’une femme interrogée sur deux déclare pourtant en souffrir.

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Si rares sont les entreprises françaises à s’être penchées sur le sujet, rares sont aussi les salariées qui osent l’aborder au bureau, constate la sociologue à l’université de Genève Aline Boeuf, dans le cadre de ses recherches sur l’expérience des menstruations dans le monde professionnel : « Le corps féminin a longtemps été considéré comme illégitime dans le monde du travail. En disant qu’elle est fatiguée parce qu’elle a ses règles, la salariée a peur de valider ce cliché. »

Parmi les hommes interrogés dans le cadre de cet article, le sujet suscite des réactions controversées. En quoi une femme aurait-elle droit à un « jour de congé » de plus qu’un homme ? Ne peut-elle pas « se retenir » d’avoir ses règles ? Ne pourrait-elle pas simplement « se soigner » ? Dans la tête de certains salariés, le fonctionnement du corps féminin reste manifestement nimbé d’idées reçues. « En parler, c’est une première étape ; il faut lever le tabou », défend Thomas Devineaux.

Chez Louis Design, la mise en place d’un congé menstruel part aussi d’un constat pragmatique : « Une salariée trop malade pour travailler a forcément un impact sur toute notre organisation. Laisser aux salariées la possibilité de poser un jour de congé menstruel à l’avance nous permet d’adapter le planning de production. »

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En Alsace, l’allemand Dräger met son site de production de masques en sommeil

A peine un an après avoir été récompensé par le ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l’attractivité, Franck Riester, d’un prix Choose France pour son investissement « express » en Alsace, c’est avec tout autant de rapidité que l’entreprise allemande Dräger vient de procéder, jeudi 19 mai, au licenciement du personnel de son site de production de masques FFP2 et FFP3 d’Obernai (Bas-Rhin). Sur la trentaine de salariés qu’employait encore l’usine, seuls deux agents administratifs et deux techniciens de maintenance vont rester en place pour assurer le maintien du site.

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Dräger exclut pour l’instant une fermeture totale. « La baisse de la demande, que nous espérons la plus transitoire possible, n’ébranle en rien notre détermination à inscrire notre projet industriel à Obernai dans la durée. Nous prenons les mesures nécessaires, afin de redémarrer la production qualitativement, selon l’évolution du plan de charge, la protection respiratoire étant au cœur de notre savoir-faire », a ainsi déclaré l’industriel.

« On a senti le vent tourner dès la fin de l’année 2021 »

Il n’avait fallu que quelques semaines à la firme de Lübeck (Schleswig-Holstein) pour installer, à l’automne 2020, ses 13 lignes de production de masques, dans un ancien hangar de sport mis aux normes pour l’occasion. Dräger comptait y produire jusqu’à 100 millions de masques par an, destinés au secteur sanitaire – avec, à la clé, une commande importante de Santé publique France –, mais aussi à l’industrie. Le site a pu compter, de fait, jusqu’à 140 emplois.

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Mais la levée progressive des restrictions sanitaires en Europe a considérablement réduit la demande, dans un marché marqué par l’explosion du nombre de producteurs. Les efforts de resourcing européen des commandes tant publiques que privées se sont aussi révélé plus compliqués que prévu, y compris pour les produits de plus haute technicité que sont les masques FFP2 et FFP3. En conséquence, après avoir vu dans un premier temps ses cadences réduites, le site d’Obernai a fini par être mis en activité partielle au début de l’année. Les salariés ont été soit prêtés à d’autres entreprises, soit priés de rester chez eux. L’industriel affirme désormais vouloir leur offrir « le meilleur accompagnement possible ».

« On a senti le vent tourner dès la fin de l’année 2021 », affirme le maire (Les Républicains) d’Obernai, Bernard Fischer, qui dit comprendre que Dräger « n’ait pas eu d’autre choix ». Lui-même docteur en pharmacie et engagé au sein de commission économie de la région Grand Est reconnaît qu’« en matière de relocalisation, il est difficile de passer de la volonté à la réalisation ». Avant de conclure, rassurant : « Aujourd’hui, on compte 500 emplois industriels non pourvus dans le bassin économique d’Obernai-Molsheim. Un certain nombre de salariés de Dräger ont d’ailleurs déjà retrouvé du travail. »

« L’essor du populisme autoritaire est lié à la disparition des emplois de qualité dans la classe moyenne »

Dani Rodrik, lors d’une conférence à Mexico, le 21 mai 2019.

Professeur d’économie à l’université américaine Harvard, l’économiste turc Dani Rodrik est réputé pour ses travaux sur les liens entre mondialisation, souveraineté et démocratie. Il plaide, depuis plus de vingt ans, pour une autre vision du libre-échange, dans un monde menacé par les risques géopolitiques.

Peut-on résumer le duel qui a opposé Emmanuel Macron à Marine Le Pen lors de l’élection présidentielle comme opposant les gagnants et les perdants de la mondialisation ?

Deux écoles de pensée s’affrontent sur la définition du populisme d’extrême droite. La première insiste sur l’intensification de la guerre culturelle, avec la montée de la xénophobie et du racisme. La seconde penche pour l’explication économique liée au marché du travail transformé notamment par la mondialisation.

Personnellement, je pense que l’essor du populisme autoritaire dans de nombreux Etats en Europe et aux Etats-Unis est lié à la disparition des emplois de qualité dans la classe moyenne de ces pays. Celle-ci est due à de multiples facteurs, dont la mondialisation, qui a accéléré la désindustrialisation. La perte des usines a réduit l’offre d’emploi, pour une population parfois très compétente mais peu mobile, et qui n’avait pas les qualifications nécessaires pour bénéficier de l’économie hypermondialisée.

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Mais la mondialisation n’est pas la seule force en jeu. Les changements technologiques, l’automatisation, les robots ont aussi contribué à cela. L’approche très radicale en matière de politique économique, poussant à plus de libéralisation et de dérégulation du marché du travail, a créé de l’anxiété. Quelle que soit la situation, il y a toujours des électeurs qui penchent pour l’extrême droite, mais ses leaders ont su capitaliser sur cette angoisse et ces chocs qui ont touché les économies comme la France depuis trente ans.

Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?

Le paradoxe de la mondialisation, au cours des trois dernières décennies, c’est qu’elle a intégré les nations dans l’économie mondiale, tout en disloquant les économies à l’échelle nationale. Nous avions un modèle de mondialisation bien différent avant les années 1990. Les responsables politiques utilisaient leur intégration à l’économie mondiale avant tout pour soutenir leur croissance. Lorsque les deux étaient incompatibles, ils négociaient une exception ou une clause de sauvegarde. Lorsqu’il y a eu, par exemple, dans les années 1970, la vague d’importations de vêtements à bas prix en provenance des pays en développement, les pays riches ont négocié avec eux l’accord multifibres pour protéger leur industrie, tout en leur offrant quelques concessions. Les pays riches savaient prendre leur distance par rapport à la mondialisation, lorsque celle-ci les menaçait.

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Les chaires de professeur junior, cette nouvelle voie de recrutement qui irrite certains universitaires

« Soutien à tous les déçus de la campagne de recrutement des maîtres de conférences [MCF]. » « C’est ma première campagne MCF et c’est déprimant. Je n’ai aucune audition. » « Je pense avoir plus de chances au casting de la Star Academy qu’à la campagne MCF. » Comme chaque année, en ce début du mois de mai, les réseaux sociaux bruissent de la déception des nombreux jeunes chercheurs qui se cassent les dents sur le concours de recrutement.

Mais cette année, leurs coups de gueule face à la pénurie de postes à l’université croisent des annonces qui suscitent leur intérêt autant qu’elles leur font parfois grincer des dents : « L’université recrute sur trois chaires de professeur junior », « Une opportunité unique : chaire de professeur·e junior en éthologie (…), un environnement scientifique exceptionnel, une ville ensoleillée, the job you want ! »

Les candidatures pour la seconde vague de recrutement des nouvelles chaires de professeur junior (CPJ), créées par la loi de programmation pluriannuelle de la recherche de 2020, sont en effet lancées depuis peu. Le système, qui s’inspire des tenure tracks répandues aux Etats-Unis, permet aux titulaires d’un doctorat d’accéder directement à un poste de professeur des universités ou directeur de recherche, sans passer par la case « maître de conférences » – et le concours de recrutement qui va avec –, après trois à six ans de contrat de recherche avec des objectifs à atteindre.

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Cent trente-cinq CPJ sont ouvertes cette année, dans la foulée des 92 annoncées fin 2021. Un démarrage relativement lent au regard de l’objectif de 300 chaires par an initialement fixé, et des 1 500 à 2000 maîtres de conférences et professeurs des universités recrutés annuellement. Mais il faut dire que deux ans après leur création, et alors même que le processus de sélection et de recrutement de la première vague n’est pas terminé, les débats sur cette nouvelle voie d’accès sont encore vifs au sein de la communauté universitaire. « Le sujet fâche. Ne citez pas mon nom s’il vous plaît, je vais me faire étriper par certains collègues », dit en souriant le directeur d’une grosse unité de recherche en droit, qui n’a pas osé demander de CPJ, mais qui estime à voix basse que ces contrats, adossés à une dotation élevée pour mener les recherches (200 000 euros en moyenne sur trois ans), peuvent constituer un « coup d’accélérateur énorme » pour un laboratoire. Cependant, ils viennent remettre en question « la symbolique du recrutement sur concours ».

« Pas d’argent magique »

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L’entreprise française Vallourec annonce la suppression de 2 950 postes dans le monde

Vallourec va supprimer environ 2 950 postes dans le monde, dont 320 en France, a annoncé le groupe dans un communiqué, mercredi 18 mai. La fermeture de ses sites allemands va entraîner la suppression « d’environ 2 400 postes ». A cela s’ajoutera une réduction « d’environ 550 postes » dans des fonctions dites support.

Mi-novembre, l’entreprise de fabrication de tubes sans soudure, qui sortait d’un long processus de restructuration financière, avait annoncé la mise en vente de ses activités allemandes et l’arrêt de la fabrication en Europe de tubes pour l’industrie. Elle prévoyait le transfert d’une partie de ses activités au Brésil.

Vallourec précise mercredi qu’aucun « acheteur crédible n’a été identifié » pour les activités allemandes et lance par conséquent leur fermeture. « La fermeture des actifs allemands entraîne une rationalisation supplémentaire des autres actifs européens en charge de la finition des tubes laminés en Allemagne », ajoute Vallourec. Cela se traduira par la fermeture de la « ligne de traitement thermique » de l’usine française de Saint-Saulve (Nord).

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Des départs à compter de fin 2022

Sur les 550 postes supprimés dans le reste du monde, « vous en avez 70 en Ecosse, par l’arrêt de l’activité de filetage, dont les volumes seraient rapatriés sur le site d’Aulnoye-Aymeries (Nord), et 320 en France, dont 65 au siège » de Meudon (Hauts-de-Seine), a détaillé le PDG du groupe, Philippe Guillemot, lors d’une conférence téléphonique.

Quelque 250 postes seront supprimés dans le nord de la France, qui se répartissent entre un peu moins d’une centaine sur le site de Saint-Saulve, une centaine de postes sur le site d’Aulnoye-Aymeries « et le solde sur le centre de services partagés que nous avons à Valenciennes », a précisé M. Guillemot.

Concernant le calendrier, « on est dans des discussions qui prennent le temps qu’elles doivent prendre dans les pays dans lesquels on opère », a répondu le PDG. Il envisage des départs à compter de fin 2022 et qui s’étaleront « sur toute l’année 2023, en particulier sur l’Allemagne », puisque ce pays va continuer à produire aussi longtemps que les volumes qui sont faits en Allemagne ne sont pas transférés au Brésil.

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« On est fatalistes, on s’en doutait (…). C’est la fermeture du site purement et simplement, a réagi devant la presse Michaël Tison, délégué CFDT du site de Saint-Saulve. Vallourec a eu de l’argent public pour faire des investissements au Brésil ou en Chine, ils vont là-bas construire des usines et c’est la France qui trinque. »

« La politique continue d’abandon du groupe de ses activités industrielles en France n’est pas acceptable » a réagi sur Twitter le président de la région des Hauts-de-France, Xavier Bertrand (Les Républicains), demandant à l’Etat d’« expliquer sa position en tant qu’actionnaire important via Bpifrance », banque publique d’investissement. Il a précisé avoir obtenu du PDG de Vallourec « une réunion en urgence » vendredi avec les représentants des salariés, élus locaux et direction.

Le Monde avec AFP

Mort d’un salarié en CDD du ministère de la justice : la famille demande des comptes

Vincent Moussarie avait 36 ans. Le 4 avril 2017, en sortant de son travail dans les bureaux du ministère de la justice situés près de la Porte d’Aubervilliers à Paris, ce célibataire sans enfant fait quelques dizaines de mètres avant de s’effondrer. Les pompiers ne parviendront pas à le réanimer. Près de cinq ans plus tard, son père, Gérard Moussarie, s’est dit, en découvrant le retentissement de la « tribune des 3 000 » magistrats sur la pression du rendement et la souffrance au travail qu’elle génère, que son fils n’était peut-être pas un cas isolé. Il a contacté Le Monde pour raconter son histoire. « Mon fils a été victime des pressions qu’exerçait sa hiérarchie en raison du manque de moyens. »

Lire la tribune : Article réservé à nos abonnés L’appel de 3 000 magistrats et d’une centaine de greffiers : « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout »

Le tribunal administratif de Paris examinera jeudi 19 mai la requête du père, qui demande la reconnaissance d’une faute du ministère de la justice engageant la responsabilité de l’Etat.

Vincent Moussarie avait un emploi précaire. Il enchaînait les contrats à durée déterminée (CDD) au sein de l’administration du ministère de la justice, affecté à une équipe chargée de moderniser le système informatique de gestion des ressources humaines des magistrats et des greffiers. Il donnait sans doute satisfaction puisque son premier CDD de trois mois, commencé le 1er juin 2015, a été suivi d’un CDD d’un an, puis d’un contrat de deux ans.

Mais les conditions de travail sont dures, au point que l’équipe se réduit comme peau de chagrin. Un collègue quitte le service, puis deux, puis trois. Vincent Moussarie se retrouve seul pour mener ce projet.

Deux malaises sur son lieu de travail

L’enquête menée après le décès par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l’administration centrale du ministère révèle, dans un rapport du 11 octobre 2017, que Vincent Moussarie « était très angoissé dans son poste actuel sur son avenir professionnel : craignant le non-renouvellement de son contrat ; avait peur de ne jamais suffisamment bien faire ; prenait avec difficultés ses congés de peur de perdre sa place ; était très fatigué ces dernières semaines, fumait de plus en plus et bégayait » ; etc.

Selon son père qui le voyait souvent, habitant le même immeuble, « il était épuisé, faisait plus d’heures que demandé. Le pire est qu’on lui a trouvé comme solution de lui adjoindre un permanent non formé, charge à lui de le former, comme s’il avait le temps ».

Dans les semaines qui précèdent sa mort, Vincent Moussarie fait deux malaises sur son lieu de travail qui nécessitent l’intervention des pompiers. Mais le service médical de prévention n’est pas prévenu. De plus, déplore le CHSCT, ce salarié n’a jamais passé la visite médicale d’embauche, pourtant obligatoire aussi pour un CDD, ni lors des renouvellements de ces contrats.

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La loi Pacte a convoqué la question du partage de la valeur dans les entreprises

Le 22 mai, la loi Pacte aura trois ans. Son objectif était de faciliter la croissance par la transformation des entreprises, notamment en renforçant l’attractivité de toute forme d’investissement des salariés dans l’entreprise : par l’intéressement, la participation, l’épargne et l’actionnariat salarial. Qu’a-t-elle changé dans les entreprises ? Des DRH issus du monde de l’industrie, de l’assurance et du conseil se sont réunis mardi 10 mai, à Paris, pour en débattre, dans le cadre des Rencontres RH, le rendez-vous mensuel de l’actualité du management créé par Le Monde, en partenariat avec ManpowerGroup.

« La France est un pays original au niveau mondial sur l’actionnariat salarié, avec une proportion de salariés qui possèdent une part du capital deux fois plus élevée que dans le reste des pays européens », a introduit Kevin Levillain, enseignant-chercheur en sciences de gestion, à Mines ParisTech.

L’actionnariat salarié est très répandu en Europe : 94 % des grandes entreprises européennes le proposent, selon le rapport 2021 de la Fédération européenne de l’actionnariat salarié. « Les études ont montré qu’avoir un actionnariat salarié permet d’avoir une gouvernance plus équilibrée et une compétence plus proche de l’activité. La loi Pacte a voulu rendre le dispositif plus attractif pour l’employeur comme pour le salarié dans son volet “Mieux partager la valeur”. Notre hypothèse est que l’actionnariat salarié soit un levier pour créer du collectif », explique M. Levillain.

Renforcer l’engagement, faute de fidéliser

Présenté dans la loi Pacte comme un élément de fidélisation puisque le niveau de décote du prix de l’action varie en fonction de la durée d’engagement des salariés, l’actionnariat salarié a plutôt été perçu par les DRH comme un « instrument d’engagement » des collaborateurs. « Rémy Cointreau est un groupe familial coté au SBF 120. Nous avons mis en place l’actionnariat salarié en 2021. Le taux de souscription des salariés a été de 77 %. Ce qui nous a confortés dans l’idée qu’il y avait une véritable attente », témoigne Marc-Henri Bernard, le DRH du groupe.

L’alcoolier a réservé des actions aux salariés qui sont en France, dans le cadre d’une augmentation de capital inscrite dans le plan de transformation de la société d’ici à 2030. « On a défini un plan stratégique à dix ans. L’actionnariat salarié donne une perspective aux collaborateurs. C’est un instrument d’engagement plus que de fidélisation des salariés, qui deviennent propriétaires de parts dans un fonds commun de placement. L’actionnariat salarié change les relations interprofessionnelles, car on est tous intéressés par la performance de l’entreprise. C’est un vecteur de pédagogie et d’explication de la stratégie », estime Marc-Henri Bernard.

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Directeur de la décarbonation, du métavers ou de l’éthique… Nouveaux métiers ou titres éphémères ?

Elles et ils sont directrices ou directeurs de la performance extrafinancière, du Web3 (l’une des dernières générations d’Internet) ou du numérique responsable, voire de la souveraineté, des algorithmes ou de l’accélération. Leurs titres s’affichent plutôt en anglais, tels le chief revenue officer ou le chief impact officer. Directement liés aux transformations numériques, écologiques et énergétiques ou encore aux modes de travail que la pandémie de Covid-19 a popularisés, ces nouveaux intitulés de poste se multiplient.

« Plus que de nouveaux métiers, il s’agit souvent de nouvelles appellations qui correspondent soit à des évolutions technologiques ou sociologiques, soit au besoin de renommer une fonction qui combine des compétences jusque-là distinctes, pour lesquelles il n’existe pas forcément de double diplôme, comme le numérique et le juridique pour la fonction de DPO [data protection officer], le délégué à la protection des données, précise Patrick Vanoli, directeur du pôle intelligence marché du groupe Randstad France. Quand ce n’est pas tout simplement lié à la créativité des recruteurs… »

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Plusieurs tendances se conjuguent pour expliquer cette créativité. Les start-up et les licornes (valorisées à plus de 1 milliard de dollars) ont grandi en s’inspirant des modes d’organisation et des fonctions d’outre-Atlantique, appellations pas toujours faciles à traduire. De plus, face à la pénurie de talents dans les domaines du développement durable ou du numérique, par exemple, un nouvel intitulé peut rendre une offre plus attractive, ou donner accès à un vivier plus large de candidats.

Les nouveaux intitulés se multiplient notamment dans les domaines liés à l’environnement. « Après les termes “carbone” et “décarbonation” sur notre site, on voit maintenant apparaître des offres précisant “compensation bas carbone” ou “bilan carbone”, etc. Et depuis moins d’un an, l’augmentation du nombre d’offres qui intègrent le “développement durable” est particulièrement forte. Cela répond à la fois à l’urgence pour les entreprises d’agir et aux attentes des candidats qui sont très demandeurs de diversité, d’inclusion, d’attention au climat… », constate Camille Fauran, directrice générale de la plate-forme Welcome to the Jungle. Cette tendance contribue à la multiplication des intitulés mentionnant les acronymes ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance), RSE (responsabilité sociétale des entreprises) ou ISR (investissement socialement responsable).

Modernisation ou nécessité

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En quête de sens ou d’une porte de sortie : le succès du bilan de compétences

Quel point commun entre Laura, ex-téléopératrice dans un centre d’appels, Tiphaine, qui a créé son entreprise après avoir été licenciée d’Airbnb, Denis, magasinier devenu assistant de gestion, Elodie, photographe indépendante, ou Chloé, avocate ? Tous ont réalisé un bilan de compétences ces deux dernières années. « Et c’est le cas d’énormément de personnes autour de moi depuis le Covid-19 », témoigne Tiphaine Szczypawka.

Créé en 1991, cet outil d’accompagnement et d’orientation accessible à tous les actifs pour faire un point sur leurs compétences et s’interroger sur leur carrière, semble connaître un regain d’intérêt. Si les données centralisées manquent, plusieurs indicateurs en témoignent. Selon la Caisse des dépôts qui pilote le compte personnel de formation (CPF) par lequel les actifs peuvent mobiliser les droits accumulés durant leur vie professionnelle, 85 000 demandes de financement de bilans de compétence via le CPF ont été validées en 2021, en augmentation de 63,5 % sur un an. Au moins 100 000 pourraient être validées d’ici à la fin de l’année. Cette appétence s’observe aussi sur les plateformes de recherches de formation. « On assiste à une explosion des requêtes pour des bilans de compétence, constate Jérémy Plasseraud, directeur High-Tech du site Hellowork. Elles ont été multipliées par deux entre 2019 et 2020, et par quatre entre 2020 et 2021, pour atteindre plus de 105 000 demandes individuelles. Et ça continue d’accélérer. »

Un coût accessible

Comment l’expliquer ? D’abord, par des aspects pratiques. C’est une formation courte – vingt-quatre heures d’entretien sur trois mois avec un professionnel des ressources humaines –, que l’on peut réaliser en dehors de ses heures de travail, sans prévenir son employeur. Et on peut désormais la financer directement avec son CPF, pour un coût accessible : selon la Caisse des dépôts, le prix moyen d’un bilan de compétences est de 1 605 euros, quand le montant moyen des droits mobilisables par les salariés du privé est de 1 573 euros.

Ensuite, le contexte de la crise sanitaire a joué à plein. « Toutes les périodes de crises posent la question de l’orientation professionnelle et la reconversion des salariés », rappelle Aurélie Gonnet, du laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (CNRS et CNAM) qui a consacré sa thèse au bilan de compétences.

« Quelle que soit la raison qui amène à faire un bilan, il y a toujours au départ, une insatisfaction professionnelle » Sophie Clamens, déléguée générale de la Fédération des Centres interinstitutionnels des bilans de compétences

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« Quand arrêter de s’obstiner ? » : pour les docteurs qui rêvaient d’une carrière universitaire, les défis de la reconversion

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Publié aujourd’hui à 04h24

Se décider à arrêter les frais, sept ans après le doctorat. Pourtant, re­noncer à une carrière acadé­mique était un pas difficile à franchir pour Sébastien Crouzet. Quand il décroche son diplôme de docteur en neurosciences en 2010, il n’envisage rien d’autre. Sa thèse ayant été menée dans un laboratoire reconnu, il a déjà de bonnes publications à présenter. Mais il voit qu’autour de lui de moins en moins de jeunes docteurs parviennent à être titularisés. Le nombre de postes diminue, et « les critères d’embauche explosent ». Il poursuit en postdoctorat dans un centre de recherche en informatique aux Etats-Unis, un passage à l’étranger devenu quasi obligé. Puis, durant ses deux années de contrat court à Berlin et trois autres à Toulouse, Sébastien Crouzet se lance dans la course au poste de titulaire. Et déchante vite. Il s’épuise à envoyer dossier sur dossier, sans succès.

« La flamme s’était aussi un peu éteinte, raconte-t-il aujourd’hui. Je me rendais compte que le métier de chercheur était de moins en moins séduisant. Mes collègues passaient surtout leur temps à chercher des financements, beaucoup étaient en grand mal-être. » En 2017, âgé de 35 ans et fatigué par ces « échecs répétés », il décide de se tourner vers le privé. « Cela n’avait rien d’évident, je viens d’une famille de fonctionnaires. Le business, ce n’est pas mon truc. Mais je travaillais dans un domaine, le machine learning, très recherché à ce moment-là. » Il est rapidement embauché par une société de services et d’ingénierie en informatique (SSII), avant d’être recruté par une start-up en tant que datascientist.

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Face à une entrée dans la carrière académique de plus en plus compliquée, beaucoup de jeunes docteurs choisissent de se reconvertir, parfois après plusieurs années à tenter leur chance dans l’enseignement supérieur public. Le nombre de postes de maîtres de conférences (MCF) ouverts y a été réduit de plus de la moitié en une décennie. On n’en comptait que 1 070 en 2019 contre 2 216 en 2009. Cela dissuade, en premier lieu, de se lancer dans une thèse. Mais, malgré une baisse significative du nombre de doctorants sur dix ans, le taux de réussite aux concours pour ces postes est passé de 21 % à 13 %, selon la Conférence des praticiens de l’enseignement supérieur et de la recherche, et l’âge moyen de titularisation, à 34 ans.

Vacations et contrats courts

« Cette question centrale revient sans cesse : au bout de combien d’années décide-t-on d’arrêter de s’obstiner ? », constate Alexis Alamel, maître de conférences en géographie à Sciences Po Rennes. Ce dernier mène une enquête sur les trajectoires des docteurs ayant candidaté à plusieurs reprises aux postes de MCF en vain, et ceux qui ont décidé en conséquence de quitter la recherche publique. Malgré la situation de l’emploi, largement connue, dans ce secteur, les « vocations » persistent, note-t-il, au prix d’une forte précarisation, quand les docteurs enchaînent les vacations et les contrats courts.

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