Archive dans mars 2022

La hausse des prix des carburants plonge les services d’aide à domicile dans une situation « critique »

Marie-Christine Pach, aide à domicile, raccompagne l’un de ses patients après l’avoir emmené faire des courses, à Soissons (Aisne), le 26 octobre 2021

Il y a celles qui écrivent des mails, celles qui déclinent les interventions éloignées, celles qui refusent les remplacements, celles qui démissionnent, celles qui n’ont même pas embauché… « A partir du 20 du mois, on a aussi des salariées qui nous disent “je ne peux plus travailler d’ici à ce que je touche ma paie” », constate Amir Reza-Tofighi, président de la Fédération des services à la personne et de proximité (Fedesap) qui représente plus de 3 000 entreprises. « On est un peu en alerte générale, confie Marie-Reine Tillon présidente de l’Union nationale de l’aide, des soins et des services à domicile (UNA), plus de 800 structures associatives ou publiques. Nous avons toujours eu des difficultés à recruter et des démissions, mais ces dernières semaines on constate une accélération. »

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Alors que 150 000 salariés manquent déjà dans le secteur, la hausse des prix du carburant met l’aide à domicile, où l’usage de la voiture est incontournable, dans une situation délicate. La plupart des salariées (plus de 400 000 en France, essentiellement des femmes) circulent en effet avec leur propre véhicule entre les logements des personnes en perte d’autonomie qu’elles assistent. Elles payent le carburant sur leur tout petit salaire, puis, selon les conventions collectives, sont remboursées de 0,22 à 0,35 euro du kilomètre, un montant censé couvrir l’amortissement du véhicule, l’entretien, l’assurance, et le prix du carburant. Cette indemnité n’a pas varié depuis dix ans. Elle ne prend donc pas en compte la récente envolée des prix à la pompe.

« On est pris à la gorge », résume Amandine Batelier, aide à domicile, qui parcourt jusqu’à 800 km par semaine, sur les routes de l’Oise avec son diesel. Quatre pleins par mois avec un gazole à plus de 2 euros le litre c’est 400 euros à avancer sur les 1 250 euros net qu’elle gagne pour son temps partiel. « Maintenant quand on fait les courses, on y va avec la calculatrice ! Depuis vingt ans que je suis avec mon conjoint, ça ne nous était jamais arrivé », confie, effarée, cette mère de trois enfants de 4 à 10 ans.

« Encore une fois, nos salariées sont les oubliées », Amir Reza-Tofighi, président de la Fedesap

Elle a alerté ses responsables par mails et courriers. « On se bat à la hauteur de nos moyens. Je peux me mettre en grève sur mes heures de ménage, ce n’est pas vital. Mais je ne me vois pas renoncer à changer la couche d’un papy le matin. »

La mesure gouvernementale qui va réduire d’au moins 15 centimes le prix du litre à la pompe à partir du 1er avril est pour elle « déjà une petite économie ». Mais cela effacera tout juste la hausse du gazole sur les deux dernières semaines.

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Scandale P&O : Londres veut colmater en urgence les brèches du droit du travail britannique

Manifestation contre P&O après l’annonce du licenciement immédiat de 800 salariés de la société de ferrys, à Douvres (sud-est de l’Angleterre), le 23 mars 2022.

Le 17 mars, 800 salariés britanniques de la compagnie de ferries P & O apprenaient qu’ils étaient tous licenciés, avec effet immédiat. Ce licenciement de masse, brutal et illégal (la direction de P & O aurait dû respecter une période de consultation de quarante-cinq jours), a déclenché une mobilisation inédite des salariés et des syndicats, et obligé le gouvernement de Boris Johnson à réagir, pour tenter d’amender le droit du travail, jugé bien trop laxiste.

Mercredi 30 mars, le ministre des transports, Grant Shapps, a annoncé vouloir obliger toutes les compagnies maritimes opérant dans les ports britanniques à appliquer le salaire minimum. Auditionné le 24 mars par le Parlement de Westminster, Peter Hebblethwaite, le directeur exécutif de la compagnie britannique (filiale du conglomérat de Dubaï DP Word), avait avoué qu’il comptait payer en moyenne 5,50 livres sterling sterling (6,50 euros) l’heure les équipes censées remplacer les 800 salariés licenciés d’un coup. Alors que le salaire minimum, pour les travailleurs britanniques de plus de 23 ans, passe de 8,91 livres/heure à 9,50 livres/heure vendredi 1er avril.

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L’obligation d’un salaire minimum pour les salariés des ferries et cargos, quels que soient leur nationalité et leur pavillon, n’a été adoptée qu’en 2020 à Westminster, sous la pression du Parti travailliste, mais cette loi ne s’applique que dans les eaux territoriales britanniques : les ferries assurant les liaisons entre le Royaume-Uni et le reste du continent européen, dans le cas de P & O, ne sont, par exemple, pas concernées. S’exprimant à la Chambre des communes, M. Shapps a promis d’écrire aux opérateurs des ports britanniques pour qu’ils « refusent les compagnies ne payant pas le salaire minimum ». Un projet de loi devrait suivre, conférant de nouveaux droits statutaires aux ports.

« C’est trop peu, trop tard »

Le ministre a aussi proposé de modifier la législation du travail pour permettre aux tribunaux de sanctionner les sociétés qui abuseraient de la pratique dite du « fire and rehire » (« licencier et réembaucher dans la foulée », à des conditions nettement moins avantageuses). Bien que très controversée, elle reste autorisée au Royaume-Uni, et c’est elle que P & O semble avoir adopté : à en croire les syndicats, la compagnie propose aux personnels licenciés de travailler en sous-traitance à des conditions moindres. Le syndicat RMT accuse aussi P & O de vouloir réembaucher des marins indiens pour 1,80 livre sterling de l’heure. A l’avenir, les juges pourraient contraindre des employeurs peu scrupuleux à verser des primes plus importantes aux salariés licenciés.

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« Coopérer », d’Anne-Catherine Wagner : les SCOP, une réalité plurielle

Livre. Lorsque Anne-Catherine Wagner réalise, pour son enquête, un entretien avec le président du conseil d’administration de la coopérative SCOP TI, celui-ci se déroule dans le bureau de la direction, sous… le portrait de Che Guevara. Le responsable du site était auparavant secrétaire du comité d’entreprise. Et son bureau est également celui de la CGT.

L’entreprise est devenue un symbole. Celui de la reprise militante d’une société (Fralib) menacée de délocalisation par un grand groupe (Unilever). Sa transformation en société coopérative et participative (SCOP) au terme d’une lutte de mille trois cent trente-six jours a marqué les esprits. Un symbole mais aussi, d’une certaine façon, un leurre. Car si ces reprises d’entreprises en difficulté par leurs salariés ont une place importante dans l’imaginaire collectif, elles ne représentent qu’une faible part des créations de coopératives (12,5 % en 2019).

A travers son ouvrage, Coopérer. Les SCOP et la fabrique de l’intérêt collectif (CNRS Editions), Mme Wagner, professeur de sociologie à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, se propose justement de mettre en perspective ce monde des coopératives et d’en décrire toute la complexité. De fait, ce secteur en plein développement (3 611 sociétés coopératives en 2020, contre 522 en 1970) se révèle être d’une grande diversité.

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Si certaines SCOP naissent à la faveur de luttes sociales, beaucoup d’autres sont le fruit d’une transformation d’association en coopérative, d’une transmission d’entreprise « saine » ou sont créées ex nihilo. Les entités industrielles sont minoritaires : deux tiers de ces sociétés relèvent du secteur des services. Parmi elles, beaucoup sont des entreprises « engagées » (pour une alimentation saine par exemple), portées par des coopérateurs en « quête de sens » et majoritairement issus des classes moyennes diplômées.

« Une usine bourrée d’injustices »

Les SCOP constituent ainsi une réalité plurielle où diffère le sens de la propriété collective : une reprise en main des moyens de production face à l’éloignement des centres de décision pour certaines coopératives ouvrières, un engagement commun dans un projet de société pour des SCOP des services… Les rétributions symboliques mises en avant pour compléter les rémunérations monétaires varient aussi, tout comme le degré d’autonomie de ces sociétés par rapport à leur environnement ou les limites rencontrées, en interne, dans l’exercice de la « démocratie d’entreprise ».

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L’autrice souligne par ailleurs que « les SCOP ne sont pas des bulles dans lesquelles disparaîtraient comme par magie les contraintes sociales, la valeur de l’argent et des diplômes ou les formes d’intériorisation de sentiments d’incompétence ». Elle y relève aussi des « formes de reproduction des inégalités, en fonction de l’expérience militante, de la qualification ou du genre ».

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Martin Hirsch : « L’obligation d’activité pour les allocataires du RSA pose plus de problèmes qu’elle n’en résout »

Tribune. Nul doute qu’il est préférable de tirer l’essentiel de ses revenus de son travail que d’une allocation, qu’il est sain de considérer que les droits sociaux ont comme contrepartie des devoirs et qu’une société qui laisse durablement une grande fraction de ses membres en dehors du monde du travail est en échec. Nul doute aussi que, si vous demandez à un salarié qui gagne le smic s’il trouve normal que son voisin puisse en toucher la moitié sans travailler, il vous répondra non. Et cette question devient d’autant plus sensible quand il y a des difficultés à recruter dans certains secteurs, y compris pour des emplois peu qualifiés. Pour autant, l’obligation d’activité pour les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) pose plus de problèmes qu’elle n’en résout.

Peu après la création du service civique, plusieurs responsables politiques avaient demandé qu’il devienne obligatoire. Or, il y avait à l’époque plus de jeunes volontaires que de missions proposées et financées. Il était paradoxal de vouloir obliger des jeunes à faire un service civique auquel on leur refusait l’accès ! Si obligation il devait y avoir, c’était celle, pour les pouvoirs publics, d’offrir une mission à chaque jeune volontaire plutôt que l’inverse. Mais cela imposait d’y mettre les moyens et la volonté.

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La question de l’obligation d’activité pour les allocataires du RSA est un peu de la même eau. Il est plus facile de cibler les allocataires profiteurs que de reconnaître que les pouvoirs publics n’ont pas satisfait à leurs propres obligations et qu’ils n’appliquent pas celles déjà fixées.

Six mois avant un premier entretien

A la création du revenu de solidarité active, j’ai fait inscrire, dans la loi du 1er décembre 2008, que les allocataires devaient être soumis aux mêmes obligations que les autres demandeurs d’emploi, avec la possibilité de réduire ou supprimer l’allocation en cas de refus de deux offres valables d’emploi, assortie de l’obligation pour Pôle emploi d’inscrire les allocataires du RSA. Cette obligation, cohérente avec une logique de droits et devoirs, a suscité une levée de boucliers de certains de mes collègues du gouvernement, à commencer par Laurent Wauquiez, alors secrétaire d’Etat à l’emploi. Celui-ci m’avait fait valoir qu’étant donné le critère de la baisse du nombre de chômeurs, mesuré par les inscriptions à Pôle emploi, il n’allait pas se tirer une balle dans le pied en laissant s’y inscrire des gens qui avaient moins de chances que les autres d’intégrer le marché du travail. Le même, quelque temps après, dénonçait le « cancer de l’assistanat ».

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Blagues sexistes, ambiances graveleuses : la notion élargie du délit de harcèlement sexuel au travail entre en vigueur

Le harcèlement au travail est une réalité quotidienne : 60 % des actifs français ont été exposés à au moins un agissement à connotation sexiste et/ou sexuelle au travail au cours des douze derniers mois, et 10 % ont fait l’objet d’une demande d’un acte de nature sexuelle, selon un sondage réalisé par OpinionWay pour le cabinet Ekilibre, auprès de 1 009 actifs.

Ainsi, 38 % d’entre eux ont entendu des blagues à caractère sexiste, se référant donc spécifiquement au sexe ou au genre d’une personne : la répétition de tels comportements peut-elle être qualifiée de harcèlement sexuel ? C’est désormais le cas avec la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, qui entre en vigueur le 31 mars 2022.

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Avant cette actualisation, le harcèlement sexuel, qui est un délit puni pénalement, désignait dans le code du travail « toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle ». La notion, pour s’aligner sur sa définition dans le code pénal, est désormais étendue aux « propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés » (article L. 1153-1 du code du travail) à l’encontre d’un salarié, « qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». « Cela comprend donc les mauvaises blagues qui font référence à votre identité de genre, par exemple dire à une salariée qu’est-ce qui t’arrive, tu as tes règles ? », explique Gilles Riou, psychologue du travail et fondateur du cabinet Egidio.

Jusqu’alors et depuis la loi Rebsamen de 2015, un comportement sexiste était un comportement « discriminatoire » qui, répété, sous forme de harcèlement moral, était condamné. L’autre nouveauté majeure est la consécration de la notion de harcèlement de groupe (ou « d’ambiance »), et de la pluralité d’auteurs : la loi stipule que le harcèlement sexuel est également constitué « lorsqu’un même salarié subit de tels propos ou comportements venant de plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ». « C’est la traduction du phénomène de meute qui a déjà une réalité juridique dans le cyberharcèlement, observe Gilles Riou. Le législateur a été attentif à la réalité, en reconnaissant que le harcèlement au travail est un phénomène intrinsèquement collectif. »

Licencier toute une équipe ?

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Le service public se convertit timidement au mécénat de compétences

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Publié aujourd’hui à 12h30

Une passion ? Non, Emmanuel Matte, 59 ans, ne dirait pas que le vélo est une passion. Mais un art de vivre, un plaisir, une compétence, sans aucun doute. Voilà pourquoi celui qui fait entre 20 et 25 kilomètres à bicyclette tous les jours est particulièrement satisfait d’aider la Cyclofficine de Pantin (Seine-Saint-Denis), une association qui organise des ateliers accompagnant les citoyens dans la réparation de leur vélo.

Emmanuel Matte est un pionnier. Il est bénévole, mais d’un genre particulier. C’est en effet son employeur, le conseil départemental de Seine-Saint-Denis, qui lui permet de travailler dans cette association, un jour par mois, pendant son temps de travail. Comme lui, soixante « agents solidaires » de la collectivité locale œuvrent dans le domaine de l’aide alimentaire, de l’accompagnement social ou encore de la transition écologique.

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On appelle cela du « mécénat de compétences ». Encadré par une loi de 2003, ce dispositif « se développe beaucoup dans le privé depuis cinq ans », a rappelé Elsa Chaucesse, de l’association Pro Bono Lab, lors d’un colloque organisé par le conseil départemental le 10 février. Et aujourd’hui, selon les estimations de Pro Bono Lab (avec Admical), 21 % des entreprises qui font des dons pratiquent le mécénat de compétences, soit quelque 22 000 sociétés.

Emmanuel Matte travaille à la direction de l’eau et de l’assainissement du département de Seine-Saint-Denis. Dans l’atelier de l’association Cyclofficine où il est bénévole une journée par mois.

Mais dans le public, cela n’avait pas encore pris. La Seine-Saint-Denis se targue d’ailleurs d’avoir été, en octobre 2020, « le premier département de France » à proposer une telle possibilité à ses huit mille agents. C’est la crise sanitaire qui a enclenché le mouvement. « Positionnées en première ligne, a indiqué le président socialiste du conseil départemental, Stéphane Troussel, les collectivités ont dû renforcer considérablement leur rôle de bouclier, parfois bien au-delà de leurs propres compétences. »

Actions de solidarité

L’effort a été mené en étroite liaison avec les associations locales. Le mécénat de compétences permet de poursuivre ce travail commun, même si le département finance déjà chaque année près de 1 400 d’entre elles pour plus de 55 millions d’euros de subventions. Le dispositif, a précisé M. Troussel, « répond à la fois aux besoins de renfort humain des associations, sur le terrain, mais aussi au désir d’engagement de nos agentes et de nos agents ».

Emmanuel Matte témoigne du fait que certains de ses collègues ont participé à ces actions de solidarité pendant la crise sanitaire et qu’« ils ont trouvé ça super ». Pour lui, c’est un peu différent, puisque c’est par le vélo qu’il est entré dans le dispositif, il y a un an. Et par l’association. C’est en effet peu après avoir adhéré à la Cyclofficine qu’il a eu l’idée de proposer à son employeur de l’intégrer dans le dispositif. Cela a été effectué d’autant plus facilement que le département subventionnait déjà la structure – pour un total de 27 000 euros depuis 2013.

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Le plafonnement des indemnités prud’homales de nouveau questionné en justice

La Cour de cassation s’apprête à arbitrer une longue querelle déclenchée par Emmanuel Macron. Jeudi 31 mars, elle doit se pencher sur quatre litiges relatifs à l’une des réformes emblématiques portées par le chef de l’Etat au début de son quinquennat : le plafonnement des dommages-intérêts octroyés par la justice à un salarié victime d’un licenciement « sans cause réelle et sérieuse ». Depuis son adoption en septembre 2017 dans le cadre des ordonnances qui ont réécrit le code du travail, cette mesure est combattue parce qu’elle contreviendrait aux engagements internationaux de la France. L’un des principaux enjeux de l’audience de jeudi est de savoir si les magistrats peuvent, dans certaines circonstances spécifiques, s’affranchir des règles fixées par le législateur et se montrer plus généreux que celles-ci.

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Le dispositif à l’origine du différend se présente sous la forme d’un barème, avec des montants minimaux et maximaux de dédommagements en fonction de l’ancienneté du salarié. Le but est d’offrir de la « prévisibilité » aux employeurs et de « lever la peur de l’embauche ».

Guérilla des cours d’appel

Sitôt entré en vigueur, ce référentiel a provoqué une fronde. A partir de la fin 2018, plusieurs conseils de prud’hommes ont refusé de s’y conformer, au motif qu’il violerait des traités signés par la France, dont la convention no 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Ce texte prévoit que le tribunal d’un pays doit pouvoir attribuer une indemnité « adéquate » au salarié abusivement renvoyé par son patron. Or, des juridictions ont estimé que la grille mise en place en 2017 ne permettait pas de garantir le respect de ce droit. Elles se sont donc soustraites au barème – du fait de son ­ « inconventionnalité » – et ont accordé des montants supérieurs aux plafonds.

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Cette situation a engendré une belle pagaille car, dans le même temps, de nombreux conseils de prud’hommes ont appliqué les maxima instaurés par le législateur. Pour démêler l’imbroglio, la Cour de cassation a été saisie afin de donner son avis. Ce qu’elle a fait, en juillet 2019, en indiquant que le cadre délimité dans les ordonnances de 2017 était compatible avec la convention de l’OIT. Ses appréciations n’avaient pas de pouvoir contraignant, mais le gouvernement s’était réjoui de cette clarification, qui permettait de clore un « court épisode judiciaire », selon la formule de Muriel Pénicaud, alors ministre du travail.

Tel ne fut pas le cas puisque la guérilla a continué. Plusieurs cours d’appel ont considéré qu’elles avaient la faculté de vérifier si la grille d’indemnités offre une réparation financière suffisante, au regard du dommage subi par le salarié et de sa situation particulière (âge, état de santé, handicap éventuel, etc.). Dans la langue des juristes, on parle d’un contrôle concret – ou in concreto – de l’application de la loi.

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La transition écologique se fraie un chemin dans le dialogue social des entreprises

L’enjeu est ni plus ni moins qu’un changement culturel.

Par petites touches, le dialogue social se teinte de vert : la loi Climat et résilience du 22 août 2021 a d’ailleurs ajouté les enjeux environnementaux aux prérogatives des comités sociaux et économiques (CSE). « Ce cadre légal assoit la légitimité des représentants du personnel à poser le sujet sur la table », explique Adrien Gaillard, secrétaire du CSE du groupe de services informatiques Hifield, qui compte 250 salariés.

Un sujet d’autant plus crucial que « la transition écologique va amener les marchés à se transformer, comme par exemple celui de l’automobile, et les emplois vont en être affectés. Le dialogue social doit impérativement accompagner cette transition », avertit Jean-Baptiste Obéniche, responsable du pôle innovation, diversité et performance au travail d’EDF, et administrateur de l’association Réalités du dialogue social, qui regroupe plus de 300 membres (entreprises, structures publiques et organisations syndicales salariales et patronales).

Alexis Bugada, professeur de droit à l’Université d’Aix-Marseille, voit dans la loi « un changement de paradigme. Les négociations collectives ne se limitent plus aux thèmes syndicaux classiques : salaires, conditions de travail, garanties sociales… ». L’enjeu est ni plus ni moins un changement culturel. Et pour Agnès Rivière, cofondatrice de Represente.org, société qui aide notamment les CSE à verdir leurs activités sociales et culturelles, les comités et leurs 11 milliards d’euros de dépenses annuelles sont de véritables leviers de la transition écologique. « Ils ont à la fois un rôle culturel et de contre-pouvoir, souligne-t-elle. S’ils ne sont pas décisionnaires, ils peuvent néanmoins influencer. »

Pas de moyens supplémentaires

Comment ? En poussant, par exemple, l’entreprise à faire un bilan carbone, en incitant la direction à former les salariés au numérique responsable, voire à changer de prestataire pour diriger l’épargne salariale vers des fonds respectueux de l’environnement.

Car l’état d’esprit des salariés évolue. « Les jeunes sont particulièrement sensibles à la question environnementale et sont en demande d’actions », constate Magali Frey, membre du CSE de Cap Gemini Invent, filiale conseil du groupe Cap Gemini. Les entreprises l’ont bien compris et en font un argument de la marque employeur.

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Pour le groupe minier et métallurgique Eramet, qui produit notamment les « métaux de la transition énergétique » – nickel, cobalt et lithium –, « la loi ne change pas grand-chose, note Virginie de Chassey, directrice du développement durable et engagement d’entreprise. Notre feuille de route RSE [responsabilité sociétale des entreprises] 2018-2023 intègre le développement durable. Le sujet est ancré dans notre projet d’entreprise et notre raison d’être ».

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« Avec l’inflation, le retour des “comités patates” ? »

Carnet de bureau. Les « répercussions [de la guerre en Ukraine] affecteront aussi bien l’inflation, de façon quasi immédiate par la hausse des prix de l’énergie et d’autres matières premières, que la croissance », pronostiquait la Banque de France à la mi-mars, en avançant une prévision de 3,5 % à 4,4 % d’inflation en 2022, selon l’évolution de la situation. « Nous intégrons en particulier dans le scénario dégradé les conséquences sur les prix des produits alimentaires d’une hausse du cours du blé de l’ordre de 65 % par rapport à son niveau de fin février », précise la note de la Banque de France.

Lors de la création des comités d’entreprise par la loi du 16 mai 1946, le pic inflationniste était proche de 60 %. Quelque 10 000 comités d’entreprise avaient ainsi vu le jour dans l’immédiate après-guerre.

Jusqu’en 1946, des comités existaient déjà au sein des usines. Les comités sociaux d’établissements créés par Pétain en 1941 avaient été remplacés en 1944 par trois types de « comités d’usine » : les « patriotiques » chargés d’éliminer les directions collaborationnistes, les « comités à la production » et les « comités de gestion ».

Pénuries alimentaires

Les salariés parlaient plus simplement de « comités patates », car leurs cantines et coopératives de ravitaillement avaient été un soutien précieux pour faire face aux pénuries alimentaires. Les derniers tickets de rationnement de sucre, d’essence ou de café ne disparaîtront qu’en décembre 1949. On n’en est pas là. Loin s’en faut. Il ne s’agit pas de dramatiser à outrance les conséquences de la hausse de l’inflation en France, mais de s’interroger sur le soutien au pouvoir d’achat des salariés au sein de l’entreprise.

Les prestataires de services aux entreprises constatent une hausse des commandes de « tickets » en tout genre pour limiter l’impact d’une inflation attendue initialement autour de 2 %. « Depuis le début de l’année, la demande augmente sur les Ticket Restaurant, les tickets mobilité (vélo, voiture électrique et essence) et les tickets cadeaux, qu’elle vienne des directions des ressources humaines ou des comités sociaux et économiques (CSE). On a aussi observé une hausse de la valeur faciale du Ticket Restaurant de 2,5 % sur un an », indique Ilan Ouanounou, le directeur général d’Edenred France. Le dirigeant du groupe spécialisé en solutions de paiement pour les salariés note également qu’« ils dépensent davantage sur notre plate-forme d’e-commerce ».

Les CSE, héritiers des comités d’entreprise, ont toujours été tiraillés entre le soutien social des salariés et le contrôle de la gestion économique de l’entreprise. Doivent-ils aujourd’hui redonner la priorité à la redistribution ?

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