Archive dans 2021

Europe : « Il y a beau temps que la protection des droits humains ne s’arrête plus aux portes des casernes : faut-il pour autant s’en inquiéter ? »

Tribune. Par une décision rendue le 15 juillet, la Cour de justice de l’Union européenne met en œuvre la législation européenne sur le temps de travail : elle affirme que nul travailleur ne doit être privé d’un encadrement du temps de travail destiné à protéger sa santé et sa sécurité, et que l’armée peut utiliser toutes les (nombreuses) dérogations offertes par le droit de l’Union pour assurer la protection du territoire national et de la sécurité publique.

Pourquoi donc sonner l’alarme contre une telle décision, comme le fait Edouard Philippe dans sa tribune « La décision des juges européens sur le temps de travail de nos soldats touche au cœur de la souveraineté et de la sécurité de la France » parue dans Le Monde le 17 juillet ?

On a souvent reproché à l’Union européenne (UE) d’être anti-sociale, préoccupée seulement d’un marché intérieur dans lequel la concurrence fait rage : cette décision, entre autres, montre qu’il n’en est rien. L’Union change, de plus en plus vite, pour s’éloigner, de plus en plus, sans toutefois le renier, du marché commun de ses origines : en témoignent, notamment, la protection des droits humains garantis par la Charte des droits fondamentaux et, plus récemment, le lancement du grand programme écologique que constitue le Pacte vert pour l’Europe.

Les nombreuses dérogations dans l’application de la décision

Quant aux droits sociaux au cœur de la décision de juillet, ils ont toujours eu une place dans les politiques de l’Union, depuis le traité de Rome (1957). A nouveau au cœur de l’action de l’Union, la politique sociale de l’Union a été relancée par le Socle européen des droits sociaux (2016). Le droit au repos et à la limitation du temps de travail fait partie de ces droits sociaux fondamentaux protégés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union que la Cour de justice a toujours défendus avec force, depuis que la Directive sur le temps de travail de 1993 a été adoptée.

Avec force, mais non sans nuance, conformément à la législation de l’Union, qui se caractérise par la prise en compte de la spécificité des situations de travail, y compris celle des militaires. Tendue sur un fil, la décision est le reflet, dans sa nuance, de l’équilibre dans lequel se situe la Cour de justice de l’Union. Pour le comprendre, il faut se donner la peine de regarder la décision de près.

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Interrogée par la Cour suprême de Slovénie sur le point de savoir si l’activité de garde exercée par un officier de l’armée slovène devait être considérée comme hors du champ d’application de la protection assurée par le droit de l’Union, la Cour a répondu, très précisément que l’encadrement du temps de travail prévu par le droit de l’UE – qui n’exige pas le respect des « 35 heures », législation franco-française, contrairement à ce que certains ont laissé entendre – ne s’applique ni aux activités réalisées dans le cadre de la formation initiale des militaires, aux entraînements opérationnels ou aux opérations militaires, ni aux activités à ce point particulières qu’elles ne se prêtent pas à un système de rotation des effectifs permettant d’assurer le respect des exigences de limitation du temps de travail.

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Vers une baisse du pouvoir d’achat des retraites complémentaires du privé

Les treize millions de retraités du secteur privé risquent de subir une perte de pouvoir d’achat. Jeudi 22 juillet, les partenaires sociaux, qui pilotent le régime complémentaire Agirc-Arrco, ont ouvert la voie à une revalorisation des pensions inférieure à l’inflation durant les deux prochaines années. Cette orientation a été approuvée par trois mouvements patronaux – le Medef, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), l’Union des entreprises de proximité – et par deux syndicats – la CFDT et la CFTC. Trois centrales de salariés – la CFE-CGC, la CGT, FO – ont indiqué qu’elles y étaient opposées. Ce tour de vis a pour but de respecter la « trajectoire financière » du dispositif, dont les comptes ont été malmenés par la récession de 2020.

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La solution retenue consiste à réécrire, par le biais d’un « avenant », l’un des accords nationaux interprofessionnels (ANI) qui régissent le fonctionnement de l’Agirc-Arrco. Grâce à ces amendements, le conseil d’administration sera en mesure de décider que les pensions progressent à un taux inférieur à celui de l’indice des prix, l’écart – ou la « sous-indexation » – pouvant aller jusqu’à 0,5 point (alors que celui-ci ne peut pas dépasser 0,2 point, à l’heure actuelle). Les gestionnaires du régime se prononceront au début de l’automne sur le pourcentage, celui-ci étant applicable à partir du 1er novembre. Ils disposeront de cette faculté deux années de suite.

« Retrouver une trajectoire »

Pour comprendre la mécanique mise en place, il suffit de prendre un exemple, fondé sur les données les plus récentes de l’Insee. En juin, l’inflation a atteint 1,5 % sur les douze derniers mois. Si c’est cette valeur qui sert de référence, les administrateurs de l’Agirc-Arrco seront autorisés à n’augmenter les retraites que de 1 % pour un an. Et ils pourront faire de même à l’automne 2022, pour la revalorisation annuelle suivante (1er novembre 2022-31 octobre 2023).

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Le terrain d’entente, auquel sont parvenus le patronat et deux syndicats, résulte d’une négociation ouverte le 21 juin. Les partenaires sociaux se sont lancés dans cet exercice, car les comptes du régime ont souffert l’an passé, avec un « résultat global » de – 4,1 milliards d’euros. Une situation qui a conduit le conseil d’administration à exercer son « devoir d’alerte » : cette procédure est enclenchée lorsque les réserves financières de la caisse (évaluées à 62,6 milliards d’euros fin 2020) sont susceptibles de passer en dessous d’un seuil, correspondant à six mois de pensions sur un horizon de quinze ans. Si ce « ratio de sécurité » risque de plus être respecté, il convient alors de corriger le tir en ajustant « les ressources ou les charges » du système.

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Vers un « revenu d’engagement » pour les jeunes sans emploi

Un nouveau dispositif est sur le point de faire son entrée dans notre Etat-providence : le « revenu d’engagement pour les jeunes ». Annoncé le 12 juillet par Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée, il vise à soutenir les personnes ayant de la peine à démarrer dans la vie active. En gestation depuis plusieurs mois, la mesure en question sera finalisée avec l’appui d’un « comité » qui devait se réunir pour la première fois jeudi 22 juillet, sous l’égide de la ministre du travail, Elisabeth Borne.

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Le président de la République a l’intention de présenter « à la rentrée » les contours exacts de ce « revenu d’engagement », qui « concernera les jeunes sans emploi ou [sans] formation et sera fondé sur une logique de devoirs et de droits », a-t-il dit, le 12 juillet. M. Macron s’implique ainsi dans un projet de réforme qui, jusqu’à maintenant, portait un autre nom : la « garantie jeunes universelle ». Lancé en début d’année par Mme Borne, ce chantier a pour but d’offrir un « accompagnement » professionnel individualisé, assorti d’une allocation pour ceux qui en ont besoin. Le mécanisme a également vocation à faire converger les multiples systèmes existants, parmi lesquels la garantie jeunes, qui mêle immersions professionnelles et aide financière pour les 16-25 ans ni scolarisés, ni en formation, ni au travail.

Des droits « mais aussi des devoirs »

Si le dispositif en cours de construction vient donc de changer d’appellation, les motivations, elles, restent inchangées. Le pouvoir en place entend, en effet, promouvoir un schéma, qu’il juge préférable à la création d’un revenu de solidarité active (RSA) pour les jeunes, réclamée depuis des années par de nombreuses associations.

Le comité, qui devait commencer ses travaux jeudi, est composé de dix-huit personnalités issues de divers horizons : élus locaux, parlementaires, secteur associatif, Pôle emploi, réseau des missions locales qui est chargé de la mise en œuvre de la garantie jeunes… Leur tâche consistera à poursuivre la réflexion en cours depuis janvier. Les discussions s’annoncent nourries, en particulier sur les contreparties demandées aux jeunes. Pour le ministère du travail, l’un des piliers de la réforme se situe dans l’« engagement réel » des bénéficiaires, « qui conditionnera le versement du revenu ». Les publics concernés auront des droits « mais aussi des devoirs » : « se former, s’inscrire dans le parcours [qui leur correspond] ou exercer une activité (…) adaptée ».

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L’argot de bureau : Atawad a le don d’ubiquité

« A trop vouloir être partout au même moment, on n’arrive qu’à être nulle part tout le temps. » A méditer.

« Je ne peux pas être au four et au moulin ! » « Mais si, Marie-Pierre, le monde bouge ! Le travail, aujourd’hui, il est Atawad », répond Sébastien, manageur un brin agaçant. N’a-t-on jamais rêvé d’être à deux endroits en même temps, dans la même seconde ? Avec Atawad, c’est comme si c’était fait.

Ce mot aux airs orientaux est un acronyme, signifiant « any time, any where, any device » : on travaille n’importe quand, n’importe où, et sur n’importe quel support (Niqnioniqs en français, cela fait moins envie).

Vivre dans un monde Atawad, c’est avoir la possibilité d’être toujours connecté. Atawad est une marque déposée en 2002 par Xavier Dalloz, conseiller en communication, qui a traduit son invention : c’est la mobiquité, contraction de mobilité et ubiquité.

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Parti de la communication et du marketing, le concept a atteint les bouches de manageurs à mesure que se sont développés le télétravail et Internet. Commençons avec le temps : travailler « any time », c’est se doter d’horaires flexibles. Un jeune père de famille qui gère son site Internet la nuit, entre deux crises de son bébé, ou un amateur de grasse matinée qui préfère le créneau 12 heures-20 heures.

Attention, n’importe quand n’est pas tout le temps, et le fait d’être toujours disponible s’accompagne de garde-fous : imaginons un compteur numérique qui indique au salarié quand il a réalisé son quota d’heures journalier ou hebdomadaire.

L’absence de bureau ne permet pas de se déconnecter

Continuons avec le lieu, où la crise du Covid-19 a accentué le changement des habitudes : chez soi, dans l’entreprise, mais aussi dans des tiers-lieux comme des espaces de coworking, en fonction des tâches à effectuer. Puisque l’on est disponible et mobile, l’absence de bureau ne doit pas être un prétexte pour se déconnecter…

Enfin vient le device, ce avec quoi le salarié travaille : réunions virtuelles, logiciels d’entreprise, le tout depuis un ordinateur, une tablette ou un smartphone. C’est par exemple Karim, travaillant dans la publicité, répondant essoufflé en plein footing… avec sa montre connectée, car il aime parler à sa main.

Les appareils font de nous des êtres augmentés, et cette citation un brin datée de Bernard Pivot était visionnaire : « Vieux rêve de l’homme, la conquête de l’ubiquité repose dans un petit boîtier à portée de la main : la télécommande. Malheureusement, à vouloir être partout, le zappeur n’est plus nulle part. » (Le Métier de lire, Gallimard, 1990)

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Les médias à l’heure de la sous-traitance

Les mensuels Marie France, Top Santé et Biba ? Elaborés et écrits par les collaborateurs d’ETX Studio (anciennement Relaxnews). Les sites Internet de Valeurs actuelles, Gala, Capital ou encore RTL ? Alimentés, pour l’essentiel, par les équipes de 6Medias, propriété de Dioranews. Maxi Cuisine, le magazine du site Marmiton, celui de la marque de robots ménagers Thermomix (vendu en kiosque) ? Conçu par Com’Presse.

Depuis quelques années, de nombreux médias sous-traitent en partie, voire en totalité, les articles qu’ils produisent, pour des raisons d’économies, à un panel d’agences de presse. Mis en lumière cet hiver par le combat des anciens salariés de Science & Vie, le phénomène fait redouter l’apparition de journaux sans journalistes, la publication de contenus pas toujours rigoureux ou critiquables d’un point de vue déontologique, sur fond de précarisation toujours plus grande de la profession. La fabrication n’échappe pas à ce processus d’externalisation. Ainsi, au printemps, les mensuels Psychologies et Les Inrockuptibles, après avoir procédé à des licenciements, ont confié leur maquette à des sociétés extérieures.

ETX Studio, spécialisé dans les mutations des modes de vie, facture chaque page qu’il vend entre 500 et 800 euros hors taxe

« L’intérêt de faire appel à nous est double, explique Jérôme Doncieux, le fondateur d’ETX Studio et président du Syndicat des agences de presse d’informations générales (le Sapig, fort d’une quarantaine d’adhérents représentant un chiffre d’affaires, hors AFP, Reuters et Associated Press, de 33 millions d’euros annuels). Nos clients s’appuient sur des équipes spécialisées, et leur intérêt est aussi financier. Le modèle est plus flexible : si un donneur d’ordres décide de réduire sa pagination, ou même d’arrêter un titre, mieux vaut pour lui que le travail soit fait par un partenaire extérieur. » ETX Studio, spécialisé dans les mutations des modes de vie, facture chaque page qu’il vend entre 500 et 800 euros hors taxe, selon la masse de travail que cela a réclamée.

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« La presse ne peut plus faire semblant de ne pas entendre qu’il y a une économie à tenir et qu’on n’est plus dans les années 1980 », soutient Michel Barisano, le directeur de la rédaction de 6Medias. Née en 1999, cette agence se consacre aux contenus à destination des sites Internet. Emmanuel Macron prononce une allocution ? Ses journalistes assurent un direct pour des sites de médias. Les samedis après-midi se révèlent creux en événements ? Les mêmes, ou leurs voisins de bureau, « bâtonnent » (abrègent et reformulent) des dépêches de l’Agence France-Presse afin de dynamiser les pages d’accueil. « On fait tout ce qui est annexe pour nos clients, décrit M. Barisano. On travaille très tôt le matin, très tard le soir, le week-end. On fait le tout-venant et on laisse aux rédactions le soin de mener leurs enquêtes. »

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Matignon lance un audit sur le management « brutal » du directeur du service d’information du gouvernement

Une « mission d’audit » sur le fonctionnement du service d’information du gouvernement (SIG), chargé de suivre l’opinion et d’organiser la communication gouvernementale, placé sous la tutelle de Matignon, va être lancée, a annoncé le cabinet de Jean Castex, vendredi 16 juillet. La mission sera confiée « à un cabinet extérieur et indépendant, spécialisé dans les questions de qualité de vie au travail », a précisé Matignon à l’Agence France-Presse (AFP).

Cette décision fait suite à la publication dans Le Monde d’une enquête faisant état du management jugé « brutal » par plusieurs anciens collaborateurs. Paranoïa, venue au bureau positif au coronavirus, approche très militante de son poste, humiliations régulières en réunion… nombreux sont les griefs listés par dix-sept témoins – tous anonymes de peur de représailles – au Monde.

Lire l’enquête du « Monde » : Le directeur du service d’information du gouvernement critiqué par ses équipes pour son management « brutal »

Matignon affirme qu’il n’y avait pas eu d’alerte

Le cabinet du premier ministre affirme avoir été « alerté par un article du Monde sur des allégations de relations de travail inappropriées au sein du SIG », en l’occurrence à propos de son directeur Michaël Nathan et de son adjointe Julie Chiret-Cannesan, mais qu’aucune « information ou alerte d’aucune sorte n’était remontée jusqu’alors sur le fonctionnement de ce service ».

« Les faits allégués doivent être pris très au sérieux. Le strict respect des valeurs s’attachant aux relations humaines et professionnelles doit en effet primer en toutes circonstances », souligne pour sa part le cabinet du premier ministre. Pour autant, dans l’attente des conclusions de l’audit, attendues au mois de septembre, il conserve « sa confiance dans la direction du SIG, dont la qualité du travail au cours des derniers mois doit être soulignée ».

« Fort avec les faibles, faibles avec les forts »

Des tentatives d’alerte ont pourtant bien eu lieu, expliquent plusieurs collaborateurs au Monde. « On ne peut guère compter sur les habituels garde-fous : les délégués du personnel s’écrasent et quand on en parle à la médecine du travail ou à des gens de la DSAF [direction des services administratifs et financiers], ils nous répondent : On sait, mais on ne peut rien faire. »

« Il y a un vrai sujet de brutalité », M. Nathan « a cassé la maison », a confié pour sa part à l’AFP, comme d’autres personnes interrogées, un ancien collaborateur du SIG. Une ancienne collaboratrice évoque des « humiliations constantes » de la part d’un homme « fort avec les faibles et faible avec les forts ».

Michaël Nathan a réfuté auprès du Monde les accusations et se décrit comme « un directeur exigeant mais juste ». « J’écoute l’avis de mes collaborateurs, je partage ma vision et mes interrogations, en toute confiance et en toute franchise, ajoute-t-il. (…) S’il y a pu avoir des discussions franches et parfois des divergences de points de vue, je démens toute méthode de management brutal », a-t-il dit au journal. Son adjointe, elle, accusée d’isoler Michaël Nathan et de « nourrir sa paranoïa », estime que sa feuille de route, à savoir structurer les échanges entre le directeur et ses équipes, a pu être « interprétée comme une manière de limiter la spontanéité entre lui et ses collaborateurs ».

Le Monde avec AFP

Licenciement pour absence de passe sanitaire : un motif inédit, incertain juridiquement selon des avocats

Pourra-t-on licencier un salarié qui n’est pas en possession du « passe sanitaire » ? Cette mesure prévue par l’avant-projet de loi sanitaire du gouvernement pour les salariés en contact avec la clientèle et les personnes vulnérables est inédite et juridiquement incertaine, estiment des avocats spécialisés en droit du travail, interrogés par l’Agence France-Presse. Le Conseil d’Etat doit rendre un avis sur cette mesure sous peu.

Le 13 juillet, Emmanuel Macron a en effet annoncé que le passe sanitaire (vaccination complète, test négatif) deviendrait obligatoire dès le 21 juillet pour entrer dans les lieux de loisir comme les cinémas et les théâtres, mais aussi, à partir du mois d’août, dans les cafés, restaurants et centres commerciaux, y compris pour le personnel y travaillant.

Dans un premier temps, la ministre du travail, Elisabeth Borne, avait simplement évoqué sur RTL jeudi soir la possibilité d’une « procédure [disciplinaire] habituelle », évoquant « un avertissement, une mise à pied », sans parler de licenciement. Mais le texte, tel qu’il a été présenté, prévoit qu’à défaut de présenter à leur employeur un examen de dépistage négatif du Covid-19, une preuve de vaccination ou un certificat de rétablissement, contenus dans le « passe sanitaire », ils ne pourront plus exercer leur activité. Une période de mise à pied de deux mois puis un licenciement auront lieu en cas de maintien du refus du collaborateur de présenter ce passe.

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« Si le Conseil d’Etat valide ce projet de loi en l’état, il devra se dédire »

Pour Deborah David, avocate au barreau de Paris, « le licenciement pour défaut de passe sanitaire serait difficile à justifier pour l’employeur sauf à créer un nouveau motif spécifique de licenciement ». Vendredi, à l’issue d’une rencontre avec les partenaires sociaux, le ministère a annoncé dans un communiqué l’introduction, dans le projet de loi, d’une « procédure incitative plus souple » donnant lieu à « un entretien préalable entre le salarié et l’employeur dans le but d’échanger sur les moyens de régulariser la situation, mais aussi de privilégier la pédagogie avant d’arriver à la suspension du contrat ».

« En pratique, le passe sanitaire appliqué aux salariés est compliqué à mettre en œuvre car le secret médical interdit à l’employeur de vérifier de lui-même l’état de santé de son salarié », s’il est vacciné ou pas, négatif au Covid ou pas. « Cela passe par le médecin du travail, qui seul peut décréter une aptitude ou inaptitude », explique Me David.

Si le Conseil d’Etat a validé le passe sanitaire début juin, il a justifié sa décision par le fait que, limité aux voyages à l’étranger et aux grands rassemblements, il ne constituait pas une entrave disproportionnée à la vie quotidienne, « ce qui ne serait plus le cas s’il aboutit à priver les salariés de leur possibilité de travailler », souligne-t-elle. « S’il valide ce projet de loi en l’état, il devra se dédire ».

En outre, ajoute-t-elle, « on crée un motif de licenciement, par nature définitif, qui n’est pas censé perdurer dans le temps puisque la loi d’urgence sanitaire va, à ce jour, jusqu’au 31 décembre 2021 ». Et « si un test PCR négatif suffit, on ne peut l’imposer comme sujétion liée au travail à raison de deux à trois fois par semaine pendant deux heures voire plus [le temps de faire le test], c’est très compliqué et c’est aussi très intrusif sur le plan de la santé ».

Le point : Passe sanitaire : où sera-t-il exigé ? Quels tests seront acceptés ? Les questions que pose son extension

Vaccins encore en « autorisation de mise sur le marché conditionnelle »

Pour Christophe Noel, avocat aux barreaux de Paris et d’Annecy, « il y a quelque chose de choquant au niveau du droit » car « le passe sanitaire renvoie à la question de la vaccination obligatoire ». Il pousse les salariés qui ne voudraient pas se faire vacciner à l’accepter pour ne pas perdre leur emploi, « à moins de faire un test PCR négatif tous les deux jours, ce qui est totalement disproportionné ». Il fait valoir que si plusieurs vaccins (tétanos, hépatite B…) sont obligatoires pour certains professionnels de santé, « les vaccins anti-Covid sont encore en phase 3 d’études cliniques et à ce titre expérimentaux ».

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« Ils ne bénéficient que d’une autorisation de mise sur le marché conditionnelle », ce qui empêche de les imposer à quiconque, estime-t-il en se référant à « l’article L1121-1 du code de santé publique disposant qu’aucune substance en phase de recherche ne peut être imposée à une personne sans son consentement libre et éclairé ».

Pour Alexandre Ebtedaei, au barreau de Paris, « la vraie question est de savoir si le licenciement du salarié qui ne justifie pas de son état vaccinal à l’issue du délai de deux mois serait fondé sur une faute ou bien si le projet de loi entend créer une nouvelle cause de licenciement sui generis, permettant de déclencher de manière quasi automatique une procédure de licenciement au bout de soixante et un jours [deux mois de suspension du contrat et un jour] ». « Où s’arrêtera l’obligation du salarié ? », s’interroge-t-il, en évoquant le secret médical, qui pourrait être invoqué par le Conseil constitutionnel pour rejeter le projet du gouvernement.

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Le Monde avec AFP

Employés de maison, BTP, sécurité… : les métiers exercés par les travailleurs immigrés en France

Des conditions de travail difficiles dans des métiers en tension : la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) a analysé les emplois des 2,7 millions d’immigrés qui travaillent en France. Ils occupent un emploi sur dix dans le pays. Dans le détail, ils détiennent 29 % des emplois en Guyane – région où ce taux est le plus élevé –, 22 % en Ile-de-France et 12 % en Corse, selon une étude publiée le 2 juillet, s’appuyant sur des chiffres de 2017. En Normandie, Bretagne et Pays de la Loire, cette proportion est de 4 %.

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La plupart des professions où les travailleurs immigrés sont surreprésentés connaissent une pénurie de main-d’œuvre. En cause, notamment, des conditions de travail pénibles : contraintes physiques, tâches répétitives… Les immigrés ont souvent un statut précaire : 15 % des contrats sont à durée limitée (10 % pour les non-immigrés). Ils sont principalement employés de maison (39 % d’entre eux sont immigrés), agents de gardiennage et de sécurité (28 %) et ouvriers non qualifiés du bâtiment et des travaux publics (27 %).

Le niveau d’étude est extrêmement polarisé chez les moins de 30 ans : 21 % d’entre eux n’ont certes aucun diplôme supérieur au brevet des collèges (contre 10 % pour les non-immigrés), mais 21 % ont atteint un bac + 5 (contre 14 % des non-immigrés). Le taux d’emploi des actifs immigrés (56 %, avec 79 % de temps complet) est largement inférieur à celui des non-immigrés (66 %, avec 84 % de temps complet).

Les natifs d’Afrique du Nord nombreux dans le numérique

Parmi les immigrés originaires d’Algérie, du Maroc ou de Tunisie (27 % des immigrés travaillant en France), ceux arrivés dans les années 2000 sont plus qualifiés que par le passé. Si les natifs maghrébins sont surreprésentés parmi les agents de gardiennage, de sécurité et d’entretien, ils sont également nombreux à être ingénieurs informatiques (2,4 % d’immigrés marocains parmi les ingénieurs informatiques, par exemple, soit le double de leur part dans l’ensemble de l’emploi). D’ailleurs, en Ile‑de‑France, 18 % des personnes exerçant un métier du numérique sont immigrées, contre 12 % des cadres de cette région, notait fin 2019 une étude de l’Insee. Parmi elles, un tiers est originaire d’Afrique du Nord.

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Autre exemple, les 16 % de travailleurs immigrés nés en Asie sont particulièrement présents dans les métiers de la restauration et du textile. Ceux originaires de Chine, qui se sont majoritairement installés en France ces vingt dernières années, sont employés en premier lieu dans des professions à haute qualification, telles que personnels d’études et de recherche, note l’étude de la Dares.

Quant aux travailleurs nés au Portugal, dont la moitié vit en France depuis au moins trente ans, ils sont souvent employés de maison (14 % d’entre eux sont des natifs portugais) ou ouvriers qualifiés du BTP (8 %).

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L’Ile-de-France, région la plus touchée par les plans sociaux depuis le début de la pandémie

Malgré les aides de l’Etat aux entreprises, la pandémie a provoqué une forte hausse du nombre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) en France. En 2020, 870 procédures ont été initiées, soit 77 % de plus que l’année précédente. La tendance s’est poursuivie au premier trimestre 2021 (+ 55 % par rapport aux trois mois précédents). Au total, 1 050 PSE ont été déclenchés depuis le début de la crise sanitaire.

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Résultat, pas moins de 775 PSE ont été validés par l’administration entre mars 2020 et mai 2021, selon les dernières données de la DARES publiées le 1er juillet. Un chiffre qui reste très loin des 2 647 PSE enregistrés en 2009 après la crise des subprimes. Pour le moment, près de 76 000 contrats ont été rompus, contribuant à une hausse de 7 % des inscriptions à Pôle emploi entre mars 2020 et mai 2021, par rapport à la même période de 2018-2019.

L’habillement et l’hôtellerie-restauration très affectés

En prenant en compte le nombre d’établissements impliqués, l’habillement (19 % des unités de production touchées) et l’hôtellerie-restauration (14 %) sont les branches les plus affectées. Le tiers des établissements de ces branches est implanté en Ile-de-France. Cette région concentre, par ailleurs, 43 % des ruptures de contrat envisagées depuis le début de la crise sanitaire dans les entreprises privées de plus de 50 salariés. L’Ile-de-France est suivie par l’Occitanie (11 % des établissements) et les Hauts-de-France (10 %).

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La métallurgie et la sidérurgie figurent en tête des branches les plus affectées par la crise sanitaire en nombre de salariés concernés. Elle représente 13 % des emplois dans les entreprises privées de plus de 50 salariés, mais 21 % des licenciements envisagés cette année. En Occitanie, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire et Nouvelle-Aquitaine, une rupture de contrat sur deux concerne un emploi de cette branche.

Viennent ensuite les bureaux d’études et les prestations de services aux entreprises (13 % des ruptures envisagées), l’hôtellerie, restauration et tourisme (11 %) et les transports (11 %). Ces quatre branches rassemblent plus de la moitié des licenciements prévus dans le cadre de PSE depuis mars 2020, tandis qu’elles pèsent 32 % de l’emploi des entreprises privées de plus de 50 salariés.

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