Archive dans août 2020

Etats-Unis : la création d’emplois chute au mois de juin ; le chômage baisse et s’établit à 10,2 %

Sur un chantier de construction, à New York.

L’économie aux Etats-Unis a créé 1,8 million d’emplois au mois de juillet, selon les statistiques publiées par le département du travail, vendredi 7 août. Un chiffre très inférieur à celui du mois de juin, le redémarrage de l’activité ayant été ralenti par la résurgence du virus dans une large partie du pays.

Le mois de juin avait enregistré un record, avec 4,8 millions de créations d’emplois. En juillet, un tiers environ des emplois créés l’ont été dans les secteurs des loisirs et de l’hébergement, touchés de plein fouet par la pandémie de Covid-19, a précisé le département du travail.

Les licenciements enregistrés en mars et en avril ont été si massifs que les créations d’emplois enregistrées en mai et juin laissent encore des dizaines de millions d’Américains sans travail. La reprise à la hausse du nombre de cas de nouveau coronavirus, à partir du mois de juin aux Etats-Unis, a contraint plusieurs Etats du Sud et de l’Ouest à mettre un frein au redémarrage de l’activité.

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Nouvelle fermeture des restaurants

Le taux de chômage de juillet a, pourtant, diminué un peu plus que prévu et s’établit à 10,2 % quand les analystes tablaient sur 10,5 %. En juin, il était de 11,1 %. Ce taux reste toutefois toujours loin du plus bas historique d’avant la pandémie de Covid-19, enregistré en février (+ 3,5 %).

Des commerces et restaurants, qui avaient rouvert quelques semaines auparavant, ont dû fermer de nouveau leurs portes et souvent licencier des salariés qu’ils venaient d’embaucher ou réembaucher. En conséquence, les nouvelles inscriptions au chômage étaient même reparties à la hausse pendant deux semaines fin juillet, pour la première fois depuis avril.

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Les restaurants et bars ont créé 502 000 emplois, en net ralentissement par rapport aux mois de mai et juin au cours desquels un total de 2,9 millions d’emplois avaient été créés. Le secteur compte 2,6 millions d’emplois de moins qu’en février, avant le début des mesures de confinement. Les autres secteurs qui ont créé des emplois sont l’administration, le commerce de détail, les services aux entreprises et la santé, précise le communiqué du département du travail.

Le Monde avec AFP

Après une chute historique, l’emploi salarié a limité la casse au deuxième trimestre

Compte tenu du contexte, le chiffre résonne presque comme une bonne surprise. D’avril à fin juin, sur un trimestre où le produit intérieur brut (PIB) de l’économie française a plongé de 13,8 %, le nombre d’emplois détruits n’est « que » de 119 400 emplois, soit 0,6 % des effectifs salariés. Le trimestre précédent, marqué par le début du confinement le 17 mars et la fermeture de très nombreux commerces et services, près d’un demi-million d’emplois avaient disparu, soit 2,5 % des emplois. Sur le premier semestre 2020, l’emploi salarié dans le secteur marchand a chuté de 3,4 %, soit la plus forte chute sur un semestre depuis que cette statistique existe. A titre de comparaison, au cœur de la crise économique de 2008-2009, cet indicateur avait baissé de 1,7 % entre septembre 2008 et mars 2009.

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Le signal positif du deuxième trimestre provient du retour des intérimaires. Le nombre de missions a rebondi de manière significative avec 108 500 emplois (équivalent temps plein) créés, en hausse de 23,1 % après une chute historique de 40,4 % durant le trimestre précédent. Dans de nombreux secteurs, en effet, l’ajustement à la baisse des emplois s’était fait au détriment, en premier lieu, des travailleurs intérimaires.

Réouverture des bars et restaurants

« La baisse de l’emploi est très limitée par rapport à la baisse de l’activité et au recul du PIB, souligne Sylvain Larrieu, économiste à l’Insee. Cela montre que l’essentiel de cette diminution d’activité s’est traduit par des mesures de chômage partiel ou par des congés classiques. Les personnes ont travaillé moins d’heures, mais ont conservé leur emploi. » Cette analyse est étayée par les chiffres de Pôle emploi : en juin, le nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A – n’exerçant aucune activité – avait baissé de 4,6 % par rapport au mois précédent. Une baisse due au retour de demandeurs d’emploi vers une activité réduite, selon les chiffres du service public de l’emploi publiés le 27 juillet. Il n’en reste pas moins que l’étiage reste particulièrement bas : les effectifs salariés dans le secteur privé sont revenus à leur niveau de juin 2017, effaçant ainsi toutes les créations d’emplois constatées en deux ans et demi.

« Les mesures de déconfinement et les plans de soutien ont permis à la majorité des TPE-PME de reprendre leur activité et ainsi de remobiliser leurs salariés », confirme Jean-Philippe Romero, membre du Cercle Perspectives, qui regroupe environ 15 000 experts-comptables qui travaillent auprès de 80 000 entreprises. Selon les données sociales – bulletins de salaires, déclarations d’embauche, etc. – examinées par ces professionnels, « le taux d’inactivité s’établit à une moyenne nationale de 14 %, soit une baisse de 13 points entre mai et juin ».

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Le présentéisme, une maladie bien française

Paradoxalement, plus le travail est intense, envahissant − débordant sur la vie privée, par exemple ou contraint −, plus le présentéisme est affirmé

Aller travailler alors qu’on est souffrant serait-il une maladie particulièrement française ? A l’encontre des idées toutes faites sur l’absentéisme dont feraient preuve les salariés hexagonaux, une note de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) publiée, mercredi 5 août, tend à démontrer qu’au contraire les Français auraient tendance à aller au travail alors qu’ils devraient plutôt garder la chambre.

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En 2016, selon les données Insee, les salariés (public et privé confondus) ont déclaré avoir été malades onze jours en moyenne. Sur ces onze jours, ils sont restés chez eux huit jours, mais ont préféré se rendre sur leur lieu de travail les trois autres journées. Autrement dit, un jour de maladie sur quatre est passé au travail, selon cette étude qui s’appuie sur les déclarations de 27 000 salariés et sur l’enquête « Conditions de travail et risques psychosociaux » de 2016. Ce phénomène ne concerne toutefois que les salariés en bonne ou relativement bonne santé, qui sont ponctuellement malades. Les salariés en mauvaise santé, souffrant de pathologies longues et qui cumulent de nombreux jours d’absence dans l’année, sont peu ou pas concernés par le présentéisme.

Peur de perdre son emploi

Quels sont les motifs qui poussent ainsi les salariés à préférer leur bureau − ou leur poste de travail − au calme de leur domicile ? « La propension au présentéisme dépend fortement des conditions de travail », répond Ceren Inan, statisticien à la Dares et auteur de cette étude inédite. Paradoxalement, plus le travail est intense, envahissant − débordant sur la vie privée, par exemple ou contraint −, plus le présentéisme est affirmé. De même, le sentiment de ne pas disposer des moyens nécessaires pour faire correctement son travail est facteurs de présentéisme − le salarié craignant que son absence n’aggrave encore les choses à son retour ou bien que la charge ne retombe sur les épaules des collègues.

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L’ambiance de travail joue aussi : des relations tendues avec la hiérarchie, être en butte à l’hostilité de certains collègues ou traverser une période de réorganisation dans son entreprise poussent à éviter de s’absenter, tout comme la peur de perdre son emploi. Enfin, la taille de l’entreprise ou de l’entité intervient aussi : plus la structure est petite, plus les salariés sont présents. Autres caractéristiques, les femmes sont plus présentéistes que les hommes, les cadres que les non-cadres, les seniors que les plus jeunes.

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« Les guides-conférenciers réclament des pouvoirs publics reconnaissance et protection »

Tribune. Nous guidons avec passion, accueillons avec respect, transmettons avec sérieux. Nous œuvrons au rayonnement de la culture française auprès de millions de visiteurs venant de France et du monde entier. Nous valorisons le patrimoine culturel et historique français par notre apport humain. Nous parlons toutes les langues. Nous nous adaptons à tous les publics et à tous les besoins d’un marché sensible et fluctuant. Chaque guide est unique, offrant un regard singulier sur le patrimoine. Mais tous partagent le même objectif : enrichir la compréhension entre les cultures, toucher la sensibilité et compléter la culture de chaque visiteur.

Maillon essentiel du secteur du tourisme qui représente entre 7 % et 9 % du produit intérieur brut (PIB), nous sommes assez souples pour nous adapter à un monde en perpétuelle transformation. Presque partout dans le monde, le tourisme de masse s’est installé. Les guides de tous pays s’organisent car ils savent qu’ils sont des acteurs irremplaçables de cette industrie. En France, ils désirent s’inscrire dans un tourisme plus humain, écologique et respectueux des cultures. Les dirigeants de la première destination touristique au monde semblent ne pas l’entendre.

Notre expertise est assurée par une formation méconnue. Savez-vous à quoi ressemble la carte professionnelle de guide-conférencier remise par les ministères de la culture et du tourisme, sanctionnant une solide formation d’histoire et histoire de l’art, attestant notre maîtrise des langues, vous garantissant nos savoirs et représentant l’excellence française en matière de patrimoine ? A un bout de carton.

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Un bout de carton à l’image d’une dévalorisation vertigineuse de notre métier depuis des années, soutenue par l’Etat qui nous demande pourtant de promouvoir le patrimoine français avec l’exigence du meilleur. La profession se sent abandonnée alors qu’elle a accompagné le développement du tourisme au cours des dernières décennies par son élasticité horaire et sa mobilité intellectuelle et territoriale. Chacun d’entre nous a adapté son mode de vie aux besoins d’un marché très spécifique.

Diversité des statuts

Dans cette crise du Covid-19, le président de la République a déclaré qu’il ne laisserait personne sur le bord de la route. C’est raté. Nous sommes les oubliés des 18 milliards d’euros du plan de relance du tourisme. Lors de chaque crise, le tourisme est le premier impacté. Chaque fois, nous nous sommes relevés. Pourtant, nombre d’entre nous ne se relèveront pas de la crise violente entraînée par la pandémie. Aujourd’hui, 45 % des guides prévoient de changer d’activité. La profession ne pourra pas tenir sans aide et reconnaissance de l’Etat.

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A « L’Equipe », le dialogue social est au point mort

Un supporter du PSG lit le journal « L’Equipe » en attendant l’ouverture de la boutique du club parisien, sur les Champs-Elysées, le 4 août 2017.

Il ne fallait pas être grand clerc pour deviner qu’à la fin du mois de juillet, L’Equipe se retrouverait dans une impasse. Quand, lundi 8 juin, la direction du groupe (L’Equipe, L’Equipe Magazine, la chaîne L’Equipe, L’Equipe.fr, Vélo Magazine, France Football, Sport & Style, propriétés du Groupe Amaury) a présenté son projet d’accord de performance collective (APC) aux délégués du personnel de la SAS (société par actions simplifiée, dont la chaîne de télévision est exclue), les salariés avaient déjà commencé à voir rouge.

Dès le 31 mai, leurs élus les avaient mis au parfum : s’ils voulaient éviter une centaine de licenciements, ils allaient devoir rendre seize jours de RTT (sur vingt-deux) et accepter une baisse d’environ 10 % de leur salaire. Et si, dans le cas où les organisations syndicales acceptaient l’accord, ils le refusaient pour eux-mêmes, ils pourraient se voir contraints au départ. Un « chantage à l’emploi » inacceptable pour la majorité d’entre eux, vite rassemblés au sein d’un groupe WhatsApp où l’on s’est parfois frotté les oreilles, mais surtout beaucoup tenu chaud.

« Une boucherie »

« Je ne sais pas si une assemblée générale à l’ancienne, avec 200 personnes dans une même pièce et deux trois pasionarias qui s’enflamment, aurait été plus efficace », confie un salarié. La direction a eu beau expliquer que ses propositions, amendées par la suite, visaient au contraire à sauvegarder des emplois pour conserver des forces éditoriales, le rejet de l’APC, acté jeudi 30 juillet, était inéluctable. Les gens s’étaient comptés, pour être sûr : sur les 251 votants du groupe WhatsApp, 245 ont voté contre, 6 seulement se sont prononcés pour.

« Je regrette que la qualité du dialogue n’ait pas été à la hauteur des enjeux », a aussitôt déclaré Jean-Louis Pelé, le directeur général, ancien directeur des ressources humaines du Groupe Amaury. Pour convaincre de la nécessité de son plan, il avait établi deux scénarios d’avenir. Le premier, « soft », table sur un résultat opérationnel de la SAS en baisse de 3,3 millions d’euros en 2021 et de 8,2 millions en 2022 ; le second, plus pessimiste, prévoit des pertes de 7,9 millions en 2021, et de 13,1 millions l’année suivante. « Il y a un décalage entre la réalité économique perçue [par les collaborateurs] et la réalité économique effective, blâme-t-il. Mais c’est une illusion d’optique que de croire que l’actionnaire financera toujours les pertes : notre décroissance, que le Covid a accélérée, est constante, régulière. »

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Goodyear Amiens-Nord, dernier chapitre

L’avocat des anciens salariés de l’usine Goodyer à Amiens, Fiodor Rilov, devant le conseil de prud’hommes, le 28 janvier.

Cette fois, c’est un point final. Le conflit entre Goodyear et ses anciens salariés de l’usine d’Amiens-Nord, dont la fermeture, en 2014, avait entraîné la perte de 1 143 emplois, va s’éteindre dans les prochaines semaines, sans bruit. Un « protocole transactionnel » a, en effet, été trouvé entre Joël Granger, l’avocat du pneumaticien américain, et Fiodor Rilov, celui des ex-ouvriers. Il doit encore être validé par chacun des 840 anciens employés qui ont gagné devant le conseil de prud’hommes d’Amiens, le 28 mai 2020 : ce dernier avait reconnu l’absence de cause réelle et sérieuse de leur licenciement. Goodyear avait interjeté appel.

Lire le récit : Victoire des ex-salariés de Goodyear : « Ça a été long, fastidieux, violent, mais la lutte paye ! »

Ce protocole, exposé vendredi 31 juillet dans un parc d’Amiens à quelque 250 à 300 anciens de Goodyear, « a été accueilli favorablement », indique Mickaël Wamen, leur ancien leader de la CGT. « On a gagné le procès sur l’absence de motif économique, rappelle-t-il, mais le juge, prenant en compte le fait que des indemnités de licenciement conséquentes [autour de 50 000 euros en prime supra légales] avaient été négociées dans l’accord de fin de conflit en 2014, ne nous avait pas accordé toutes nos demandes. Et nous avions dit que nous nous irions jusqu’au bout. » Ce protocole, qui fixe à 20 000 euros le minimum du montant des indemnités, vient améliorer celles octroyées par le conseil de prud’hommes : la plupart des salariés licenciés ont obtenu entre 13 000 et 16 000 euros, d’autres s’étant vu allouer plus de 20 000 euros. Dans les prochains jours, ce protocole va donc être envoyé à chacun de ces 840 ex-salariés pour qu’ils le signent.

Une autre poursuite pour des produits nocifs

Les deux parties s’engagent à éteindre toutes les procédures en cours liées au licenciement économique. Il n’y aura donc pas de procès en appel. Contactée, la société n’a pas répondu.

En revanche, se poursuivent les procédures de 800 ex-salariés pour faire reconnaître que, selon eux, Goodyear les a exposés massivement, sans protection adéquate, à des produits phytosanitaires nocifs tels que les HAP/CMR (hydrocarbures aromatiques polycycliques/cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction), alors qu’il existait des produits de substitution. Certains ex-employés ont développé des cancers de la prostate, de la gorge, etc. Et plusieurs en sont morts.

On ne saura pas qui a initié ce protocole transactionnel, les avocats étant tenus au secret des négociations. Mais le fait que Goodyear le signe montre qu’il ne croit pas trop en ses chances de gagner en appel. Dans son jugement, le conseil de prud’hommes, réuni en formation de départage (avec un juge professionnel, les conseillers prud’homaux n’ayant pas pu se départager), avait mis en pièces l’argumentation du pneumaticien justifiant la fermeture de l’usine par une supposée nécessité de « sauvegarde de la compétitivité » du groupe dans les secteurs d’activité du site amiénois, les pneumatiques pour véhicules de tourisme et pour engins agricoles. Pour exemple, on peut y lire que « les pièces versées aux débats restent largement insuffisantes » pour conclure que l’endettement de l’entreprise rendrait impossible des investissements sans tailler dans les effectifs. En effet, malgré une dette décrite comme critique depuis le début des années 2000, l’américain a continué « d’investir chaque année entre 500 millions et un milliard de dollars [849 millions d’euros] ».

« C’est inespéré »

Selon M. Wamen, « Goodyear a sûrement eu peur de notre colère, de quelques actions éventuelles de notre part devant la Cour d’appel ». Les Goodyear ont montré à plusieurs reprises, au cours de ce combat initié en 2007 contre ce qui était présenté alors comme une réorganisation du travail en 4/8, qu’ils savaient se mobiliser. Ce projet de réorganisation a été le point de départ d’une intense lutte sociale et juridique, impulsée par une CGT ultra-majoritaire, qui va donc s’achever. « Dans cette période où on voit partout des licenciements, des situations où des entreprises utilisent l’argument du Covid-19 pour licencier en donnant le minimum aux salariés, voir Goodyear revenir pour négocier des primes, c’est inespéré, estime M. Wamen. C’est l’aboutissement de 13 années de lutte. » Et une « ultime réplique à tous ceux qui remettaient en cause la bataille des Goodyear », ajoute M. Rilov.

La situation actuelle des anciens salariés explique aussi le bon accueil fait à ce protocole lors de la réunion. « Environ 20 % d’entre eux ont retrouvé un travail stable, indique leur avocat. Les autres vont de petits boulots en petits boulots, avec des périodes intermédiaires extrêmement longues. Beaucoup se retrouvent en fin de droits ou au RSA. »

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Sans jobs d’été, une rentrée sombre se dessine pour les étudiants les plus précaires

A Ajaccio (Corse-du-Sud), le 2 juin 2020. Cet été, dans l’hôtellerie-restauration, les entreprises « embauchent un salarié [prévu] sur deux », selon Thierry Grégoire, président de la branche saisonniers de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH).

Pour Coraly, ces 1 000 ou 2 000 euros, c’était l’assurance d’un frigo rempli toute l’année, même en fin de mois. Cette année, comme les deux dernières, l’étudiante de 21 ans devait être serveuse dans un bar de camping en Auvergne, à une demi-heure à vélo de chez ses parents. Mais l’effondrement de la fréquentation provoqué par la crise sanitaire a dissous la promesse tacite d’embauche pour la saison estivale.

La moitié des étudiants français travaille l’été. Enfin, d’habitude. La crise économique enfonce la France dans un chômage de masse, et les emplois précaires sont les premiers à disparaître. Dans l’hôtellerie-restauration, c’est simple, les entreprises « embauchent un salarié [prévu] sur deux », assure Thierry Grégoire, président de la branche saisonniers de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH). Et, sans chômage partiel ni solution de repli, les étudiants trinquent.

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« Dans la brasserie où j’ai travaillé, ils privilégient les anciens, et les étudiants sont les derniers à être rappelés », témoigne Coraly, en licence de psychologie à Montpellier. Fin juillet, la Clermontoise a réussi à dégoter trois jours de contrat dans la maison de retraite où travaille sa mère. Elle espère encore décrocher un job en août, peut-être du ménage, sinon en intérim. « Je ne pourrai pas rester comme ça tout le mois d’août à me tourner les pouces. »

Reprendre un emploi en parallèle des études

Le tourisme n’est pas le seul secteur touché. Depuis ses 18 ans, Célia travaille chaque été à l’accueil de banques : « J’ai toujours eu plusieurs jobs, je n’ai jamais eu de problèmes. » Sauf cette année, le patron de son agence en Haute-Loire lui indiquant que, faute de touristes, « la demande est moins élevée ». Elle ne bossera finalement qu’un mois sur deux.

Gilles, en cinquième année de pharmacie, donnait un coup de main en officine entre ses années d’études. Mais là, rien, malgré la cinquantaine de CV déposés : aucune ne recrute autour de Montpellier. Par rapport à l’an passé, trois fois moins d’annonces ont été déposées en mai et juin sur Jobaviz, un site public d’offres d’emploi à destination des étudiants.

Pour ces étudiants, 1 000 euros gagnés pendant l’été, ça veut dire 100 euros supplémentaires par mois d’études

Ceren se retrouve, comme tant d’autres, sans l’emploi dans un camping en Ardèche qu’elle avait décroché l’an passé. L’étudiante turque n’a rien trouvé d’autre. « Cette année, je vais vivre mois par mois, j’aurai assez de sous pour manger et avoir un appartement, c’est tout », raconte la jeune femme, tout juste diplômée d’une licence de neurosciences à Montpellier. Elle ne pourra pas non plus s’acheter un ordinateur, même si le sien ne fonctionne plus. « Si nos cours sont en visio, il ne faut pas un ordi qui plante au milieu du cours. Ça va être compliqué, le master sans ordinateur. »

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Pour ces étudiants, boursiers ou non, 1 000 euros gagnés pendant l’été, ça veut dire 100 euros supplémentaires par mois d’études, pour aider à payer les factures, les courses, et quelques sorties de temps en temps – « on n’est pas des robots », se défend Coraly. Sans ce pécule estival, la solution de secours est évidente pour tout le monde. « Si je veux pouvoir avoir un logement décent et de la nourriture dans mon frigo, j’ai pas le choix, reprend-elle. Je prendrai le risque de faire un boulot à côté de mes études. »

Un « risque », effectivement. Parmi la moitié des étudiants qui ont un travail en plus des cours, environ 20 % des emplois sont « concurrents » ou « très concurrents » des études, selon une enquête de l’Observatoire de la vie étudiante, menée en 2016. « A partir de 15 heures par semaine, ça devient problématique », note Quentin Guillemain, chef de projet emploi au siège national des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), qui gèrent les bourses, logements et restaurants universitaires en France. Pendant ses études, « plus on travaille, moins on a de chances de réussite », résume Helno Eyriey, vice-président de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), chargé des questions sociales.

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Une « bombe à retardement » pour les prochains mois

« C’est sûr que je vais devoir travailler cette année », confirme Célia, qui compte chercher à faire du tutorat scolaire le samedi, en plus de son master 2 en droit international. Ceren, elle, va tenter de faire du baby-sitting, ou peut-être « trouver un temps partiel dans un supermarché », à côté de son master de physique biomédicale. Elle a bien vu le « décalage académique » de ses amis qui travaillent après les cours. « J’ai peur que ça m’arrive, mais je n’ai pas trop le choix. »

« Je vais devoir m’adapter, mais j’ai envie d’avoir un diplôme, confie Coraly, qui rentre en troisième année de psychologie. On va avoir les demandes de diplômes supérieurs, la sélection va être vite faite avec des masters à vingt places. Est-ce que j’aurai les résultats pour, sachant qu’avec un emploi, je mettrai mes études entre parenthèses ? Je vais devoir m’accrocher. »

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Une conséquence probable de ces choix est un nouvel accroissement des inégalités, regrette la sociologue Vanessa Pinto, autrice d’A l’école du salariat. Les étudiants et leurs « petits boulots » (PUF, 2014). « Les étudiants qui décrochent des études sont aussi ceux qui n’ont pas le bagage » académique, le capital culturel qui facilite la réussite universitaire. « Ça se cumule. »

Face à « un coup dur en plus » pour les étudiants – dixit l’UNEF –, de nombreux acteurs appellent à un coup de pouce. « L’activité partielle, c’est bien, mais c’est encore mieux si on tient compte des plus jeunes salariés, avance Thierry Grégoire, de l’UMIH. Il faut les inclure dans le plan de relance. » Les organisations de jeunesse ne disent pas autre chose. « La baisse du ticket de restaurant universitaire [1 euro pour les boursiers, au lieu de 3,30 euros], c’est une très bonne mesure, mais ça ne joue pas sur les autres dépenses : logements, coûts des études… », regrette Helno Eyriey, de l’UNEF. « Les non-boursiers, ultramajoritaires, sont un peu les grands perdants », ajoute-t-il.

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« Cette crise, c’est une bombe à retardement pour les mois qui arrivent », prévient Orlane François, la présidente de la FAGE, qui regroupe de nombreuses organisations étudiantes. Elle appelle à des mesures d’urgence, comme une prime de rentrée, « mais aussi des mesures de long terme ». « On a un gouvernement qui parle de mettre la priorité pour les jeunes, on s’en félicite, mais il manque encore des choses. Il faut aller plus loin. »