Sans jobs d’été, une rentrée sombre se dessine pour les étudiants les plus précaires

Sans jobs d’été, une rentrée sombre se dessine pour les étudiants les plus précaires

A Ajaccio (Corse-du-Sud), le 2 juin 2020. Cet été, dans l’hôtellerie-restauration, les entreprises « embauchent un salarié [prévu] sur deux », selon Thierry Grégoire, président de la branche saisonniers de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH).

Pour Coraly, ces 1 000 ou 2 000 euros, c’était l’assurance d’un frigo rempli toute l’année, même en fin de mois. Cette année, comme les deux dernières, l’étudiante de 21 ans devait être serveuse dans un bar de camping en Auvergne, à une demi-heure à vélo de chez ses parents. Mais l’effondrement de la fréquentation provoqué par la crise sanitaire a dissous la promesse tacite d’embauche pour la saison estivale.

La moitié des étudiants français travaille l’été. Enfin, d’habitude. La crise économique enfonce la France dans un chômage de masse, et les emplois précaires sont les premiers à disparaître. Dans l’hôtellerie-restauration, c’est simple, les entreprises « embauchent un salarié [prévu] sur deux », assure Thierry Grégoire, président de la branche saisonniers de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH). Et, sans chômage partiel ni solution de repli, les étudiants trinquent.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Pour les jobs d’été, les étudiants naviguent dans le brouillard

« Dans la brasserie où j’ai travaillé, ils privilégient les anciens, et les étudiants sont les derniers à être rappelés », témoigne Coraly, en licence de psychologie à Montpellier. Fin juillet, la Clermontoise a réussi à dégoter trois jours de contrat dans la maison de retraite où travaille sa mère. Elle espère encore décrocher un job en août, peut-être du ménage, sinon en intérim. « Je ne pourrai pas rester comme ça tout le mois d’août à me tourner les pouces. »

Reprendre un emploi en parallèle des études

Le tourisme n’est pas le seul secteur touché. Depuis ses 18 ans, Célia travaille chaque été à l’accueil de banques : « J’ai toujours eu plusieurs jobs, je n’ai jamais eu de problèmes. » Sauf cette année, le patron de son agence en Haute-Loire lui indiquant que, faute de touristes, « la demande est moins élevée ». Elle ne bossera finalement qu’un mois sur deux.

Gilles, en cinquième année de pharmacie, donnait un coup de main en officine entre ses années d’études. Mais là, rien, malgré la cinquantaine de CV déposés : aucune ne recrute autour de Montpellier. Par rapport à l’an passé, trois fois moins d’annonces ont été déposées en mai et juin sur Jobaviz, un site public d’offres d’emploi à destination des étudiants.

Pour ces étudiants, 1 000 euros gagnés pendant l’été, ça veut dire 100 euros supplémentaires par mois d’études

Ceren se retrouve, comme tant d’autres, sans l’emploi dans un camping en Ardèche qu’elle avait décroché l’an passé. L’étudiante turque n’a rien trouvé d’autre. « Cette année, je vais vivre mois par mois, j’aurai assez de sous pour manger et avoir un appartement, c’est tout », raconte la jeune femme, tout juste diplômée d’une licence de neurosciences à Montpellier. Elle ne pourra pas non plus s’acheter un ordinateur, même si le sien ne fonctionne plus. « Si nos cours sont en visio, il ne faut pas un ordi qui plante au milieu du cours. Ça va être compliqué, le master sans ordinateur. »

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Mon avenir, je n’y pense pas, sinon j’explose » : l’inquiétude et la colère de la « génération Covid » face à la crise économique

Pour ces étudiants, boursiers ou non, 1 000 euros gagnés pendant l’été, ça veut dire 100 euros supplémentaires par mois d’études, pour aider à payer les factures, les courses, et quelques sorties de temps en temps – « on n’est pas des robots », se défend Coraly. Sans ce pécule estival, la solution de secours est évidente pour tout le monde. « Si je veux pouvoir avoir un logement décent et de la nourriture dans mon frigo, j’ai pas le choix, reprend-elle. Je prendrai le risque de faire un boulot à côté de mes études. »

Un « risque », effectivement. Parmi la moitié des étudiants qui ont un travail en plus des cours, environ 20 % des emplois sont « concurrents » ou « très concurrents » des études, selon une enquête de l’Observatoire de la vie étudiante, menée en 2016. « A partir de 15 heures par semaine, ça devient problématique », note Quentin Guillemain, chef de projet emploi au siège national des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), qui gèrent les bourses, logements et restaurants universitaires en France. Pendant ses études, « plus on travaille, moins on a de chances de réussite », résume Helno Eyriey, vice-président de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), chargé des questions sociales.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Etudier moins loin, viser un secteur qui embauche, se sentir utile : la crise bouleverse les projets d’orientation

Une « bombe à retardement » pour les prochains mois

« C’est sûr que je vais devoir travailler cette année », confirme Célia, qui compte chercher à faire du tutorat scolaire le samedi, en plus de son master 2 en droit international. Ceren, elle, va tenter de faire du baby-sitting, ou peut-être « trouver un temps partiel dans un supermarché », à côté de son master de physique biomédicale. Elle a bien vu le « décalage académique » de ses amis qui travaillent après les cours. « J’ai peur que ça m’arrive, mais je n’ai pas trop le choix. »

« Je vais devoir m’adapter, mais j’ai envie d’avoir un diplôme, confie Coraly, qui rentre en troisième année de psychologie. On va avoir les demandes de diplômes supérieurs, la sélection va être vite faite avec des masters à vingt places. Est-ce que j’aurai les résultats pour, sachant qu’avec un emploi, je mettrai mes études entre parenthèses ? Je vais devoir m’accrocher. »

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Il faut des mesures d’urgence » : les responsables politiques redoutent une révolte de la jeunesse

Une conséquence probable de ces choix est un nouvel accroissement des inégalités, regrette la sociologue Vanessa Pinto, autrice d’A l’école du salariat. Les étudiants et leurs « petits boulots » (PUF, 2014). « Les étudiants qui décrochent des études sont aussi ceux qui n’ont pas le bagage » académique, le capital culturel qui facilite la réussite universitaire. « Ça se cumule. »

Face à « un coup dur en plus » pour les étudiants – dixit l’UNEF –, de nombreux acteurs appellent à un coup de pouce. « L’activité partielle, c’est bien, mais c’est encore mieux si on tient compte des plus jeunes salariés, avance Thierry Grégoire, de l’UMIH. Il faut les inclure dans le plan de relance. » Les organisations de jeunesse ne disent pas autre chose. « La baisse du ticket de restaurant universitaire [1 euro pour les boursiers, au lieu de 3,30 euros], c’est une très bonne mesure, mais ça ne joue pas sur les autres dépenses : logements, coûts des études… », regrette Helno Eyriey, de l’UNEF. « Les non-boursiers, ultramajoritaires, sont un peu les grands perdants », ajoute-t-il.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi L’exécutif annonce six milliards d’euros pour l’emploi des jeunes

« Cette crise, c’est une bombe à retardement pour les mois qui arrivent », prévient Orlane François, la présidente de la FAGE, qui regroupe de nombreuses organisations étudiantes. Elle appelle à des mesures d’urgence, comme une prime de rentrée, « mais aussi des mesures de long terme ». « On a un gouvernement qui parle de mettre la priorité pour les jeunes, on s’en félicite, mais il manque encore des choses. Il faut aller plus loin. »

Avatar
LJD

Les commentaires sont fermés.