Archive dans 2020

Réforme de la santé au travail : la réaction prudente des partenaires sociaux

Vigilantes mais pas hostiles, à ce stade. La plupart des organisations syndicales et patronales sont dans cet état d’esprit, après avoir pris connaissance de la proposition de loi (PPL) sur la santé au travail, déposée le 23 décembre par les députés La République en marche (LRM). Les parlementaires à l’origine de ce texte avaient affirmé leur volonté de transposer dans la loi les dispositions de l’accord national interprofessionnel (ANI) que les partenaires sociaux avaient finalisé, deux semaines auparavant, sur le sujet. C’est pourquoi la réaction des représentants des employeurs et des salariés était guettée avec intérêt : trouvent-ils que l’initiative du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale respecte le texte qu’ils ont élaboré, quasi unanimement, de leur côté ?

Elue du Nord, Charlotte Parmentier-Lecocq a été l’une des principales chevilles ouvrières de la PPL, avec le concours de sa collègue de Meurthe-et-Moselle, Carole Grandjean. Leur but est de transformer un système de santé au travail jugé à bout de souffle : pénurie de médecins spécialisés dans cette discipline, coordination insuffisante des multiples acteurs gravitant dans le dispositif, couverture insuffisante des besoins des petites et moyennes entreprises (PME), etc.

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L’une des idées-maîtresses de Mmes Grandjean et Parmentier-Lecocq est d’engager une démarche « co-construite, au-delà des intérêts partisans », comme l’indique l’exposé des motifs de la proposition de loi. Les parlementaires LRM tout comme les partenaires sociaux partagent la volonté de mettre l’accent sur les actions de prévention et de renforcer la coopération entre les services de santé au travail et le système de santé publique.

Le texte législatif reprend donc les innovations introduites par l’ANI : instauration d’un « passeport prévention » attestant que le salarié a suivi des formations en matière de santé au travail, création de « cellules » chargées d’éviter « la désinsertion professionnelle »… Sur certains aspects, la PPL va plus loin. Un exemple : pour favoriser les échanges d’informations entre médecins du travail et médecins de ville, les premiers pourront avoir accès au dossier médical partagé du salarié.

Manque d’ambition

Plusieurs syndicats estiment que la proposition de loi reflète « l’esprit de l’ANI », selon la formule de Catherine Pinchaut (CFDT). Il s’agit toutefois d’une « impression » après un premier balayage du texte : quelques points nécessitent d’être « vérifiés », aux yeux de la responsable cédétiste, notamment sur les formations offertes aux élus du personnel quand ils sont reconduits dans leur mandat.

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Ce qui change le 1er janvier pour le budget des ménages

Fait rare, les tarifs bancaires reculent en 2021, de 0,65 % en moyenne, selon l’étude annuelle du comparateur Meilleurebanque.com pour « Le Monde ».

Exit 2020, voici venir 2021… Si, restrictions liées à la crise sanitaire oblige, ce premier jour de l’année n’aura probablement pas la saveur des précédents, il ne se distingue nullement de ses prédécesseurs sur un point : qui dit 1er janvier dit nouveautés à la pelle affectant les ressources et dépenses des foyers. Le point sur les principaux changements applicables ce vendredi.

  • Logement et immobilier

C’est en matière d’habitat que les changements sont les plus notables. Ce 1er janvier est en effet le grand jour pour la réforme maintes fois repoussée des aides au logement. Pour calculer leur montant, on ne se basera plus sur les ressources des allocataires de l’année N – 2, mais des douze derniers mois. « Votre aide (…) de janvier, février et mars 2021 sera calculée avec vos revenus de décembre 2019 à novembre 2020 », celle « d’avril, mai et juin 2021 (…) avec vos revenus de mars 2020 à février 2021 », détaille le site des caisses d’allocations familiales (CAF).

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Autre nouveauté : le dispositif d’aide financière à la rénovation énergétique des logements « MaPrimeRenov’ », né il y a tout juste un an, est élargi. Les propriétaires pourront désormais y recourir quels que soient leurs revenus, et même s’ils mettent leur bien en location. En pratique, les devis signés à partir d’octobre 2020 sont éligibles. Les dossiers pourront être déposés à compter du 11 janvier pour les propriétaires occupants, et du 1er juillet pour les bailleurs. Cette prime remplace le crédit d’impôt transition énergétique, qui s’éteint quasi totalement.

L’année 2021 est aussi marquée, pour les investisseurs en immobilier, par une modification du dispositif « Pinel » : il n’est plus possible d’en bénéficier pour une maison individuelle, seuls les logements situés « dans un bâtiment d’habitation collectif » permettent d’y prétendre. Ce dispositif offre aux propriétaires une réduction d’impôt s’ils achètent un bien immobilier neuf et s’engagent à le louer au moins six ans à des ménages modestes, en respectant des plafonds de loyer.

  • Factures et tarifs

Si les tarifs réglementés du gaz sont quasi stables en janvier, relevés de 0,2 % en moyenne (hors taxes), ceux des timbres grimpent à nouveau en flèche. La hausse atteint ainsi 11,3 % pour le timbre vert, le plus courant, qui passe de 97 centimes à 1,08 euro. Certains paquets de cigarettes verront aussi leur prix gonfler ce 1er janvier.

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Covid-19 : « Le télétravail a diversement affecté les organisations »

Tribune. La crise sanitaire et les mesures prises tant pour protéger la population du virus que pour en atténuer les conséquences économiques ont brutalement imposé un « télétravail de crise » pour tous les emplois qui le permettaient.

Afin de comprendre comment cette transition fut gérée, nous avons élaboré un programme d’études sociologiques qualitatives, dont nous présentons ici une synthèse des résultats obtenus. L’échantillon se compose de sept entreprises, d’une grande administration et d’une collectivité territoriale. Dans chaque entité, nous avons réalisé en moyenne soixante entretiens.

Du côté des salariés, l’autonomie retrouvée s’accompagne d’un sentiment d’exclusion. Ayant eu l’opportunité de conduire auparavant des études spécifiques sur le confinement, nous avons fait un premier constat : on ne peut pas comprendre l’un sans l’autre.

« Désobéissance organisationnelle »

Dans l’ensemble, le confinement de mars-avril a été bien vécu, grâce au « temps retrouvé ». Un temps considérable a été gagné sur les transports et, au sein de la cellule familiale, une auto-organisation s’est mise en place, permettant une répartition des tâches en fonction des besoins de chacun, un resserrement des liens entre les membres de la famille nucléique et de la famille élargie. Or, dans la mise en place du télétravail, le « temps retrouvé » est rapidement devenu l’« autonomie retrouvée ».

Les salariés se sont « engouffrés » dans la mise en place de ces nouvelles modalités en exerçant la même capacité d’auto-organisation de leur travail que celle utilisée pour la vie familiale. Et, tout au long de la crise, ils ont conservé cette autonomie grâce à l’encadrement de proximité, sur le rôle duquel nous reviendrons, et malgré quelques tentatives de contrôle observées çà et là, via la surveillance des connexions ou les appels téléphoniques aléatoires.

Cette autonomie s’est aussi manifestée par le recours à des modes de communication différents de ceux imposés par les dirigeants. Les salariés se sont servis d’applications et de logiciels de messagerie instantanée prohibés par leur entreprise. Des groupes de travail se sont créés dans lesquels n’étaient présentes que les personnes jugées susceptibles de permettre la continuation de l’activité. Là où les cadres dirigeants voient des équipes « plus soudées et solidaires », nous avons vu l’apparition de collectifs affinitaires qui se sont substitués aux collectifs de travail.

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Des initiatives pour lutter contre les discriminations à l’emploi

Les dispositifs d’accompagnement et les programmes de lutte contre les discriminations n’y changent rien. Pour les jeunes des quartiers populaires, diplômés ou pas, les portes de l’emploi restent souvent closes. « Ce sont les discriminations liées à l’origine et à la couleur de peau des victimes qui sont les plus fréquentes (…) dans le cadre du travail ou lors de la recherche d’emploi », rappelle l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) dans une étude publiée en novembre. Avec la crise sanitaire, les phénomènes de rupture s’accentuent.

Analyse : « Les jeunes vont payer l’addition en matière d’emplois et de revenus » après cette pandémie

Face à cette situation, plusieurs initiatives innovantes voient le jour. Leur objectif ? Renverser le modèle existant, jugé inopérant par nombre d’acteurs de terrain. En cause, l’offre et la demande qui ne se rencontrent pas ; les structures d’accompagnement boudées par les jeunes et déconnectées des entreprises ; les pouvoirs publics qui investissent, « mais mal », « à côté de la plaque », « en décalage total avec les réalités du terrain », analyse Stéphane Gatignon, l’ancien maire de Sevran (Seine-Saint-Denis).

« Entreprises et quartiers sont deux mondes parallèles qui ne se croisent pas », ajoute-t-il. Avec Bernard Gainnier, président du cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers (PwC) France et Maghreb, il a lancé l’été dernier MouvUp, un « business citoyen » visant à trouver les postes à pourvoir avant d’aller chercher dans les quartiers, par l’intermédiaire des associations locales, les profils à même de correspondre.

« Personne n’accompagne les jeunes jusqu’à l’emploi »

« Les processus d’accompagnement avec des structures telles que Pôle emploi ou les missions locales sont complètement dépassés », constate Ousmane Sissoko, président fondateur de l’association De l’autre côté (accompagnement à la scolarité, opérations de solidarité…), à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), partenaire de MouvUp dans l’identification et la sélection de candidats :

« Le plus souvent, elles partent des multiples dispositifs existants et essaient de faire rentrer les jeunes dedans, mais ça ne mène jamais à rien. Tout le monde passe son temps à les préparer à l’emploi – évaluation des compétences, rédaction de CV… – mais personne ne les accompagne jusqu’à l’emploi. Face au marché du travail, ils sont seuls. »

Qu’ils aient le bac ou pas, qu’ils soient diplômés de l’enseignement supérieur ou pas, tous font face aux mêmes réticences des employeurs qui ont « peur d’embaucher des jeunes qu’ils craignent de ne pouvoir maîtriser », raconte Stéphane Gatignon. On les appelle les « décrocheurs », les « invisibles » ou encore les « empêchés », et « ils sont souvent perçus comme étant potentiellement incontrôlables », renchérit Morad Maachi, président-directeur général d’Educaterra (ex-France formation professionnelle), partenaire de MouvUp et concepteur de programmes de formations au « savoir être ».

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Action de groupe contre Safran : la loi de 2016 sur les discriminations n’est pas applicable dans cette affaire, dit le juge

Le Palais de justice de Paris en 2017.

Très attendue par les employeurs comme par les syndicats, la première décision de justice concernant une action de groupe en matière de discrimination syndicale, créée par la loi de 2016 sur la modernisation de la justice, devrait aussi fortement intéresser les juristes du travail. En effet, c’est « faute d’applicabilité » de cette loi dans le cas présent que le tribunal judiciaire de Paris a débouté la fédération CGT travailleurs de la métallurgie, qui entendait faire reconnaître une discrimination syndicale systémique chez Safran Aircraft Engines.

Dans ce jugement, rendu le 15 décembre, le juge estime qu’entre la date d’application de la loi, le 20 novembre 2016, et la date d’introduction de cette action de groupe, le 30 novembre 2018, il n’y a dans ce dossier « quasiment aucun » fait assimilable à de la discrimination syndicale. Et qu’en tout état de cause, cette période « s’avère objectivement trop courte » pour conclure à l’existence d’une discrimination. C’est ce que plaidait Safran. Il faudrait donc attendre plusieurs années pour que s’applique la loi…

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La CGT illustrait sa démarche en s’appuyant sur les cas de 36 salariés syndicalistes travaillant ou ayant travaillé sur sept sites du fabricant de moteurs pour avions et satellites. Elle reprochait à cette filiale de l’ex-SNECMA d’avoir malmené, sur le long terme, ces salariés par des écarts d’évolution de carrière et de rémunération, par des vexations, etc.

« Non-rétroactivité » de la loi

Au cœur du sujet figure la manière de mettre en évidence les discriminations – ou leur absence. La CGT a recouru au système de « panel », élaboré par François Clerc, métallurgiste de la centrale syndicale chargé des discriminations pour la confédération. Cette méthode, reconnue par la Cour de cassation, consiste à comparer les évolutions de carrière des syndicalistes avec celles de salariés entrés dans l’entreprise à la même période qu’eux, dans la même filière professionnelle, approximativement au même âge et avec les mêmes qualifications et formations.

En 2019, le Défenseur des droits avait conclu à l’existence d’une discrimination syndicale « collective et systémique » dans l’entreprise

L’outil de suivi des carrières mis en place par l’entreprise réalise, lui, ses comparaisons avec des salariés de la même catégorie professionnelle (cadres, employés, techniciens, ouvriers) que les syndicalistes, un champ beaucoup plus large que les filières. Ce qui contribue à « dissimuler » les discriminations, estime la CGT. De son côté, le Défenseur des droits, saisi par la CGT, avait, en mai 2019, conclu à l’existence d’une discrimination syndicale « collective et systémique » dans l’entreprise.

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Le chômage est reparti à la hausse en novembre

Les demandeurs d’emploi qui exercent une « activité réduite » (catégories B et C) ont vu leurs effectifs refluer de 1,3 % en novembre.

Le marché du travail s’est, à nouveau, dégradé sous l’effet du reconfinement. En novembre, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A de Pôle emploi) s’est accru de 34 400 (+ 0,9 %) pour atteindre un peu plus de 3,828 millions sur l’ensemble du territoire (outre-mer compris, sauf Mayotte), selon les données diffusées, lundi 28 décembre, par la Dares, la direction chargée des études au ministère du travail. Ce niveau est supérieur de 10 % à celui enregistré en février, avant le début de la récession.

Après six mois de baisse ininterrompue, les chiffres sont, sans surprise, repartis à la hausse, du fait des mesures de restriction prises fin octobre dans le but de contenir la propagation du coronavirus. Un tour de vis qui a pénalisé l’activité au sein de plusieurs secteurs, avec des incidences toutefois moins importantes que lors du premier confinement, au printemps.

Les jeunes plus touchés

L’évolution relevée en novembre concerne toutes les tranches d’âge, mais elle s’avère plus marquée chez les jeunes : + 2,1 %, contre + 0,7 % chez les individus ayant de 25 ans à 49 ans et + 0,9 % chez ceux ayant au moins 50 ans. D’après la Dares, deux facteurs ont beaucoup joué : « l’augmentation des nouvelles inscriptions à Pôle emploi » et le ralentissement des « sorties de la catégorie A » – ceux qui en sont partis en novembre pour occuper des postes précaires étant moins nombreux que durant les mois antérieurs.

Pour leur part, les demandeurs d’emploi qui exercent une « activité réduite » (catégories B et C) ont vu leurs effectifs refluer de 1,3 % en novembre. Au total, le nombre de personnes émargeant dans les catégories A, B et C reste pratiquement stable, à un peu plus de six millions – un seuil qui n’avait jamais été franchi avant l’épidémie de Covid-19.

Ces mauvais résultats sont en ligne avec les indications fournies, le 23 décembre, par l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss) – qui coiffe le réseau des Urssaf : selon elle, le nombre de déclarations d’embauche de plus d’un mois (hors intérim) s’est nettement affaissé en novembre : – 19,8 %, après une hausse de 2,5 % en octobre (et un recul de 8,6 % en septembre).

Les recrutements dans les entreprises de travail temporaire sont également affectés : – 14,5 % en novembre, par rapport au même mois de 2019, d’après les statistiques dévoilées le 22 décembre par Prism’emploi, l’organisation patronale du secteur. Pour la première fois depuis mai, « l’emploi intérimaire, après s’être lentement redressé, connaît une nouvelle dégradation, avec 110 000 emplois en équivalent temps plein de moins sur un an, contre 80 000 destructions d’emploi sur un an [en octobre] », rapporte Prism’emploi.

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Mesurer les effets du télétravail

Editorial du « Monde ». Il est encore trop tôt pour mesurer les effets de l’épidémie de Covid-19 sur l’organisation de notre société. Mais il est un domaine sur lequel son impact a été à la fois immédiat et spectaculaire : l’organisation du travail. Le premier confinement, décrété à la mi-mars, a eu pour conséquence d’imposer la quasi-généralisation du télétravail là où il était possible, alors que la pratique était restée jusque-là marginale. En mai 2020, 40 % des salariés des sociétés de plus de dix personnes ont travaillé à distance, selon une récente étude du groupe Malakoff Humanis.

Le deuxième confinement, décidé en novembre lors de la deuxième vague, a banalisé la pratique, incitant les partenaires sociaux à conclure, en un temps record, une négociation visant à encadrer son développement, notamment en matière de protection des données, de respect du temps de travail et de droit à la déconnexion. Les discussions, engagées le 3 novembre, ont débouché, trois semaines plus tard, sur un accord national professionnel (ANI), avalisé par toutes les parties prenantes, à l’exception de la CGT.

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Le surgissement d’un événement dramatique aura ainsi eu raison des réticences qui contribuaient jusqu’à présent à attacher la très grande majorité des salariés à leur lieu de travail : à la crainte des employeurs de perdre le contrôle sur leurs effectifs répondait celle des salariés de s’isoler du collectif. L’ampleur qu’a prise, en 2020, la généralisation du télétravail ouvre des perspectives de transformation dans l’ensemble du champ social.

Risques de burn-out

Le management, d’abord, se trouve bousculé, car de nombreux chefs d’entreprise ont été surpris par l’autonomie de leurs équipes et s’interrogent aujourd’hui sur la pertinence de maintenir une organisation du travail encore très verticale. En quelques mois, le rôle du bureau s’est trouvé remis en cause, obligeant tout un pan du secteur immobilier à repenser son modèle. A terme et s’il se prolonge, l’essor du télétravail peut aussi favoriser l’aménagement du territoire en faisant migrer une partie des salariés des métropoles vers les villes moyennes. Il peut enfin aider à lutter contre l’engorgement des transports, au moment où les pouvoirs publics cherchent à promouvoir un mode de développement plus durable. Selon une récente étude de la région Ile-de-France, une journée de télétravail ferait baisser de 13 % les déplacements.

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Les effets pervers ne doivent cependant pas être sous-évalués. Pour peu que le logement soit mal adapté, le travail à distance, vécu par les uns comme une libération, devient un enfer pour les autres. Existent aussi des risques de burn-out, d’effacement des limites entre vie professionnelle et vie personnelle, ou d’isolement. C’est pourquoi l’expérience, si elle doit se prolonger au-delà de la crise sanitaire, nécessite de la souplesse. Les partenaires sociaux semblent, heureusement, l’avoir compris.

L’autre effet est de creuser davantage, sur le marché du travail, le fossé qui sépare les cadres des autres travailleurs. Alors que les premiers ont très massivement télétravaillé, les employés et les ouvriers n’ont pu le faire que marginalement. Glorifiés lors du premier confinement, les agents d’entretien, caissières, livreurs, transporteurs routiers qui avaient montré, par leur présence, combien ils étaient essentiels au pays ont aujourd’hui des raisons d’être amers : on les a oubliés.

D’autres travailleurs, dont la profession ne s’exerce pas davantage à distance, ont passé en 2020 de long mois en chômage partiel, certains perdant au passage une partie de leur salaire. Si elles ne sont pas reconnues et traitées, ces nouvelles inégalités risquent d’alimenter un fort et compréhensible ressentiment social.

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Le Monde

Privilège pour les uns, exclusion pour les autres : le travail à distance crée une nouvelle scission entre travailleurs

Dans un supermarché, à Montpellier, le 30 mars 2020, pendant le premier confinement.

Ne lui parlez pas de télétravail. « Moi, je n’ai jamais arrêté de me rendre chez les personnes âgées dont je m’occupe !, réagit Johanna, 23 ans, auxiliaire de vie dans le Gard (le prénom a été modifié). Et ça, alors que pendant le premier confinement on était mal protégés, avec trois masques chirurgicaux et cinq paires de gants par semaine, alors qu’on travaillait six jours sur sept, huit heures par jour… »

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Une période qu’elle évoque encore d’une voix tendue : « J’avais peur pour ma santé, et peur d’être asymptomatique et de contaminer ceux dont je m’occupais… Donc de les tuer ! Ça a été très dur. » Comment résumer ce qu’elle a ressenti ? « C’est comme si on nous disait : “Votre vie à vous n’a pas d’importance, si vous crevez, une autre viendra vous remplacer.” » Pour Abdelkader, éboueur, interrogé au printemps, le télétravail est aussi synonyme d’injustice : « Nos responsables ne nous donnent même pas un gel hydroalcoolique par équipe de trois ! Et pendant ce temps, ils sont au chaud, chez eux, en télétravail ! »

Il n’y a pas eu de révolution du télétravail pour les auxiliaires de vie ou pour les éboueurs. Ni pour les infirmières, aides-soignantes et médecins, ces métiers en première ligne dans la lutte contre le Covid-19. Pas plus pour les agents d’entretien, caissières, livreurs, transporteurs routiers, ces métiers qu’on qualifie depuis de « deuxième ligne », qui ont montré combien ils étaient essentiels à nos vies.

« Disparités exacerbées »

Ceux-là ont continué à se rendre sur leur lieu de travail en mars, « au bénéfice de la collectivité, mais au risque de leur santé », note l’Observatoire régional de santé (ORS) d’Ile-de-France, qui a proposé, début décembre, une nomenclature de ces « travailleurs-clés ». D’autres travailleurs, dont la profession ne s’exerce pas davantage à distance, ont passé cette année de longs mois en chômage partiel, certains perdant ainsi au passage une partie de leur salaire.

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Des inégalités aggravées par le contexte de la crise due au Covid-19. « Si le télétravail se démocratise, il exacerbe aussi clairement les disparités entre les travailleurs, souligne Aurélie Leclercq-Vandelannoitte, chercheuse au Centre national de la recherche scientifique et professeure à l’Iéseg. C’est d’autant plus intolérable dans un contexte de pandémie, quand cela touche à des questions de vie ou de mort. » Seuls 50 % des emplois du secteur privé sont susceptibles d’être exercés à distance, indique le baromètre Malakoff Humanis sur les conditions du développement du télétravail, publié en septembre.

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L’impact variable du télétravail sur la productivité

Travailler à distance permet-t-il de travailler mieux et, au final, cela contribue-t-il à l’amélioration de la productivité des salariés ? Sur le terrain, la question est loin d’être tranchée. « Lorsque les collaborateurs sont présents, rien qu’en faisant le tour des bureaux le matin, je règle dix problèmes », témoigne Raymond Dorge, président du cabinet d’expertise-comptable GMBA.

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« Depuis que je travaille de chez moi, je perds beaucoup moins de temps, ne serait-ce qu’en transports ou en réunions », rétorque, sous couvert d’anonymat, Bernard, un cadre expérimenté du secteur bancaire. « Pour les jeunes recrues qui ont besoin d’être formées et accompagnées, le télétravail est une catastrophe », ajoute Raymond Dorge.

La littérature économique n’apporte pas de réponse plus claire. L’impact du télétravail sur la productivité « dépend de nombreux facteurs », soulignent Cyprien Batut et Youri Tabet dans un papier publié en novembre 2020 par la direction générale du Trésor. A savoir, les conditions de sa mise en place – les outils mis à disposition, la formation des salariés –, l’organisation du travail dans l’entreprise et du management, et les caractéristiques des métiers.

Coûts cachés

« Quand les collaborateurs travaillent sur une activité qu’ils maîtrisent parfaitement, comme les activités de gestion, le télétravail va plutôt améliorer la productivité », témoigne François-Xavier Selleret, directeur général de l’Agirc-Arrco, qui compte 13 000 salariés. « A l’inverse, quand on est sur des activités de pilotage de projet, qui demandent plus d’interactivité, le télétravail représente un challenge, et un challenge dans la durée. Le problème est alors de savoir comment entretenir la transversalité, favoriser le collectif », souligne le dirigeant.

« Sur une activité parfaitement maîtrisée, le télétravail va plutôt améliorer la productivité » François-Xavier Selleret, de l’Agirc-Arrco

Certains chercheurs confirment que si le télétravail permet de réaliser des économies de temps et d’argent, en abaissant les temps de transport pour les salariés ou le nombre de mètres carrés de bureaux nécessaires aux entreprises, il engendre des coûts cachés qui pèsent lourd dans la balance.

« Le coût intégral du télétravail peut être le double des coûts visibles », résume Laurent Cappelletti, professeur titulaire de la chaire comptabilité et contrôle de gestion au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). D’après les recherches menées aux CNAM et corroborées par des ergonomes, la perte de productivité lorsque l’entreprise est à 100 % en télétravail peut atteindre 20 %, voire davantage en cas de mauvaises conditions.

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Télétravail : un accord national interprofessionnel plutôt bien accueilli par les employeurs

Trois semaines pour parvenir à un compromis. La négociation consacrée au télétravail, que les syndicats et le patronat ont bouclée le 26 novembre, est l’une des plus rapides de l’histoire du paritarisme. Les discussions, engagées le 3 novembre, ont débouché sur un projet d’accord national interprofessionnel (ANI) qui a été avalisé par toutes les parties prenantes, sauf la CGT. Les protagonistes ne partaient toutefois pas d’une feuille blanche, puisqu’ils avaient auparavant établi deux « diagnostics » sur le sujet – l’un en septembre 2020, l’autre en 2017.

Entretien : « L’accord sur le télétravail fait du bien-être des salariés un enjeu managérial »

En dix-neuf pages, l’ANI en question cherche à « expliciter l’environnement juridique applicable au télétravail ». Il se présente également comme un instrument à la disposition des « acteurs sociaux dans l’entreprise et dans les branches professionnelles » pour trouver un terrain d’entente. Pas de révolution, en somme, ni de nouvelles obligations. Une approche que beaucoup de sociétés, de toutes tailles et dans divers secteurs, semblent affectionner.

« L’ANI offre un canevas sur la base duquel le dialogue peut s’ouvrir au sein des entreprises, en laissant la latitude nécessaire aux acteurs en présence pour définir les mesures les plus adaptées aux réalités du terrain », confie Philippe Darmayan, président d’ArcelorMittal France. C’est « un appui à la négociation, sans dicter de solutions toutes faites », renchérit Jean-Jacques Perrot, directeur des ressources humaines (DRH) de Valorem, une entreprise de quelque 300 salariés spécialisée dans les énergies renouvelables.

« Pense-bête »

« Contrairement à d’autres accords nationaux, celui-ci ne donne pas l’impression d’avoir été écrit pour de grandes sociétés. Les enjeux propres aux petites et moyennes entreprises ont été pris en compte », complète Anne-Valérie Muscat, de la société Coulange Immobilier, à Marseille, qui emploie près de 20 personnes.

L’accord « permet de souligner les points sur lesquels il convient de se montrer vigilant afin d’éviter les dérives », estime Claudine Behague, DRH chez Pictime Groupe

Le document élaboré par le patronat et par les syndicats est apprécié pour son aspect « pratico-pratique », selon la formule de Christine Courade, DRH à l’aéroport de Toulouse-Blagnac. Il s’agit d’« un excellent “pense-bête”, qui recense toutes les thématiques à aborder quand une entreprise souhaite mettre en œuvre ou développer le télétravail », commente Jean-Christophe Sciberras, membre du Cercle européen des DRH, dans lequel siègent des hauts cadres de grands groupes (Vallourec, EDF, Faurecia…).

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