Archive dans juin 2020

Economie : « Va-t-on assister à un retour des conglomérats ? »

Tribune. Chacun le sait désormais, la crise économique dans laquelle nous entrons sera d’une ampleur inouïe et ses conséquences vont se faire sentir des années durant. Même si les Etats et les banques centrales soutiennent les entreprises à bout de bras, nombreuses sont celles qui vont être dans des situations dramatiques, en position de défaut et contraintes à des licenciements massifs.

Pour systématique qu’elle soit, cette crise touche, et touchera, certains secteurs plus que d’autres. La restauration, le tourisme, le transport, l’automobile sont très durement affectés et le retour à la normale pourra prendre des mois, voire des années. A l’inverse, les entreprises qui ont développé des services « stay at home », de la vente sur Internet ou de la vidéo à la demande bénéficient de la crise. Il en est de même des entreprises de la chimie ou de la pharmacie.

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Si Airbus et Air France-KLM ont abandonné 60 % de leur valeur en Bourse depuis la mi-février, Netflix et Amazon ont pris environ 15 %, BioMérieux 44 % et Zoom 88 % ! Mais, au sein même d’un secteur, les différents segments ne subissent pas la crise de la même façon. Dans la distribution alimentaire, le drive et les magasins de proximité sont les gagnants de la situation actuelle, les hypermarchés les perdants.

La recherche de la diversification

Du côté des produits, on note une forte hausse des ventes de ceux permettant de cuisiner à la maison par rapport aux produits préparés. Les habitudes étant prises, il n’est pas certain que l’on assistera à un retour à la situation précédente après le pic de la crise. Les questions de l’exposition de l’entreprise au risque et de son management s’imposeront dans les prochains mois comme des questions essentielles.

Un des moyens classiques pour diminuer ce risque est la diversification de l’entreprise. Elle permet de le diluer en opérant dans plusieurs activités soumises à des sources différentes d’incertitude. Le conglomérat, entendu comme une entreprise regroupant des activités sans lien économique (adressant des marchés très différents les uns des autres), est donc un des meilleurs moyens de réduire le risque pour l’entreprise et ses parties prenantes.

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Pourtant, depuis les années 1980, la plupart des investisseurs européens et nord-américains se sont détournés de ce type d’entreprise. La raison ? Pour un actionnaire investissant à travers un marché financier mature, la solution la plus efficiente pour réduire son risque est d’investir simultanément dans de nombreuses entreprises appartenant à des secteurs très divers, chacune de ces entreprises étant spécialisée sur une activité.

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La difficile relocalisation de l’industrie pharmaceutique

OLIVIER BONHOMME

Nous sommes le 11 mars, en fin de matinée, quelques heures avant que l’Organisation mondiale de la santé ne qualifie de « pandémie » le Covid-19. Au siège de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), on se prépare à affronter la vague, mais son ampleur est encore largement sous-estimée. Les nouvelles qui arrivent d’Italie sont pourtant bien sombres : dans le nord du pays, le système de santé est submergé par l’afflux de patients en état de détresse respiratoire, qui nécessitent des soins lourds en réanimation.

Installé dans une salle de réunion, Rémi Salomon, le président de la commission médicale d’établissement de l’AP-HP, écoute avec inquiétude le récit des médecins du San Raffaele Institute, à Milan, où le confinement a été décidé la veille. « Ce qu’ils nous racontaient était terrible », se rappelle-t-il. Le manque de lits, de personnels, mais aussi, bientôt, de médicaments. Ce jour-là, on parle d’azithromycine, un antibiotique courant, mais, très vite, les pénuries vont menacer plusieurs molécules indispensables à la réanimation des malades : les curares, utilisés pour relâcher les muscles avant l’intubation, le propofol, un anesthésique et le midazolam, un hypnotique.

Après l’Italie, la France. Dès le 27 mars, l’AP-HP diffuse un document encourageant les médecins à changer leurs pratiques pour économiser ces molécules. Cinq jours plus tard, l’AP-HP ainsi que huit autres grands centres hospitaliers universitaires (CHU) européens lancent un appel à l’aide aux gouvernements : « Les hôpitaux seront bientôt à court de médicaments essentiels pour traiter les patients atteints du Covid-19 hospitalisés en réanimation (…). Ils risquent de ne plus pouvoir fournir des soins intensifs adéquats d’ici une à deux semaines », avertissent-ils.

Tracer les médicaments à chaque étape de leur fabrication

Problème : les autorités de santé ne savent pas où aller chercher ces médicaments. Chaque année, les industriels déclarent leurs sources d’approvisionnement à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, mais, faute de moyens suffisants, ces données ne sont pas exploitées, ce qui rend impossible l’identification des maillons faibles : « Sur le papier, avec dix fabricants différents pour un même médicament, on a une impression de sécurité. Mais si tous achètent leur principe actif au même endroit, il y a un risque », souligne un consultant qui préfère rester anonyme.

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Commandé en septembre 2019 par le premier ministre, Edouard Philippe, un rapport sur les causes industrielles des pénuries de médicaments préconise de doter l’agence d’un système d’information permettant de tracer les médicaments à chaque étape de leur fabrication. Dans ce document encore confidentiel – que Le Monde a pu consulter –, les auteurs insistent sur la nécessité de « lancer une étude portant sur les façonniers impliqués dans ces maillons, afin, notamment, d’identifier les sites ou les lignes de production pour lesquels le maintien en France ou en Europe est stratégique et doit être encouragé ».

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Les sacrifiés de la sucrerie de Toury

ouvriers élus du syndic cgt, réunion dans le réfectoire de l'usine, 8 et 9 mai 2020

MALIK NEJMI / VU POUR « LE MONDE »

Par

Publié aujourd’hui à 00h42

Ça commence comme Le Déserteur, l’hymne antimilitariste de Boris Vian : « Monsieur le président, je vous fais une lettre… » Kévin Rabouin, 31 ans, ne le connaissait pas quand il a écrit à Emmanuel Macron, en rentrant de l’usine, une nuit d’avril, à l’heure des séries sur Netflix. D’ailleurs, M. Rabouin ne s’insurge pas contre « l’effort de guerre » : il la jouerait plutôt à l’inverse, une cantate – sans rime ni musique – pour ceux qui ont œuvré jusqu’au bout, en plein coronavirus. « Monsieur le président, (…) Dans cette conjoncture exceptionnelle de pandémie, mes collègues et moi travaillons. Nous travaillons car, comme mentionné sur l’attestation de notre employeur, nous sommes “indispensables”. Nous fabriquons du sucre pour donner à manger aux Français et de l’alcool pour les produits d’entretien et le gel hydroalcoolique. Nous travaillons le jour, la nuit, dimanche et fériés, nous participons à cet “effort de guerre en prenant des risques pour notre santé. »

A Allaines-Merviliers (Eure-et-Loir), le 8 mai 2020. Kévin Rabouin (à gauche), 31 ans, conducteur process de la distillerie, auteur de la lettre à Emmanuel Macron, chez lui, et Mathieu (à droite), ouvrier mécanicien. Tous les deux travaillent pour la sucrerie de Toury.
A Allaines-Merviliers (Eure-et-Loir), le 8 mai 2020. Kévin Rabouin (à gauche), 31 ans, conducteur process de la distillerie, auteur de la lettre à Emmanuel Macron, chez lui, et Mathieu (à droite), ouvrier mécanicien. Tous les deux travaillent pour la sucrerie de Toury. MALIK NEJMI / VU POUR « LE MONDE »

La phrase suivante tombe comme un couperet, mais sans une plainte : « Nous sommes dévoués malgré notre licenciement le 30 juin. » A cette date, et tandis qu’Emmanuel Macron multiplie les déclarations sur la nécessité de reconstruire « l’indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique française », le glas sonnera pour la sucrerie de Toury, en Eure-et-Loir. Et Kévin, Flèche, Mathieu, Benjamin, Julien, Nénesse et les 128 salariés rejoindront cette nouvelle catégorie de Français, tout juste nés de la crise sanitaire : les travailleurs à la fois « indispensables » et « virés ».

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« Combien de temps il nous reste avant la fermeture ? », lance Flèche. Ils sont une poignée d’ouvriers à boire des bières chez Kévin Rabouin, petit rite de déconfinement dans l’ombre verte des grands arbres. Aucun n’a le courage de répondre. On entend juste M. Rabouin lui-même batailler avec les saucisses et le barbecue. Marché mondial, restructuration, fusion. L’histoire est banale, eux-mêmes le disent, ils ont vu fermer tant d’usines, y compris des sucreries. Mais pour être sincères, ils ne pensaient pas que ça leur arriverait, à eux. L’autre jour, dans un bureau de l’usine, Mathieu, 30 ans, est tombé par hasard « sur le numéro de téléphone d’un gros ponte ». Une question lui brûlait les lèvres, il aurait voulu appeler : « Pourquoi nous ? On est des bons, pourtant. »

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Relocalisations : A Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques, « nous avons le savoir-faire, les outils, les équipes »

L’usine de fibre de carbone du groupe japonais Toray,  implantée à Lacq en septembre 2014.
L’usine de fibre de carbone du groupe japonais Toray,  implantée à Lacq en septembre 2014. GAIZKA IROZ / AFP

Lacq fume toujours : le complexe industriel, à mi-chemin entre Pau et Bayonne, est bien actif, même si depuis presque sept ans on n’y extrait plus du gaz à usage commercial, mais seulement comme matière première pour les usines sur place. Et la fourmillante plate-forme chimique et pharmaceutique se propose maintenant pour relocaliser des activités industrielles.

Le 26 mai, chefs d’entreprise et élus locaux ont exploré avec le groupement d’intérêt public Chemparc les pistes de diversification, alors que le Covid-19 a donné une nouvelle actualité aux relocalisations. « Nous avons le savoir-faire, les outils, les équipes, résume Patrice Bernos, directeur général de Chemparc. Ils ont servi avant les délocalisations, ils peuvent être réutilisés. Déjà, nos industriels s’inquiétaient de la stabilité et de la qualité des importations. Or les coûts de transport vont croissant et le bilan carbone pèse de plus en plus dans la balance économique. »

Depuis 1957

Monté en 2003 afin de développer les implantations sur Lacq, Chemparc rassemble entreprises, collectivités, l’Etat, les syndicats et la région Nouvelle-Aquitaine. En avril, Alain Rousset, président (PS) du conseil régional, et Pierre Nerguararian, président de Chemparc, avaient fixé un objectif : définir « les secteurs industriels stratégiques sur lesquels nous devons nous remobiliser avec nos partenaires ».

Sur Lacq, « le terrain est plus que favorable pour y relocaliser les composants de base et les ingrédients actifs pour la chimie, la pharmacie et la cosmétique », détaille M. Nerguararian (un « ancien » de Total). Les entreprises ont déjà l’habitude de travailler ensemble. « En à peine vingt-quatre heures, nous avons su nous coordonner pour fabriquer une lotion hydroalcoolique », raconte Bruno Cabourg, directeur de Novéal qui élabore des ingrédients pour sa maison mère, L’Oréal.

Depuis le début de l’extraction du gaz en 1957, Lacq a vu arriver nombre d’acteurs économiques. Elf puis Total, EDF, Péchiney, Air liquide, Rhône-Poulenc et Arkema dans la chimie, Sanofi pour les médicaments, mais aussi le lorrain Novasep, en 2012, avec ses principes actifs pour la pharmacie, le japonais Toray et sa fibre de carbone, en 2014, ainsi que, l’année suivante, le landais Dérivés résiniques et terpéniques (DRT) avec ses cosmétiques. Sans oublier Abengoa devenu Bioénergie France (Vertex) qui confectionne, depuis 2006, du bioéthanol à partir de maïs du Sud-Ouest.

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Relocalisation : Des retours d’usine profitant à l’emploi… et aux robots

Le président de la République,  Emmanuel Macron, lors de la visite d’une usine de l’équipementier automobile Valéo à  Etaples (Pas-de-Calais) le 26 mai.
Le président de la République,  Emmanuel Macron, lors de la visite d’une usine de l’équipementier automobile Valéo à  Etaples (Pas-de-Calais) le 26 mai. LUDOVIC MARIN / AFP

C’est l’un des grands maux de l’économie tricolore. Une hémorragie qui, à chaque nouvelle fermeture d’usine, revient sur le devant de la scène politique et sociale. Depuis 2008, la part des emplois industriels dans l’emploi total a fondu de 14,4 % à 11,8 %, selon Eurostat. Elle est désormais inférieure au niveau observé en Espagne (12,6 %), dans la zone euro (15,4 %), en Italie (18,5 %), ou encore en Allemagne (18,9 %).

« Un tel projet se heurte rapidement à une question centrale : celle des coûts de production », Stefano Scarpetta, OCDE

Et comme à chaque crise, la même musique résonne du côté du gouvernement : il y a urgence à réindustrialiser la France, notamment en favorisant les relocalisations. « Mais un tel projet se heurte rapidement à une question centrale : celle des coûts de production », explique Stefano Scarpetta, spécialiste de l’emploi à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Et notamment, celui de la main-d’œuvre, relativement élevé au regard du niveau de gamme de notre industrie, moins haut que celui de l’Allemagne.

Selon l’institut Rexecode, celui-ci s’élevait en effet à 38,68 euros l’heure en moyenne au troisième trimestre 2019, contre 34,30 euros en moyenne en zone euro, 23,61 euros en Espagne, 9,74 euros en Pologne ou encore, 6,63 euros en Roumanie… « Dès lors, les activités parties à l’étranger pour des raisons de coût risqueraient fort, si elles revenaient, de privilégier l’automatisation », estime Vincent Vicard, du Centre d’Etudes prospectives et d’informations internationales (Cepii).

Est-ce à dire que les relocalisations profiteraient aux robots plus qu’à nos emplois ? Le sujet est plus complexe qu’il n’y paraît. Ces dernières années, les études plus ou moins alarmistes pointant du doigt l’automatisation comme responsable de la destruction des postes industriels se sont multipliées. Selon une récente note du National Bureau of Economic Research, un organisme de recherche installé à Cambridge, elle aurait ainsi détruit près de 670 000 emplois dans l’industrie américaine entre 1990 et 2007. De son côté, l’OCDE estime que l’automatisation devrait engendrer la disparition de 16,4 % des emplois en France au cours des vingt prochaines années, tandis que 32,8 % des postes seraient profondément transformés par le phénomène.

Une partie de la solution

Lorsque l’on parle de relocalisations, l’équation se pose néanmoins différemment : les robots pourraient en effet être une partie de la solution. « Ce n’est sûrement pas ce que le gouvernement a envie d’entendre, mais mieux vaut faire revenir des usines qui créent peu de jobs – mais des jobs qualifiés, liés à l’automatisation – que pas du tout », résume prosaïquement un industriel, s’interrogeant sur la stratégie à suivre pour les années à venir. L’OCDE ne dit pas autre chose : « Les affirmations qui prédisent que la relocalisation créera de nombreux de postes supplémentaires ne sont pas fondées, affirme-t-elle, dans un rapport sobrement nommé « La relocalisation : mythe ou réalité ? ». Compte tenu des investissements nécessaires, notamment dans la robotique, la production relocalisée ne créera sans doute qu’un nombre limité d’emplois supplémentaires et ils seront de plus en plus qualifiés. »

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Relocalisation : L’éternel retour du « Made in France »

La Fête des mères qui s’annonce sera un test pour Eric Lefranc. Le PDG du groupe Altesse, spécialiste du bijou fantaisie « made in France », espère que la crise du Covid-19 incitera les clients à jeter leur dévolu, au moment de choisir le traditionnel cadeau, sur un collier ou un bracelet de sa marque « Les Georgettes », plutôt qu’une babiole « made in ailleurs ».

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« Je pense que les Français ont bien pris conscience que c’est une erreur d’avoir laissé partir tant de productions à l’étranger », dit-il. Les différentes enquêtes d’opinion menées pendant le confinement lui donnent raison. Publié le 30 avril, le baromètre Kantar portant sur les comportements des consommateurs montre que 42 % des sondés pensent que l’une des priorités des entreprises devrait être de ramener toutes leurs productions et leurs usines en France.

Pour autant, ces mêmes personnes sont-elles décidées à acheter français, « quoi qu’il en coûte » ? Pas si sûr. Si, pendant la crise, les consommateurs se sont en partie rabattus sur des produits alimentaires locaux, ce n’est pas le cas de l’ensemble des produits manufacturés. La mise en redressement judiciaire, le 15 avril, de l’entreprise de bas et collants Gerbe, dont les produits sont fabriqués en Bourgogne, démontre que le label tricolore ne suffit pas à générer des ventes.

« Bruit médiatique »

Sur un marché inondé par les productions asiatiques, Eric Lefranc a bien sûr fait de son implantation ardéchoise un argument de vente. Mais ce succès n’aurait pas été possible sans l’industrialisation de la production, qui permet de contenir les coûts et de proposer des articles 10 % à 20 % plus chers seulement que leurs concurrents asiatiques. Un écart de prix jugé « raisonnable » par le consommateur, croit M. Lefranc. Mais pour certaines pièces plus sophistiquées, comme celles contenant des pierres serties, l’équation est tout autre. Compte tenu des coûts de production en France, la fabrication d’un seul de ces bijoux reviendrait entre 100 et 150 euros au bas mot. Invendable pour des articles fantaisie. Ceux-là restent donc fabriqués à Chiang Mai, en Thaïlande, où leur prix de revient est de sept à huit fois moindre… et tant pis pour le label tricolore.

« Le Made in France suit le même parcours que le bio il y a quelques années de cela », explique Charles Huet, fondateur de La Carte française – une carte-cadeau utilisable uniquement pour l’achat de produits français. « Il bénéficie d’un bruit médiatique et d’une sympathie qui progressent plus vite que son chiffre d’affaires. L’évolution des comportements se fait de manière progressive », souligne l’homme, en rappelant que « le bio a mis trente ans à s’imposer ». Mais cet infatigable défenseur de la cause semble plutôt inquiet.

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A Paris, bars et restaurants à l’assaut des trottoirs

La brasserie Royal Cambronne, dans le 15e arrondissement de Paris, a rouvert sa terrasse à minuit, mardi 2 juin.
La brasserie Royal Cambronne, dans le 15e arrondissement de Paris, a rouvert sa terrasse à minuit, mardi 2 juin. LUDOVIC MARIN / AFP

A priori, le soleil est au rendez-vous de la réouverture des terrasses des bars et restaurants parisiens, mardi 2 juin. Un moment très attendu. La décision annoncée par Edouard Philippe, jeudi 28 mai, a pris de court ceux qui tablaient sur une réouverture complète mi-juin. Mais dès vendredi, le grand ménage commençait quand le choix de lever le rideau au plus tôt était pris. A l’exemple de la brasserie Verse Toujours, avenue des Gobelins, lancée dans le lavage à haute pression de la terrasse, la sortie des tables et des chaises, même si le nombre exact de clients potentiels n’était pas encore fixé. Chacun doit se réorganiser pour tenir compte des nouvelles exigences sanitaires avec, entre autres, un espacement d’au moins un mètre entre les tables et un maximum de dix convives regroupés.

La position de la Mairie de Paris, exprimée durant le week-end, a conforté les projets. L’édile de la capitale a souhaité accompagner le mouvement de remise en marche. Les restaurateurs pourront demander une extension de leur terrasse ou une installation provisoire par une simple déclaration en ligne. Avec la possibilité d’occuper des places de stationnement ou des trottoirs devant des boutiques à condition, évidemment, d’obtenir l’accord des commerçants concernés. La ville envisage aussi de fermer provisoirement certaines rues à la circulation dans une vingtaine de lieux touristiques, comme le canal de l’Ourcq ou la rue des Abbesses, laissant encore plus d’aise aux terrasses. Des extensions autorisées sans bourse délier jusqu’en septembre. Toutefois, le service sur ces espaces gagnés sur la voie publique doit s’arrêter à 22 heures.

Le désir de se remettre aux fourneaux

Ouverture des terrasses, fermeture des salles, cette décision gouvernementale durera au moins jusqu’au 22 juin, date à laquelle l’Ile-de-France espère quitter son statut de zone orange pour passer au vert. « C’est une solution sans vraiment l’être car certains restaurants n’ont pas de terrasse », réagit Juan Arbelaez. Un tiers des établissements franciliens en disposerait. Ce chef cuisinier colombien est, lui, bien décidé à ouvrir les siennes dans ses établissements Levain à Boulogne-Billancourt et Yaya, à Paris comme à Saint-Ouen. « Nous avons de grandes terrasses, donc nous pouvons étaler les tables, mais même si nous atteignons 30 % à 40 % de notre chiffre d’affaires habituel, nous aurons toujours 100 % de charges », analyse-t-il.

La question de la rentabilité est au cœur des choix de reprise. Mais aussi le désir de se remettre aux fourneaux après quatre-vingts jours d’arrêt suite à la crise due à l’épidémie de coronavirus. « La réouverture nourrit le moral des troupes », affirme Victor Lugger, cofondateur du groupe de restaurants Big Mamma, qui emploie un millier de salariés à Paris, mais aussi à Lille et à Lyon, tous placés en chômage partiel pendant la durée du confinement. « Nous n’allons pas être rentables, mais la restauration est une grosse machine et il faut du temps pour redémarrer », explique M. Lugger. Pour se relancer, Big Mamma a d’ailleurs, comme d’autres, mis en place un service de vente à emporter début mai. La Felicita, le restaurant format XXL de Big Mamma dans le 13e arrondissement, a tout de même installé 300 places sur sa terrasse, à comparer aux 1 000 places intérieures qui resteront inoccupées pendant encore trois semaines au moins.

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Entre mantra politique et mirage économique, le difficile retour des usines en France

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Publié aujourd’hui à 02h18, mis à jour à 10h54

Arnaud Montebourg n’a pu s’empêcher de poster, le 23 mai, un message sur Twitter, entre deux tweets sur son miel « Bleu-blanc-ruche » et ses glaces bio « La Mémère ». Devant l’engouement des Français pour les relocalisations, il a annoncé qu’il republiait son ouvrage, La Bataille du made in France (Flammarion), écrit en 2013. « A télécharger gratuitement ici », précise le ministre du redressement productif de François Hollande (2012-2014), qui poursuit son combat avec une casquette d’entrepreneur. Le « retraité » de la politique n’avait pu réaliser son rêve de « démondialisation » à Bercy ; et voilà que le Covid-19 rebat les cartes en faveur d’un patriotisme économique qui lui est cher.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Emmanuel Macron veut « rebâtir » l’indépendance économique de la France

Emmanuel Macron lui-même a infléchi son discours : la France doit reconquérir sa « souveraineté industrielle ». Le ministre de l’économie s’en fait l’avocat inconditionnel. Exemple de l’automobile à l’appui, Bruno Le Maire entend « rompre avec trente années où l’on a massivement délocalisé », et rapatrier « certaines productions ». L’injonction vaut surtout pour Renault, qui a été invité à se joindre à l’alliance européenne sur les batteries, aux côtés de PSA et de Saft (groupe Total). Avec un argument de poids : les 8 milliards d’euros d’aides reçus par la filière, dont plus de 5 milliards pour le groupe au losange.

Lire l’entretien : « Renault est le reflet des mutations économiques et industrielles de la France »

La France s’est progressivement désindustrialisée à la fin des « trente glorieuses », au milieu des années 1970. En visite dans une usine sidérurgique du Creusot (Saône-et-Loire), en 1959, le général de Gaulle se disait « stupéfait » par « tout un ensemble de puissance, d’activité, de progrès » qu’il y découvrait. Quel président de la République, hormis Georges Pompidou, a été capable d’un tel hymne à l’industrie ? Leurs successeurs ont développé une économie « tous services », qui s’est traduite par des délocalisations-restructurations (textile-habillement, sidérurgie, automobile, chantiers navals, informatique…).

La dérive du « fabless »

Il y a trente ans, quand l’Allemagne cessait de fermer ses usines, la France persévérait dans l’idée du « fabless ». Elle a culminé en 2001, quand Serge Tchuruk, PDG d’Alcatel, a prétendu en faire « un groupe industriel sans usine ». Poussée à l’extrême, la théorie des avantages comparatifs a conduit à produire tout ce qui pouvait l’être dans les pays à bas coûts, pour ne garder que les activités à haute valeur ajoutée. Le dédain des élites politico-administratives pour l’industrie a fait le reste. Alors qu’elle pèse 25 % du produit intérieur brut (PIB) outre-Rhin – et qu’elle y est un puissant vecteur d’innovation et d’exportation – elle représente seulement 12 % du PIB en France, qui n’a cessé de perdre des parts de marché – surtout en Europe – en raison d’une compétitivité insuffisante et de produits moyen de gamme.

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Craintes sur des mesures d’économies à « L’Equipe »

Lors du comité social et économique (CSE) du jeudi 28 mai, au journal L’Equipe, pas un mot sur d’éventuelles mesures d’économies n’a été prononcé. Une rumeur, pourtant, circulait déjà, « en interne comme à l’extérieur », trop précise pour n’être pas bien informée : un tiers des effectifs serait menacé à court terme, à moins d’un recours à un « accord de performance collective » synonyme de baisse des salaires et du nombre de jours de RTT.

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Dimanche 31 mai dans la soirée, les salariés du quotidien sportif ont donc reçu un mail de leur intersyndicale (SNJ, SNJ-CGT, UFICT-CGT, SGLCE-CGT), intitulé « la stratégie du choc » et dénonçant ce que les élus considèrent comme un chantage de la part de leur direction. « La direction entend profiter d’une crise conjoncturelle pour imposer une attaque inédite contre ses salariés, écrivent-ils notamment (…). Faute de projet stratégique et éditorial pour un fleuron de la presse sportive, la seule solution trouvée par la direction est d’utiliser les salariés comme variable d’ajustement, dans une vision court-termiste de réduction des coûts. »

Une « plantureuse trésorerie »

A la direction du groupe, on estime que « ce texte ne repose pas sur grand-chose », aucune discussion n’étant encore ouverte. Puis, confirmant l’existence de projets en cours : « Toutes les alternatives sont étudiées dans la situation économique difficile que nous connaissons (…) et en effet, sont à l’étude des réflexions pour le maintien de l’emploi du Groupe L’Equipe » (L’Equipe, L’Equipe Magazine, la chaîne L’Equipe, l’équipe.fr, Vélo Magazine, France Football, Sport & Style, propriétés du groupe Amaury).

Une façon de présenter les faits qui ne convainc pas les syndicats. « Réduire les congés des salariés ne permet pas de faire des économies, à moins de supprimer des emplois », relève Francis Magois, délégué syndical SNJ, qui estime donc que la promesse, en cas d’accord, de ne pas toucher aux effectifs jusqu’au 31 décembre 2024 n’engagerait que ceux qui y croiraient. « Les salariés qui refuseront de signer l’avenant qui sera ajouté à leur contrat seront licenciés », projette un autre, arguant des « lois Macron qui facilitent les licenciements ». Autre carburant à la colère qui monte : l’excellente santé financière d’ASO (Amaury Sport organisation, organisateur du Tour de France, du Marathon de Paris, Rallye Dakar, Paris-Roubaix, etc.), autre entité du Groupe Amaury à la « plantureuse trésorerie », selon le communiqué de l’Intersyndicale.

Des ventes en baisse

« Même un petit pourcentage de cette manne suffirait à éviter la restructuration qu’on veut nous imposer, assure l’un des auteurs du texte. Ne pas y avoir recours prouve que la direction souhaite simplement profiter de la situation liée au coronavirus pour réduire les coûts ». Et de fustiger une volonté d’« agiter le chiffon rouge pour faire peur à tout le monde et accepter l’inacceptable ».

A la direction du groupe, on ne communique pas sur la baisse du chiffre d’affaires publicitaire lié à la crise sanitaire : privé de compétitions sportives, le quotidien a vu ses ventes baisser drastiquement (près de 15 % en mars), passant sous la barre des 200 000 exemplaires – malgré un prix de vente ramené à un euro.

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Jeunes diplômés : sur le marché du travail, la « génération sacrifiée »

« Les jeunes sont d’autant plus exposés à la baisse de l’activité des entreprises qu’ils sont nombreux à occuper un emploi précaire, y compris les plus diplômés. »
« Les jeunes sont d’autant plus exposés à la baisse de l’activité des entreprises qu’ils sont nombreux à occuper un emploi précaire, y compris les plus diplômés. » Philippe Turpin / Photononstop

Les 750 000 étudiants en fin de cursus qui vont prochainement débouler sur le marché du travail seront-ils la « génération sacrifiée » sur l’autel de l’emploi, pour reprendre la formule de la secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’économie Agnès Pannier-Runacher ?

Alors que le chômage a fait un bond record en avril, les jeunes diplômés risquent de devoir multiplier les CV, encore plus que leurs aînés, afin de décrocher ne serait-ce qu’un contrat à durée déterminée (CDD).

Désillusion

Suite à la publication de son baromètre de l’insertion des jeunes diplômés bac + 4/5, l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) annonce avoir constaté une chute vertigineuse des offres destinées aux jeunes diplômés en avril – – 69 % par rapport à avril 2019 – et ne perçoit, pour le moment, aucun signe d’embellie. « Tout laisse à penser que l’on va être sur une tendance similaire en mai, se désole Sébastien Thernisien, du pôle études de l’APEC. En période de crise, les jeunes, comme les seniors, sont les plus touchés ». Ce reflux est général : « hormis la santé, l’action sociale et l’industrie pharmaceutique, qui enregistrent des diminutions moindres, toutes les fonctions et tous les secteurs sont concernés par cette baisse », poursuit Sébastien Thernisien.

La désillusion est d’autant plus brutale pour la « génération Covid » qu’il y a encore quelques semaines, le monde du travail lui ouvrait grand les bras. Après quelques mois passés à envoyer des candidatures, 85 % de la promotion 2018 occupait un emploi en janvier 2020, selon le baromètre de l’association, qui évalue l’insertion professionnelle de 1 500 jeunes diplômés bac + 4/5, six à douze mois après l’obtention de leur diplôme.

Les salaires, également, étaient à la hausse : + 6,5 % pour le salaire médian de la promotion 2018 par rapport à 2017. Mais les conséquences économiques de la crise sanitaire sont venues enrayer cette belle machine.

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Les jeunes sont d’autant plus exposés à la baisse de l’activité des entreprises qu’ils sont nombreux à occuper un emploi précaire, y compris les plus diplômés : un tiers (31 %) des jeunes de niveau bac + 4/5 en 2018, encore en poste en janvier 2020, avaient un contrat de travail non pérenne (CDD ou contrat d’intérim), selon l’APEC.

Etudes perturbées

Au-delà de nos frontières, c’est le même phénomène. Partout dans le monde, les jeunes paient un lourd tribut à la crise. Selon le baromètre de l’Organisation internationale du travail (OIT) dédié à l’impact du Covid-19 sur l’emploi, un jeune travailleur (âgé de moins de 25 ans) sur six a perdu son emploi à la suite de la pandémie ; quant à ceux qui sont restés en activité, ils ont vu leur temps de travail diminuer d’un quart (23 %) en moyenne.

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