Archive dans avril 2020

Coronavirus : Amazon suscite des critiques de salariés aux Etats-Unis comme en France

Le salarié d’Amazon Chris Smalls proteste contre le manque de protection contre le Covid-19, devant un entrepôt de Staten Island, à New York, le 30 mars 2020.
Le salarié d’Amazon Chris Smalls proteste contre le manque de protection contre le Covid-19, devant un entrepôt de Staten Island, à New York, le 30 mars 2020. JEENAH MOON / REUTERS

Après la France, les Etats-Unis. Alors que les syndicats dénoncent, en France, les conditions de sécurité dans les entrepôts d’Amazon depuis le début du confinement, le leader de l’e-commerce fait face à une mobilisation croissante outre-Atlantique. Le licenciement de Chris Smalls, un employé coorganisateur d’un arrêt de travail dans un site de Staten Island, près de New York, concentre les protestations.

Lire aussi Coronavirus : aux Etats-Unis, grève de salariés d’Amazon pour réclamer une meilleure protection

« Nous sommes scandalisés d’entendre que les dirigeants d’Amazon n’ont pas seulement refusé de répondre aux demandes de ses propres travailleurs, mais ont viré l’un des principaux lanceurs d’alerte, juste après sa courageuse action de lundi [30 mars] », écrivent, mercredi 1er avril dans une lettre ouverte, six grands syndicats américains, dont l’AFL-CIO, et plusieurs sénateurs et élus de l’Etat de New York.

Mardi 31 mars, le maire démocrate de New York, Bill de Blasio, a déjà annoncé une enquête du responsable des droits de l’homme de la ville sur ce renvoi. La veille, la procureure de New York, Letitia James, a demandé une enquête sur cet acte « immoral et inhumain ». Elle doit être menée par le National Labor Relations Board, qui régit les conflits du travail.

Lire aussi Coronavirus : les syndicats d’Amazon continuent de demander l’interruption du travail

De son côté, Amazon réfute tout lien entre le licenciement de M. Smalls et son activisme interne. Selon la direction, il a été mis en quarantaine préventive, parce qu’il a été en contact avec un malade du coronavirus. « Mais, malgré cette instruction de rester chez lui, payé, pendant quatorze jours, il est venu au travail, lundi 30 mars, mettant les équipes en danger », assure Amazon.

Un « rôle crucial » pour les confinés

Cette explication est jugée « ridicule » par M. Smalls, qui promet de continuer la mobilisation. Des employés de plusieurs sites d’Amazon ont eux aussi organisé des grèves ponctuelles : à Chicago, lundi, près de Detroit, mercredi, et dans le quartier du Queens, à New York, le 18 mars. Mardi, des salariés de la chaîne de supermarchés Whole Foods, filiale d’Amazon, ont eux aussi arrêté le travail. Eux aussi ont protesté contre des mesures de protection jugées insuffisantes et demandé l’extension du congé maladie rémunéré aux personnes qui présentent des symptômes, mais qui n’ont pas été testées. Auparavant, en Italie, les syndicats avaient lancé un mouvement de grève sur le site de Castel San Giovanni (au sud de Milan), durement touchée par le virus.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : avec la crise sanitaire, les travailleurs invisibles sortent de l’ombre

En réponse, Amazon estime que ces manifestations sont minoritaires et n’ont, aux Etats-Unis, rassemblé que quelques dizaines d’employés chacune – sur un total de 800 000 dans le monde. L’entreprise martèle avoir pris des mesures d’hygiène et de distanciation sociale, qui assurent la sécurité de ses employés. L’entreprise de Jeff Bezos a aussi augmenté temporairement le salaire horaire de 2 euros. Et a annoncé, jeudi 2 avril, avoir embauché 80 000 personnes sur les 100 000 prévues pour poursuivre l’activité malgré l’épidémie.

Lire aussi La crise du coronavirus, une aubaine et un défi pour Amazon

Le géant de l’e-commerce se présente aussi comme une infrastructure jouant un « rôle crucial » pour les confinés. Amazon a d’ailleurs annoncé prioriser les ventes de « produits essentiels » sur sa plate-forme. Mais ce discours est contesté par les syndicats, selon lesquels tous types de produits restent disponibles. Et la mobilisation de salariés jugés précaires est soutenue aux Etats-Unis par des groupes d’employés protestataires au sein des géants du numérique comme les collectifs Google Walk Out for Real Change ou Amazon Employees for Climate Justice.

Concurrence déloyale

En France, un salarié de l’entrepôt de Brétigny-sur-Orge (Essonne), malade du Covid-19, a été placé en réanimation, mardi. Cette information, annoncée par la CGT mercredi, est confirmée par la direction. Trois autres salariés ont été officiellement diagnostiqués avec le coronavirus dans ce site et un autre à Saran (Loiret). « Mais il y a aussi des dizaines de cas suspectés », ajoute Alain Jeault, délégué central CGT. Ce dernier regrette que certains salariés malades ne soient pas testés.

Lire aussi Amazon : les achats de produits peu « prioritaires » restreints en France et en Italie

L’absentéisme est très élevé en France, selon les syndicats, malgré le refus de la direction de payer les salariés qui se déclarent en droit de retrait. Il ne dépasse pas 20 % en incluant les congés pour garde d’enfants, assure la direction.

« On ne comprend pas qu’Amazon soit autorisé à poursuivre une activité aussi peu essentielle, faisant courir de tels risques aux salariés, a réagi, mercredi, Alma Dufour, chargée de campagne pour l’association Les Amis de la Terre, dans un communiqué, dénonçant une concurrence déloyale pour les petits commerces fermés.

« Une fois c’est blanc, une fois c’est noir »

« Le gouvernement ne doit pas attendre qu’il y ait un décès pour changer de ligne ! », ajoute l’ONG écologiste. Une référence aux propos de la ministre du travail, Muriel Pénicaud. « Amazon a changé une partie [des règles de sécurité], mais ça ne suffit pas, a déclaré la représentante du gouvernement, dimanche 29 mars, au Grand Jury RTL/Le Figaro/LCI. Donc, on ne lâche pas jusqu’à ce que ce soit les bonnes mesures pour protéger les salariés. » Mais Mme Pénicaud avait auparavant jugé les mesures sanitaires prises par Amazon satisfaisantes. « Une fois c’est blanc, une fois c’est noir », relativise Julien Vincent, délégué central CFDT.

Jeudi, Amazon a annoncé le début d’une distribution de masques pour les employés, à partir de vendredi 3 avril, partout dans le monde. Une revendication de longue date des syndicats. La direction répond toujours que le port du masque ne fait pas partie des recommandations de l’Organisation mondiale de santé, mais explique que l’évolution des stocks permet désormais de répondre à cette demande de certains salariés. L’entreprise de Jeff Bezos va aussi commencer à mettre en place des vérifications de la température des employés à l’entrée des sites. Une autre demande des représentants du personnel.

« Les mesures prises par Amazon ne règlent malheureusement toujours pas le problème de la possible transmission du virus par un support physique, comme les produits ou les bacs que les collègues doivent manipuler lors de la confection des colis », juge M. Vincent, de la CFDT.

L’intersyndicale réclame toujours la mise en chômage partiel de l’essentiel des salariés d’Amazon. Et envisage encore de porter plainte au pénal pour mise en danger de la vie d’autrui, au nom l’obligation d’assurer la sécurité des salariés prévue par le code du travail. « Prétendre être exonéré de vos obligations au prétexte d’appliquer les préconisations gouvernementales en matière de Covid-19 est une faute lourde », écrit M. Vincent dans un courriel adressé mercredi à la direction et au ministère du travail.

Notre sélection d’articles sur le coronavirus

Coronavirus : le gouvernement menace de sanctions les fonctionnaires qui quittent leur poste

C’est un rappel sans frais. Tout agent public qui refuserait d’aller au travail ou qui abuserait du droit de retrait s’exposerait à des sanctions pouvant aller jusqu’à la révocation. Après avoir précisé le cadre juridique du droit de retrait dans une note du 23 mars, la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) en a diffusé une autre, le 31 mars, pour rappeler aux agents publics qu’ils ne peuvent abandonner leur poste sans s’exposer à des ennuis. Il s’agit d’« un rappel du droit comme dans plein d’autres domaines et qui était attendu par les chefs de service pouvant être confrontés à un refus de poste », explique Olivier Dussopt, secrétaire d’Etat chargé de la fonction publique.

La mise au point n’est pas théorique. S’estimant mal protégés contre le coronavirus, des fonctionnaires mobilisés ont déjà exercé, de manière sporadique, leur droit de retrait. C’est le cas de postiers, de CRS ou d’agents des finances publiques. Certains syndicats les y encouragent, considérant que l’administration ne prend pas toutes les précautions nécessaires.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi La crise sanitaire attise la colère des fonctionnaires envers le gouvernement

De fait, a précisé la DGAFP, les fonctionnaires « ne peuvent légitimement exercer leur droit de retrait au seul motif d’une exposition au virus à l’origine de l’épidémie ». Pour autant, l’employeur est tenu de « mettre en place des mesures de protection adaptées sans lesquelles les agents concernés pourraient faire valoir leur droit de retrait », selon cette note de l’administration. Et dès lors que celles-ci sont assurées, le fonctionnaire ne peut se soustraire à ses obligations.

Lire aussi L’état d’urgence sanitaire ne limite pas le recours au droit de retrait, sauf pour le personnel réquisitionné

Quelles sont les sanctions ? Il peut s’agir d’une retenue sur le salaire, laquelle n’est soumise à aucune procédure particulière. « Une absence injustifiée, le refus d’exécuter une partie de ses tâches, la méconnaissance des instructions pour l’exécution des fonctions ainsi que le refus d’assumer un service supplémentaire en dehors des horaires normaux, lorsque ce service est justifié par l’urgence et la nécessité de service pour assurer la continuité du service public » peuvent également entraîner une sanction disciplinaire. En la matière, précise la DGAFP, celles qui sont les plus adaptées sont l’avertissement, le blâme, l’exclusion temporaire de fonctions de un à trois jours. Mais cela peut même aller, dans les cas extrêmes, jusqu’à la radiation des cadres de la fonction publique lors d’un « abandon de poste », si l’agent a « disparu » sans motif valable.

« Manque de considération »

Covid-19 : en Occitanie, la fronde syndicale contre la réouverture des usines

L’entrée de l’usine Bosch d’Onet-le-Château (Aveyron), en janvier 2018.
L’entrée de l’usine Bosch d’Onet-le-Château (Aveyron), en janvier 2018. JOSE A. TORRES / AFP

La sécurité des salariés doit primer sur la continuité de l’activité. Pas question de tergiverser, alors que la pandémie due au coronavirus continue de se propager. C’est la position adoptée par l’intersyndicale CGT, SUD, CFE-CGC Bosch située à Onet-le-Château (Aveyron). « On ne veut pas redémarrer, tant que le pic de l’épidémie n’est pas atteint », déclare Yannick Anglarès, secrétaire CGT de l’usine spécialisée dans la fabrication d’injecteurs pour moteurs diesel, qui emploie 1 400 personnes, dont 900 ouvriers. « Nos produits ne sont pas vitaux, ils peuvent attendre un peu. »

La veille de la fermeture du site, décidée le 17 mars, « les salariés inquiets se sont rassemblés et ont fait savoir à la direction qu’ils ne voulaient pas travailler », raconte Jérôme Pouget, délégué SUD. « Les syndicats ont brandi la menace du droit de retrait imminent si elle ne faisait pas le nécessaire. »

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Marché automobile français : la casse du siècle

Depuis deux semaines, une équipe composée de salariés, de cadres et de responsables d’ateliers s’active sur place pour mettre en place des mesures de protection sur les chaînes de fabrication. Mais cela ne suffit pas à rassurer. « Il n’y a quasiment pas de masques et de gel hydroalcoolique, précise M. Pouget. Or, nous sommes amenés à transmettre les pièces de main à main, et tous les opérateurs touchent les surfaces par lesquelles le virus se propage. »

« La direction est responsable, pas nous »

« Tant qu’il y a des craintes, on freine des deux pieds et on ne valide pas les décisions. La direction est alors responsable, pas nous », prévient M. Anglarès. La reprise partielle de la production était actée pour le 25 mars, avant d’être repoussée au 30 mars, puis au lundi 6 avril.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Emmanuel Macron veut « rebâtir » l’indépendance économique de la France

De son côté, la direction estime que « les besoins des clients justifient une ouverture progressive du site ». « Certains se sont manifestés, affirme Patrick Meillaud, directeur économique. Nous sommes confrontés à une situation inédite, extraordinaire. En tant qu’industriel, on s’adapte du mieux que l’on peut. »

« La riposte se coordonne et s’organise. C’est inédit dans le milieu », se félicite Gaëtan Gracia, délégué syndical

Aux Ateliers Haute-Garonne (AHG), entreprise de 250 salariés installée à Flourens (Haute-Garonne), la CGT a multiplié les recours afin que l’activité cesse. « J’ai déposé deux droits d’alerte, l’un pour danger grave et imminent, afin que les personnes fragiles puissent rentrer chez elles. Le second, en cas de risque grave sur la santé publique, explique Gaëtan Gracia, délégué syndical. J’ai effectué une tournée pour rencontrer les collègues, un à un. Je les ai motivés à exercer leur droit de retrait et à organiser collectivement un débrayage. Et, le soir [lundi 16 mars], on a monté un plan de bataille sur WhatsApp pour demander à la direction l’arrêt de l’activité. » Mardi 17 mars, la production de rivets pleins pour l’aéronautique est en pause. Dans quelle mesure la pression exercée par la CGT a-t-elle pesé dans cette décision ? AHG n’a pas souhaité nous répondre.

Quelques jours plus tard, l’activité reprenait a minima, avec la mise en place d’un plan de redémarrage progressif en trois phases.

Décision « monstrueuse », « criminelle et stupide »

La CGT de ce sous-traitant, qui regrette le choix du groupe « de faire reprendre le travail à marche forcée », ne baisse pas les bras. Le syndicat et 21 organisations syndicales de l’aéronautique ont signé, le 26 mars, un texte pour réclamer, « dans l’urgence, l’arrêt de toutes les productions non essentielles sur les sites » du secteur. « La riposte se coordonne et s’organise. C’est inédit dans le milieu », se félicite Gaëtan Gracia.

Une démarche à laquelle s’est associée la CGT Latécoère, qui qualifie la décision de la direction de reprendre la production de « monstrueuse », « criminelle et stupide ». Le 24 mars, une soixantaine de compagnons volontaires ont repris le travail dans trois usines de la branche aérostructures à Gimont (Gers), Toulouse et Montredon, en banlieue toulousaine. « On encourage les salariés à ne pas travailler », indique Florent Coste, délégué CGT. Consulté lors d’un comité social et économique la veille de la réouverture, le troisième syndicat a rendu un avis défavorable. La CFE-CGC, syndicat majoritaire, s’est abstenue.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Aéronautique : « L’Etat doit faire des prêts à très long terme aux entreprises »

« Les mesures de protection sanitaires sont conformes aux besoins et adéquates à la reprise », souligne Thierry Ynglada, délégué CFE-CGC. « Le seul problème est les moyens : nous n’avons pas de stocks de masques et de gels pour tous les salariés », tempère-t-il. Le syndicat a aussi fait valoir un autre argument. « La santé de notre entreprise est loin d’être mirobolante. Si on ne livre pas, le groupe ne dispose pas de trésorerie. Alors, comment faire ? », s’interroge-t-il. « Contracter la maladie ou perdre notre travail ? On demande à nos actionnaires et à l’Etat d’assurer la pérennité de nos salaires. »

Notre sélection d’articles sur le coronavirus

Un employeur peut-il faire un entretien préalable au licenciement en visioconférence ?

« Le risque juridique est toutefois limité, s’agissant des salariés non protégés, à une irrégularité de procédure sanctionnée par des dommages-intérêts d’un montant maximum d’un mois de salaire. »
« Le risque juridique est toutefois limité, s’agissant des salariés non protégés, à une irrégularité de procédure sanctionnée par des dommages-intérêts d’un montant maximum d’un mois de salaire. » Harry Haysom/Ikon Images / Photononstop

Question de droit social. Les circonstances actuelles liées à la pandémie due au coronavirus conduisent de nombreux employeurs à s’interroger sur la possibilité de recourir à la visioconférence dans le cadre de l’entretien préalable, même si les mesures de restriction de déplacement ne semblent pas, a priori, interdire en tant que telles la tenue d’un entretien préalable physique.

Si la Cour de cassation a eu l’occasion de juger, il y a relativement longtemps, qu’un entretien téléphonique ne saurait remplacer l’entretien préalable prévu par le code du travail (Cass.soc., 14 novembre 1991, n° 90-44.195), semblant ainsi privilégier la tenue d’un entretien physique, elle n’a en revanche jamais statué sur la question de la validité du recours à la visioconférence.

Seuls quelques juges du fond se sont prononcés sur cette question sans parvenir à un consensus. Certains semblent admettre le recours à ce procédé mais ont toutefois jugé l’entretien préalable irrégulier estimant, soit que l’employeur ne démontrait ni la force majeure, ni l’accord du salarié permettant le recours à la visioconférence, soit que la technique utilisée ne permettait pas de s’assurer avec certitude de l’identité des personnes qui y assistent.

Un texte de 1973

D’autres semblent en revanche exclure le recours à la visioconférence dans le cadre de l’entretien préalable aux motifs que le code du travail ne prévoirait pas une telle possibilité, pas plus qu’il ne permettrait de déroger à la tenue d’un entretien physique.

Le recours à la visioconférence en matière d’entretien préalable est donc loin de faire l’unanimité en jurisprudence. Le risque juridique est toutefois limité, s’agissant des salariés non protégés, à une irrégularité de procédure sanctionnée par des dommages-intérêts d’un montant maximum d’un mois de salaire (article L.1235-2 du code du travail).

Un des arguments qui milite contre le recours à ce procédé, est textuel. Il est fondé sur l’article R.1232-1 du code du travail qui prévoit que la convocation à entretien préalable « précise […] le lieu de cet entretien ». Si cette référence au « lieu » suggère la nécessité d’une rencontre physique entre l’employeur et le salarié, il convient de rappeler que ce texte est issu du décret n° 73-1048 du 15 novembre 1973, époque où la visioconférence n’existait pas.

Cependant, le juge, chargé de l’application des textes, peut adopter une démarche pragmatique. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait concernant le recours à la visioconférence pour les réunions du comité d’entreprise ce, bien avant qu’il ne soit prévu par le code du travail (cf. notamment CE, 9 septembre 2010, n° 327250 ; Cass.soc., 26 octobre 2011, n° 10-20.918, tandis que le recours à ce procédé n’a été envisagé par le législateur qu’avec la loi Rebsamen du 17 août 2015 – cf. loi n° 2015 – 994, article 17).

La prudence reste de mise

Aussi, compte tenu des circonstances exceptionnelles auxquelles nous sommes actuellement confrontés, le juge devrait pouvoir justifier le recours à la visioconférence dans le cadre de l’entretien préalable, afin de ne pas restreindre de manière disproportionnée le pouvoir de direction de l’employeur.

Néanmoins, en l’absence de jurisprudence unanime sur ce sujet, la prudence reste de mise. Pour les employeurs qui souhaiteraient, en raison des circonstances exceptionnelles actuelles, avoir recours à ce procédé, il serait préférable de : recueillir tout d’abord l’accord exprès du salarié concernant le recours à la visioconférence ; et de prévoir l’utilisation d’un dispositif permettant d’identifier avec certitude les personnes participant à l’entretien préalable.

Enfin, s’agissant de la question de l’assistance du salarié lors de l’entretien préalable, celle-ci ne devrait pas poser de difficulté particulière puisque « l’assistant » du salarié devrait, tout comme le salarié concerné, pouvoir participer à l’entretien en se connectant à la visioconférence à distance, qu’il appartienne ou non au personnel de l’entreprise.

Par Blandine Allix, avocate associée, et Marine Palin, avocate.

L’enseigne de chaussures André placée en redressement judiciaire

La pandémie de Covid-19 a eu raison de l’enseigne André. Boris Saragaglia, PDG de Spartoo qui détient la filiale de chaussures depuis 2018, l’assure. « C’est la fermeture des magasins au 16 mars en France qui a accéléré notre chute », a expliqué le cofondateur, lors d’un point presse téléphonique, quelques minutes après avoir informé ses 600 salariés de la validation du placement de l’entreprise en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Grenoble, mercredi 1er avril. « Sans la crise du coronavirus, ça se serait passé autrement », confirme un salarié sous couvert d’anonymat.

Fondée à la fin du XIXe siècle à Paris par un industriel alsacien de la chaussure bon marché, l’enseigne était vacillante depuis des années. Elle a d’abord été laminée par la mode des sneakers qui a détourné sa clientèle vers les boutiques de baskets et les sites de vente en ligne de chaussures de sport. Dès lors, en 2017, Vivarte, sa maison mère, a cherché à se séparer de cette chaîne déficitaire. Un accord est conclu avec Spartoo début 2018. Ses pertes nettes qui s’élevaient alors à 20 millions d’euros, ont atteint 10 millions en 2019, pour un chiffre d’affaires de l’ordre de 100 millions. « Spartoo avait du injecter 13 millions d’euros à son compte courant l’an dernier », assure M.Saragaglia.

Lire aussi Coronavirus : Bercy annonce 45 milliards d’euros d’aide aux entreprises et salariés

Et, manifestement, les actionnaires de Spartoo – ses fondateurs à hauteur de 25 % et des fonds d’investissements (A Plus Finance, CM-CIC Capital Privé, Highland Capital Partners, Endeavour Vision et Sofina) à hauteur de 75 % – n’ont pas souhaité réinvestir dans André. Après le mouvement des « gilets jaunes » de 2018 et la grève des transports en commun en décembre 2019 qui ont plombé l’activité de l’enseigne, la fermeture des 150 points de vente de l’enseigne au 16 mars, à la suite de l’adoption des mesures de confinement dans l’Hexagone, a entraîné la perte de 250 000 euros de chiffre d’affaires par jour.

« 4 millions d’euros perdus par mois »

Et ce sans certitude de pouvoir rouvrir prochainement. « 4 millions d’euros perdus par mois, ce n’est pas tenable », estime M. Saragaglia. Les échéances de paiement de chaussures commandées en Italie, Espagne et au Portugal pour un montant de 10 millions d’euros prévus en mars et avril ont aussi incité le PDG à « chercher de l’air ». Ce dernier dit avoir demandé un prêt à la Banque publique d’investissement (BPI) pour pouvoir solder ses problèmes de trésorerie. En vain. La banque d’Etat « n’a pas donné suite à mon dossier », précise-t-il, sans « même » en avoir obtenu les « raisons ». Le 23 mars, l’entreprise a déclaré être en cessation de paiement. L’ouverture de cette procédure permet d’assurer le paiement des salaires des employés d’André à partir du 31 mars par l’AGS, régime de garantie de salaires.

Le cofondateur de Spartoo avait racheté André pour doter son site internet d’un réseau de magasins. En 2017, l’entrepreneur avait également racheté GBB, marque de chaussures pour enfants, jusque-là détenu par Kindy. Et, Spartoo a aussi repris les chaussons Easy Peasy, lors de sa mise en liquidation judiciaire, fin 2019.

Lire aussi Coronavirus : le détail du dispositif pour les entreprises

Lancée voilà dix-huit mois, la stratégie consistait à monter un réseau de vente mixte, présent sur Internet, avec une offre de 400 000 modèles pour toute la famille, et des boutiques dans les centres commerciaux et les meilleurs emplacements de centre-ville. André est notamment très présent à Paris.

Spartoo réalise aujourd’hui la moitié de ses 250 millions d’euros de vente grâce à ses magasins. M. Saragaglia jure que son « projet industriel » demeure pertinent. L’entrepreneur de 38 ans, qui s’était lancé dans la vente en ligne, à la sortie de HEC, après les Mines, assure œuvrer à un « plan B » pour « combiner les énergies » et relancer les ventes d’André. Quitte à opérer avec un « nombre drastiquement inférieur de magasins ». Le PDG n’entend toutefois pas préciser son projet de poursuite d’activité, alors que la période d’observation de l’entreprise s’ouvre dans ce « contexte ubuesque ». Depuis mi-mars, l’enseigne André ne réalise aucun chiffre d’affaires.

Combien de jours de congés peuvent-ils être imposés ? Quelle allocation en chômage partiel ? Dix questions sur les ordonnances et le droit du travail

Contre le coronavirus, le gouvernement a dégainé son arme législative favorite : les ordonnances. Cette procédure, qui permet à l’exécutif de prendre des mesures rapidement, a cette fois-ci été utilisée en application de la loi d’urgence sanitaire promulguée le 23 mars.

L’exécutif a en effet adopté les 25 et 27 mars une série de textes dans les domaines de la justice, de la santé, du social et de l’économie. Au nombre de 30, ces ordonnances doivent, en théorie, permettre de mieux faire face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19.

  • Que contiennent ces ordonnances ?

Ces ordonnances ont été prises en deux temps. Vingt-cinq textes ont d’abord été présentés en conseil des ministres le 25 mars. Ils visent, entre autres, à :
– protéger les petites entreprises afin qu’elles ne soient pas pénalisées en cas de retard de paiement de loyers, de factures d’électricité, de gaz, ou d’eau ;
– mettre en place un fonds de solidarité pour les petites sociétés et les indépendants ;
– assouplir les conditions de garde d’enfants auprès d’assistants maternels ;
– prolonger les indemnités des chômeurs dont les droits sont arrivés à expiration en mars ;
– Repousser la trêve hivernale au 31 mai.

Cinq textes supplémentaires ont ensuite complété cet arsenal législatif, le 27 mars. Ils apportent de nouvelles règles concernant les entreprises en difficulté, précisent les modalités pour les personnes ayant eu recours au chômage partiel et renseignent sur les possibilités d’aménagements concernant l’organisation d’examens et de concours.

  • Que vont-elles changer dans le domaine du travail ?

Parmi ces 30 ordonnances, plusieurs réforment le code du travail. Elles octroient, sous certaines conditions, une plus grande liberté aux employeurs concernant les congés payés et les jours RTT. La durée du temps de travail et les règles du travail dominical (sur la base du volontariat) sont également bouleversées. La durée quotidienne maximale de travail peut passer à douze heures, contre dix actuellement. Certains patrons pourront aussi augmenter la durée hebdomadaire de travail jusqu’à soixante heures, contre quarante-huit heures actuellement. Le temps de repos quotidien minimal entre deux journées peut, quant à lui, être réduit de onze à neuf heures consécutives. Ces nouveaux aménagements ciblent en particulier les entreprises « relevant de secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation et à la continuité de la vie économique et sociale ».

Un autre volet de ces ordonnances porte sur l’allocation-chômage. La durée d’indemnisation est ainsi prolongée chez les bénéficiaires arrivés en fin de droit à compter du 12 mars. Une ordonnance soumise par la ministre du travail, Muriel Pénicaud, vient également préciser les modalités concernant le recours au chômage partiel.

Lire aussi Temps de travail, chômage partiel, congés payés… Le droit du travail bousculé par ordonnances
  • Un employeur peut-il imposer des jours de congés ?

Désormais, les employeurs peuvent fixer ou différer la prise de congés de leurs salariés pour des périodes ne pouvant excéder six jours ouvrables, et sous réserve de négocier un accord de branche ou d’entreprise. Cette mesure doit, selon le gouvernement, « permettre aux entreprises et aux salariés d’adapter les conditions de travail pour faciliter la continuité de l’activité ». Autre disposition, les employeurs ne sont plus tenus de respecter le délai de prévenance habituellement fixé à un mois. Ils doivent à présent respecter un délai « d’au moins un jour franc » pour prévenir leurs employés. A noter que la période d’imposition des congés payés imposés court jusqu’au 31 décembre 2020.

De plus, les entreprises pourront imposer dans une limite de dix jours les jours de repos comme « la mobilisation (…) de jours octroyés dans le cadre de RTT et de jours affectés sur un compte épargne-temps ». Et dans ce cas précis, nul besoin d’accord préalable avec les représentants des salariés.

  • Pourquoi le gouvernement facilite-t-il le recours au chômage partiel ?

Le chômage partiel, ou activité partielle, est un dispositif qui permet aux entreprises de ralentir ou interrompre leur activité en cas de difficultés économiques. La propagation de l’épidémie de Covid-19, et le confinement qui a suivi, ont contraint de nombreuses sociétés à y avoir recours. Les salariés placés en activité partielle peuvent ainsi toucher une indemnisation compensant la perte de rémunération liée à l’arrêt partiel ou total de leur travail. Ce dispositif permet d’éviter un licenciement économique. Quant aux salariés, ils voient leur contrat suspendu, et non pas rompu.

Le recours au chômage partiel a été étendu par le gouvernement, au travers de ces ordonnances, afin d’encourager les entreprises à y avoir recours et espérer amortir les effets de la crise. La France s’est inspirée de l’Allemagne. Lors de la crise de 2008, le gouvernement allemand avait eu recours au chômage partiel, afin de maintenir la main-d’œuvre et protéger l’économie allemande, avec un certain succès.

Près de 337 000 entreprises, soit 3,6 millions de Français, avaient déposé au 31 mars un dossier pour avoir recours à ce dispositif. « L’industrie, l’hébergement et restauration, la construction et le commerce non alimentaire », font partie des secteurs les plus concernés, selon la ministre du travail, Muriel Pénicaud.

  • Que changent les ordonnances sur ce dispositif ?

La crise sanitaire actuelle permet ainsi aux employeurs de déposer un dossier auprès des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte). Un décret, pris le 25 mars, « relatif à l’activité partielle », réduit les délais d’instruction et permet « une procédure simplifiée ». Désormais, un employeur a jusqu’à trente jours pour faire une demande en ligne. En cas d’absence de réponse sous quarante-huit heures, la demande est considérée comme accordée. Les dossiers seront contrôlés a posteriori. Auparavant, il fallait consulter le Comité social et économique (CSE) avant la mise en place de l’activité partielle. Désormais, les employeurs disposent de deux mois après le recours pour demander avis. Autre changement, l’autorisation de chômage partiel pour une entreprise peut courir pour une durée maximum de douze mois (au lieu de six).

Une ordonnance supplémentaire a élargi le dispositif aux assistants maternels, employés à domicile, ainsi qu’aux salariés ayant un temps de travail décompté en jours (et non en heures), qui en étaient jusqu’alors exclus.

Mais le recours au dispositif n’a pas été facilité pour tout le monde. De nombreux couacs ont été constatés, et certains employeurs ont témoigné de la difficulté à valider leur requête. D’autres témoignages rapportent aussi que certaines entreprises ont profité de ce dispositif pour faire des économies sur le dos des salariés.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : le gouvernement français étend le dispositif de chômage partiel
  • Un salarié mis en chômage partiel peut-il perdre son salaire ?

Non, mais il ne touchera pas la même rémunération. Son indemnisation correspond à 70 % de sa rémunération brute, soit environ 84 % de sa rémunération nette si l’on tient compte du fait qu’elle n’est pas assujettie aux cotisations et contributions sociales. Il y a donc là une perte de revenus, mis à part pour les travailleurs au niveau du smic, qui toucheront l’équivalent de 100 % de leur salaire net.

L’employeur verse l’indemnité à ses salariés. L’Etat le rembourse par la suite, après acceptation du dossier, pour les rémunérations allant jusqu’à 4,5 fois le smic horaire brut (les sommes au-delà sont à la charge de l’employeur). Le chômage partiel est plus favorable que les indemnités octroyées aux demandeurs d’emploi en temps normal, ces derniers percevant en moyenne 72 % de leur rémunération nette, selon l’Unédic.

  • Si je travaille à mi-temps, puis-je avoir recours au chômage partiel ?

Oui, les salariés en temps partiel peuvent également avoir recours au chômage partiel, à l’instar des travailleurs saisonniers, intérimaires ou en CDD. Les limites de ce dispositif sont fixées par la date de fin du contrat. Par exemple, si un hôtel dans lequel travaillait un travailleur saisonnier a été contraint de fermer ses portes, celui-ci peut bénéficier du dispositif jusqu’à la date de fin prévue par son contrat.

  • Est-il possible de cumuler un second emploi en chômage partiel ?

Un salarié dans cette situation ne peut être contraint de télétravailler par son employeur. C’est « totalement illégal », a rappelé Muriel Pénicaud, tout en prévenant que ces abus seraient « lourdement sanctionnés ». De plus, les entreprises reconnues coupables devront « rembourser intégralement les sommes perçues au titre du chômage partiel » et ne pourront plus « bénéficier, pendant une durée maximale de cinq ans, d’aides publiques en matière d’emploi ou de formation professionnelle ».

En revanche, le gouvernement autorise quelques exceptions. Les salariés en chômage partiel peuvent prêter main-forte aux agriculteurs pour la récolte des fruits et légumes. Cette dérogation permet de répondre à l’appel des agriculteurs qui ont besoin de 200 000 personnes pour travailler dans les champs. Dans un communiqué, le ministère de l’agriculture précise que le salarié peut cumuler son indemnité d’activité partielle avec le salaire de son nouveau contrat, « sous réserve que son employeur initial lui donne son accord pour respecter un délai de prévenance de sept jours avant la reprise du travail. » A la date du 30 mars, près de 150 000 volontaires ont déjà répondu présents.

  • Un salarié revenu d’un chômage partiel peut-il être contraint de travailler en lieu et place de ses vacances d’été ?

Cette question s’inscrit dans la perspective d’une hypothétique fin de confinement avant l’été. Une entreprise qui reprendrait une pleine activité pourrait-elle empêcher ses salariés de prendre des vacances afin de rattraper le retard accumulé ? Jointe par Le Monde, l’avocate Caroline André-Hesse, spécialisée en droit du travail, rappelle que « douze jours doivent être pris au titre des congés d’été entre le 1er mai et le 31 octobre » et que « la prise de congés se fait en accord avec l’employeur, selon les nécessités du service ». Dès lors qu’une entreprise se retrouve face à un surcroît d’activité due à l’épidémie de Covid-19, et qui nécessite que le salarié soit présent, « oui, il y a une possibilité pour l’employeur de s’opposer à la prise de congés par le salarié ».

L’avocate précise toutefois que si l’employé pose des congés en dehors de la période légale, il a droit à des jours de fractionnement : « Il s’agit de jours de congés additionnels pour compenser le préjudice consécutif à l’impossibilité de prendre ses jours. »

  • Ces dérogations vont-elles rester « exceptionnelles » ?

Ces ordonnances sont des mesures d’exception destinées à être temporaires. Beaucoup sont valables jusqu’au 31 décembre 2020. « Chaque secteur d’activité concerné par ces dérogations fera l’objet d’un décret, dont la validité sera définie sur une période strictement limitée », avait précisé Muriel Pénicaud, dans un courrier adressé le 26 mars au leader de la CFDT, Laurent Berger.

Pour Caroline André-Hesse, il n’est pas anormal que le gouvernement ait fixé aussi loin la date limite d’application de plusieurs ordonnances : « Admettons que l’on sorte de cet état d’urgence et du confinement fin avril, toutes les entreprises ne vont pas reprendre une activité normale tout de suite. » L’avocate précise :

« Il était donc nécessaire de mettre en place un sas de décompression pour les entreprises, afin de leur permettre de bénéficier des souplesses liées à la situation en matière d’activité partielle. Notamment, pour faire face à une réduction d’activité qui se poursuivrait postérieurement à la période du confinement. »

Cette échéance lointaine, alors même que la loi instaure un état d’urgence sanitaire jusqu’au 24 mai, fait craindre à la CFDT et à la CGT une pérennisation de ces mesures. Une crainte partagée par l’avocat Raphaël Kempf dans une tribune publiée dans nos colonnes dans laquelle il dénonce « une loi scélérate ». Selon lui, le gouvernement s’autorise, via cette crise et des ordonnances prises « dans la plus grande opacité », à « tester des mécanismes profondément dérogatoires au droit commun et attentatoires aux principes fondamentaux de notre Etat de droit. »

Lire aussi Coronavirus : le chômage partiel n’est pas moins bien indemnisé que le chômage

Notre sélection d’articles sur le coronavirus

Reprendre les études et préparer sa vie d’après : mode d’emploi

Emmanuel Kerner

Alors que beaucoup de salariés sont passés en télétravail, le confinement donne l’occasion de réfléchir à sa carrière, ses projets, ses envies. Changer de vie, retrouver une stimulation intellectuelle : les raisons de retourner se former et de préparer un nouveau diplôme peuvent être variées. Si, depuis le 16 mars, les portes des universités et des grandes écoles sont closes en raison de l’épidémie de Covid-19, le moment est idéal pour faire le point. La réforme de la formation professionnelle, adoptée fin 2018, offre aux adultes en quête de nouveaux horizons d’intéressantes opportunités. Le point en cinq questions.

1. Que change l’application Mon compte formation ?

Accessibles depuis le mois de novembre 2019, le site et l’application doivent permettre aux salariés ou aux demandeurs d’emploi de choisir une formation, de s’y inscrire et de la payer directement. Voilà pour le principe. Pour le moment, le catalogue n’est pas exhaustif. A peine 5 % des formations proposées par les universités et 10 % de celles dispensées par le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) ont été intégrées.

Côté grandes écoles, certaines ont tout mis en ligne quand d’autres sont loin du compte. Le moteur de recherche, jugé perfectible, doit subir un lifting. « Ça va monter en puissance, promet Franck Giuliani, président du réseau de la formation continue à l’université. Pour le moment, on trouve des offres de validation des acquis de l’expérience [VAE] pour lesquelles les universités peuvent répondre dans les délais imposés par la plate-forme. »

Une réponse doit être donnée en moins de trente jours, sous peine de sanctions. « On ne peut pas proposer un diplôme national avec des conditions de réponse hypercourtes, ni demander aux universités d’être aussi agiles que des petites structures », dénonce Guillaume Gellé, responsable de la formation et de l’insertion professionnelle à la Conférence des présidents d’université. Sans compter des contraintes purement techniques liées au chargement du catalogue. La plate-forme ne deviendra pas l’unique porte d’entrée de la formation professionnelle dans l’enseignement supérieur. Elle se veut une vitrine complémentaire destinée d’abord aux personnes souhaitant utiliser leur compte personnel de formation (CPF).

2. Comment s’inscrit-on dans une université ou une grande école ?

L’application n’étant pas complète, salariés et demandeurs d’emploi doivent se tourner vers les établissements pour obtenir les détails des formations et leurs tarifs. Les salariés en activité peuvent aussi interroger leur direction des ressources humaines. Autre option : contacter un conseil en évolution professionnelle. Créé en 2016 et renforcé par la loi « avenir professionnel », ce service d’accompagnement est gratuit, et si les agences ont cessé d’accueillir du public depuis le 17 mars, le suivi peut se faire à distance. Pour débuter un diplôme à l’automne 2020 – rendez-vous universitaire de référence, même si toutes les formations ne débutent pas à cette date –, il faut déposer son dossier avant la fin du mois de mai. Les commissions pédagogiques de validation des candidatures se réunissent le mois suivant. « Pour le moment, il n’a pas été question de les repousser, précise Carole Maillier, directrice de la formation continue à l’université de Strasbourg. Le traitement dématérialisé va nous aider. »

Coronavirus : la « prime Macron » pourra atteindre 2 000 euros

Dans un supermarché, à Montpellier, le 30 mars.
Dans un supermarché, à Montpellier, le 30 mars. PASCAL GUYOT / AFP

La « prime Macron » pourra finalement atteindre 2 000 euros. Et les entreprises intéressées qui verseront cette prime défiscalisée pourront la moduler en fonction des conditions de travail liées à l’épidémie, selon l’ordonnance adoptée, mercredi 1er avril, en Conseil des ministres. « Afin de permettre de récompenser plus spécifiquement les salariés ayant travaillé pendant l’épidémie de Covid-19, un nouveau critère de modulation du montant de la prime pourra également être retenu par l’accord collectif ou la décision unilatérale de l’employeur mettant en œuvre cette prime », souligne l’ordonnance.

L’entreprise pourra ainsi légalement distinguer ses salariés devant se rendre sur leur lieu de travail – comme les caissières dans la grande distribution ou les ouvriers sur un chantier – des autres en télétravail, ce qui était demandé par les fédérations patronales. « Il s’agit de récompenser les salariés au front qui tiennent leur poste de travail pendant cette période », a justifié la ministre du travail, Muriel Pénicaud, à l’issue du Conseil des ministres.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : avec la crise sanitaire, les travailleurs invisibles sortent de l’ombre

Le 24 mars, le ministre de l’économie avait décidé de faire sauter le verrou qui bloquait la distribution de la « prime Macron » dans les PME. Largement distribuée par les petites entreprises en 2019, après la crise des « gilets jaunes », la prime du pouvoir d’achat promettait de s’essouffler en 2020. Les conditions imposaient en effet aux entreprises de passer par un accord d’intéressement – peu courant dans les TPE –, pour donner une aide aux salariés. Cependant, dans les entreprises où un accord est négocié d’ici au 31 août, le niveau de la prime pourra être porté à 2 000 euros.

« Les plus petites entreprises n’y voient que de la provocation »

Dans le contexte actuel, le Syndicat des indépendants (SDI), qui avait réclamé en vain ce changement dès décembre 2019, reste perplexe. « Pour les entreprises d’au moins 20 salariés, cela peut avoir un sens, mais les plus petites n’y voient que de la provocation. Elles ne savent même pas comment elles vont pouvoir payer leurs salariés et leurs charges courantes d’ici lundi 6 avril, alors parler de prime… », s’exclame Marc Sanchez, le secrétaire général du SDI.

Jean-Eudes du Mesnil, secrétaire général de la Confédération des petites et moyennes entreprises, confirme : « La première urgence pour les petites entreprises est d’assurer la trésorerie et le paiement des salaires. Enormément de TPE sont touchées, car la crise descend en cascade. Mais, pour les grands groupes organisés avec des indépendants, c’est tant mieux. Les premiers concernés sont ceux de la distribution. »

Plongée dans l’éthique entrepreneuriale

De l’éthique entrepreneuriale à l’entrepreneuriat soutenable, Jean-Jacques Obrecht (Editions universitaires européennes, 256 pages, 44,90 euros)
De l’éthique entrepreneuriale à l’entrepreneuriat soutenable, Jean-Jacques Obrecht (Editions universitaires européennes, 256 pages, 44,90 euros)

Le livre Comment éviter les dérives de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) sous forme de mensonges de légitimité ? Comment situer l’éthique au cœur de l’entrepreneuriat des générations à venir ? Quels grands axes pourraient fonder une éducation à l’entrepreneuriat soutenable ? Ces questions, qui pointent les énormes défis du développement durable, structurent De l’éthique entrepreneuriale à l’entrepreneuriat soutenable (Editions universitaires européennes).

Le recueil, signé Jean-Jacques Obrecht, comporte un échantillon d’articles de revues, de conférences et de chapitres d’ouvrages collectifs publiés par le professeur honoraire de l’université de Strasbourg et de l’Institut national des sciences comptables et de l’administration d’entreprises (Inscae) de Madagascar entre 1994 et 2017.

Dans les années 1990, l’engouement pour célébrer l’esprit d’entreprise prend son essor en France, avec une très large place faite à l’éthique. En témoignent les glissements sémantiques dans la littérature de l’époque, où on passe facilement de « l’éthique en entreprise » à « l’entreprise éthique ». L’auteur fait le point sur la manière dont les pratiques se présentent alors dans les entreprises, les analyses critiques qu’elles suscitent, dont certaines sont encore d’actualité.

Y-a-t-il un effet de taille en matière de pratiques éthiques ? Certaines enquêtes de l’époque montrent que les dirigeants de PME avaient une conception très étroite de la responsabilité sociale de l’entreprise : les domaines où les PME situaient leur responsabilité sociale se confondaient avec ceux de l’éthique opérationnelle. En revanche, « la lutte contre le chômage ou la protection de l’environnement, c’était l’affaire du gouvernement. »

L’auteur souligne l’intérêt d’une distinction complémentaire entre « éthique instituée » et « éthique personnelle ». A l’occasion d’entretiens informels avec des cadres d’entreprises familiales, grandes ou petites, il a pu vérifier l’importance de l’éthique personnelle de l’entrepreneur fondateur pour impulser ses valeurs dans l’organisation et les faire partager. « Cette éthique entrepreneuriale, individuelle mais partagée, nous semble particulièrement indispensable aujourd’hui dans les entreprises concernées de près ou de loin par les enjeux du développement durable. »

Il souligne ensuite l’importance que prennent certains éléments de capabilités entrepreneuriales dans le développement de l’entrepreneuriat international, qui par définition se déploie dans des contextes variés. Les capabilités entrepreneuriales ne sont ni des compétences dites « métier », ni des capacités mesurables par le rendement, ni des traits de caractère, « mais plutôt les facultés personnelles de l’entrepreneur ayant un lien à la fois avec sa capacité à agir et l’orientation de son action ».

Coronavirus : les salariés de Pôle emploi dénoncent leurs conditions de travail

Vent de fronde à Pôle emploi. Plusieurs syndicats implantés au sein de l’opérateur public tirent le signal d’alarme, estimant que des membres du personnel continuent d’être soumis à un risque d’infection due au coronavirus, malgré la fermeture au public des agences. Force ouvrière (FO) a même déposé un préavis de grève à compter du lundi 30 mars, pour exiger que les agents, encore appelés à se rendre sur leur lieu de travail, cessent de le faire. Le chef du gouvernement, Edouard Philippe, et la ministre du travail, Muriel Pénicaud, ont été interpellés sur la situation.

A mesure que l’épidémie de Covid-19 prenait de l’ampleur, Pôle emploi a dû totalement revoir sa relation avec les chômeurs. Les changements sont intervenus en plusieurs étapes, l’objectif étant de garantir la « continuité » du service tout en se conformant à des consignes sanitaires de plus en plus strictes. Ainsi, le 15 mars, le ministère du travail annonçait de nouvelles « modalités de fonctionnement » : les « usagers » étaient invités à privilégier les coups de téléphone « ou les contacts par mail », « l’accueil physique en agence » restant possible sur la base de rendez-vous pour traiter les cas « d’urgence ».

La moitié des effectifs travaillent à distance

Un choix critiqué par les syndicats car il concourait, selon eux, à exposer encore les agents à un risque de contamination, à l’occasion de rencontres avec des chômeurs ou lors de déplacements en transports en commun pour aller travailler. Dans plusieurs régions, dont l’Ile-de-France, les représentants du personnel, qui siègent au sein du comité social et économique (CSE), ont voté des droits d’alerte pour « danger grave et imminent ». Cette procédure, qui vise à signaler à la hiérarchie une situation susceptible de compromettre la santé ou la sécurité des salariés, a également été enclenchée à l’échelon national par FO.

Dans ce contexte, Pôle emploi a décidé de stopper (sauf exception) la réception des usagers dans ses sites. Parallèlement, de plus en plus de salariés de l’opérateur poursuivent leur mission en travaillant à distance, à l’aide d’un ordinateur : lundi, ils étaient un peu plus de 25 000 à assurer leurs tâches ainsi, soit presque la moitié des effectifs. « Cette solution nous permet de mener à bien nos activités essentielles », affirme Michaël Ohier, directeur général adjoint chargé du réseau.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : le recours au chômage partiel vire parfois au casse-tête

Dans le même temps, une petite partie du personnel va dans les agences, notamment pour relever les courriers postés par les chômeurs. Le but est de limiter au maximum la présence humaine sur place : trois à quatre personnes, avec au moins un « manageur de proximité », explique M. Ohier. Lundi, il y avait 2 910 salariés sur les 1 200 sites de Pôle emploi, d’après la direction générale. Soit moins de 6 % des équipes.