Chronique « Entreprises ». La crise de l’hôpital qui couvait depuis des années est maintenant manifeste. Simultanément, ce sont les universitaires qui expriment leur épuisement et le sentiment que leur métier n’est plus compris. A l’école, le cycle des crises et des réformes est permanent. Partout, on dénonce un manque de moyens et une dévalorisation des métiers. Cependant, ces institutions diffèrent d’autres secteurs du service public par un trait commun : des professions qui reposent sur une forte autonomie garantie par la loi.
Ces « bureaucraties professionnelles » ont, depuis longtemps, intéressé la recherche car leur gestion ne peut se faire qu’avec le concours et le plein assentiment de ces personnels. Les crises récurrentes de l’hôpital, de l’université et de l’école signalent donc la difficulté ancienne et persistante qu’ont les doctrines administratives dominantes pour penser « avec » cette autonomie.
La notion de « bureaucratie professionnelle » a été introduite par le chercheur canadien Henry Mintzberg (The structuring of organizations, Pearson, 1978). Elle est définie par contraste avec les bureaucraties classiques, où il y a subordination des salariés et où les règles de travail sont définies par la hiérarchie ou par des services techniques compétents.
Car, pour un médecin, un professeur ou un chercheur, ces principes ne tiennent plus. Les valeurs, les règles de l’art, le jugement des pairs, le service du public constituent des limites opposables à leurs administrations. En outre, l’innovation étant continue dans ces métiers, ces professionnels doivent consacrer des efforts importants et faire des choix difficiles pour rester au meilleur niveau.
Défiance
Or, dans ces organisations, un cercle vicieux doit être soigneusement évité. Il s’amorce en général par une tentative administrative autoritaire d’économie, d’évaluation ou de transformation des activités. Celle-ci provoque, chez les professionnels, le sentiment que des fondamentaux de leur métier et de leur autonomie sont incompris. Ils se plient alors à certaines injonctions, mais ne s’approprient pas la réforme et, sur des points essentiels, privent celle-ci de leur concours à sa réussite. On aboutit à une défiance entre professionnels et administrateurs, ainsi qu’à des résultats mitigés. Suivent de nouvelles réformes, d’autant moins élaborées en commun, qui creusent la défiance sans obtenir le succès, et font fuir les talents.
Heureusement, cette spirale n’est pas inéluctable. Mais une fois installée, elle aboutit inévitablement à une crise sévère des moyens. En effet, lorsque les premiers manques apparaissent, les alertes des professionnels sont négligées par des administrations défiantes ou incapables, avec leurs outils d’évaluation, de justifier ces besoins.
La première banque européenne ne croit plus dans le Vieux Continent. Ou si peu. Le britannique HSBC, premier établissement en Europe par la taille de son bilan, a annoncé, mardi 18 février, un grand plan de restructuration visant à se recentrer sur l’Asie, sa région d’origine.
La banque va réduire ses effectifs de 35 000 personnes, passant de 235 000 employés actuellement à « environ 200 000 » d’ici à 2022. Cela s’accompagne d’une très sérieuse purge de son bilan, avec 100 milliards de dollars (93 milliards d’euros) d’actifs qui doivent être supprimés, sur un total de 843 milliards. La banque veut dégager, d’ici à 2022, des économies annuelles de 4,5 milliards de dollars, soit une réduction de 12 % de ses coûts.
Si les Etats-Unis sont également touchés par la restructuration, la première région visée par ce grand coup de balai est l’Europe. HSBC veut y supprimer le tiers de ses actifs. « [Le Vieux Continent] mobilise 20 % de notre capital, mais nous y perdons de l’argent, explique Noel Quinn, le directeur général par intérim. Ce n’est pas acceptable. »
« Pas l’intention de nous retirer complètement de France »
Concrètement, il n’est pas question de se retirer d’Europe. Mais l’établissement va fortement limiter sa présence à deux niveaux. D’abord, il va réduire son activité dans la banque d’investissement. HSBC est avant tout l’établissement du commerce international. Sa spécialité est de financer les grandes multinationales et d’accompagner la mondialisation. En revanche, le groupe a toujours peiné, en Europe, sur des métiers comme le conseil en fusions et acquisitions ou les produits financiers pointus. Faute de rentabilité, il va réduire ces activités. De même, la recherche (notes d’analyse sur l’économie et les entreprises) sera réduite, et sa présence à la City va en prendre un sérieux coup.
Le deuxième niveau de coupes en Europe continentale concerne la banque commerciale, celle qui finance les entreprises. HSBC entend se concentrer sur les grandes entreprises internationales, qui peuvent profiter de sa présence un peu partout dans le monde. Les clients nationaux en Europe – grosses PME, entreprises qui n’exportent pas ou peu… – ne sont plus sa priorité.
Quant à la banque de détail, tout dépend des marchés. HSBC a annoncé, en 2019, qu’elle entendait vendre son réseau d’agences en France. Le processus est en cours, sans nouvelle mise à jour. « Nous n’avons pas l’intention de nous retirer complètement de [l’HExagone] », précise cependant M. Quinn.
Etre salarié dans l’industrie nucléaire et en critiquer publiquement les conditions de travail, est-ce compatible ? Il semblerait que non pour Orano (ex-Areva). Même si le groupe souligne qu’il « reste attaché au respect de la liberté d’expression », il affirme qu’il ne doit pas y avoir « d’abus ».
En raison de ses prises de positions sur les conditions de travail, une mise à pied de cinq jours a sanctionné, par un courrier daté du 5 juillet 2018, Gilles Reynaud, chef de chantier chez Orano Démantèlement et Services (DS) à la centrale nucléaire du Tricastin (Drôme) et syndicaliste de Sud Energie (non représentatif). M. Reynaud contestera cette sanction le 29 avril devant le conseil des prud’hommes de Nanterre.
Cette mise à pied, sans salaire, « s’inscrit dans une série de dénigrements publics et de propos péjoratifs à l’encontre du groupe dont il est salarié », justifie un représentant de l’énergéticien, qui sont « contraires à son obligation contractuelle de loyauté l’égard de la société Orano DS ». La sanction s’appuie sur des éléments publiés, notamment, sur le site associatif Ma zone contrôlée (MZC), que M. Reynaud a co-créé et qu’il préside. Cette association se compose d’un collectif de « salariés militants statutaires et sous-traitants de l’industrie nucléaire », dont le but est, grâce aux échanges, d’« améliorer la sécurité des interventions, la sûreté des installations ».
Ces éléments ont été mis en ligne en 2017 et 2018. Or, toute sanction devant intervenir au plus tard deux mois après les faits, ceux qui sont antérieurs au 13 avril 2018, soit deux mois avant l’envoi de la lettre de convocation à l’entretien préalable, sont donc prescrits.
Le 13 avril 2018, par exemple, MZC évoque le « licenciesous trament discriminatoire » d’un salarié d’une filiale de l’entreprise, victime d’un cancer de la thyroïde et déclaré inapte à travailler en zone irradiée. « On a entrepris toutes les démarches » pour le reclasser, qui « n’ont pas abouti », se défend-on chez Orano. Gilles Reynaud a, lui, une toute autre version : « Les managers ont obligé ce salarié à travailler en zone irradiée. Il a soulevé le problème, il a été licencié pour inaptitude. Il est aux prud’hommes. »
« Low cost »
Selon MZC, les salariés sous-traitants du nucléaire « effectuent 80 % des activités nécessaires au parc nucléaire » et prennent « 80 % des doses » d’irradiation. Ils sont « victimes de la majorité des accidents de travail (souvent non déclarés) ». Pour les appels d’offre, explique M. Reynaud, « il y a une mise en concurrence déloyale des sous-traitants », qui dépendent de conventions collectives diverses et variés : propreté, Syntec, etc.
Pour Gilles Reynaud, c’est du « low cost ! », comme il l’a déclaré à la Commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, qui l’avait convoqué le 17 mai 2018 en tant que président de MZC. « Quand je suis revenu de l’Assemblée nationale, ma direction m’a dit : “tu es en train de boussiller notre business” », raconte M. Reynaud. Ce que Orano dément.
La convocation à l’entretien préalable à la sanction est intervenue un peu moins d’un mois après l’audition de M. Reynaud. « C’est purement fortuit », affirme-t-on chez l’énergéticien. Au contraire, selon Me Cyril Cambon, l’avocat de M. Reynaud. « M. Reynaud peut témoigner de l’intérieur, il gêne, il faut le faire taire. C’est quand même fou qu’on veuille museler un associatif sous prétexte qu’il est salarié d’Orano. »
Aucune banque en France n’avait jamais osé s’y risquer. La Caisse d’épargne a décidé de faire le saut : elle s’apprête à lancer un nouveau modèle de distribution en remplaçant, dans certaines agences rurales, ses salariés par des travailleurs indépendants, avec le statut de conseiller indépendant local (CIL). Le premier établissement à expérimenter la formule est la Caisse d’épargne Bretagne-Pays de Loire, qui commencera le test en juin dans trois points de vente. L’institution a obtenu le feu vert de son organe central, BPCE (Banque populaire-Caisse d’épargne), et transmettra prochainement une demande d’autorisation à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, le gendarme bancaire.
« C’est un tsunami dans le monde bancaire, a réagi Frédéric Guyonnet, le président national du syndicat SNB-CFE-CGC. Le groupe franchit la ligne rouge. Aujourd’hui, on nous parle des agences rurales, demain ce sera les agences des quartiers sensibles. Et ce n’est pas de bon augure pour les clients, car ces entrepreneurs seront rémunérés en fonction du nombre de produits vendus. »
Pourquoi, donc, remplacer des salariés par des travailleurs indépendants ? Dans le document de présentation soumis en comité social et économique (CSE), le 30 janvier, et que Le Monde s’est procuré, la Caisse d’épargne Bretagne-Pays de Loire insiste sur « l’environnement contraignant » auquel font actuellement face les banques : la concurrence des autres enseignes et des néobanques, les taux bas, la pression réglementaire. La baisse des revenus rend « une présence granulaire en milieu rural de plus en plus coûteuse pourdes portefeuilles de clients fidèles, mais vieillissants », souligne l’établissement, en ajoutant que « les budgets de la Caisse ne suffisent pas pour rénover toutes les agences » et qu’elle rencontre « des difficultés pour fidéliser [ses] collaborateurs et attirer de nouveaux talents ».
Le mandataire devra présenter des garanties
L’établissement projette de regrouper ou de rapprocher une soixantaine d’agences d’ici à la fin 2021, mais veut se montrer prudent en milieu rural, car, est-il écrit, « le retrait de [leur] enseigne participe [au] sentiment de désertification et peut nuire à [leur] image ». D’où l’idée d’un recours aux travailleurs indépendants, pour externaliser une partie du réseau de distribution de l’établissement.
Des secteurs comme les télécommunications, la distribution ou les assurances ont déjà expérimenté le modèle. En Belgique, plusieurs banques, dont BNP Paribas, confient également des agences à des entrepreneurs franchisés.
Employés ? Travailleurs indépendants ? A l’automne 2019, la Californie croyait avoir tranché le débat sur la « gig economy », l’économie à la demande, en adoptant une loi imposant aux entreprises d’octroyer à leurs contractuels des avantages comparables à ceux des salariés : congé maladie, salaire minimum, assurance chômage, d’invalidité. C’était la première tentative, à l’échelle d’un Etat de cette importance pour freiner « l’ubérisation » du travail et la multiplication des emplois précaires.
Pour les élus californiens, il s’agissait de lutter contre les inégalités qui s’accentuent, à l’ombre de ce que les experts appellent maintenant la « two-jobs economy », l’économie où il faut deux emplois pour s’en sortir. L’auteure de la loi, Lorena Gonzalez, une ancienne syndicaliste de San Diego, fille d’ouvrier agricole et diplômée de l’université Stanford, avait accusé les plateformes technologiques de pratiquer des méthodes « féodales », sous couvert de « flexibilité ».
La loi, dite AB5, est entrée en vigueur le 1er janvier. Elle impose aux entreprises opérant en Californie de requalifier comme employés les contractuels qui satisfont aux conditions définies par la Cour suprême de l’Etat en 2018. « La présomption est que vous êtes un employé sauf si trois critères sont simultanément réunis », explique Ken Jacobs, le directeur du centre de recherche de l’université de Berkeley sur le travail : être indépendant du contrôle de la compagnie, exercer une tâche qui ne figure pas dans « l’activité principale » de celle-ci, et offrir ses services à d’autres employeurs.
Une définition qui frappe au cœur du modèle de la gig economy, notamment le deuxième critère. Uber a beau proclamer être une plate-forme qui met en relations clients et chauffeurs et non une entreprise de transports, sa défense ne convainc pas les experts. « Pour une compagnie qui paie les gens pour conduire, il est difficile de prétendre que la conduite n’est pas au cœur de son activité », note le professeur Jacobs.
Panique
La loi visait surtout à protéger les forçats de l’économie numérique : les chauffeurs des compagnies de VTC comme Uber et Lyft, les livreurs d’Amazon Flex, DoorDash, Instacart, Postmates soumis à des tarifications dont seuls les algorithmes ont la clef.
Mais des dizaines de milliers de contractuels de métiers plus classiques se sont aperçus qu’elle les englobait aussi : pigistes (s’ils rédigent plus de trente-cinq articles annuels pour la même entreprise), correcteurs, interprètes, routiers, photographes. La loi a semé la panique dans les salons de coiffure, les cabinets d’experts-comptables, les clubs de yoga, obligés de recourir à des avocats pour savoir si leurs auxiliaires étaient contractuels ou pas.
« Je ne me suis jamais mis autant la pression sur ma tenue que le jour où j’ai passé mon entretien d’embauche chez Chanel », se souvient Mathieu, fraîchement diplômé de l’Inseec. Jusqu’alors, il ne s’était pas posé trop de questions. Pour se présenter aux jurys d’admission des écoles de commerce, il s’était acheté une veste, des chemises claires et un pantalon classique. Une panoplie qu’il a ressortie à chaque moment important de sa scolarité.
Mais là, c’était une autre affaire. Il s’agissait d’être embauché dans une entreprise de luxe. Après avoir longuement hésité entre une tenue très classique et « quelque chose d’élégant mais avec une touche de fantaisie, pour montrer que j’étais sensible à la mode », il a finalement préféré ne prendre aucun risque et a ressorti son habituelle veste complétée d’un nouveau pantalon « plus chic ».
« Nos étudiants apprennent à se présenter à un employeur et donc à adopter le bon code vestimentaire, sachant qu’il varie selon les entreprises et les secteurs » Jérôme Troiano, responsable carrières à l’Edhec
Si l’habit n’est pas censé faire le moine, en réalité « le vêtement reste un marqueur culturel et identitaire fort », souligne la sociologue Isabel Boni-Le Goff, spécialiste du secteur du conseil. Donc, pour avoir des chances d’être retenu lors d’un entretien d’embauche ou de stage, mieux vaut se présenter avec la « bonne » tenue. Les écoles de commerce, qui font de l’insertion professionnelle leur atout maître, l’ont bien compris.
Il en est question dans les ateliers consacrés à l’embauche ou lors de séances de simulation d’entretiens. Des préceptes mis en pratique au travers de différentes manifestations organisées par les écoles. Ainsi, à l’Inseec, « les étudiants doivent venir en costume ou en tailleur lors des présentations d’études de cas ou du grand oral en fin de master 1, » indique Alexandra Vignolles, directrice de l’innovation pédagogique. A l’Edhec, dès le début d’année, deux jours sont consacrés au « networking » (réseautage). « Nos étudiants apprennent à se présenter à un employeur et donc à adopter le bon code vestimentaire, sachant qu’il varie selon les entreprises et les secteurs d’activité », explique Jérôme Troiano, responsable carrières de l’école lilloise.
Classique et neutre
« S’il a la bonne tenue lors de l’entretien d’embauche, le candidat montre qu’il a compris la culture de l’entreprise, le message que celle-ci veut faire passer, et qu’il y adhère. C’est aussi un moyen, pour le recruteur, de voir si le jeune pourra s’intégrer ou non », observe Susan Nallet, directrice carrières de Grenoble Ecole de management (GEM). Et comme le marché du travail est très concurrentiel, pas question pour les candidats de prendre le moindre risque. « On a tellement envie de réussir que, même si parfois on a l’impression d’être déguisé, on joue le jeu, confirme Mathieu. Quitte à se mettre dans une situation financière inconfortable en achetant des tenues très chères. »
« En revêtant un costume, bon nombre d’étudiants ont le sentiment de ressembler à l’image qu’ils se font d’un cadre. » Oumaya Hidri-Neys, sociologue
Dans les écoles où l’on apprend à devenir manageur, et donc à intégrer les pratiques culturelles de la fonction, une tenue formelle est de mise dès les jurys d’admission dans l’école. Une pratique que les étudiants ont intégrée. « Cela ne me serait pas venu à l’idée de passer les oraux autrement qu’en costume. Ça fait partie du cérémonial », fait valoir Thomas, étudiant à Montpellier Business School. « Et ça met en confiance », abonde Alexandre, étudiant à GEM. Des propos qui ne surprennent pas la sociologue Oumaya Hidri Neys : « En revêtant un costume, bon nombre d’étudiants ont le sentiment de ressembler à l’image qu’ils se font d’un cadre. »
Ce qui ne les empêche pas, une fois dans le monde du travail, d’assouplir leur tenue. C’est le chemin adopté par Louise, étudiante à l’Inseec, qui suit son cursus en alternance chez Thales. Pour son premier jour dans l’entreprise, elle s’est attaché les cheveux et a choisi « des vêtements classiques et neutres » : veste, pantalon et sandales plates. « Je voulais sonder la température vestimentaire du service dans lequel j’allais travailler avant de m’autoriser un peu de fantaisie. » Elle a ensuite constaté que le code était assez libre. « Mon chef est en costume-cravate, mais son collègue met parfois un jean avec des mocassins. »
Des codes assouplis
Cette tendance à moins de formalisme se retrouve dans la plupart des entreprises, où costumes et cravates perdent du terrain. Mais ce relâchement est très relatif et reste largement codifié. En témoigne le « friday wear », cette tenue moins formelle réservée au vendredi, venue des Etats-Unis dans les années 1980. « Ce jour où l’on vient habillé au bureau comme on le souhaite répond en réalité à une autre forme de règle », rappelle Agnès Ceccarelli, professeure associée à l’ICN Business school.
Dans le secteur de la finance ou du conseil, ou encore dans les très grandes entreprises, le classicisme est toujours de rigueur. « Là, il faut avoir du style, c’est-à-dire savoir se déplacer, se tenir, s’exprimer, mais aussi se vêtir. La bonne tenue : un costume sombre et une chemise claire pour les hommes, avec ou sans la cravate selon les circonstances. Un tailleur avec un chemisier pour les femmes, éventuellement agrémenté d’accessoires discrets », détaille Haude Rivoal, sociologue du travail.
Dans les start-up de la tech ou dans l’univers de la communication, la liberté vestimentaire n’est qu’apparente. Certes, le costume-cravate est relégué au fond du placard. Mais il est remplacé par un nouvel uniforme codifié, à base de jean, baskets et tee-shirt. Un look qui vise, selon Haude Rivoal, « à mettre en scène la flexibilité et l’agilité, en faisant souffler un vent de jeunesse sur l’entreprise ».
« Les femmes sont soumises à une injonction paradoxale. Elles doivent être une vraie femme et en même temps un vrai manageur. » Isabel Boni-Le Goff
En conclure que l’on peut aller travailler avec n’importe quoi sur le dos serait aller un peu vite. « Il s’agit en réalité d’une transformation des codes, mais pas d’une disparition de ceux-ci », insiste la sociologue. Pour le jeune salarié, la difficulté consiste alors à paraître détendu… sans être négligé. Un équilibre subtil, d’autant « qu’on n’a pas les mêmes goûts vestimentaires selon son milieu d’origine, ni la même somme d’argent à y consacrer », pointe Oumaya Hidri Neys.
Adopter la bonne tenue dans la bonne circonstance apparaît plus difficile pour les étudiantes que pour les étudiants. « Les femmes sont soumises à une injonction paradoxale. Elles développent une stratégie qui vise à reprendre des pièces du vestiaire masculin pour être légitimes, car ce sont des éléments qui symbolisent l’autorité et l’expertise et véhiculent les signes de l’autorité managériale. Mais, en même temps, elles sont censées ne pas renoncer à leur féminité. Alors, elles bricolent pour répondre aux normes de genre qui leur sont assignées », analyse Isabel Boni-Le Goff.
Dans le domaine du conseil, largement dominé par les hommes, les femmes sont particulièrement exposées. « Si elles ne se conforment pas à ce qui est attendu d’elles, en adoptant par exemple une tenue jugée comme trop sexualisée, elles s’exposent à des moqueries, des injures, voire des comportements de harcèlement », a constaté la sociologue. Afin d’éviter d’être stigmatisées, les femmes préfèrent alors porter des vêtements neutres, voire passe-partout. Et cela dès l’école. Emma, étudiante à l’EM Normandie, l’a bien compris. La semaine, dans son école de commerce, elle s’habille de façon « à passer inaperçue ». Le week-end, elle « ressort jupes et accessoires ».
L’Ile-de-France, premier bassin d’emploi de l’Hexagone avec 4,8 millions de salariés dans le secteur privé – soit un salarié sur quatre dans le pays –, va continuer à recruter de manière soutenue en 2020. Ce sont tout particulièrement les services qui devraient soutenir la tendance dans cette région qui représente 31 % du produit intérieur brut (PIB) national, indique une enquête de la Banque de France réalisée auprès de 14 800 chefs d’entreprise, tous secteurs confondus, et publiée jeudi 13 février. « Dans un contexte international difficile, marqué par un ralentissement de la croissance et des échanges internationaux, les entreprises franciliennes ont bien tiré leur épingle du jeu en 2019 », explique Jean-Pascal Prevet, directeur régional Île-de-France de l’institution.
Les sociétés du secteur de la construction et des travaux publics, notamment, ont réalisé une excellente année 2019, avec un chiffre d’affaires en hausse de 4,7 %, et s’acheminent vers une croissance plus modérée en 2020 (+ 2,3 %). L’industrie, après une production en augmentation de 2,4 %, prévoit une progression de 1 % cette année, en raison d’une conjoncture moins favorable dans l’automobile. Dans ce secteur, « l’année 2019 a connu une stabilisation » des effectifs, essentiellement due à la diminution « drastique » du nombre d’intérimaires dans les usines de la région, Renault à Flins et PSA à Poissy, note l’étude.
Le BTP toujours porteur
Les services marchands devraient connaître une année particulièrement dynamique (+ 4,3 % attendus, après 3 % en 2019). Toutes les branches des services ont recruté l’an passé (+ 3,6 % au global) et vont poursuivre sur cette lancée, à l’exception notable de la publicité. L’ingénierie technique (bureaux d’étude), notamment, est fortement pourvoyeuse d’emplois, dans un secteur en tension. « Les compétences sont difficiles à recruter et à conserver », a souligné Danièle Koubi, responsable des études économiques au sein de la direction des affaires régionales Ile-de-France de la Banque de France. Les effectifs devraient y augmenter de 5,4 % en 2020, au même rythme que l’année passée.
Autre activité en tension : l’information-communication, portée par les activités informatiques et le secteur des logiciels. Développeurs, ingénieurs, chefs de projet sont toujours très demandés alors que les embauches accélèrent encore (+ 5,6 % cette année, après 3,8 % en 2019). Dans un autre registre, les transports et l’entreposage, qui bénéficient de l’envolée du e-commerce, cherchent des manutentionnaires ou des chauffeurs pour acheminer les millions de colis qui leur sont confiés, mais souffrent d’un manque d’attractivité qui pénalise les entreprises.
Personne ne les connaît. Ils sont entrés dans les entreprises avec la multiplication des drones, et la diffusion du numérique, mais pas seulement. Dans le BTP, la construction, la santé, l’informatique et l’ingénierie, de drôle de noms de métiers s’infiltrent dans les petites annonces depuis cinq ans. Qu’est-ce qu’un photogrammètre ou un scrum master ? Quelle est la différence entre le bid manager, et le BIM manager ? Et que vient faire l’assistant médical dans ces nouveaux métiers ?
Le groupe Randstad s’est appuyé sur l’intelligence artificielle pour identifier ces métiers émergents. Le spécialiste de l’intérim a recensé leur niveau de salaire, les régions qui les recrutent, et ce qu’on attend d’eux en termes de formation et de compétences comportementales, dites « soft skills ».
Le photogrammètre est très recherché en Bretagne, pour un salaire annuel moyen de 30 000 euros. Spécialiste de la cartographie et de la topographie, c’est un cousin germain du géomètre qui aurait passé son brevet de pilote de drone avec une spécialité data. Il doit être qualifié en photogrammétrie par drone, soit quelque treize jours de formation pour près de 5 000 euros. Après quoi, il parlera couramment orthophotoplan, nuage de points et autres cubatures. Une partie de la formation est éligible au CPF sous l’intitulé « pilotage de drone industriel automatisé » ou « télépilotage drone ». Le volume d’offres n’est pas très important, 275 en 2019, mais en progression de 125 % en un an.
« Maître de mêlée »
L’Ile-de-France est, elle, en quête de scrum masters, autrement dit de chefs de projet en méthode « agile ». Le seul site Jobthis a publié une dizaine d’offres ces deux dernières semaines. 2 774 annonces ont été publiées en 2019, en hausse de 30 % en un an. Le scrum master, de l’anglais « maître de mêlée » (celle du rugby), tient davantage du coach que du chef de service. « Il doit notamment s’assurer que la méthode [agile] est comprise et mise en œuvre et que l’équipe adhère à la théorie, aux pratiques et aux règles de Scrum Manifesto », précisait une offre récente. La formation initiale d’ingénieur informatique plus une certification de scrum master assurent un salaire annuel moyen de 59 000 euros.
Au centre de la France, l’Auvergne recherche plutôt des BIM managers, à ne pas confondre avec le bid manager, très couru en Ile-de-France. « BIM » est l’acronyme de Building Information Modeling, en référence aux maquettes virtuelles des chantiers ou projets conduits par ces nouveaux architectes numériques, tandis que « bid » est la traduction d’« enchères ». Le bid manager est un professionnel du marketing, expert du référencement et du coût par « clic ». Bouygues Telecom, Engie, Atos sont autant de recruteurs de bid managers. La digitalisation des métiers valorise davantage le commercial à 52 000 euros annuels, que l’architecte, rémunéré en moyenne 42 000 euros.
Quand Emmanuel Macron, lors de sa campagne présidentielle de 2017, avait jugé possible d’atteindre un taux de chômage de 7 % en fin de quinquennat, l’objectif avait suscité beaucoup d’incrédulité. Les Français avaient encore en tête l’incapacité de son prédécesseur à « inverser la courbe » du chômage, comme ce dernier s’y était engagé. Les chiffres de l’emploi, publiés par l’Insee, jeudi 13 février, montrent que la trajectoire fixée par Emmanuel Macron est du domaine du possible.
Le taux de chômage, en 2019, a chuté de 0,7 point pour tomber à 8,1 %. Pas de quoi pavoiser, mais le nombre de chômeurs de longue durée est passé, pour la première fois depuis dix ans, sous la barre du million, tandis que le marché des cadres bat record sur record.
D’aucuns diront que c’est un bol d’oxygène pour un gouvernement empêtré dans sa réforme des retraites. Il s’agit avant tout d’une bonne nouvelle pour les Français. Voilà douze ans qu’un tel chiffre n’avait pas été atteint. Plus marquant encore : pas une seule année depuis 1983, le taux de chômage de notre pays n’est retombé sous la barre des 7 %, alors que la plupart des grandes économies ont retrouvé le plein-emploi depuis plusieurs années déjà.
L’amélioration de la situation française s’explique d’abord par la dynamique de créations d’emplois. La tendance est d’autant plus solide que, contrairement à un passé récent, les emplois aidés ne sont pas à l’origine de la décrue. Près de 90 % du million de postes créés sur les cinq dernières années le sont dans le privé.
Lorsque le chômage augmente, le gouvernement est systématiquement considéré comme le principal responsable. Il est bien légitime que, lorsqu’il baisse, l’exécutif cherche à s’en attribuer les mérites. Mais ceux-ci doivent être partagés. Les réformes engagées sous François Hollande avec l’allégement du coût du travail pour les entreprises et la réforme du code du travail, deux axes poursuivis et amplifiés par Emmanuel Macron, commencent à produire des effets. Le regain d’attractivité de la France pour les investisseurs étrangers, la montée en puissance de la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle sont également à même de soutenir la tendance.
Diminution mécaniquement facilitée
Mais, au-delà de ces mesures, deux facteurs puissants expliquent l’amélioration du marché du travail. Le premier tient à la démographie. Alors que, dans les années 2000, la population active augmentait de 200 000 à 300 000 personnes par an, elle a aujourd’hui tendance à stagner, voire à diminuer. Sans remettre en question les efforts du gouvernement, quand un pays a moins de personnes à intégrer sur son marché du travail, la diminution du taux de chômage est mécaniquement facilitée.
Le second facteur est lié au ralentissement des gains de productivité. Désormais, l’économie française continue de créer de l’emploi à un rythme soutenu, même lorsque la croissance est tout juste supérieure à 1 %. Même s’il faut se féliciter du fait que l’industrie recommence à créer de l’emploi, l’essentiel de la dynamique est soutenu par les emplois de services, qui ont une faible productivité.
Ces deux paramètres devraient continuer à jouer dans les mois à venir. C’est une opportunité pour le gouvernement, qui doit maintenant concentrer ses efforts pour rendre le marché de l’emploi plus inclusif, alors que le nombre de personnes sans activité, mais qui, pour diverses raisons, ne cherchent pas de travail, a explosé en quinze ans. Derrière des chiffres encourageants, la fracture sociale demeure.
Lorsqu’il évoque son métier de policier, Adrien (tous les prénoms ont été modifiés) donne l’impression d’avoir plusieurs années d’expérience tant son discours sur ses conditions de travail est lucide, parfois désabusé.
Grand, les épaules carrées, ce n’est pas son physique mais la candeur de son regard qui trahit son jeune âge : 25 ans. Diplômé de l’Ecole nationale de police, il fait ses premiers pas en uniforme depuis septembre 2019, à Paris. Après cinq mois, il dresse déjà une longue liste de griefs, égrenant les maux de sa vie de jeune policier : « Les débuts sont difficiles financièrement, moralement… »
Selon les chiffres de la Police nationale, près de 8 400 gardiens de la paix ont été formés depuis 2017. Fidèle à sa promesse de campagne, le président de la République Emmanuel Macron poursuit la vague de recrutements initiée par son prédécesseur François Hollande.
Pour ces gardiens de la paix âgés de 18 à 35 ans, intégrer la police n’a rien d’anodin. « Dès l’école on nous dit : à partir de maintenant, vous entrez dans une grande famille. Il y aura des hauts mais aussi beaucoup de bas. Si vous n’êtes pas prêts, partez », se rappelle Adrien, qui a pris son poste à Paris cinq jours avant qu’un agent administratif de la Préfecture de police ne tue quatre de ses collègues sur son lieu de travail.
« Mauvaise image de la police »
Originaire du Sud-Ouest de la France, il avait demandé « tout l’Est de la France, de Lille à Marseille ». Son affectation en Ile-de-France lui a été imposée.Depuis 2017, 77 % des gardiens de la paix diplômés y sont envoyés. Les besoins dans la région, notamment en effectifs, sont conséquents.
Deux ans plus tôt, Adrien avait tenté de passer le concours de gardiens de la paix dit « national », qui permet d’être envoyé sur l’ensemble du territoire. Contrairement au concours Ile-de-France, il n’entraîne pas une affectation automatique en région parisienne sans l’exclure pour autant. Le sort des élèves dépend du classement de fin d’école. Ceux qui obtiennent les meilleures notes choisissent leur lieu d’affectation en premier ; les autres se partagent les postes restants, majoritairement situés en Ile-de-France.
C’est ainsi qu’Adrien s’est retrouvé à Paris. En octobre 2019, il est arrivé dans la capitale, partagé entre l’envie d’être policier, cette profession qu’il n’échangerait « pour rien au monde », et la sensation d’être pris à la gorge financièrement. Pas facile pour les élèves policiers de trouver un logement en Ile-de-France, un mois avant leur prise de fonction et avec un salaire de 1 380 euros net par mois.