Archive dans décembre 2019

La famille des cheminots fragilisée

« En racontant leur métier dans les moindres détails, les cheminots révèlent une multiplication des dysfonctionnements liés notamment à la priorité donnée au TGV ou à la sous-traitance. »
« En racontant leur métier dans les moindres détails, les cheminots révèlent une multiplication des dysfonctionnements liés notamment à la priorité donnée au TGV ou à la sous-traitance. » Nathan Alliard / Photononstop

Chronique « Carnet de bureau ». Actuellement 135 200 salariés ont le statut de cheminot, couvert par le régime spécial de retraite, chiffrait en septembre un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur la branche ferroviaire. Leur recrutement s’arrêtera le 1er janvier 2020. Cependant, 16 500 salariés de la SNCF sont déjà sous contrat de droit privé. Si les cheminots descendent dans la rue jeudi 5 décembre, c’est pour défendre au-delà d’un régime de retraite, une approche du travail commune à toute une famille professionnelle, aujourd’hui fière et amère à la fois.

Le cheminot en soi n’existe pas. C’est un aiguilleur, un agent de maintenance, un annonceur, un conducteur, un guichetier, ou un caténairiste, surnommé « l’écureuil », parce qu’il passe son temps en l’air à inspecter les câbles. Il contrôle le fil de contact qui permet à la motrice d’être alimentée en électricité et son niveau d’usure. En dessous, l’agent de maintenance fait la tournée des voies et cherche de visu s’il y a des avaries sur les rails ou aux abords. La SNCF c’est 170 métiers pour une seule famille avec une forte culture d’entreprise, car on est souvent cheminot de père en fils, voire sur plusieurs générations.

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Après le recrutement, la transmission est aussi affaire de famille. « L’essentiel des savoirs et des savoir-faire cheminots sont transmis par des pairs. (…) Un gage de connaissance intime du métier et de responsabilité partagée », explique Pierre Madiot, fondateur de la coopérative Dire le travail qui vient de publier les témoignages des cheminots dans Le train comme vous ne l’avez jamais lu (éd. de l’Atelier, 192 pages, 16 euros).

Changement d’état d’esprit de l’entreprise

Mais la transformation de l’entreprise en cours change la donne. « Dans mon parcours professionnel, les gens prenaient une fonction quand ils avaient acquis de l’expérience. On partait du principe qu’il fallait savoir faire. C’est cette démarche qui structurait l’entreprise. Or, c’est en train de disparaître : on sépare de plus en plus la vision managériale de la vision métier, témoigne Jean-François, caténairiste. On a maintenant bien souvent des DPX [dirigeants de proximité] qui n’ont pas les compétences. Ils ne sont pas capables d’organiser les moyens, si bien qu’ils signent des objectifs sans savoir s’ils sont réalisables. Cela crée du mal-être, du travail mal fait. (…) Les nouveaux DPX sont recrutés à bac + 2 ou à bac + 5. Beaucoup sont des cadres qui sortent directement de l’école. »

Comment lier entreprise et progrès social

L’entreprise altruiste, d’Isaac Getz et de Laurent Marbacher, aux éditions Albin Michel, (528 pages, 22,90 euros).
L’entreprise altruiste, d’Isaac Getz et de Laurent Marbacher, aux éditions Albin Michel, (528 pages, 22,90 euros).

Le livre Et si la performance économique n’était pas une finalité, mais une conséquence organique de la finalité sociale ? Et si cette finalité sociale au service de l’autre était poursuivie inconditionnellement à travers les activités de cœur de métier ? Et s’il fallait arrêter de viser la création de valeur économique ? Pendant cinq années, Isaac Getz et Laurent Marbacher sont partis à la recherche d’entreprises qui agissent avec un respect profond de leurs fournisseurs, de leurs clients, de leurs employés ou des territoires où elles opèrent.

Chemin faisant, le chercheur et professeur à l’ESCP Europe et l’innovateur social ont découvert une espèce nouvelle, qui donne son titre à leur ouvrage : L’entreprise altruiste. Le voyage de l’entreprise altruiste débute en mars 2014 à Hyelzas, un village de soixante habitants situé sur le causse Méjean, dans le sud de la Lozère, un des territoires les plus désertiques de France, avec 1,4 habitant au kilomètre carré, où s’est installée la fromagerie Le Fédou, qui a fait revivre tout un village.

Il se poursuit dans une cuisine californienne, où germe l’idée de la start-up FruitGuys, qui fournit des fruits frais à plus de 3 000 entreprises. Il passe par le Japon, auprès d’un grand laboratoire pharmaceutique coté en Bourse qui a remplacé dans ses statuts les profits par l’émotion des patients et de leurs familles. Enfin, le périple se termine en Norvège, où le groupe Reitan, une chaîne de distribution discount, offre aux petits délinquants qui le veulent la formation et le prêt nécessaire pour devenir entrepreneur franchisé.

Si elles sont de toute taille, de tout secteur d’activité et de toute nationalité, les entreprises altruistes partagent deux grandes idées. La première consiste à considérer le résultat économique comme une conséquence organique, « fruit d’un service authentique de tous ceux avec qui elles interagissent », et non pas comme la simple application de modèles économiques et de processus le visant directement. Pour paraphraser le philosophe chinois Mencius [IVe siècle avant J.-C.], « essayer d’aider les pousses à grandir en tirant sur leur tige est non seulement futile, cela les abîme aussi. »

La seconde idée consiste à ne plus réduire la relation des entreprises avec leurs interlocuteurs à de simples transactions économiques. Les entreprises étudiées essayent d’avoir « des liens profondément authentiques avec toutes les personnes avec qui elles sont en rapport. D’ailleurs, certaines n’hésitent pas à qualifier d’amis leurs clients, leurs partenaires ou leurs fournisseurs. » En vue de servir ces interlocuteurs sans condition, ces entreprises ont été amenées à transformer leurs activités de cœur de métier, ces dernières étant subordonnées, le plus souvent, à l’intérêt économique. « Sans une telle transformation, l’intérêt financier conditionne le service authentique des interlocuteurs de l’entreprise, voire l’emporte sur lui tout simplement. »

Deux ans après leur brutale diminution, les emplois aidés manquent à la vie sociale des quartiers

Voilà deux ans que le nombre d’emplois aidés, ces contrats en bonne partie financés par l’Etat et destinés à insérer des jeunes, des chômeurs et des personnes handicapées sur le marché de l’emploi, a été sèchement diminué par le gouvernement.

De 310 000, en 2017, il n’en est plus resté qu’un tiers les années suivantes, une perte de 180 000 emplois à forte utilité sociale, en renfort indispensable de l’action des associations (38 % des contrats) mais aussi de l’éducation nationale (10 %) et des collectivités locales.

Ce vaste plan social imposé par l’Etat, en 2017, qui a renvoyé chez eux des milliers de personnes dont beaucoup en situation de handicap, est cependant resté invisible, les dommages étant disséminés dans une myriade de structures qui ont dû, chacune dans son coin, se débrouiller pour survivre, quitte à réduire l’activité. Toute une série de renoncements qui a affecté la vie des personnes les plus fragiles et les quartiers déjà déshérités.

« Il rendait mille services »

Veronique Decker a achevé sa carrière dans l’éducation nationale comme directrice d’une grosse école, à Pantin (Seine-Saint-Denis) : « L’équipe s’était retrouvée le 31 août 2017, pour la prérentrée, et je reçois un coup de fil : Dites a vos deux employés de la vie scolaire, à vos deux assistants d’éducation et à la secrétaire de ne pas revenir demain, ils ne sont pas renouvelés. Avec cinq personnes en moins, qui peut croire qu’on fait tourner l’école de la même façon ? Et, pour moi, le triple de boulot. »

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Marie (prénom changé) dirige, elle, une école de deux classes, dans la région Centre-Val de Loire, sans emploi aidé depuis deux ans : « Ça s’est arrêté du jour au lendemain et j’ai hérité de huit heures de travail par semaine en plus. Le salarié qui m’avait aidée pendant trois ans avait un handicap cognitif léger qui affectait un peu sa parole mais pas son travail. Il rendait mille services, des tâches chronophages comme saisir les fiches de renseignements des élèves, pointer les livraisons de fournitures, réparer et couvrir les livres… On le sentait heureux à l’école. Aujourd’hui, il est chez lui et perçoit l’allocation adulte handicapé. »

« Bien sûr, j’ai été déçu de devoir partir, s’exclame un jeune éducateur, ancien emploi aidé à l’Etoile sportive de Trappes (Yvelines). J’adorais ce boulot, on faisait bien plus que du foot, on était les grands frères de ces gamins. »

« Effet d’aubaine »

Première banque italienne, Unicredit va supprimer 8 000 équivalents temps plein

La banque italienne a prévu de fermer 500 agences d’ici à 2023.
La banque italienne a prévu de fermer 500 agences d’ici à 2023. ANDREAS SOLARO / AFP

Des milliers d’emplois supprimés d’un côté, une forte hausse des dividendes versés aux actionnaires de l’autre. La banque italienne Unicredit a annoncé, mardi 3 décembre, qu’elle allait supprimer 8 000 équivalents temps plein (ETP) et fermer 500 agences d’ici à 2023, pour réduire ses coûts d’un milliard d’euros. Cette mesure entraînera une baisse de 12 % des effectifs et de 17 % du nombre d’agences en Europe occidentale.

Depuis son arrivée à la tête de la première banque italienne en termes d’actifs à l’été 2016, le Français Jean-Pierre Mustier a mené une vaste réorganisation de la banque, en réduisant déjà les effectifs de quelque 14 000 ETP et en fermant plus de 900 agences. Ces nouvelles suppressions d’emplois seront menées dans le cadre du plan stratégique 2020-2023 de la banque, présenté mardi aux investisseurs à Londres.

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Ce plan est aussi marqué par une nette hausse des dividendes. Sur la période 2020-2022, Unicredit versera 40 % de son bénéfice net aux actionnaires (dont 10 % via le rachat d’actions), contre 20 % annoncés en 2016 et 30 % en 2017. Ce montant grimpera à 50 % en 2023. Au total, huit milliards d’euros seront versés aux actionnaires entre 2020 et 2023, dont deux milliards via des rachats d’actions. Concernant ses revenus, Unicredit prévoit une hausse moyenne annuelle de 0,8 % entre 2018 et 2023, pour atteindre 19,3 milliards d’euros.

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Des effectifs intérimaires en baisse et l’arrivée d’une nouvelle concurrence : les autoentrepreneurs

« Pour l’économiste Denis Ferrand, directeur général de Coe-Rexecode, le principal responsable de la chute des effectifs intérimaires est tout désigné : « c’est l’industrie. »
« Pour l’économiste Denis Ferrand, directeur général de Coe-Rexecode, le principal responsable de la chute des effectifs intérimaires est tout désigné : « c’est l’industrie. » Alain Le Bot / Photononstop

Après plusieurs années de croissance ininterrompue, les baisses d’effectifs s’accumulent mois après mois dans l’intérim, même s’ils restent à un niveau historiquement haut. D’après le dernier baromètre de la fédération du travail temporaire Prism’emploi, rendu public le 25 novembre, les effectifs des agences de travail temporaire ont à nouveau chuté de 4,5 % en octobre 2019 par rapport à octobre 2018. Une confirmation de la tendance qui touche le secteur depuis fin 2017. En cumul sur dix mois, le recul est de 4,7 % comparé à la même période en 2018, le phénomène n’épargnant que la Bretagne.

Les chiffres de la direction de la recherche et des études du ministère du travail (Dares) ne disent pas autre chose. La Dares signale un tassement certain des effectifs intérimaires, repassant sous la basse des 800 000 au début de 2018. Ceci, malgré la baisse continue du chômage – excepté le troisième trimestre de cette année.

La tendance est générale. Si la baisse des effectifs se concentre dans l’industrie (– 7,6 par rapport à octobre 2018 selon Prism’emploi), elle est également visible dans les services (– 4,1 %). Si la pénurie de compétences est pointée du doigt par les acteurs du marché pour expliquer ce déficit de main-d’œuvre, « on est d’abord sur des problématiques de savoir être, estime Isabelle Eynaud-Chevalier, déléguée générale de Prism’emploi. Les entreprises n’hésitent pas à investir pour former leurs intérimaires sur des compétences techniques. »

Peut-on pour autant parler de retournement de tendance ? Isabelle Eynaud-Chevalier relativise : « On constate une tendance baissière depuis quelques mois, mais c’est après que l’intérim a atteint des sommets historiques. » Accompagnant la reprise de l’activité, l’intérim a en effet enregistré ces dernières années des niveaux de croissance inédits (+ 4,4 % en 2015, + 6,7 % en 2016 et + 8,5 % en 2017, selon les données communiquées par Prism’emploi).

Pour l’économiste Denis Ferrand, directeur général de Coe-Rexecode, le principal responsable de la chute des effectifs intérimaires est tout désigné : « C’est l’industrie. » En particulier la métallurgie, chroniquement en crise, la plasturgie, touchée par la hausse des matières premières, et la fabrication des machines-outils ont chacun perdu autour de 3 000 postes intérimaires sur un an, d’après les données de la Dares.

Pour Isabelle Eynaud-Chevalier, c’est paradoxalement la bonne santé du marché de l’emploi qui expliquerait en partie la chute de l’intérim : « les employeurs hésitent moins à embaucher sur des contrats plus longs », fait valoir la déléguée générale de Prism’emploi, soulignant que le CDI intérimaire continue sa progression. Selon les données de la Dares, leur nombre a crû d’environ 13 000 sur un an au deuxième trimestre 2019.

Le studio de jeu vidéo Quantic Dream condamné pour des photomontages injurieux

Le créateur de jeu vidéo français David Cage, fondateur du studio Quantic Dream.
Le créateur de jeu vidéo français David Cage, fondateur du studio Quantic Dream. William Audureau / Le Monde

Le fleuron français du secteur est resté « passif » devant des photomontages « homophobes, misogynes, racistes, ou encore profondément vulgaires », a jugé le conseil de prud’hommes de Paris lors d’une audience de départage, le 21 novembre. Ils ont condamné l’inaction de la direction, qui les a laissé circuler durant des années en ayant connaissance de leur teneur. « En restant passif face à cette pratique plus que contestable, qui ne peut se justifier par l’esprit “humoristique” dont se prévaut la société, l’employeur a commis une violation de l’obligation de sécurité [vis-à-vis de ses employés] », ont-ils estimé.

Le studio Quantic Dream a été condamné à verser 5 000 euros à un employé victime d’un photomontage le présentant en nazi. En revanche, les prud’hommes n’ont pas suivi sa demande de requalification de sa prise d’acte – une forme de démission fondée sur l’impossibilité estimée de poursuivre son travail – comme un licenciement. Elle a jugé, entre autres, que l’entreprise a fait cesser la diffusion de ces photomontages dès lors qu’il s’en est plaint (son principal auteur a reçu un avertissement). Quantic Dream peut encore faire appel de cette condamnation.

Le 6 mars 2017, quatre employés du service informatique de la société avaient quitté l’entreprise par prise d’acte en raison de ces photomontages. Deux d’entre eux ont été déboutés le 20 novembre 2017 de leur demande de requalification de leur départ en licenciement, le tribunal ayant jugé que leur rupture de contrat avait été trop tardive pour prouver la gravité du préjudice commis. Le 22 août 2018, un troisième a obtenu gain de cause pour la même requête, le tribunal ayant cette fois estimé que la direction avait laissé « sciemment prospérer » les photomontages.

Le studio de jeu vidéo parisien avait fait l’objet d’une enquête du Monde, de Mediapart et de Canard PC en janvier 2018, mettant au jour une ambiance toxique et un management oppressant. L’entreprise a porté plainte en diffamation contre Le Monde et Mediapart.

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Les manageurs face au défi du handicap psychique

Midi et demi. Une file de travailleurs affamés fait le pied de grue devant le comptoir du restaurant Cojean, situé rue de Choiseul, dans le 2e arrondissement de Paris. En tablier bleu marine, Côme Allamagny slalome entre les tables pour apporter les commandes. « Un toasté végé », annonce-t-il dans un sourire, un plateau à la main. En apparence, Côme est un salarié comme les autres. Pourtant, derrière sa démarche nonchalante, le jeune homme de 25 ans cache un lourd handicap : il est atteint de schizophrénie.

Comme Côme, deux millions de personnes en France souffrent de troubles psychiques sévères. Et on estime qu’un Français sur cinq sera touché au cours de sa vie. « Les troubles psychiques englobent les schizophrénies, les troubles anxieux, les troubles graves de la personnalité, les addictions et les troubles de l’humeur comme la bipolarité ou la dépression », détaille Gisèle Birck, psychiatre.

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« Instables et imprévisibles, ces pathologies n’altèrent pas les capacités intellectuelles, mais elles peuvent entraîner des difficultés de concentration, des comportements inadaptés ou des problèmes relationnels. » Au point d’entraver, parfois, la réalisation des activités quotidiennes ou la participation à la vie en société. « Conformément à la loi du 11 février 2005, elles peuvent alors être reconnues comme handicap », rappelle la docteure Birck, qui préside Arihm Conseil, une association qui favorise l’entrée et le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap psychique ou mental.

Errance thérapeutique

Le défi est de taille. Dans une enquête menée en 2016 par l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), seules 19 % des familles interrogées indiquaient que leur proche en situation de handicap psychique avait un emploi. « Pourtant, lorsque la maladie est stabilisée, les personnes concernées peuvent très bien arriver à mener une vie sociale et professionnelle », rappelle Yannick Ung, chercheur associé en sociologie de la santé à l’université Paris-Descartes. Y compris en milieu ordinaire.

C’est le cas de Côme qui, après des années d’errance thérapeutique, a réussi à décrocher, en février 2017, ce job d’équipier chez Cojean, grâce à l’association Avec talents. « Les premiers mois, il venait me voir tout le temps pour me demander ce qu’il devait faire ensuite », se souvient son directeur, Guillaume Andrault. Mais, avec le temps, Côme a acquis de l’autonomie. « C’est quelqu’un d’agréable avec qui il est facile de travailler », assure son supérieur.

Handicap : la Suède mise sur l’emploi accompagné et fait mieux que ses voisins

Campagne pour l’inclusion des personnes handicapées lancée par le Pôle emploi suédois.
Campagne pour l’inclusion des personnes handicapées lancée par le Pôle emploi suédois. Capture écran Arbetsförmedlingen

Vêtue d’un chemisier et d’une jupe noirs, Hélène Barnekow pose debout, de profil. Le cliché de la patronne de Microsoft Suède aurait pu figurer sur la couverture d’un magazine financier. A un détail près : le photomontage montre des prothèses métalliques, au lieu de ses jambes, dans ses escarpins à talons. En haut de la photo, une question : « Aurait-elle pu diriger une grande entreprise ? » − sous-entendu : avec un handicap.

Depuis septembre, l’image orne les murs du métro stockholmois, avec d’autres du même genre, mettant en scène un artiste, la rédactrice en chef de magazines féminins, le fondateur d’une start-up… La campagne, organisée par Arbetsförmedlingen, le Pôle emploi suédois, a suscité la polémique. Responsable des relations avec les employeurs, Malin Blomgren, assume : « Trop souvent encore, on ne voit pas la personne ou ses compétences, mais seulement le handicap. »

Miser sur l’inclusion

Sur le papier, pourtant, la Suède est plutôt bien positionnée en matière d’insertion professionnelle. Selon un récent rapport, 12 % de la population du royaume, âgée de 16 à 64 ans, souffre d’un handicap, soit 750 000 personnes. En 2018, 63 % d’entre elles occupaient un emploi. Une partie de ces relativement bons résultats, comparés à d’autres pays, s’explique par « la mobilisation intervenue ici très tôt, dès les années 1980 », rappelle Johanna Gustafsson, chercheuse en sciences du handicap à l’université d’Örebro.

« Il n’est plus question de former une personne, en espérant qu’elle décroche un emploi, mais de lui trouver un travail et de faire les adaptations. » Johanna Gustafsson, chercheure

Depuis, l’objectif n’a pas changé : « Nous avons opté pour un modèle qui vise à inclure ces personnes au sein de la société, que ce soit les enfants, qui restent vivre avec leurs parents et vont à l’école, et les adultes, qui doivent contribuer, dans la limite de leur capacité », résume Malin Blomgren.

Dans un premier temps, la Suède mise sur l’emploi subventionné, souvent en milieu protégé, avant d’adopter le concept d’emploi accompagné, venu du continent nord-américain, et dont les résultats sont « beaucoup plus satisfaisants », selon Johanna Gustafsson : « Il n’est plus question de former une personne, en espérant qu’elle puisse décrocher un emploi, mais de lui trouver directement un travail et de faire les adaptations nécessaires. »

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Ainsi, l’Arbetsförmedlingen propose différents types de soutien aux entreprises, allant du financement de travaux ou de matériels, à l’accompagnement personnalisé en début de contrat. En parallèle, les entreprises peuvent continuer à toucher des aides pour financer les salaires.

Les pompiers, urgentistes du social

Des pompiers partent en intervention à la caserne des sapeurs pompiers 'Le Blosne' dans le sud de la ville de Rennes.
Rennes, France - 14/11/2019 KAMIL ZIHNIOGLU POUR

KAMIL ZIHNIOGLU POUR « LE MONDE »

Par Simon Auffret

Publié aujourd’hui à 01h30, mis à jour à 14h41

Une odeur âcre, une odeur de mort, se dégage de l’appartement. Trois pompiers s’y engouffrent, inspectent la cuisine, puis le salon. Parvenus dans la chambre, ils tombent sur un corps étendu en travers du lit : un homme d’une cinquantaine d’années, le regard figé, tourné vers le plafond. La cause du décès est inconnue mais l’hypothèse d’un crime semble pouvoir être écartée : le cadavre est intact, le logement fermé de l’intérieur depuis au moins deux jours.

C’est son infirmière, inquiète de ne pas avoir de réponse à ses nombreux appels, qui a prévenu les secours. La voici, dans la cage d’escalier, décrivant aux pompiers un homme seul, dont les contacts avec l’extérieur se limitaient à ses visites. Alertés par le ballet bleu des gyrophares, des voisins affluent vers le palier. Le sergent-chef Sylvain préfère refermer la porte, plongeant soudain l’appartement dans le silence. « A tous les coups, personne ne lui adressait la parole. Mais maintenant qu’on est là, tout le monde débarque… »

Réunion de l'après-midi à la caserne des sapeurs pompiers du Blosne, dans le sud de la ville de Rennes.
Réunion de l’après-midi à la caserne des sapeurs pompiers du Blosne, dans le sud de la ville de Rennes. KAMIL ZIHNIOGLU POUR « LE MONDE »

« Secours à la personne »

Affiliés à la caserne du Blosne, dans le sud de Rennes, Mathieu, Dimitri et Sylvain [la plupart des pompiers que nous avons interrogés ont préféré de pas donner leur nom de famille] font partie des 248 000 sapeurs-pompiers français. Des hommes et des femmes dont le quotidien, à l’échelle nationale, se raconte aussi en chiffres : en 2017, ils ont effectué 4 651 500 interventions, soit près de 700 000 de plus qu’en 2007. Cette hausse ne doit rien aux incendies – sur la même période, leur nombre n’a pas augmenté – mais bien davantage aux « secours à la personne » : découvrir des morts et des malades ignorés de leurs voisins, aider les personnes âgées isolées à se relever après une chute, accompagner des sans-abri inadmissibles dans d’autres services médicaux… Les interventions de ce type, au cœur du « social », représentent désormais les trois quarts de l’activité en caserne. « Nous voyons tant les choses se casser la gueule que nous sommes devenus les médecins des pauvres, le rempart du SAMU social », constate Jacques Bosse, 54 ans, lieutenant à Rennes.

Un sapeur-pompier fait la vérification matinale du camion incendie, le 15 novembre.
Un sapeur-pompier fait la vérification matinale du camion incendie, le 15 novembre. KAMIL ZIHNIOGLU POUR « LE MONDE »

Entre deux interventions, il s’attable dans le « foyer de vie » du Blosne, une caserne où quatre-vingts hommes et six femmes travaillent en « bordées », trois équipes alternant une garde de vingt-quatre heures avec quarante-huit heures de repos. Lui-même est pompier depuis vingt ans, dont dix dans la caserne Saint-Georges, en plein centre-ville de Rennes. Du jeudi soir au dimanche matin, ses gardes étaient rythmées par les comas éthyliques et l’état d’ivresse de fêtards abandonnés par leurs amis. Il se souvient du jour où un élu municipal chargé de la sécurité, venu passer une nuit avec les pompiers pour être au plus près des réalités, en était reparti désemparé par l’enchaînement des interventions. « Les politiques sont désarmés, mais le fondement de notre métier reste inchangé, considère le chef de garde. Il ne faut pas philosopher pendant des heures : nous, on est là pour aider les gens. »

Handicap au travail : deux nouvelles lois pour atteindre l’objectif fixé en 1987

La ministre du travail Muriel Pénicaud (à gauche) et la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées d’Etat Sophie Cluzel, à Paris, le 9 octobre 2019.
La ministre du travail Muriel Pénicaud (à gauche) et la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées d’Etat Sophie Cluzel, à Paris, le 9 octobre 2019. Bertrand Guay / AFP

Muriel Pénicaud, la ministre du travail, l’admet sans fard : « Nous ne sommes pas bons en France sur l’inclusion dans l’emploi des personnes en situation de handicap. Trente-deux ans après la loi de 1987 sur l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés [qui a fixé à 6 % le taux d’emploi obligatoire de personnes handicapées dans le privé], seulement 3,5 % des handicapés sont salariés d’une entreprise privée, c’est très faible ! Dans le même temps, 515 000 personnes handicapées sont inscrites à Pôle emploi. Il faut leur donner leur chance. »

« Jusqu’à présent, le handicap était une affaire de spécialistes. Aujourd’hui, nous travaillons à l’intégrer dans des politiques de droit commun. » Sophie Cluzel

Depuis un an et demi, deux lois visent à faire évoluer cette situation. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, lancée début 2018 sous la houlette de Muriel Pénicaud, et la loi sur la réforme pour la fonction publique, portée par Olivier Dussopt, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’action et des comptes publics.

Sur la question du handicap, l’un comme l’autre travaillent en étroite concertation avec Sophie Cluzel. Pour la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, une évolution majeure est à souligner : « Jusqu’à présent, le handicap était une affaire de spécialistes. Aujourd’hui, nous travaillons au contraire à l’intégrer dans des politiques de droit commun, lesquelles sont établies avec le concours étroit de ces spécialistes et des personnes elles-mêmes. »

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Pour Sophie Cluzel, l’objectif actuel est clair : « Nous voulons désormais fluidifier et rendre possibles les parcours des personnes handicapées, selon leurs besoins et leurs choix, vers le milieu ordinaire, c’est-à-dire vers les entreprises, tout en offrant des solutions adaptées à ceux qui le souhaitent par le biais de la mobilisation des experts de l’insertion par l’activité économique, des entreprises adaptées ou des établissements et services d’aide par le travail [ESAT]. »

700 « CDD tremplin »

Afin de rassurer ceux que ce changement de paradigme inquiète, « ces politiques sont élaborées en coconstruction avec l’écosystème », assure Muriel Pénicaud. Plusieurs chantiers sont lancés. Au 1er janvier 2020 démarrera la réforme de la fameuse Obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH). Les 6 % restent de mise, mais ont vocation à être réévalués tous les cinq ans. « Pour l’heure, l’idée est d’en simplifier le cadre général. A grands traits, cette réforme simplifie les modalités de déclaration, de réponse et de calcul de la contribution annuelle de l’OETH », résume Sophie Cluzel.