Les pompiers, urgentistes du social

Les pompiers, urgentistes du social

Des pompiers partent en intervention à la caserne des sapeurs pompiers 'Le Blosne' dans le sud de la ville de Rennes.
Rennes, France - 14/11/2019 KAMIL ZIHNIOGLU POUR

KAMIL ZIHNIOGLU POUR « LE MONDE »

Par Simon Auffret

Publié aujourd’hui à 01h30, mis à jour à 14h41

Une odeur âcre, une odeur de mort, se dégage de l’appartement. Trois pompiers s’y engouffrent, inspectent la cuisine, puis le salon. Parvenus dans la chambre, ils tombent sur un corps étendu en travers du lit : un homme d’une cinquantaine d’années, le regard figé, tourné vers le plafond. La cause du décès est inconnue mais l’hypothèse d’un crime semble pouvoir être écartée : le cadavre est intact, le logement fermé de l’intérieur depuis au moins deux jours.

C’est son infirmière, inquiète de ne pas avoir de réponse à ses nombreux appels, qui a prévenu les secours. La voici, dans la cage d’escalier, décrivant aux pompiers un homme seul, dont les contacts avec l’extérieur se limitaient à ses visites. Alertés par le ballet bleu des gyrophares, des voisins affluent vers le palier. Le sergent-chef Sylvain préfère refermer la porte, plongeant soudain l’appartement dans le silence. « A tous les coups, personne ne lui adressait la parole. Mais maintenant qu’on est là, tout le monde débarque… »

Réunion de l'après-midi à la caserne des sapeurs pompiers du Blosne, dans le sud de la ville de Rennes.
Réunion de l’après-midi à la caserne des sapeurs pompiers du Blosne, dans le sud de la ville de Rennes. KAMIL ZIHNIOGLU POUR « LE MONDE »

« Secours à la personne »

Affiliés à la caserne du Blosne, dans le sud de Rennes, Mathieu, Dimitri et Sylvain [la plupart des pompiers que nous avons interrogés ont préféré de pas donner leur nom de famille] font partie des 248 000 sapeurs-pompiers français. Des hommes et des femmes dont le quotidien, à l’échelle nationale, se raconte aussi en chiffres : en 2017, ils ont effectué 4 651 500 interventions, soit près de 700 000 de plus qu’en 2007. Cette hausse ne doit rien aux incendies – sur la même période, leur nombre n’a pas augmenté – mais bien davantage aux « secours à la personne » : découvrir des morts et des malades ignorés de leurs voisins, aider les personnes âgées isolées à se relever après une chute, accompagner des sans-abri inadmissibles dans d’autres services médicaux… Les interventions de ce type, au cœur du « social », représentent désormais les trois quarts de l’activité en caserne. « Nous voyons tant les choses se casser la gueule que nous sommes devenus les médecins des pauvres, le rempart du SAMU social », constate Jacques Bosse, 54 ans, lieutenant à Rennes.

Un sapeur-pompier fait la vérification matinale du camion incendie, le 15 novembre.
Un sapeur-pompier fait la vérification matinale du camion incendie, le 15 novembre. KAMIL ZIHNIOGLU POUR « LE MONDE »

Entre deux interventions, il s’attable dans le « foyer de vie » du Blosne, une caserne où quatre-vingts hommes et six femmes travaillent en « bordées », trois équipes alternant une garde de vingt-quatre heures avec quarante-huit heures de repos. Lui-même est pompier depuis vingt ans, dont dix dans la caserne Saint-Georges, en plein centre-ville de Rennes. Du jeudi soir au dimanche matin, ses gardes étaient rythmées par les comas éthyliques et l’état d’ivresse de fêtards abandonnés par leurs amis. Il se souvient du jour où un élu municipal chargé de la sécurité, venu passer une nuit avec les pompiers pour être au plus près des réalités, en était reparti désemparé par l’enchaînement des interventions. « Les politiques sont désarmés, mais le fondement de notre métier reste inchangé, considère le chef de garde. Il ne faut pas philosopher pendant des heures : nous, on est là pour aider les gens. »

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