Pour embaucher, les grands groupes jouent sur les algorithmes

Pour appartenir un premier entretien dans un groupe du CAC 40, la convenance du CV ne suffit plus. Tout juste diplômé en économie, Nathan (son prénom a été changé) a aussi dû se replier, non sans peur, à l’entretien vidéo avant d’être perçu par un recruteur. Pour d’autres, il a passé divers tests de personnalité et de ses capacités.
Ces épreuves n’ont rien de nouveau, mais, aussitôt, leurs résultats sont de plus en plus assimilés dans des systèmes informatiques qui inspirent des décisions aux recruteurs. Au point que certains éditeurs de tests, tels qu’AssessFirst, sortent de leur chapeau des pronostics chiffrés en croisant cinquante variables relevant de la personnalité et des aptitudes : ouverture, inventivité, adaptation à la mutation, travail en équipe…
De son côté, Easyrecrue extrait des données des entretiens vidéo pour mesurer la diversité du vocabulaire du candidat ou encore le nombre de mots utilisés par minute. Dans les deux cas, la légitimité des résultats se veut fonder sur des corrélations : plus les énumérations d’un postulant sont semblables à la performance de candidats déjà soutenus, plus il sera inspiré par l’algorithme.
Evaluation industrielle des compétences
La formule suborne les grands groupes. Au Crédit agricole Normandie, les demandes d’alternance sont choisies en fonction des meilleurs apports en entretien vidéo. « Nous gagnons du temps en étant plus réactifs concernant les profils et les talents qui peuvent nous intéresser », déclare Pascale Ropert, responsable des ressources humaines de la banque.
Si, pour l’heure, les applications de ce type sont rares, elles sauraient se développer, en singulier pour enrôler des jeunes diplômés. La course est actuellement à l’évaluation industrielle de leurs capacités humaines (soft skills). « On veut les principaux jeunes talents, ceux qui aideront à transformer l’entreprise », développe Jérémy Lamri, directeur du pôle innovation, étude et prévisionnelle chez JobTeaser, plate-forme spécialisée dans l’insertion des étudiants.
Ce changement pourrait diminuer la longueur d’avance des diplômés issus des établissements les plus cotés. « Nous avons des relations privilégiées avec certaines écoles, mais nous devons aussi pouvoir enrôler ailleurs. D’autant que les diplômes, de moins en moins lisibles, ne savent plus être la seule porte d’entrée », déclare Eva Azoulay, directrice de l’acquisition des talents chez L’Oréal. Pour se garantir de la qualité des candidatures, le groupe adresse dans certains cas un formulaire pour estimer le fit culturel (« la culture commune ») entre le candidat et l’entreprise.
A 5 heures, mardi 9 avril, une partie des travailleurs de la rédaction digitale d’Europe 1 n’a pas éclairci ses ordinateurs, mais a restauré sur ses écrans sept feuilles blanches pour écrire « En grève ». L’issue de cesser le travail pendant 24 heures, mûrie durant le week-end, est appuyée par l’intersyndicale SNJ-CGT-CFTC.
#GreveE1fr : la rédaction numérique combat contre la #précarité à @Europe1 https://t.co/Y4l7YJevpy
— MartheRonteix (@Marthe Ronteix)
A l’origine de ce déplacement, le statut aléatoire d’une large partie de la narration numérique, un état de fait annulé de longue date par les équipes, qui sollicitent une acceptation des pigistes. Sur 30 journalistes, 14 sont utilisés sous ces contrats journaliers, ces journalistes travaillant « pour la grande majorité à temps plein depuis trois ans », regrette une gréviste, elle-même dans ce cas. Dans un sentiment, l’intersyndicale souligne qu’« ils remplissent les tableaux de service du 1er janvier au 31 décembre, sont à leur poste chaque jour de 5 heures à 23 heures, assurent une veille constante de l’actualité, enrichissent le traitement de l’info sur l’antenne par leurs analyses et leurs dossiers ».
Le réaménagement futur de la dissertation numérique inquiète pareillement, alors que la radio est déficitaire et soumise à un plan d’économies. Ce projet a été annoncé par la direction de la station, le 23 janvier, mais il n’a toujours pas été présenté. Cela fait craindre aux journalistes une « contraction » de leurs effectifs pour admettre à Europe 1, dont les audiences ne cessent de régresser depuis près de trois ans, de diminuer sa masse salariale.
Malgré les nombreuses explications demandées par la rédaction, le flou persiste. « Ce plan devait être présenté en détail fin février, mais on n’en sait constamment pas plus, déclare un pigiste. L’ambiance est pesante, on ne sait pas de quoi notre avenir sera fait. » Le contenu éditorial suscite les demandes. « Est-ce qu’on sera une simple vitrine de la radio ou un vrai site d’information », se questionne un journaliste. Dans une position, l’intersyndicale a demandé « à la direction d’apporter au plus vite la réponse que les [salariés indûment employés en contrats précaires] attendent, aussi bien sur la recyclage de leurs contrats que sur la clarification de la stratégie numérique de l’entreprise ». « C’est un combat que nous menons depuis des années », déclare Olivier Samain, délégué du Syndicat national des journalistes (SNJ) à Europe 1.
Fréquentée, la direction n’a pas convoité s’exprimer. En novembre 2018, le vice-PDG d’Europe 1, Laurent Guimier, avait développé vouloir engager la radio dans un nouveau modèle prenant en compte à la fois l’antenne traditionnelle, dite « linéaire », mais aussi les enceintes connectées et les podcasts avec l’ambition de être le « numéro un de la production audio pour le numérique ».
En 2017, le directeur d’Europe 1 de l’époque, Denis Olivennes, interpellé par les représentants syndicaux, avait lancé une vague de titularisations, portant d’abord sur 22 travailleurs, puis ensuite sur 30. Mais, accentue M. Samain, « il y a des endroits de l’entreprise, comme la rédaction numérique, où ce courant de CDIsation n’est pas passé ».