Archive dans mai 2023

Menacés par l’intelligence artificielle, les comédiens de doublage s’unissent dans un collectif international

Dans une salle de cinéma de Nantes, le 14 mars 2021.

Les comédiens de doublage veulent avoir voix au chapitre. Dans un manifeste publié jeudi 25 mai, alors que le Festival de Cannes accueille le cinéma mondial, 21 syndicats et associations des professionnels de la voix répartis à travers dix pays haussent le ton face à l’intelligence artificielle (IA).

Ils appellent à « protéger le travail des acteurs et la créativité humaine dans son ensemble » pour éviter la « destruction d’un patrimoine artistique pétri de créativité et d’émotions, qu’aucune machine ne peut produire ». La jeune organisation incite également les décideurs européens à « adapter le régime de protection des droits des artistes interprètes ».

Parmi les signataires, l’association française Les Voix, qui regroupe plus de 210 professionnels du secteur, avait déjà averti sur « des enregistrements frauduleux », dans une alerte au « vol de voix » publiée en avril 2023. « Nous avons reçu de certains de nos membres des contrats d’enregistrements “à finalité de recherche”, raconte Patrick Kuban, comédien interprète et cofondateur des Voix. Nous avons ensuite découvert qu’ils étaient utilisés pour entraîner l’intelligence artificielle d’une start-up milanaise. »

« Donnée biométrique »

Sur son site Internet, Voiseed, l’entreprise soupçonnée de se nourrir de ces voix, assure répondre « à la demande croissante de contenu vocal expressif multilingue en révolutionnant la synthèse vocale avec une nouvelle technologie ». En février, cette même société annonçait une levée de fonds d’un million d’euros auprès d’un fonds italien et du Conseil européen de l’innovation. L’institution, créée pour soutenir la commercialisation des technologies développées sur le Vieux Continent, avait déjà accordé un prêt de 3 millions d’euros à la jeune pousse milanaise en 2021.

Voiseed n’est pas la seule société sur ce créneau. La société Eleven Labs promet « l’outil ultime pour raconter des histoires ». En 2021, la start-up israélienne DeepHub doublait le film d’horreur Every Time I Die en portugais et en espagnol grâce à l’IA. Début mai, Google a présenté son nouvel outil Universal Translator, capable de traduire le discours d’une personne tout en faisant correspondre le mouvement de ses lèvres avec les spécificités de la nouvelle langue.

Les sociétés qui se sont lancées sur ce marché mettent en avant les économies que pourraient faire les sociétés de production, ainsi que le respect de l’œuvre originale. Les professionnels du doublage leur opposent les dérives juridiques.

« La voix est une donnée biométrique, analyse Mathilde Croze, avocate spécialisée dans la propriété intellectuelle et le numérique qui défend les intérêts des Voix. Les entreprises qui récupèrent ce genre de données ont-elles réellement tous les accords des comédiens pour les utiliser dans ce domaine ? »

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« Idées reçues sur le travail » : des stéréotypes à l’épreuve des faits

Le livre. Une souffrance, le travail ? C’est ce que suggère l’étymologie qui lui est régulièrement accolée. Le mot « travail » proviendrait du latin tripalium, qui fait référence à un instrument de torture à trois pieds. De quoi appuyer de manière percutante tous les discours critiques à son endroit. Sauf que… « cette hypothèse apparue au XXe siècle est très probablement fantaisiste », affirme le linguiste Franck Lebas. Il aurait plus sûrement pour origine le mot latin trabs, qui signifie « poutre » et qui a donné « travée » et « entraver ». « L’idée d’une contrainte est bien là, mais nous sommes loin de l’idée de torture », note M. Lebas.

Le linguiste s’est lancé, avec de nombreux chercheurs (économistes, historiens, psychologues…), dans une traque minutieuse des lieux communs qui touchent le monde du travail. Ceux qui assurent que « le salariat, c’est du passé », que « les étrangers prennent le travail des Français » ou que « le management est devenu horizontal » et « qu’il n’y a plus de chef ».

En est ressorti un ouvrage, Idées reçues sur le travail. Emploi, activité, organisation, réalisé sous la direction de Marie-Anne Dujarier, professeure de sociologie à l’université Paris Cité, au fil duquel les auteurs déconstruisent les stéréotypes un à un.

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L’essai se veut d’abord un exercice méthodique de confrontation des idées reçues aux chiffres et aux faits. « On ne trouve plus à recruter » parce que les chômeurs seraient de mauvaise volonté ? « Cette perspective culpabilisatrice ne tient (…) pas face aux données dont on dispose sur le marché de l’emploi français », écrit le sociologue Hadrien Clouet, soulignant qu’« on recrute (…) plus et plus vite que jamais ».

Hauteur face aux stéréotypes

Même volonté de mise à l’épreuve des faits pour l’économiste Michaël Zemmour. En France, le travail coûterait trop cher. Face à cette affirmation, le chercheur met en évidence la « part socialisée » du salaire net dans l’Hexagone (la CSG et les cotisations sociales). Puis il montre que dans d’autres pays, comme la Suisse ou les Etats-Unis, où la situation diffère, « les employeurs et les salariés souscrivent conjointement des contrats d’assurance privée (…) qui sont nettement plus coûteux que la Sécurité sociale française ». Il souligne, dans le même temps, qu’en France « les salaires nets sont relativement modérés ».

Tout en revenant à la réalité des faits, les auteurs mettent à mal des lectures souvent libérales, parfois portées par le patronat, du marché du travail et du monde de l’entreprise. Des lectures qui assurent qu’il y aurait trop de fonctionnaires en France. Que la concurrence au travail serait naturelle et bénéficierait à tous. Qu’être son propre patron permettrait d’être libre. Une assertion dont s’empare la sociologue Sarah Abdelnour pour souligner combien la situation des indépendants apparaît ambivalente et peut, au contraire, conduire à une « auto-exploitation ».

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Pouvoir d’achat : le gouvernement met la priorité sur le partage de la valeur dans les entreprises

Le ministre du travail, Olivier Dussopt, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), mercredi 24 mai 2023.

Améliorer le pouvoir d’achat des Français en ces temps d’inflation record et en profiter pour tourner la page des retraites. Tout en prouvant que le dialogue social fonctionne encore. Le projet de loi sur le partage de la valeur au sein de l’entreprise, présenté, mercredi 24 mai, en conseil des ministres, revêt plusieurs enjeux importants pour l’exécutif.

L’objectif du gouvernement était d’abord de retranscrire fidèlement l’accord national interprofessionnel (ANI), signé, le 10 février, par les organisations patronales et syndicales, à l’exception de la CGT. Le texte, qui sera examiné en séance publique, à l’Assemblée nationale, à partir du 26 juin, comprend quinze articles qui reprennent en grande partie l’accord visant à généraliser les dispositifs de partage de la valeur.

Si le texte était adopté, les entreprises de 11 à 49 salariés devront instaurer un mécanisme « légal de partage de la valeur » (participation, intéressement mais aussi prime de partage de la valeur), si elles dégagent, durant trois années d’affilée, un bénéfice significatif, au moins égal à 1 % de leur chiffre d’affaires. S’agissant des entreprises d’au moins 50 salariés, des discussions devront s’ouvrir, afin de « mieux prendre en compte les résultats exceptionnels » réalisés en France.

« Ajustements limités »

L’exécutif a toutefois procédé à quelques ajustements par rapport à l’ANI. Alors que le texte prévoyait initialement de soumettre la définition du bénéfice exceptionnel à l’appréciation de l’employeur, elle sera finalement renvoyée à la négociation collective d’entreprise. Un changement qui intervient après l’examen du texte par le Conseil d’Etat, en mai, mais auquel les partenaires sociaux ont été associés.

Selon le ministère du travail, le dispositif pourrait être davantage sécurisé lors des débats parlementaires, encore une fois en accord par les partenaires sociaux. Le Conseil d’Etat a également estimé que la prime de partage de la valeur versée aux salariés rémunérés moins de trois fois le smic dans les entreprises de moins de 50 salariés, exonérée de cotisations fiscales et sociales et pas soumise à l’impôt sur le revenu, pourrait être déclarée inconstitutionnelle pour rupture d’égalité.

Le texte pourrait également encore évoluer à l’issue des débats dans l’Hémicycle. « Les ajustements seront très limités de notre côté », prévient le député (Renaissance) de Saône-et-Loire et futur rapporteur du texte, Louis Margueritte. Ce dernier souhaite notamment avancer d’un an la mise en place de l’accord dans les entreprises de 11 à 49 salariés. En cas d’amendements, le ministre du travail, Olivier Dussopt, a rappelé que l’avis du gouvernement sera « toujours appuyé sur un consensus des organisations signataires pour respecter » l’ANI.

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Chaussures Clergerie : la décision sur un éventuel repreneur reportée au 14 juin

A Paris, en novembre 2005.

C’est un « soulagement », reconnaît Valérie Treffé-Chavant, représentante CFE-CGC des salariés de la marque Clergerie. Le tribunal de commerce de Paris a reporté, mercredi 24 mai, sa décision concernant l’avenir du chausseur français, placé en redressement judiciaire depuis le 29 mars. Les juges ont accordé un délai supplémentaire de trois semaines aux candidats à la reprise pour améliorer leurs offres initiales.

Pour l’heure, trois candidats se sont manifestés auprès des administrateurs judiciaires, maîtres Didier Lapierre et Jonathan El Baze. Le belge Optakare, qui, à la barre du tribunal de commerce de Paris, a obtenu la reprise des magasins André, le 4 mai, a déposé une offre pour des magasins et 40 emplois. L’homme d’affaires tunisien Philippe Sayada a lui présenté une offre aux administrateurs judiciaires. Il s’est également manifesté auprès des salariés, lors d’une visioconférence « sans détailler le nombre de salariés repris », souligne Mme Treffé-Chavant. Enfin, le groupe américain Titan Industries, fabricant de chaussures fondé en 1988 en Californie, serait candidat à la reprise de la marque et d’une cinquantaine de postes.

Lors de l’audience au tribunal de commerce de Paris, mercredi 24 mai, une quatrième offre de reprise a été évoquée. « Celle de Renaissance Luxury Group », rapporte Mme Treffé-Chavant, sans toutefois pouvoir préciser le périmètre de reprise envisagé par ce spécialiste du retournement d’entreprises françaises en difficulté, qui détient une marque de bijoux, Les Georgettes. Contacté par Le Monde, Renaissance Luxury Group dément toutefois « avoir déposé une offre de reprise ».

Un courrier envoyé à Brigitte Macron

Les 140 salariés de Clergerie devront donc patienter jusqu’au 14 juin pour en savoir davantage sur leur avenir professionnel. L’angoisse étreint plus particulièrement les 90 employés de l’usine de Romans-sur-Isère (Drôme), qui, depuis début avril, sont au chômage partiel. Car beaucoup s’inquiètent du sort de cette unité de production située au cœur de l’ancienne capitale de la chaussure.

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« Il est regrettable qu’aucun grand groupe de luxe ne s’intéresse à Clergerie », s’agace une salariée (qui souhaite garder l’anonymat), qui, depuis trente-cinq ans, travaille pour cette marque fondée, en 1981, par Robert Clergerie. Céline Gerbault-Laymond, designer au sein de la société, a envoyé un courrier à Brigitte Macron pour l’inviter à soutenir l’entreprise et intercéder auprès du président de la République. « Je n’ai pas manqué de relayer votre démarche à la ministre déléguée chargée des PME », lui a-t-elle répondu, le 15 mai, dans un courrier que Le Monde a consulté.

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RSA : le gouvernement intègre les heures d’activités obligatoires au contrat entre le bénéficiaire et son conseiller, le système de sanctions réformé

Le ministre du travail Olivier Dussopt lors d’une réunion à Matignon, le 17 mai 2023.

La principale mesure portant sur le conditionnement du revenu de solidarité active (RSA) en échange « de quinze à vingt heures d’activité obligatoires d’insertion par semaine » ne sera pas inscrite comme prévu dans le projet de loi France Travail, a assuré Olivier Dussopt, ministre du travail, mardi 23 mai. Ce temps d’activité figurera dans le contrat d’engagement signé entre les bénéficiaires et leur conseiller, ce qui permettra, selon le ministère, d’adapter le volume horaire de manière individualisée.

« Ce n’est pas du tout une remise en cause du principe. Ça ne relève juste pas du niveau législatif », a assuré Matignon au Monde, avant de poursuivre que « le projet de loi prévoit en revanche que le contrat d’engagement, entre le bénéficiaire du RSA et l’organisme qui l’accompagne, précise l’intensité de l’accompagnement. »

En clair, le bénéficiaire et son conseiller signent un « contrat d’engagement ». C’est dans ce contrat − « qui existe depuis la création du RMI en 1988 », a précisé M. Dussopt que la nature des activités (immersion et formation en entreprise, démarche sociale accompagnée, ateliers collectifs, etc.) et le nombre d’heures − entre quinze et vingt − sont fixés.

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En fonction des situations personnelles des bénéficiaires, le contenu des activités sera amené à varier. « Une allocataire handicapée qui passe du temps à diagnostiquer ses problèmes de santé pour savoir quels postes elle peut occuper, c’est du retour à l’emploi. Ça rentre dans les quinze à vingt heures », a cité en exemple le ministre lors d’une conférence de presse rapportée par l’Agence France-Presse.

La création d’une suspension avant la radiation

Le projet de loi France Travail réformerait aussi le système de sanctions pour les bénéficiaires qui ne respectent pas leurs obligations. « Aujourd’hui, il y a une radiation pure et simple (…). Ce que nous voulons créer [avant la radiation], c’est une suspension qui sera toujours décidée par le président du conseil départemental. Elle pourra durer un jour, une semaine… L’avantage, c’est [que c’est] rapide à mettre en œuvre et rapidement réversible », a détaillé M. Dussopt.

Cette décision mécontente ATD Quart-Monde, qui estime qu’« une suspension arbitraire ne peut qu’aggraver l’insécurité des personnes en situation de grande pauvreté et le non-recours [à cette allocation] ». « Sur 1,95 million de bénéficiaires du RSA, 350 000 n’ont aucun suivi ni social ni socioprofessionnel », a insisté Olivier Dussopt.

Le ministre a également remis en cause l’accompagnement qui « pêche » : « Sept ans après leur première inscription, 42 % des bénéficiaires du RSA y sont toujours, c’est un échec collectif ». Pour y remédier, il y aura « des moyens supplémentaires », a assuré le ministre, rappelant que le haut-commissaire à l’emploi Thibaut Guilluy avait chiffré « entre 2 et 2,5 milliards d’euros en cumulé jusque 2027 » la réforme France Travail.

Cela passera aussi par des redéploiements de postes de Pôle emploi, « dont les effectifs sont passés de 47 000 à 51 000 équivalents temps plein (ETP) de 2017 à 2022 alors que le taux de chômage est maintenant inférieur à son niveau d’avant crise », a rappelé le ministre. Pour rappel, la réforme du RSA a commencé à être expérimentée dans dix-huit départements et une métropole, et fait partie du projet de loi France Travail qui vise à réformer tout le service public de l’emploi.

Le Monde avec AFP

L’emploi des seniors au cœur des discussions entre Elisabeth Borne et les organisations patronales

La première ministre, Elisabeth Borne, à Matignon le 17 mai 2023.

Ouvertes au dialogue mais dans des limites soigneusement définies. Reçues à tour de rôle, lundi 22 et mardi 23 mai, par Elisabeth Borne, les trois principales organisations patronales (Medef, CPME et U2P) ont passé en revue les dossiers sociaux du moment, en valorisant ceux sur lesquels elles sont disposées à avancer. Une priorité semble se dégager, à ce stade : l’emploi des seniors. Cette préoccupation est logique puisqu’elle occupera une place centrale dans la mise en application de la réforme des retraites dont l’objectif est de faire travailler plus longtemps des personnes ayant franchi le cap de la soixantaine ou qui s’en rapprochent.

Les entretiens entre la première ministre et les responsables de mouvements d’employeurs font suite aux rencontres qui avaient lieu, les 16 et 17 mai, à l’hôtel de Matignon avec les leaders syndicaux. Cette série de réunions vise à donner un contenu au « pacte de la vie au travail » annoncé, à la mi-avril, par Emmanuel Macron. Le président de la République avait alors proposé aux partenaires sociaux de lancer des négociations tous azimuts sur des « sujets essentiels » : partage de la richesse, reconversions professionnelles, pénibilité, maintien en poste des salariés vieillissants…

Sur ce dernier item, le patronat paraît animé de bonnes intentions. « Ce sur quoi on est prêts à discuter, qui paraît le plus urgent, c’est l’emploi des seniors », a déclaré Geoffroy Roux de Bézieux, à l’issue de son tête-à-tête avec Mme Borne. Le président du Medef n’a pas livré de détails, tout en esquissant plusieurs pistes : aménagements de « transitions » en fin de carrière, développement de la « retraite progressive » – un dispositif qui permet de travailler à temps partiel tout en percevant une fraction de sa pension.

La « ligne rouge » du Medef

Il y a « des choses à faire, peut-être, autour des emplois de cadres seniors qui ont souvent des salaires élevés, [ce qui] freine leur embauche par les entreprises », a poursuivi M. Roux de Bézieux. Il a aussi évoqué l’allocation-chômage accordée sur des durées plus longues à ceux qui ont au moins 53 ans : un tel paramètre « peut être un frein à la reprise d’emploi » et « incite, parfois, les entreprises (…) à mettre les seniors au chômage ».

François Asselin, le numéro un de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), a également consacré une bonne partie de son propos à cette thématique, durant l’échange qu’il a eu avec la première ministre. Il s’est attaché à défendre une de ses revendications-phares : l’exonération de cotisations patronales à l’assurance-chômage pour les contrats de travail signés par des seniors, afin d’encourager le recrutement de cette catégorie d’âge. Une mesure un peu similaire avait été introduite dans la réforme des retraites, à l’initiative du Sénat, mais elle a été censurée par le Conseil constitutionnel, au motif qu’elle représentait un « cavalier social », sans rapport avec l’objet de la loi. Autre disposition invalidée par les juges de la rue de Montpensier à Paris : l’index seniors, qui entendait objectiver la place des sexagénaires dans les entreprises. Le patronat est contre, mais le gouvernement souhaite la rétablir, comme l’a confirmé, mardi, Olivier Dussopt, le ministre du travail.

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Le gouvernement présente son projet de loi sur le « partage de la valeur en entreprise »

Le gouvernement présente, mercredi 24 mai, en conseil des ministres, son projet de loi sur le partage de la valeur en entreprise. Le texte est une « transposition fidèle et intégrale » de l’accord national interprofessionnel (ANI) conclu en février entre les partenaires sociaux, a déclaré le ministre du travail, Olivier Dussopt, mardi lors d’une conférence de presse. « Toute modification, tout apport par rapport à l’ANI, le gouvernement ne les défendra qu’avec un consensus des signataires de l’ANI », a-t-il ajouté.

L’accord interprofessionnel vise à améliorer et généraliser les dispositifs d’intéressement ou de participation pour les salariés, et ainsi améliorer leur rémunération dans un contexte de flambée des prix. L’accord a été validé par toutes les organisations patronales et syndicales, à l’exception de la Confédération générale du travail (CGT).

Le gouvernement souhaite une adoption avant la fin de la session parlementaire, cet été.

Cet accord contient trente-six articles et deux mesures principales :

  • Pour les entreprises de onze à quarante-neuf personnes : elles seront obligées, à partir du 1er janvier 2025, d’instaurer au moins un mécanisme « légal de partage de la valeur » – participation, intéressement ou encore « prime de partage de la valeur » – si elles dégagent, durant trois années successives, un bénéfice significatif, au moins égal à 1 % de leur chiffre d’affaires. Les entreprises de moins de onze salariés « ont la possibilité » de partager les profits avec leurs salariés.
  • Pour les entreprises d’au moins cinquante personnes : des discussions doivent avoir lieu de manière à « mieux prendre en compte les résultats exceptionnels » réalisés en France. Une mesure qui fait écho au débat sur la taxation des superprofits, relancé par les excédents inégalés de TotalEnergies.

Les entreprises plus petites sont encore à la traîne s’agissant des mécanismes de redistribution des bénéfices : 88,5 % des salariés d’entreprises de plus de 1 000 personnes bénéficiaient d’un tel dispositif en 2020, contre moins de 20 % dans celles de moins de cinquante salariés, d’après la Dares – la direction statistique du ministère du travail.

Le gouvernement a retenu 2025 comme date d’entrée en vigueur, contrairement à la recommandation d’un rapport parlementaire, qui préconisait au début d’avril une mise en pratique « dès 2024 », compte tenu des tensions inflationnistes.

En février, Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Mouvement des entreprises de France (Medef), ainsi que Laurent Berger, secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), avaient appelé l’exécutif à respecter le texte de l’ANI lors de sa transposition en projet de loi. Le patron du Medef avait estimé que « tout détricotage » constituerait « un coup de poignard dans le dos des partenaires sociaux », et le responsable syndical considérait qu’une modification serait « un croche-pied à la démocratie sociale ».

Le projet de loi se limite aux mesures de l’accord entre syndicats et patronat et ne comporte pas de mesures supplémentaires sur les « superprofits », évoquées par Emmanuel Macron à la fin de mars. Evoquant les grandes entreprises consacrant leurs revenus « exceptionnels » à des rachat d’actions, le chef de l’Etat avait demandé au gouvernement de réfléchir aux moyens de faire « profiter » les travailleurs de cette manne.

A l’Assemblée nationale, « il y a un risque de surenchère avec des sujets sur les superprofits et les superdividendes », a estimé M.  Dussopt.

Avec ce projet de loi, l’exécutif souhaite aussi tourner la douloureuse page des retraites. Après une rugueuse reprise de contact avec les syndicats, qui réclament toujours l’abrogation de la réforme, la première ministre, Elisabeth Borne, a reçu les principales organisations patronales en début de semaine. Ces dernières se disent disposées à discuter de l’emploi des seniors, alors qu’une quatorzième journée de mobilisation est programmée le 6 juin.

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Le Monde avec AFP

La gestion des grilles de salaires compliquée par les pénuries de main-d’œuvre et la revalorisation du smic

Avec une inflation durable et un marché de l’emploi tendu, les DRH sont désormais confrontés au risque d’incohérence de leur politique de rémunération et en particulier des grilles de salaires, à l’origine gage de reconnaissance équitable du travail et d’engagement des salariés. « Suis-je aussi bien payé que mon collègue de bureau ? » et « que gagnerais-je à prendre des responsabilités ? » sont des questions auxquelles l’entreprise doit être en mesure d’apporter des réponses satisfaisantes, grâce à ces matrices de rémunération que sont les grilles.

« Une grille de salaire équilibrée, disposant d’échelons en nombre suffisant, permet à chacun de se situer au sein de l’entreprise et de se projeter, explique Marc Grosser, partenaire du cabinet de conseil RH Topics. Sur cette base, l’entreprise peut aussi mieux repérer les inégalités et mieux négocier avec les partenaires sociaux. » L’outil définit des familles de métiers, des niveaux de qualification et de responsabilité, associés à une médiane de salaire, généralement établie en fonction d’un « benchmark », d’une norme sur le marché. Les plus petites entreprises se calent, elles, sur les minima décidés par leur branche professionnelle.

Mais la cohérence de ces grilles salariales est sapée depuis des mois par deux courants violents : d’une part la forte inflation – + 5,9 % en un an –, conduisant à des hausses successives du smic ; et d’autre part les salaires hors norme réservés à l’embauche des profils les plus recherchés sur un marché de l’emploi tendu. Les métiers pénuriques sont de plus en plus divers – de la tech et du numérique aux spécialistes de la logistique ou aux métiers de bouche.

« Une grille bis »

« Aujourd’hui, des spécialistes du digital peuvent obtenir 10 % à 15 % de plus que la moyenne des salariés, à qualification et expérience équivalentes, et plus encore si le recrutement est urgent, observe Cyrille Bellanger, directeur du conseil en rémunération de Mercer. Certaines entreprises ont dû établir une grille bis pour ces profils, voire pour les jeunes diplômés en général ; elles ont aussi intégré les primes, dont beaucoup sont quasi systématiquement accordées, dans le salaire de base pour l’améliorer. »

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Franck Chéron, associé du cabinet Deloitte, constate lui aussi depuis deux ans une vaste réflexion sur les grilles de salaires des entreprises qu’il accompagne, certaines en recréent une, d’autres intègrent de nouvelles classifications ou élaborent une grille parallèle. « Une grille inadaptée conduit à la multiplication des cas d’exception », rappelle Claire Morel, directrice de Syndex, qui conseille les délégués syndicaux et les comités sociaux et économiques.

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La pénibilité numérique : deux coupables identifiés

Carnet de bureau. Les salariés gèrent en moyenne 144 e-mails par semaine (331 pour les dirigeants), a révélé lundi 15 mai l’Observatoire de l’infobésité et de la collaboration numérique (OICN) dans son étude annuelle sur le sujet réalisée pour sa deuxième édition auprès de 9 000 personnes. « Personne ne devrait gérer plus de 100 mails par jour », conseille l’OICN, qui estime que « sans action, l’infobésité peut générer une incapacité à réaliser le travail prescrit ». Une des ambitions de cet observatoire est de mesurer l’impact du déversement massif d’informations sur les organisations du travail.

Une thèse de Delphine Dupré alertait déjà en 2020 sur les effets délétères et les expériences négatives associées aux technologies de l’information. La chercheuse en communication de l’université Bordeaux-Montaigne fait ainsi état « des phénomènes d’angoisse, survenant le matin au moment d’ouvrir la boîte de réception, au retour des congés ou encore le dimanche soir, liés à l’appréhension de la charge de travail qui s’est accumulée pendant les périodes de déconnexion ». Peur du salarié d’être débordé, de « perdre le contrôle » sont autant de sources de stress et d’épuisement.

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C’est aussi pour le manageur le risque de « transmettre de nombreuses demandes par courriel sans avoir connaissance de la charge de travail endossée par le destinataire ». Près des deux tiers des e-mails envoyés demandent à être suivis d’action, selon l’OICN. Or, c’est bien le manageur qui sera tenu responsable d’une surcharge d’activité de ses subordonnés.

Huit secondes

De son côté, l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) constate également les dégâts subis par les salariés, mais sans entrevoir de solution. « Certains auteurs considèrent ainsi que l’e-mail est devenu le métronome de l’activité des cadres (Bretesché et al., 2012). Il a un impact considérable sur leurs pratiques professionnelles, qui en viennent à être assez largement organisées autour de la gestion et de la hiérarchisation continue des informations reçues par ce canal, (…) en mode “flux tendu” ». Pourtant, selon l’étude de l’OICN, seuls 16 % des e-mails reçus obtiennent une réponse.

L’INRS explique que les travailleurs estiment gagner en flexibilité et en autonomie pour organiser une activité toujours plus fragmentée et plus souvent interrompue. « Il en résulte un sentiment de densification du travail et de surcharge cognitive, préjudiciable à la qualité du travail », analyse Suzy Canivenc, chercheuse à la chaire Futurs de l’industrie et du travail de Mines Paris-PSL.

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« Les ouvrières de Vertbaudet, par leur lutte exemplaire, montrent qu’elles ne se laisseront pas faire et qu’elles ont droit au respect »

Les soixante-douze grévistes de l’usine Vertbaudet de Marquette-lez-Lille (Nord), principalement des femmes, sont en grève pour la première fois de leur vie.

« On aurait dû se révolter bien avant », disait l’une d’elles au Monde. Avec des salaires n’atteignant pas les 1 500 euros après plus de vingt ans d’ancienneté, les soixante-douze femmes grévistes de Vertbaudet ne comprennent pas pourquoi la direction de l’usine refuse catégoriquement d’augmenter leurs salaires. En effet, ce qui a mis le feu aux poudres, c’est l’accord salarial pour 2023 qui prévoit… 0 % d’augmentation de salaire, alors que l’inflation atteint des niveaux record.

Depuis soixante-trois jours, les travailleuses de l’entrepôt d’acheminement Vertbaudet de Marquette-lez-Lille sont en grève. Elles réclament une augmentation de leur salaire d’au moins 150 euros net et l’embauche d’intérimaires.

Le 16 mai, au lieu d’organiser une médiation, la préfecture a envoyé la police évacuer le piquet de grève. Résultat : deux gardes à vue, une gréviste violentée puis hospitalisée avec quatre jours d’interruption temporaire de travail (ITT), six salariées convoquées pour un entretien préalable. La spirale de l’intimidation et de la violence a été franchie avec le guet-apens dont a été victime le délégué syndical CGT.

Son fils et son épouse menacés

L’homme, embarqué devant sa maison, a été agressé par plusieurs hommes armés, ces derniers n’ont pas hésité à menacer son fils et son épouse. En 2023 en France, voilà ce que donnent neuf semaines de grève pour un meilleur salaire. Encore une fois, le gouvernement et le patronat font front contre le salariat.

Depuis, interpellée par la CGT, la première ministre s’est enfin engagée à cesser toutes les poursuites contre les ouvrières et à garantir une médiation avec la direction de l’entreprise. Cependant, plus de soixante jours après le début de la grève, la direction méprise toujours les soixante-douze salariées grévistes et refuse toute augmentation collective de salaire.

Cette violence et ce mépris que subissent les ouvrières de Vertbaudet, des milliers de grévistes les subissent alors qu’ils luttent contre la réforme des retraites, pour l’augmentation des salaires ou pour de meilleures conditions de travail. Les ouvrières de Vertbaudet sont à l’image des millions de femmes, scotchées à un plancher collant qui les retient dans des emplois dévalorisés et sous-payés à cause d’un management sexiste.

Leur grève met en lumière une question centrale. Comment, sans salaire digne, faire ses choix de vie, quitter son conjoint si on le souhaite et pouvoir nourrir ses enfants ? Comment être libre sans indépendance économique ?

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