Archive dans novembre 2022

Assurance-chômage : les syndicats dénoncent une remise en cause du paritarisme

Le ministre du travail, Olivier Dussopt (au centre), lors d’une réunion avec les syndicats sur la nouvelle réforme de l’assurance-chômage, au ministère du travail, à Paris, le 21 novembre 2022.

Les partenaires sociaux vont-ils rester sur le siège passager ou reprendre le volant ? Alors que le gouvernement a présenté, lundi 21 novembre, une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, les syndicats s’interrogent sur les marges de manœuvre – de plus en plus limitées – qu’ils détiennent, avec le patronat, au sein de ce dispositif. Ils craignent d’être relégués dans une position subalterne, face à l’Etat devenu quasi omnipotent.

En temps ordinaire, les organisations d’employeurs et de salariés fixent les paramètres d’indemnisation des chômeurs, dans le cadre de conventions conclues après négociations entre elles. Il leur appartient également d’administrer le système, par le biais d’une association : l’Unédic. C’est ce qu’on appelle le « paritarisme de gestion ». L’exécutif a, certes, toujours occupé une place aussi importante que discrète : pour que les conventions s’appliquent, le ministère du travail doit donner son agrément, ce qui lui permet d’« en contrôler le contenu et au besoin de jouer le rapport de force », décrypte Jean-Pascal Higelé, sociologue à l’université de Lorraine. En outre, les pouvoirs publics apportent leur garantie financière à l’Unédic quand celle-ci emprunte de l’argent pour combler des déficits.

Mais l’Etat a accentué son emprise au cours des dernières années. En 2019, il a durci les conditions d’accès au régime tout en modifiant les règles de calcul de l’allocation, avec comme conséquence une baisse du montant mensuel versé à certains chômeurs. De plus, une loi promulguée en septembre 2018 impose aux partenaires sociaux de suivre une lettre de cadrage quand ils discutent du contenu d’une convention.

« On passe du paritarisme au tripartisme »

La réforme dévoilée lundi par Olivier Dussopt, le ministre du travail, prolonge ce mouvement de fond. Concrétisant une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, elle aura notamment pour effet de diminuer de 25 % la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi dont le contrat de travail a pris fin à partir du 1er février 2023. M. Dussopt a précisé qu’il saisirait prochainement les organisations d’employeurs et de salariés, afin qu’elles négocient sur la « gouvernance » de l’assurance-chômage : « Ce sera l’occasion de réinterroger la place du paritarisme, la place de l’Etat, la place du Parlement [dans le système] », a-t-il dit.

Le ministre a aussi indiqué que les syndicats et le patronat ouvriront, fin 2023, des tractations à propos des modalités d’indemnisation : ils « souhaitent retrouver leurs prérogatives, ce que nous partageons », a-t-il ajouté. Mais les protagonistes devront se conformer au principe de modulation, désormais inscrit dans la loi, qui fait varier la durée de versement de l’allocation en fonction de la conjoncture économique. M. Dussopt a même évoqué des scénarios avec des paramètres encore plus stricts dans l’hypothèse où le taux de chômage baisserait à « 4,5 % ou 5 % » (contre 7,3 % aujourd’hui).

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Accidents du travail : une réalité persistante, témoin de la dégradation du travail

« Où est-ce que ça a dysfonctionné ? », se demande Franck Refouvelet, élu CGT Orange dans le Cantal. Le 15 octobre, un homme de 30 ans est mort électrocuté par une ligne à moyenne tension à Talizat (Cantal), alors qu’il travaillait sur une ligne téléphonique située juste en dessous.

Ce chantier se distingue par une incroyable situation de sous-traitance en cascade : Orange sous-traite les travaux à Eiffage, qui elle-même sous-traite à un sous-traitant, qui sous-traite à une entreprise du Val-d’Oise, d’où venait la victime. « On peut donc se poser des questions sur les conditions d’intervention de ces personnes. Je ne suis pas certain qu’on se rende compte des conditions de travail chez les sous-traitants d’Orange », insiste l’élu, qui met en évidence un accident mortel similaire survenu en février dans les Alpes-de-Haute-Provence.

Six cent quarante-cinq salariés du secteur privé sont décédés dans un accident du travail – survenu par le fait ou à l’occasion du travail – en 2021, pour moitié des suites d’un malaise, révèle le dernier bilan de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) publié jeudi 17 novembre. C’est moins qu’en 2019, mais plus qu’en 2017 ou 2018.

48,5 millions de jours d’arrêt

Après des décennies de progrès, les chiffres chutent moins vite depuis 2013 : la CNAM dénombre 604 565 accidents de travail dans l’année (31 accidents avec arrêt et/ou incapacité pour 1 000 salariés). C’est 12 % de plus qu’en 2020, 8 % de moins qu’en 2019 (656 000), et un niveau semblable à 2013 (618 850). La baisse entre 2019 et 2020/2021 est liée au recours au chômage partiel et au télétravail, précise la CNAM. Dans la construction, les transports ou l’agriculture, les accidents sont plus fréquents.

Autre facteur d’inquiétude, le taux de gravité des accidents est au plus haut depuis 2010 : 48,5 millions de jours d’arrêt ont été pris à la suite d’un accident du travail en 2021. Ce qui équivaut à plus de 200 000 salariés arrêtés toute l’année. Déjà considérables, ces chiffres ne concernent que les 19,5 millions de salariés du secteur privé.

La gravité des accidents affecte davantage les salariés âgés que les jeunes, mais moins fréquemment, selon une analyse du ministère du travail publiée en novembre. Les accidents graves et mortels touchent davantage les ouvriers, victimes de 1 813 accidents graves et 46 accidents mortels par milliard d’heures rémunérées en 2019, contre respectivement 259 et 10 pour les cadres.

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Un véritable « fait social » pour la sociologue et enseignante-chercheuse à l’Ecole des hautes études en santé publique, Véronique Daubas-Letourneux : « Le travail reste dangereux, et le risque de se blesser au travail est très inégalement réparti. C’est le reflet d’une organisation du travail où perdurent les risques : le travail s’intensifie. »

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Les « mad skills », ces compétences « folles » qu’on enseigne dans les grandes écoles d’ingénieurs

Oser montrer sa part de créativité et son sens critique : autant de compétences que les étudiants ont tout intérêt à acquérir, notamment par le biais du théâtre, avant de chercher du travail.

Exercices de création artistique, cours de théâtre, de photographie, de danse, de musique ou d’histoire de l’art, associations étudiantes de dessin, de couture, etc. : comme de nombreux étudiants en école d’ingénieurs, Lily Houël, 20 ans, a été quelque peu « surprise » quand elle a découvert en 2020 la pédagogie originale de l’Ecole de biologie industrielle (EBI). Outre les connaissances en biologie, en chimie, en mathématiques ou en physique durant la prépa, puis le génie industriel en cycle ingénieur, l’établissement a en effet choisi de développer la sensibilité artistique, l’originalité et la créativité débridée chez ses diplômés.

« Lorsqu’on nous donne par exemple dix minutes pour inventer et raconter devant nos camarades une histoire de notre choix avec une intrigue, un développement et un dénouement, on se dit, de prime abord, que c’est bizarre comme exercice en école d’ingénieurs, et qu’on ne va pas s’en sortir, illustre Lily Houël, mais en fait si : il en ressort des récits très originaux. » En plus d’apprendre à parler en public, « on se découvre soi-même grâce à cette approche, apprécie l’étudiante. On comprend qu’on peut se permettre de faire des choses un peu folles sans avoir un retour négatif, qu’on peut sortir des sentiers battus, assumer notre originalité, et surtout appliquer cela au travail ».

Attend-on désormais des jeunes futurs ingénieurs qu’ils sachent aussi « faire des choses un peu folles », comme elle dit ? Si elle ne connaissait pas le concept de mad skills avant qu’on ne lui en parle, expression à la mode désignant littéralement les compétences « folles » ou « atypiques » d’un employé ou d’un candidat à un poste, ces dernières seraient pourtant de plus en plus recherchées par les entreprises aujourd’hui. La Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) leur a même consacré une discussion lors de son colloque annuel, en juin, qui se penchait sur « les métiers et compétences d’avenir » à développer chez les futurs ingénieurs.

Regard issu des entreprises américaines de la tech

Alors que les hard skills désignent les compétences scientifiques et techniques attendues des recruteurs, ces derniers s’intéressent depuis une vingtaine d’années aux soft skills, soit le savoir-être et les compétences comportementales (communication, empathie, curiosité, etc.). Or « les mad skills sont comme les soft skills mais avec ce grain de folie en plus qui permet d’apporter un autre regard, plus décalé et global, sur les problématiques qui se présentent en contexte professionnel, d’imaginer des choses qui n’existent pas encore », commente Isabelle Patroix, docteure en littérature, responsable des serious games à Grenoble Ecole de management, et coautrice d’un récent article sur le sujet.

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L’UE adopte enfin sa directive pour féminiser davantage les conseils d’administration

Mieux vaut tard que jamais. Le Parlement européen a voté, mardi 22 novembre, en faveur de la directive sur l’équilibre hommes femmes parmi les administrateurs d’entreprises cotées de plus de 250 salariés. Les conseils d’administration de sociétés européennes devront compter au moins 40 % d’administratrices d’ici à la mi-2026. Cette proposition de directive avait été présentée en 2012, après l’adoption en France de la loi Copé-Zimmermann de janvier 2011, qui avait instauré de tels quotas.

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Il y a dix ans, la Commission relevait que les femmes n’occupaient que 13,7 % des sièges d’administrateurs dans les sociétés cotées. Depuis, une dizaine d’Etats membres de l’Union européenne (UE) ont pris des mesures contraignantes, à l’image de la France, ce qui a permis de porter ce taux à 30,6 % des « boards » sur le Vieux Continent.

« Dix-sept pays n’ont pas encore pris de mesures, calcule l’eurodéputée néerlandaise socialiste Lara Wolters, corapporteuse du texte. Et cela a été une très longue bataille pour convaincre ces Etats, mais également le Parlement, majoritairement conservateur, de soutenir cette politique progressiste. »

« Il était urgent de prendre enfin des mesures pour rectifier le déséquilibre entre les sexes aux postes de direction, tout en insistant sur le fait que le mérite devait rester un critère-clé dans les procédures de sélection des administrateurs », assure Geoffroy Didier. L’eurodéputé Les Républicains (Parti populaire européen) souligne les effets positifs de la loi en France, où plus de 45 % des postes d’administrateurs sont désormais occupés par des femmes – au-delà des objectifs que l’Europe vient de se donner. D’autres Etats sont encore loin du compte. A Chypre, ce taux plafonne toujours à 8,5 %, tandis qu’en Estonie, il s’établit à 10 %.

« Une très longue bataille »

« Pour faire bouger ces pays, nous avions besoin de ce texte. Mais cela a été une très longue bataille », assure l’eurodéputée autrichienne socialiste Evelyn Regner, l’autre corapporteuse de la loi, laquelle prévoit des amendes, voire une dissolution des conseils en cas de non-respect de la loi.

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Pendant dix ans, l’UE s’est fracassée sur le « non » allemand. Angela Merkel et la CDU (Union chrétienne-démocrate) ne voulaient pas entendre parler de mesures contraignantes contre les grandes entreprises. Son départ de la chancellerie et l’arrivée du social-démocrate Olaf Scholz, en décembre 2021, ont permis d’obtenir au premier semestre 2022 un accord politique au Conseil, puis au Parlement.

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« L’engagement écologique de l’entreprise est un élément de plus en plus important pour les salariés »

L’actualité est riche d’exemples, d’études et de sondages qui montrent que de plus en plus de salariés remettent en question une certaine organisation du travail. On parle même d’une certaine épidémie de flemme dans le travail, selon une étude récente de la Fondation Jean Jaurès. Les raisons du désenchantement sont nombreuses et souvent légitimes.

Serveurs exerçant dans des conditions de travail difficiles et pour un salaire jugé insuffisant ; cadres qui passent une bonne partie de leur journée à se plier à des règles et procédures dont ils ne voient pas l’utilité ; agents administratifs perdus dans le dédale des réformes successives. Derrière une remise en cause du monde du travail qui semble partagée par de nombreux salariés, il y a des revendications diverses et parfois opposées.

C’est notamment le cas lorsque des salariés d’une même entreprise réclament des rémunérations davantage indexées sur les résultats ; tandis que d’autres exigent l’abandon de certaines activités au nom de la lutte contre le réchauffement climatique. Aux revendications historiques sur les salaires et le temps de travail (par l’âge de départ à la retraite dans les débats actuels) s’ajoutent dorénavant des revendications relatives à la transition écologique et sociale.

Des revendications difficilement conciliables

A ce titre, les études sur le sujet montrent que l’engagement écologique de l’entreprise est un élément de plus en plus important pour les salariés, même si cela n’est pas prioritaire. Les revendications des salariés semblent ainsi partagées entre la défense et le renforcement des acquis du XXe siècle et de nouvelles revendications en phase avec les enjeux contemporains. C’est la fameuse tension entre fin de mois et fin du monde.

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Ces deux types de revendications sont bien évidemment légitimes. Elles ont d’ailleurs toujours existé. On travaille certes pour gagner sa vie, mais, en même temps, on travaille aussi pour appartenir à un groupe ou se sentir utile. Cela étant, dans un contexte d’enjeux environnementaux et sociaux inédits, cette tension prend un sens nouveau. Elle illustre la période complexe et de transformation dans laquelle nous sommes, avec d’un côté des revendications qui vont de pair avec une économie basée sur la croissance et l’exploitation illimitée des ressources planétaires.

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D’un autre côté, des revendications qui cherchent à donner corps à un modèle économique et organisationnel soutenable qui apparaît comme incontournable, mais qui reste à être inventé. En fait, ces deux catégories de revendications sont difficilement conciliables. Par exemple, les efforts liés à la transition énergétique sont peu compatibles avec l’augmentation du pouvoir d’achat, comme le note l’économiste Michel Plane.

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Enseignement professionnel : « La réforme annoncée risque de déstabiliser une voie de formation sans rien régler des enjeux fondamentaux »

L’enseignement professionnel est rarement au centre des débats éducatifs. Enseignement populaire par son recrutement, il intéresse peu les classes moyennes et les élites qui le connaissent mal.

Les annonces du président de la République concernant la réforme de l’enseignement professionnel suscitent aujourd’hui des inquiétudes légitimes.

Le projet s’organise autour de trois idées centrales : réintroduire une orientation précoce dès la 5e, accroître les périodes de stage, diminuer la part des enseignements généraux.

Il s’accompagne d’un « meccano » institutionnel, avec l’annonce de la double tutelle de l’éducation nationale et du ministère du travail. Etrange décision, qui réintroduit un débat tranché en 1920 [année de la création d’un sous-secrétariat d’Etat de l’enseignement technique rattaché au ministère de l’instruction publique] ! Il s’agit d’étendre le modèle de l’apprentissage – dont le succès récent doit pourtant être nuancé, puisqu’il concerne surtout les étudiants de l’enseignement supérieur et repose sur un financement public très coûteux (11 milliards d’euros en 2021).

A la différence de l’enseignement général, l’enseignement professionnel est soumis de longue date à des logiques différentes, parfois contradictoires.

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A l’objectif d’insertion professionnelle s’ajoute celui de la poursuite d’études supérieures. L’offre et la reconnaissance des diplômes varient selon les branches professionnelles. Loin d’être uniforme, il est caractérisé par une grande diversité.

Démocratisation scolaire

En bac pro, quatre spécialités (commerce/vente, services, carrières sanitaires et sociales, électricité/électronique) regroupent 56 % des 511 800 élèves. Sa diversité s’explique aussi par un tissu économique et social différent d’une région à l’autre. Enfin, la ségrégation sexuée y est forte, avec des filières quasi exclusivement féminines (bac pro accompagnement, soins et services à la personne, ASSP, par exemple) ou masculines (bac pro technicien du bâtiment, par exemple).

Chargé dès la IIIe République de « former l’homme, le travailleur et le citoyen », cet enseignement a connu un destin singulier dans l’histoire de l’école. Organisé par la loi Astier de 1919 qui voulait favoriser la formation professionnelle en alliant l’école et l’atelier, l’enseignement professionnel s’est ensuite rapproché du modèle scolaire.

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Jusqu’aux années 1970, il se voulait un enseignement d’élite formant des ouvriers et des employés titulaires du CAP, et leur permettait une promotion sociale par la formation continue validée par le brevet professionnel (BP). Sa fonction a changé sous le double effet de son intégration au système scolaire à partir des années 1960 et des transformations des organisations de travail dans les entreprises.

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Licenciement et poursuites pénales : l’articulation délicate

Droit social. Harcèlements, abus de confiance, vol : nombre de fautes disciplinaires constituent aussi des délits pénaux. Et l’articulation des deux procédures, aux buts et donc aux règles fort différents (côté pénal : avocat, présomption d’innocence…), est parfois délicate. Exemple classique : licenciée pour vol, une caissière saisit le conseil des prud’hommes pour contester son licenciement, tandis que de son côté l’employeur porte plainte.

Jusqu’au 5 mars 2007, s’il y avait identité d’objet (« vol »), le juge prud’homal devait surseoir à statuer en attendant le jugement pénal, mettant le salarié (demandeur) dans l’embarras et donc plus ouvert à une éventuelle transaction. C’est en raison de ces manœuvres dilatoires, embouteillant les tribunaux correctionnels, que la loi de 2007 a fait disparaître le vieil adage « le criminel tient le civil en l’état ».

Désormais les prud’hommes peuvent statuer sur le licenciement sans attendre le jugement pénal… Mais, dans la pratique, ils préfèrent souvent, dans une forme novatrice de crainte révérencielle, attendre le résultat du juge répressif.

L’autorité de la chose jugée

Et si le tribunal correctionnel se prononce avant la juridiction prud’homale ? (délai moyen infraction/jugement : onze mois ; côté prud’hommes, assignation/jugement : seize mois) : « Les décisions définitives des juridictions pénales (…) ont au civil autorité absolue en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé », a rappelé le 9 mars 2022 la chambre sociale de la Cour de cassation.

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Ce qui avait attiré l’attention des entreprises : car, si le tribunal correctionnel a condamné pour vol, les prud’hommes se prononçant à partir de la lettre de licenciement invoquant le même motif ne peuvent remettre en cause l’existence du délit. Alors que, en application de la règle « en cas de doute, il profite au salarié », ils auraient pu déclarer ce licenciement sans cause réelle sérieuse.

Mais, à l’inverse, si le tribunal correctionnel relaxe la caissière, y compris en cas de gros doute en application de la présomption d’innocence ? L’autorité de la chose jugée au criminel s’imposant toujours au juge prud’homal, ce dernier ne peut donc que constater l’absence de faute, et déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé sur cet unique fait.

« Soudure à froid »

L’arrêt du 21 septembre 2022 renforce enfin l’autorité du jugement pénal s’agissant de la licéité des preuves. Si la chambre sociale est rigoureuse sur l’inopposabilité d’une preuve obtenue de façon déloyale (ex : stratagème) ou illicite (ex. : défaut de consultation du comité social économique sur la mise en place de caméras), la chambre criminelle rappelle régulièrement « qu’aucune disposition légale ne permet au juge pénal d’écarter un moyen de preuve produit par une partie au seul motif qu’il aurait été obtenu de façon illicite ou déloyale ; il lui appartient seulement d’en apprécier la valeur probante ».

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Assurance-chômage : la durée d’indemnisation baissera de 25 % au 1er février

Le ministre du travail, Olivier Dussopt, dévoile les nouvelles règles d’indemnisation de l’assurance-chômage lors d’une conférence de presse, à Paris, le 21 novembre 2022.

Emmanuel Macron avait promis de rendre l’assurance-chômage plus stricte quand le marché du travail se porte bien, et plus généreuse quand il se dégrade. Finalement, les nouvelles règles d’indemnisation, que le ministre du travail, Olivier Dussopt, a présentées aux partenaires sociaux, lundi 21 novembre, ne seront jamais davantage protectrices pour les demandeurs d’emploi. Le gouvernement a en effet choisi la méthode dure, cinq jours après l’adoption définitive par le Parlement du projet de loi qui lui permet de modifier les règles d’indemnisation selon un principe de modulation en fonction de la conjoncture économique, afin de répondre aux problèmes de pénurie de main-d’œuvre.

A partir du 1er février 2023, la durée d’indemnisation des nouveaux demandeurs d’emploi baissera de 25 %. Ainsi, quelqu’un qui aurait pu prétendre à douze mois d’indemnisation actuellement n’aura droit qu’à neuf mois avec le nouveau système. « Nous considérons aujourd’hui que, avec la baisse du taux de chômage à 7,3 % et les difficultés de recrutement, le marché du travail est dans un contexte favorable qui justifie une modulation à la baisse de la durée maximum d’indemnisation », a affirmé Olivier Dussopt, lors d’une conférence de presse. Le ministre du travail a par ailleurs défendu un système « qui va rester l’un des plus généreux d’Europe ».

Alors qu’il avait exclu d’emblée de toucher au montant de l’indemnisation, le gouvernement a finalement décidé d’appliquer un sévère coefficient réducteur de 0,75 pour la durée d’indemnisation. Aujourd’hui, un jour travaillé donne un jour indemnisé, avec un maximum de vingt-quatre mois d’indemnisation pour les moins de 53 ans, trente mois pour les 53-54 ans et trente-six mois pour les 55 ans ou plus. Désormais un demandeur d’emploi ne sera indemnisé que 75 % de la période travaillée, avec un plancher de six mois d’indemnisation minimum.

« Rupture du contrat social »

Olivier Dussopt a également annoncé la création d’un complément de fin de droits pour tous les demandeurs d’emploi dont l’indemnisation arrive à son terme alors que la situation économique s’est détériorée, afin de prolonger de 25 % leurs droits. Plusieurs exceptions ont par ailleurs été mises en place. Sont ainsi exclus du nouveau système les intermittents du spectacle, les dockers, les marins, les pêcheurs, les personnes licenciées pour motif économique bénéficiant d’un contrat de sécurisation professionnelle et les territoires ultramarins. Le ministre du travail espère « 100 000 à 150 000 retours à l’emploi » supplémentaires en 2023 grâce à la réforme.

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Qui est le pire patron du monde ?

A Douvres (Royaume-Uni), le 3 mai 2022.

Peter Hebblethwaite, le patron des ferrys P & O, multiplie les honneurs cette année. En mars, la députée écossaise Monica Lennon l’a surnommé « l’homme le plus détesté du Royaume-Uni ». En mai, il a reçu le prix du pire employeur en Europe, remis par la Fédération européenne des travailleurs des transports. Lundi 21 novembre, il a complété son tableau de chasse en étant élu « pire patron du monde » par la Confédération syndicale internationale (CSI).

Malgré une forte concurrence – Jeff Bezos, le patron d’Amazon, qui avait reçu le prix en 2014, est arrivé deuxième –, M. Hebblethwaite a reçu le plus grand nombre de voix lors d’un vote sur Internet en marge du congrès annuel de la CSI, qui se tient à Melbourne, en Australie, et rassemble un millier de syndicalistes d’une centaine de pays.

La « récompense » fait suite au coup d’éclat de M. Hebblethwaite, le 17 mars. Le patron de P & O Ferries, une société qui assure le transport de passagers et de marchandises entre le Royaume-Uni et la France, les Pays-Bas et l’Irlande, a mis à la porte près de 800 salariés, en les informant par un simple message vidéo qu’il s’agissait immédiatement de leur dernier jour de travail. Choqués et n’ayant rien à perdre, certains des marins ont tenté d’occuper les navires, avant d’être escortés manu militari par des vigiles. Il n’y a eu ni consultation ni préavis, contrairement à ce que prévoient les lois britanniques.

Spectaculaire rebond

A la place, P & O a immédiatement remplacé les salariés par des sous-traitants, payés 5,50 livres de l’heure (environ 6,34 euros), bien au-dessous du salaire minimal britannique, qui est actuellement de 9,50 livres. Les ferrys naviguant sous pavillon chypriote, l’entreprise assure que le droit maritime international autorise ce fonctionnement pour les liaisons internationales : « C’est au-dessus du salaire minimal prévu par l’lnternational Transport Workers’ Federation », assure M. Hebblethwaite. Exception est faite pour un trajet entre l’Ecosse et l’Irlande du Nord, qui reste au sein du Royaume-Uni et où le salaire minimal britannique s’applique.

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Si la légalité de l’affaire est discutable, sa moralité a fait bondir au Royaume-Uni. M. Hebblethwaite a été convoqué par un comité parlementaire, le 24 mars, où il a largement aggravé son cas, reconnaissant qu’il savait parfaitement qu’il ne respectait pas la loi : « Nous avons choisi de ne pas consulter. » Pourquoi ? « Le changement que nous réalisions était d’une telle magnitude qu’aucun syndicat n’aurait pu accepter nos propositions. » « En effet », se sont étouffés les députés autour de la table. Sa justification principale est que P & O Ferries, qui appartient au groupe DP World (Dubai Ports), un géant du transport maritime basé aux Emirats arabes unis, était au bord de la faillite.

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