Archive dans novembre 2022

Les patrons de l’hôtellerie-restauration soutiennent l’idée d’un titre de séjour « métiers en tension »

Il y a quelques mois, Antoine Puillon, propriétaire des Garçons du Port, un hôtel-restaurant de l’île de Groix (Morbihan), a rencontré Hortense, originaire du Burkina Faso. Elle souhaitait travailler comme femme de chambre dans son hôtel, le courant était bien passé. « On avait vraiment besoin de l’embaucher. C’est devenu la croix et la bannière pour trouver des gens. Elle n’avait pas de papiers en règle, alors on a commencé à regarder les démarches. C’était d’une complexité extrême. C’était risqué pour nous, risqué pour elle, et très aléatoire : on a laissé tomber », explique le patron breton.

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La possibilité d’obtenir un titre de séjour « métiers en tension », annoncée par les ministres de l’intérieur, Gérald Darmanin, et du travail, Olivier Dussopt, mercredi 2 novembre, dans un entretien au Monde, aurait-elle changé la vie d’Hortense ? Cette proposition, qui concernerait certains métiers en pénurie de main-d’œuvre, fera l’objet de concertations « dès le mois de novembre », a expliqué le ministre du travail. Elle pourrait figurer dans le nouveau projet de loi sur l’immigration porté par le gouvernement, qui doit être examiné début 2023. Ce « que nous proposons, c’est de mettre fin à une forme d’hypocrisie », a indiqué le ministre.

Dans le secteur de l’hôtellerie-restauration, le patronat a accueilli avec soulagement cette possibilité, qui concernerait des personnes déjà présentes sur le territoire. A l’instar du bâtiment, autre secteur « en tension », les cuisines des restaurants ou les couloirs des hôtels emploient de nombreux travailleurs sans papiers, de manière déclarée ou non. « Si on peut mettre à plat les choses, arrêter tout ce trafic, ce sera bien. Plus généralement, nous défendons l’idée d’une immigration choisie, centrée sur des métiers dont nous avons besoin », affirme Laurent Duc, à la tête de la branche hôtellerie de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH).

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« Pour que notre secteur continue de fonctionner, il faut régulariser ces personnes, qui sont bloquées dans leur évolution et vivent des situations difficiles. Parfois, après plusieurs années dans un restaurant, certains disent à leur employeur : en fait, cette pièce d’identité ne m’appartient pas, je voudrais être régularisé. En général, les patrons les accompagnent, mais c’est très long, incertain », raconte Franck Trouet, du Groupement national des indépendants de l’hôtellerie et de la restauration (GNI-HCR).

« Nous sommes des métiers abandonnés »

Si ces organisations patronales applaudissent, c’est que le secteur est confronté à des problèmes de recrutement sans précédent, qui s’ajoutent à la flambée des coûts des matières premières, de l’énergie, aux difficultés pour rembourser les prêts garantis par l’Etat (PGE)… Pour l’année 2022, les employeurs de l’hôtellerie-restauration ont besoin d’embaucher 360 000 personnes, soit 23 % de plus que l’année précédente, selon l’enquête annuelle « Besoins en main-d’œuvre » de Pole emploi. La majorité de ces recrutements sont estimés « difficiles » par les recruteurs, en particulier pour les serveurs et les cuisiniers. Faute de trouver du personnel, certains établissements ont cessé d’ouvrir certains jours, réduit le nombre de tables…

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Twitter va procéder à des licenciements vendredi

Les bureaux de Twitter à San Francisco, en Californie, le 1er novembre 2022.

C’est par un simple e-mail interne que Twitter a annoncé, jeudi 3 novembre, l’imminence de licenciements au sein de l’entreprise. Les salariés craignaient que cela n’arrive depuis le rachat du réseau social par le milliardaire Elon Musk.

« Nous allons lancer le processus difficile de réduction de nos effectifs mondiaux vendredi », ont ainsi été prévenus les salariés dans ce message consulté par l’Agence France-Presse.

Le courriel ajoute que tous les employés recevront des informations d’ici au vendredi matin, à l’heure de l’ouverture de bureaux en Californie, mais ne précise pas combien de personnes seront concernées. Selon le Washington Post, le nouveau dirigeant a prévu de renvoyer environ la moitié des quelque 7 500 employés.

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« Nous reconnaissons qu’un certain nombre d’individus qui ont réalisé des contributions notables à Twitter vont être touchés, mais cette action est malheureusement nécessaire pour assurer le succès de l’entreprise à l’avenir », déclare la société aux salariés.

« Si vous n’êtes pas concerné, vous recevrez une notification sur votre adresse mail Twitter. Si vous êtes affecté vous recevrez une notification avec les prochaines étapes sur votre messagerie personnelle », informe le message envoyé jeudi, rappelant à chacun de vérifier sa boîte mail, « y compris vos spams ». Dès jeudi soir, plusieurs employés publiaient sur Twitter des photos de leur écran de connexion aux outils de l’entreprise, expliquant que leur mot de passe avait été changé.

Le courriel précise également que, « pour des raisons de sécurité », l’accès au siège de Twitter sera impossible durant toute la journée de vendredi, et que les badges de l’ensemble des salariés ont été temporairement désactivés.

Des listes comparant les informaticiens

Le patron de Tesla et SpaceX a racheté Twitter pour 44 milliards de dollars et en a pris le contrôle jeudi dernier, après six mois d’une acquisition très mouvementée. Il a immédiatement dissous le conseil d’administration, congédié le directeur général et d’autres hauts responsables, et lancé des projets d’envergure avec des objectifs à atteindre rapidement. Plusieurs ingénieurs ont rapporté avoir dû dormir sur place certains soirs.

Elon Musk, qui s’est d’abord rebaptisé « Chief Twit » (twit voulant dire « crétin » en anglais), puis « standardiste de la hotline de Twitter », a fait venir, dès vendredi, des développeurs de Tesla pour passer en revue le travail d’employés de Twitter.

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De nombreux ingénieurs ont dû imprimer les dernières lignes de code qu’ils avaient produites, selon un employé qui s’est exprimé sous couvert d’anonymat. Des listes comparant les informaticiens, essentiellement sur la base du volume de production, ont par ailleurs été établies, selon un autre salarié.

Des salariés ont d’ores et déjà déposé une plainte collective devant le tribunal fédéral de San Francisco, rapporte l’agence Bloomberg, arguant que Twitter procède à ces licenciements en violation de la loi américaine, qui oblige les grandes entreprises procédant à des licenciements massifs à donner un préavis de deux mois aux salariés concernés.

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Changement de culture

Jeudi, de plus en plus d’employés du réseau des gazouillis exprimaient leur désarroi ou faisaient de l’humour. « Les licenciements de masse n’ont pas encore eu lieu et pourtant tout le monde à Twitter a déjà perdu son travail. Le travail qui était décrit dans leur contrat, le travail qu’ils aimaient, le travail avec tous les collègues qu’ils ont appris à connaître et à apprécier », déclarait ainsi Eli Schutze, une informaticienne de Twitter basée à Londres, d’après son profil. « C’est le début d’une page blanche, quel que soit le côté où vous tombez », a-t-elle ajouté.

La mesure confirme le changement de culture d’entreprise largement anticipé pour la société californienne sous la direction d’Elon Musk. Plusieurs cadres ont démissionné d’eux-mêmes cette semaine et plus de 700 personnes sont déjà parties cet été, de leur plein gré, d’après un salarié.

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Le fantasque entrepreneur prône en effet une vision de la liberté d’expression qui nécessite d’assouplir les règles de modération des contenus de la plate-forme, en désaccord avec celle de nombreux employés, utilisateurs et ONG.

Certains salariés étaient aussi inquiets à l’idée de ne plus pouvoir travailler de chez eux – Elon Musk désapprouve le télétravail – ou de devoir suivre des cadences infernales comme chez Tesla.

Le dirigeant a aussi annoncé le lancement prochain d’un abonnement à 8 dollars par mois pour les utilisateurs souhaitant faire certifier leur compte. Cette décision a fait un tollé chez de nombreux abonnés concernés.

Le Monde avec AFP

Au Royaume-Uni, le renouveau des syndicats porté par les conflits sur les salaires

Des membres du public tiennent des pancartes sur lesquelles on peut lire « Protéger le droit de grève », lors de la troisième journée du Trades Union Congress (TUC), le 20 octobre 2022, à Brighton, au Royaume-Uni.

Pas de sécurité à l’entrée, une salle de presse quasi vide et des délégués qui s’étonnent presque qu’on s’intéresse à eux : organisé à Brighton (sud-est de l’Angleterre) du 18 au 20 octobre, le congrès annuel de la fédération britannique des syndicats (Trades Union Congress, TUC, regroupant 48 syndicats et 5,5 millions de travailleurs) avait triste allure. L’impression est trompeuse : les journalistes étaient coincés à Londres à l’affût d’un gouvernement sur le point d’imploser – la première ministre, Liz Truss, ayant finalement démissionné le 20 octobre. Et, surtout, les syndicalistes étaient très occupés sur le terrain à préparer les prochaines grèves.

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Car après avoir été cassé il y a presque quarante ans par l’ancienne première ministre Margaret Thatcher, puis longtemps marginalisé par les médias et le personnel politique, le mouvement syndical redresse la tête. Les adhésions sont en hausse et, ces derniers mois, les arrêts de travail se sont multipliés, dans le secteur public et le privé, avec une fréquence inédite. « Les gens en ont assez, ils trouvent qu’ils sont traités injustement », relève Daisy Carter, 26 ans, professeure de mathématiques dans le sud-ouest de l’Angleterre, prête à faire la première grève de sa carrière à l’appel du syndicat NEU (National Education Union).

Jusqu’à 300 000 infirmiers sont, eux aussi, sondés par leur principal syndicat, le Royal College of Nursing (RCN), pour la première fois depuis sa création en 1916. Le syndicat des sages-femmes, le Royal College of Midwives (RCM), consulte aussi ses membres en vue d’arrêts de travail pour la seconde fois depuis sa fondation en 1881. Côté transports, le syndicat RMT a rarement été autant mobilisé : ses membres enchaînent les grèves depuis l’été et débrayent à nouveau les 5, 7 et 9 novembre. Le CWU, le syndicat des postes et des télécommunications, coordonne aussi des grèves perlées depuis l’été chez Royal Mail – une nouvelle grève est prévue le 12 novembre. « Depuis le début de l’action, il y aura eu dix-neuf jours de grève chez Royal Mail. Ce sont des arrêts de travail tournants, un jour c’est la distribution, l’autre le processing ou les camions parce qu’on ne pourrait pas tenir financièrement autant de jours de grève d’affilée », précise Andy Mason, 49 ans, postier et adhérent du CWU.

Une ère d’austérité

Au cœur des revendications, les augmentations salariales, alors que l’inflation a atteint 10,1 % en septembre et que les salaires moyens stagnent depuis une décennie, conséquence de l’ère d’austérité engagée en 2010 par le gouvernement Cameron. Selon des chiffres du TUC, entre 2008 et 2021, les salariés ont perdu en moyenne et en valeur réelle 20 000 livres sterling (environ 23 230 euros), leurs salaires n’ayant pas progressé comme l’inflation. Face à des prix de l’énergie qui ont doublé et de l’alimentaire qui ont bondi de 14 % sur un an, vivre décemment avec ces rémunérations devient difficile. Selon le NASUWT, syndicat enseignant appelant comme le NEU à la grève, 72 % des enseignants britanniques ont réduit leurs dépenses alimentaires en raison du coût de la vie.

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L’aide à domicile, un secteur en quête d’argent et en manque de temps

Une auxiliaire de vie au domicile d’une personne âgée dépendante, le 6 avril 2020, à Paris.

Portages de repas annulés, toilettes du matin effectuées à l’heure du déjeuner, promenades écourtées… La pénurie d’aides à domicile assombrit le quotidien des personnes âgées en perte d’autonomie qui font appel à elles. Or, jamais la crise du recrutement n’a été aussi aiguë. « Depuis deux ans, on n’arrive ni à les recruter ni à les garder. Le métier ne fait vraiment plus envie », se désole Laïtitia Minsé, directrice d’un service d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD), à Caen. Les 7 200 SAAD de France doivent presque tous renoncer à répondre à des demandes d’intervention auprès des publics âgés, faute de personnel. Le taux de dossiers refusés « frôle les 30 % dans l’Aube contre 20 % en 2019 », s’alarme Philippe Pichery, président (divers droite) du département.

Pour revaloriser le métier, le gouvernement multiplie les mesures financières depuis trois ans. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, adopté en première lecture à l’Assemblée nationale lundi 31 octobre, prévoit ainsi de relever le tarif horaire minimum pour l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Ce barème plancher avait été fixé à 22 euros à sa création, au 1er janvier 2022. Il a contraint les conseils départementaux qui fixent le niveau horaire de l’APA sur leur territoire à revaloriser leurs tarifs dont la plupart étaient inférieurs. Versée à quelque 760 000 personnes de 60 ans ou plus, vivant chez elles, l’APA couvre en partie leurs dépenses pour rémunérer une aide à domicile.

Lors du débat du PLFSS 2023 à l’Assemblée nationale, Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, s’est engagé à augmenter par arrêté le tarif plancher national à 23 euros en 2023. Il a également soutenu l’adoption d’un amendement qui prévoit qu’à partir de 2024 le tarif minimum de l’APA évoluera tous les ans suivant l’inflation.

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Saluées sur tous les bancs de l’Assemblée – parce qu’elles vont « dans le bon sens » –, ces deux mesures n’en sont pas moins jugées insuffisantes sur la question de la revalorisation des salaires. « A 23 euros, le tarif national compense exclusivement l’inflation et les augmentations du smic de 2022 ! », regrette la Fédération française des services à la personne et de proximité. Ce tarif plancher est loin de couvrir le coût de revient d’une heure d’intervention à domicile – qui est de 32 euros, calcule l’UNA, la fédération nationale de services associatifs.

« Diminuer drastiquement les déplacements »

Le gouvernement répond qu’il a créé, en sus du tarif plancher garanti financé, une dotation horaire complémentaire de 3 euros. Mais seuls les SAAD qui améliorent leur service (interventions le soir, le dimanche, les jours fériés) y auront droit. Obtenir cette « carotte » suppose d’avoir des charges en plus pour l’obtenir.

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Le gouvernement cherche son équilibre dans le débat sur l’immigration

Le pouvoir exécutif n’a pas encore trouvé son dosage. Au cours de l’été, après une campagne présidentielle marquée par une surenchère raciste et xénophobe, Emmanuel Macron avait jugé la première mouture du projet de loi immigration trop restreinte. Il y manquait des mesures d’intégration. Prévu pour septembre, le débat sur le texte de Gérald Darmanin a été reporté à janvier 2023 et un duo de ministres a été chargé d’incarner cette politique à deux voix : le ministre de l’intérieur pour la fermeté, et celui du travail, Olivier Dussopt, pour l’intégration par l’emploi. Ils sont « très copains », insistent depuis quelques semaines leurs entourages respectifs. Toujours côte à côte au conseil des ministres, ils seraient même des complices « en mode Tic et Tac », comme les célèbres écureuils des studios Disney.

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La scénographie du « en même temps » était rodée. Mais le camp présidentiel s’est fait voler son coup d’envoi, selon les mots de conseillers ministériels. L’extrême droite et la droite ont bruyamment préempté le terrain en se servant du meurtre de la jeune Lola à Paris, le 14 octobre, dont la principale suspecte est une Algérienne sans titre de séjour valide. « Il faut poser le cadre, remettre du rationnel dans l’émotionnel », presse un familier du palais. Depuis quinze jours, l’Elysée reçoit des analyses du service d’information du gouvernement jugées alarmantes : sur les réseaux sociaux, les sujets de discussion liés à l’immigration ne se tarissent pas.

Il était temps de « pousser les feux à fond », résume un conseiller du chef de l’Etat. Si la logique macronienne à deux jambes perdure, l’exécutif franchit un cran dans chacune des directions. Il ne s’agit plus seulement de distinguer l’asile, au nom de l’humanité, et l’immigration irrégulière, associée à la fermeté. Mais de valoriser plus généreusement les étrangers qui travaillent, même en situation irrégulière, et de cibler ceux qui présentent un danger. « On doit désormais être méchants avec les méchants et gentils avec les gentils », a résumé Gérald Darmanin dans un entretien au Monde.

« Tout le monde sera expulsable »

Le ministre de l’intérieur attribue la délinquance à une partie des étrangers, selon sa rhétorique habituelle, défendue par Emmanuel Macron sur France 2 le 26 octobre. Des propos qui auraient choqué l’opinion il y a quelques années. « La politique, c’est un temps de maturation », confie-t-on à l’Elysée, où l’on scrute les sondages successifs. Selon l’enquête « Fractures françaises », réalisée par Ipsos-Sopra Steria et publiée en octobre, plus de 60 % des interrogés trouvent qu’on « ne se sent plus chez soi comme avant » et qu’il y a trop d’étrangers en France.

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« Le Courage de renoncer » : face à l’urgence environnementale, le cas de conscience des élites

« Le Courage de renoncer. Le difficile chemin des élites pour bifurquer vers un monde durable », de Jean-Philippe Decka. Payot, 224 pages, 19 euros.

Le livre. Au Moyen Age, l’Eglise catholique avait mis en place un système permettant le pardon des péchés en échange d’une contribution pécuniaire : le commerce des indulgences. L’argent donnait la possibilité de se racheter après avoir commis un acte condamnable, mais aussi de se donner bonne conscience. Quelques siècles plus tard, les pollueurs à travers la planète peuvent obtenir des certificats en échange d’un paiement : en achetant, par exemple, un certificat pour compenser leurs émissions sur un vol en avion, en participant par exemple à un projet de reforestation.

Dans son ouvrage Le Courage de renoncer (Payot, 224 pages, 19 euros), Jean-Philippe Decka met en parallèle ces deux mécanismes. L’argent permet dans les deux cas de dissimuler la faute commise et, en quelque sorte, de s’en dédouaner. Mais il ne combat pas pour autant le mensonge ni ne s’attaque à la source de la pollution.

Au fil de son essai, l’auteur réalise une traque méthodique des illusions, demi-mesures et fausses promesses qui pullulent face à la crise environnementale. Il met au jour les travers de la compensation carbone comme du recyclage du plastique, de la finance verte ou de la voiture électrique. Cela pour mieux nous convaincre que ce n’est qu’avec un changement radical, loin de la politique des petits pas et des initiatives isolées, qu’il sera possible de faire face au défi écologique. « Il n’est plus suffisant de trier ses déchets et de réduire ses voyages en avion ; c’est la totalité du système qu’il faut revoir, c’est le capitalisme et son obsession pour la croissance auxquels il faut mettre un terme », explique M. Decka.

La voie d’un changement radical

Le projet collectif qu’il appelle de ses vœux implique un préalable : convaincre les élites de devenir la locomotive de ce cheminement vers un nouveau modèle de société. « En tant que privilégiés et détenteurs des clés du système économique et politique, c’est [à elles] de faire bouger les lignes », juge-t-il.

Problème : ces mêmes élites sont les grandes bénéficiaires du système en place. Adopter un mode de vie durable, c’est donc accepter de renoncer à nombre de privilèges. « Comment accepte-t-on de diviser son salaire par dix ? Comment accepte-t-on de renoncer à une carrière dont on nous a vanté les mérites pendant tant d’années ? Comment supporte-t-on le jugement des autres sur ce qui est souvent vécu comme un “déclassement choisi” ?  », s’interroge l’auteur.

M. Decka s’exprime là sur un sujet qu’il connaît bien. Il compte en effet parmi les « renonceurs », ces diplômés de grandes écoles (HEC pour l’auteur) qui ont décidé de changer de route après une prise de conscience de l’urgence climatique. Il mène aujourd’hui des actions de sensibilisation, notamment via le podcast Ozé, qui l’ont conduit à rencontrer de nombreux représentants de cette élite et à les interroger sur leur prise en compte de la question environnementale.

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Négociations salariales : on n’est pas tous égaux devant l’inflation

Carnet de bureau. Trente pour cent des dirigeants d’entreprise interrogés par Opinionway pour The Trusted Agency, dans le cadre d’une étude publiée le 25 octobre, redoutent l’ouverture des négociations avec les salariés. Ils savent qu’ils ne pourront pas ignorer les demandes d’ajustement sur l’inflation lors des négociations annuelles obligatoires (NAO) sur les salaires.

Le taux moyen prévu par les entreprises pour 2023 s’établissait à 4,3 % cet été, selon l’enquête Inflation-salaires 2022-2023 du cabinet de conseil Alixio. « Dans les grands groupes – Bouygues, Air France, Disney –, on a désormais passé la barre des 5 % », précise Rodolphe Delacroix, directeur du département actionnariat salarié et rémunération d’Alixio. Des taux plus élevés ont été obtenus à hauteur de 7 % chez TotalEnergies, et même de 8,3 % en deux temps (4 % puis 4,3 %) pour l’Union nationale des missions locales. Mais on n’est pas tous égaux devant l’inflation.

Pour certains DRH, les NAO devraient être plus compliquées que pour d’autres, car les entreprises sont plus ou moins résistantes au risque inflationniste. En clair, comme pour tout, il y a des gagnants et des perdants, et donc des entreprises qui plus que d’autres peuvent plus facilement répercuter la hausse de l’inflation dans les salaires. Une récente note du cabinet Syndex, spécialisé dans le conseil aux représentants des salariés, en a établi la typologie en quatre catégories : les « indifférentes », les « bénéficiaires », les « vulnérables » et enfin les « résistantes » à l’inflation.

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Au nombre des « indifférentes », on retrouve ainsi les entreprises qui ont peu de pouvoir de négociation des prix avec leurs clients, mais dont les coûts sont largement fixes, comme les prestataires de services professionnels. Syndex cite, en exemple, les cabinets de conseil ou d’audit.

L’édition et la presse « vulnérables »

Une entreprise qui, en revanche, a une forte capacité de négociation pour relever ses prix, et des coûts largement fixes ou liés à des contrats à long terme, sera « bénéficiaire » durant les périodes d’inflation. C’est le cas des compagnies pétrolières. TotalEnergies, par exemple, avait les coudées franches pour augmenter les salaires.

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« Les marges de manœuvre sont évidemment liées au rapport de force entre l’entreprise et ses fournisseurs et au niveau de concurrence au sein du secteur [d’activité] », rappelle la note de Syndex.

Typiquement, les « vulnérables » sont les entreprises avec une forte variation des coûts liée aux éléments nécessaires à la production (les intrants), et peu de pouvoir sur les prix dans un marché très concurrentiel. Syndex cite, sur ce profil, les entreprises de l’édition et la presse, où les négociations pourraient être compliquées.

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La pénurie de médecins du travail inquiète les services de ressources humaines

Un camion de la médecine du travail.

« C’est une hypocrisie absolue. » Ce DRH d’une entreprise de taille intermédiaire dans les services ne décolère pas lorsqu’il énumère les évolutions introduites par la loi du 2 août 2021 relative à la santé au travail. Suivi renforcé des salariés avec notamment la mise en place d’une visite de mi-carrière, accent mis sur la prévention, extension des missions des services de prévention et de santé au travail (SPST)… « Certaines de ces mesures sont intéressantes, mais on pratique la politique de l’autruche : on feint d’ignorer que ces services sont déjà totalement engorgés et ne parviennent plus à répondre aux besoins des entreprises. Alors leur donner des missions supplémentaires… »

Une récente étude de l’Association nationale des DRH (ANDRH) fait écho à ses propos : 67 % des services de ressources humaines (RH) disent pâtir du manque de médecins pour mettre en œuvre la nouvelle réforme de la santé au travail. Au-delà de cette dernière, il s’agit d’un problème bien connu des professionnels du secteur : la médecine du travail est en tension, faisant face à une diminution continue de ses effectifs. Des médecins retraités ou étrangers viennent renforcer les effectifs, mais cela suffit rarement à fluidifier le fonctionnement des services de prévention et de santé au travail.

Le phénomène touche tout particulièrement les territoires les moins peuplés, avec des tensions importantes identifiées notamment dans le Sud-Ouest. Ce qui n’exclut pas des difficultés en Ile-de-France, comme le souligne Bérangère Benon, DRH de l’opérateur Internet Claranet France. « A Rennes, où nous avons notre siège, nous parvenons à obtenir des rendez-vous pour des retours de salariés après une longue absence ou un congé de maternité. C’est totalement différent à Paris, où il s’agit d’une vraie bataille pour avoir des places ! » « On retrouve également une inégalité d’accès à la médecine du travail en fonction du type d’entreprise, ajoute Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH. Les problèmes sont surtout rencontrés par les PME et les TPE. Les grands groupes sont épargnés : ils ont constitué leurs propres services de santé au travail autonome, en interne. »

« Nous sommes à cran »

Les visites et rendez-vous obligatoires après une interruption de travail constituent le principal point de crispation des entreprises concernées. « Certains sont refusés faute de place, c’est une vraie préoccupation, explique Mme Breton-Kueny. En tant que DRH, nous avons des obligations légales liées au code du travail, nous assurer, par exemple, qu’il y ait une visite de reprise après un arrêt maladie de plus de soixante jours ou un retour de congé de maternité, sans oublier les visites de suivi des travailleurs exposés à des risques. Le sujet peut donc se déplacer sur le terrain juridique. »

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Darmanin et Dussopt sur le projet de loi immigration : « Nous proposons de créer un titre de séjour métiers en tension »

Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, et Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein-emploi et de l’insertion, au ministère de l’intérieur, le 31 octobre 2022.

Alors qu’un nouveau projet de loi immigration doit être examiné début 2023, le ministre du travail, Olivier Dussopt, et celui de l’intérieur, Gérald Darmanin, annoncent, dans un souci d’équilibre, vouloir créer un titre de séjour « métiers en tension » pour les travailleurs sans-papiers déjà sur le territoire, à côté de mesures visant à améliorer les reconduites à la frontière. Un texte sur lequel le gouvernement entend rallier la droite.

L’affaire Lola, du nom de la jeune fille tuée par une ressortissante algérienne sans-papiers, a remis la question des obligations de quitter le territoire français (OQTF) au centre du débat. La France en a prononcé 122 000 en 2021 mais n’en exécute qu’une faible part. Pour quelle raison ?

Gérald Darmanin : D’abord, il y a près de 50 % des OQTF qui font l’objet de recours qui les suspendent. L’une des dispositions du projet de loi qui sera examiné début 2023 au Parlement, est de fortement simplifier les procédures et de passer de douze à quatre catégories de recours, pour exécuter beaucoup plus rapidement les mesures.

Ensuite, pour calculer le taux d’exécution, on ne compte que les départs aidés et les départs forcés, soit près de 17 000 éloignements en 2021. Or, des milliers de personnes quittent le territoire après avoir reçu une OQTF, sans qu’on le sache. Nous allons désormais inscrire toutes les OQTF au fichier des personnes recherchées, le FPR. Il ne s’agit pas de rétablir le délit de séjour irrégulier mais de pouvoir constater que la personne repart comme lorsque, par exemple, elle reprend un avion et ainsi de compter tous les départs d’étrangers.

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Par ailleurs, il faut comprendre que la majorité des personnes qui sont en situation irrégulière sont venues régulièrement sur notre sol et sont restées après l’expiration de leur visa ou de leur titre de séjour. C’est le cas de l’assassin présumé de la petite Lola, venue avec un visa étudiant pour un CAP et restée irrégulière sur notre sol pendant trois ans. Personne ne s’est demandé où elle était. C’est un problème. Aujourd’hui, lorsque la préfecture prend une OQTF, le suivi n’existe que pour les personnes dangereuses. Je demande donc aux préfectures de réaliser un suivi des personnes sous OQTF. Le préfet veillera à leur rendre la vie impossible, par exemple en s’assurant qu’elles ne bénéficient plus de prestations sociales ni de logement social. Nous changeons de braquet.

Vous communiquez beaucoup sur les expulsions de délinquants. Cela a représenté 3 200 personnes depuis deux ans, sur plus de 5 millions d’étrangers en France. Ne contribuez-vous pas à mettre la focale sur un aspect qui n’a pas l’importance que les Français imaginent ?

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