Après le suicide d’un cardiologue, l’AP-HP et quatre responsables de l’hôpital Georges-Pompidou mis en examen pour « harcèlement moral »

Le 17 décembre 2015, le professeur Jean-Louis Mégnien, cardiologue à l’hôpital européen Georges-Pompidou, se jetait par la fenêtre du septième étage de son lieu de travail. Ce suicide par défenestration avait déclenché une vive émotion dans la communauté hospitalière et mis en lumière la souffrance au travail des médecins.
Au cours des cinq ans d’une instruction menée dans la plus grande discrétion, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), l’ancienne directrice de l’hôpital, Anne Costa, et trois professeurs – alors responsables hiérarchiques du cardiologue – ont été mis en examen pour « harcèlement moral ». Deux juges d’instruction ont ordonné le 30 juillet leur renvoi devant le tribunal correctionnel, a-t-on appris mercredi 22 septembre de sources proches du dossier, information confirmée par une source judiciaire.
L’épouse du cardiologue avait déposé plainte auprès du parquet de Paris, qui avait ouvert une enquête préliminaire puis une information judiciaire le 19 février 2016. Plusieurs des collègues de ce père de cinq enfants qui venait de reprendre le travail après neuf mois d’arrêt maladie avaient rapporté qu’il était victime de harcèlement de la part de sa hiérarchie et qu’un avertissement quant à la souffrance de ce médecin n’aurait pas été pris en compte.
Lutte de clans et « dysfonctionnements »
A l’occasion de leur enquête, les policiers de la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) ont mis au jour des accusations de lutte de clans au sein du prestigieux établissement hospitalier situé dans le 15e arrondissement de la capitale.
Une enquête interne menée par la direction de l’AP-HP, puis une synthèse de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), saisie par la ministre de la santé de l’époque, Marisol Touraine, avaient relevé des « dysfonctionnements » et des « manquements » dans la gestion du conflit entre le Pr Mégnien et certains de ses collègues.
La mission de l’IGAS listait « cinq manquements de portée inégale » dans le traitement du conflit qui avait débuté en 2012, l’année où M. Mégnien avait vu lui échapper le poste de chef de service du centre de médecine préventive cardio-vasculaire, qu’il estimait lui avoir été promis. Au fil des mois, le praticien hospitalier avait progressivement fait l’objet d’une « mise à l’écart médicale », relevait l’IGAS. Un médecin senior de l’hôpital décrivait ainsi au Monde en janvier 2016 la « descente aux enfers » vécue par son confrère, les infirmières et secrétaires du service ayant par exemple reçu pour consigne de ne pas lui adresser la parole.
Dans son rapport, l’IGAS constatait l’absence ou le retard dans le signalement et l’évaluation de cette situation à risque, l’absence d’alerte de la médecine du travail, l’absence de réunion avec l’ensemble des protagonistes ou encore la « non-structuration de la gestion du conflit » au sein de l’AP-HP et de l’université.
« Au-delà d’un drame humain, cette affaire est une triste illustration de l’instrumentalisation de la justice et d’une volonté acharnée et déraisonnable de vouloir tout pénaliser », a regretté Me Marie Burguburu, avocate d’un des professeurs. « C’est incompréhensible, les magistrats ont assimilé un chef de pôle d’un établissement hospitalier à un chef du personnel », a réagi Me Bernard Vatier, qui défend un autre médecin.