Archive dans mars 2020

« La crise sanitaire ne peut pas être la porte ouverte à tout » : l’opposition politique monte au créneau contre les ordonnances gouvernementales

Le gouvernement a adopté, mercredi 25 mars, vingt-cinq ordonnances – économiques, sociales, judiciaires – pour faire face aux conséquences économiques et sociales de l’état d’urgence sanitaire provoqué par l’épidémie de Covid-19. « C’est un effort long auquel nous allons tous ensemble faire face », a assuré le premier ministre, Edouard Philippe. Mais ces mesures, et plus particulièrement celles relatives à l’aménagement du droit du travail, n’ont pas fait l’unanimité dans le monde politique.

Lire aussi : Ce que contient la loi instaurant un « état d’urgence sanitaire » votée par le Parlement

« Aucune réquisition du secteur textile ni mécanique pour la production des masques et des respirateurs. Aucune nationalisation des entreprises défaillantes utiles dans la lutte comme Luxfer. Aucune méthode de planification de la mobilisation sanitaire n’est mise en place », déplore ainsi dans un communiqué Jean-Luc Mélenchon, le chef de file de La France insoumise (LFI). « Nous avons eu raison de voter contre la loi d’état d’urgence sanitaire. Car, une fois de plus, c’est un prétexte à un nouveau recul des droits sociaux », a-t-il ajouté, estimant que l’exécutif aurait pu prendre des mesures pour mettre « à contribution les ultra-riches ».

« Cette crise sanitaire ne peut pas être la porte ouverte à tout. Il faut être vigilant et rigoureux », a plaidé de son côté, sur Public Sénat, le porte-parole du Parti socialiste, Boris Vallaud. Selon lui, les ordonnances gouvernementales entament certains pans de la protection sociale que les responsables politiques doivent aux Français : « Aujourd’hui, on nous parle de 60 heures hebdomadaires, de plus de flexibilité. (…) Les directives européennes imposent par exemple 48 heures hebdomadaires maximum. Nous aurions aimé que les partenaires sociaux soient associés aux discussions, mais ce n’est pas le cas. »

Cette dérogation à la durée du travail dans certains secteurs « est une hérésie », s’est agacé Yves Veyrier, le numéro un du syndicat Force ouvrière (FO), interrogé sur RTL. « On a besoin justement de ménager les salariés qui sont mobilisés. On risque d’ajouter au risque d’épidémie un risque de fatigue, d’épuisement par des temps de travail plus importants et des temps de repos réduits. »

Lire aussi Temps de travail, chômage partiel, congés payés… Le droit du travail bousculé par ordonnances

Un son de cloche qu’on retrouve étonnamment à droite. Ainsi, sur Twitter, le député Les Républicains Julien Aubert estime que « les mesures qu’implique la crise sanitaire doivent être strictement proportionnées ». « Après les congés, abolir par ordonnance les règles du droit de travail en portant la durée à 60 heures est un choix socialement régressif. »

« Elle n’est pas belle, l’union sacrée ? »

Pour la sénatrice Europe Ecologie-Les Verts (EELV) Esther Benbassa, le Covid-19 « inaugure en France l’esclavage moderne ». Et cette dernière de décliner dans un Tweet : « La ministre du travail instaure les 60 heures/semaine dans certains secteurs, celui de l’agriculture exhorte les chômeurs à travailler aux champs pour remplacer les saisonniers. Elle n’est pas belle, l’union sacrée ? »

Le député européen EELV David Cormand déplore, quant à lui, sur le même réseau social, l’absence de considération à l’égard des enseignants, victimes à ses yeux de dénigrement de la part de l’exécutif. « Elles et ils assurent le suivi pédagogique des élèves. Ce gouvernement a un problème avec les services publics. Comment prendre ce déni permanent autrement que pour du mépris ? »

« Nous sommes dans une situation très particulière et extrêmement grave avec un impact sur les entreprises et forcément sur l’emploi », a jugé, pour sa part, sur Public Sénat, le sénateur LR Philippe Dallier. « Il faut essayer de s’y adapter pour une période qui restera j’espère relativement courte. (…) Il faut effectivement prendre des décisions, on ne peut pas attendre que le temps passe et constater les dégâts après coup », a-t-il tempéré.

Notre sélection d’articles sur le coronavirus

Le Monde avec AFP

Temps de travail, chômage partiel, congés payés… Le droit du travail bousculé par ordonnances

Muriel Pénicaud, ministre du travail, à l’Assemblée nationale, le 24 mars.
Muriel Pénicaud, ministre du travail, à l’Assemblée nationale, le 24 mars. JACQUES WITT / AFP

Tout comme dans les premiers mois du quinquennat, le gouvernement réécrit le code du travail en recourant à des ordonnances. Mercredi 25 mars, vingt-cinq textes de ce type devaient être présentés en conseil des ministres, dont trois concernent les relations entre salariés et employeurs, ainsi que le sort réservé aux chômeurs.

Mais le contexte n’a rien à voir avec celui qui prévalait au début du mandat d’Emmanuel Macron : les vingt-cinq ordonnances en question sont, en effet, prises en application de la loi d’urgence pour combattre le Covid-19, adoptée dimanche par le Parlement. Il s’agit de mesures d’exception, qui ont vocation, en principe, à ne s’appliquer que durant la période de crise sanitaire.

Celles qui portent sur le monde du travail visent à limiter les réductions d’effectifs dans les entreprises et à protéger les actifs – qu’ils soient en poste ou qu’ils en recherchent un. Les dispositions arrêtées se caractérisent par un surcroît de souplesse donnée aux patrons pour diriger leurs personnels et par un soutien apporté aux individus. Une sorte de flexisécurité mise en place momentanément afin d’encaisser le choc épidémique.

  • Temps de travail

L’une des trois ordonnances dévoilées mercredi offre la faculté à certaines catégories d’employeurs de s’affranchir des règles de droit commun en matière de temps de travail. A l’heure actuelle, un salarié ne doit pas accomplir plus de quarante-quatre heures par semaine en moyenne (sur douze semaines consécutives) ; désormais, ce plafond pourra être élevé à quarante-six heures.

En outre, au cours d’une même semaine, il sera possible d’employer de la main-d’œuvre pendant soixante heures, au maximum. La législation actuelle prévoit déjà cette éventualité, moyennant une autorisation au cas par cas des services déconcentrés de l’Etat, précise-t-on dans l’entourage de Muriel Pénicaud, la ministre du travail. Mais la dérogation (relative aux maxima de quarante-six heures et de soixante heures) sera beaucoup plus large puisqu’elle sera susceptible de jouer dans les « secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale ». Sont notamment visés les transports, la logistique, l’agroalimentaire, l’agriculture, l’énergie, les télécommunications, énumère un collaborateur de Mme Pénicaud.

Les sociétés implantées dans ces mêmes secteurs stratégiques disposeront, par ailleurs, de marges de manœuvre accrues pour mobiliser leurs équipes le dimanche, le but étant de pouvoir tourner sept jours sur sept au moment des pics d’activité. Le repos minimum entre deux journées de travail pourra, qui plus est, être ramené de onze à neuf heures.

Lire aussi Etat d’urgence sanitaire, soutien aux entreprises : ce que contient le projet de loi du gouvernement

Samedi, en ouverture des débats à l’Assemblée nationale sur le projet de loi d’urgence, le premier ministre, Edouard Philippe, avait tenu à souligner que ces nouvelles règles ne dépassent pas « un certain nombre de bornes qui sont imposées (…) dans le cadre communautaire ».

Autrement dit, même si la France prend provisoirement ses distances avec le droit commun, à l’échelon national, elle continue de respecter le corpus de normes fixées par l’Union européenne. L’objectif, selon M. Philippe, est « de permettre la poursuite du travail et d’endiguer les licenciements massifs et les faillites qui ruineraient des milliers d’entreprises et des millions de Français ».

  • Congés payés

Parmi les mesures assouplissant la loi au profit des patrons, il y a également celle sur « les dates de prise d’une partie des congés payés ».

Désormais, l’employeur aura la faculté d’imposer ou, au contraire, de différer des vacances, pour des périodes ne pouvant excéder « six jours ouvrables ». Il sera tenu de le dire seulement un « jour franc » – et non plus quatre semaines – à l’avance. Mais il ne pourra le faire que si un accord d’entreprise ou de branche l’y autorise. En revanche, les « dates des jours de réduction du temps de travail » et « des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié » pourront être dictées ou modifiées « unilatéralement » par la direction, sans qu’un accord collectif soit requis.

  • Allocation chômage

Une autre ordonnance, soumise mercredi au conseil des ministres, cherche à secourir les bénéficiaires de l’assurance-chômage. Ainsi, les droits à une allocation sont prolongés pour tous les demandeurs d’emploi qui les ont épuisés dans le courant du mois de mars.

Il s’agit d’éviter que des milliers de personnes se retrouvent sans ressources ou basculent sur les minima sociaux, dans une période où les perspectives de retrouver un poste s’avèrent très minces.

  • Chômage partiel

Au cours des prochains jours, une ordonnance supplémentaire devrait être publiée, afin de faciliter le recours au chômage partiel. L’exécutif dit s’être inspiré de l’Allemagne qui, lors de la crise de 2008-2009, avait pris des mesures de cette nature pour que les entreprises conservent leur main-d’œuvre. Avec succès, relève-t-on dans l’entourage de Mme Pénicaud : l’économie, outre-Rhin, avait « pu repartir plus vite » alors que la récession avait été plus forte qu’en France, nos voisins ayant su mettre l’emploi à l’abri.

Le gouvernement de M. Philippe veut donc suivre une démarche analogue aujourd’hui : tout faire pour préserver les compétences, grâce à un régime de chômage partiel « le plus protecteur d’Europe », assure-t-on au ministère du travail.

Le dispositif sera ouvert aux employés à domicile, aux assistantes maternelles ainsi qu’aux VRP et aux salariés dont le temps de travail est décompté en jours et non pas en heures. Des améliorations seront, de surcroît, apportées, notamment pour les personnes travaillant à temps partiel : ainsi, ceux qui sont à mi-temps au salaire minimum percevront 100 % de la moitié du smic (et non pas 84 % comme aujourd’hui).

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Le choix de la continuité économique est une erreur » : débat sur les secteurs essentiels à l’économie

Les organisations syndicales regrettent que les changements introduits sur la durée du travail, les repos et les congés soient, pour beaucoup d’entre eux, laissés à la main des patrons : celles-ci auraient préféré qu’une plus grande place soit réservée au dialogue social. Certaines confédérations, comme la CGT, redoutent, par ailleurs, que les dérogations continuent de s’appliquer bien au-delà de la période de confinement.

Coronavirus : le spectre du krach de 2008, voire de 1929

Des avions de ligne des compagnies Delta Air Lines et Southwest Airlines immobilisés dans un aéroport  à Victorville (Californie), le 24 mars.
Des avions de ligne des compagnies Delta Air Lines et Southwest Airlines immobilisés dans un aéroport  à Victorville (Californie), le 24 mars. DAVID MCNEW / AFP

« Et dans les yeux des affamés, la colère grandit, et pousse dans l’âme du peuple les raisins de la colère… » Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a choisi, mardi 24 mars, de réveiller le fantôme de Tom Joad, héros des Raisins de la colère, le roman emblématique de John Steinbeck publié en 1939, qui traverse la dépression américaine des années 1930. « Ce que nous vivons n’a pas d’autres comparaison que la Grande Dépression de 1929 », a déclaré le ministre, lors d’une conférence de presse. Comparaison effrayante. La crise économique née à la suite du krach boursier du 24 octobre 1929 a provoqué un cataclysme financier sans égal dans le XXe siècle, qui se transmettra à la planète entière et attendra la deuxième guerre mondiale pour disparaître complètement. Avec son cortège de misère, de morts et de troubles sociaux et politiques, dont l’avènement du nazisme.

Bruno Le Maire n’est pas le seul à brandir cette menace. Progressivement, les milieux d’affaires prennent la mesure d’une économie qui s’est mise à l’arrêt d’un coup, comme on souffle une bougie. « Ils ont la trouille de l’embolie générale », confie un conseiller de grands patrons, sous le couvert de l’anonymat. Ces derniers soulignent tous le risque « d’un collapse [« effondrement »] en chaîne », contaminant l’ensemble du tissu économique jusqu’aux plus petites sociétés. « Nous avons tous le sentiment qu’un arrêt brutal et prolongé peut rendre la reprise très complexe et difficile, confirme Jean-Pierre Clamadieu, président du groupe Engie. L’enjeu est de garder la machine en route. » Aussi, beaucoup poussent pour le maintien d’une activité économique en dépit du confinement. Quitte à risquer l’injonction contradictoire. Airbus redémarre sa chaîne de production, et l’Association française des entreprises privées a demandé à ses adhérents de reprendre leur activité, « lorsque les conditions sanitaires sont réunies ».

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Le coronavirus est en train de faire vaciller le mythe déjà chancelant de la mondialisation heureuse »

Il ne s’agit pas de remettre en cause le confinement, mais de ne pas paralyser totalement l’économie. D’une part, comme le souligne le ministre de l’économie, parce que les activités sont interdépendantes. « Il est impossible de définir une activité autorisée, dit-il. Sitôt publiée, la liste doit être revue. Pour vendre 1 litre de lait, il faut des camions, des routes, du BTP, des garages, de l’électricité, tout est imbriqué ! » Et, d’autre part, parce qu’on risque de se retrouver avec un tissu économique trop délabré au moment du redémarrage. C’est là qu’intervient la grande peur de l’effondrement, comme en 1929.

Coronavirus : un plan de sauvetage pour les start-up françaises

Le pavillon de la French Tech au Consumer Electronics Show de Las Vegas, en janvier 2019.
Le pavillon de la French Tech au Consumer Electronics Show de Las Vegas, en janvier 2019. ROBERT LEVER / AFP

Pas plus que les autres entreprises, les start-up françaises ne passeront la crise liée à la pandémie due au coronavirus sans y perdre des plumes. Peut-être sont-elles même plus fragiles que d’autres, elles qui sont par nature très jeunes. C’est pourquoi l’Etat, qui a beaucoup investi sur elles ces dernières années, présente mercredi 25 mars un plan de soutien à cet écosystème.

Le programme vise à permettre à ces sociétés de traverser une période de turbulences qui courrait au moins jusqu’à la fin de l’année 2020. Il repose sur les entrepreneurs, appelés d’ores et déjà à prendre des mesures de court terme pour sauvegarder leur activité, mais surtout sur Bpifrance, la banque publique d’investissement, et les investisseurs traditionnels (« business angels », fonds d’investissements…).

Pour Cédric O, secrétaire d’Etat chargé du numérique, « les start-up ont un poids croissant dans l’économie, en particulier dans les emplois. (…) Du fait de la spécificité de leur modèle de développement [qui nécessite un important investissement de départ, avant de parvenir à la rentabilité], il convenait de prendre des mesures d’urgence spécifiques, afin de [les] soutenir. » Au total, ce sont près de 4 milliards d’euros qui vont être mobilisés.

Remboursement accéléré du crédit d’impôt recherche

Ce montant recouvre des dispositifs très variés, qui passent plus par des facilités de financement ou l’anticipation de déblocages de fonds que par des aides directes. Cela n’en constitue pas moins une bouffée d’air, en particulier pour celles qui s’apprêtaient à lever des fonds et qui voient cette perspective s’éloigner. Celles qui viennent de boucler leur tour de table ont, elles, plus de visibilité.

La mesure la plus consistante réside dans un remboursement accéléré du crédit d’impôt recherche, qui devrait se faire dans les tout prochains jours, et qui permettrait de libérer une enveloppe de 1,5 milliard d’euros. Des facilités de prêts sont également prévues : des prêts de trésorerie garantis par l’Etat auprès des banques, qui pourraient atteindre un montant de 2 milliards d’euros.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Prêts garantis aux entreprises : les banques assurent qu’« il y en aura pour tout le monde »

Bpifrance va également adapter ses dispositifs d’aide aux start-up (prêts, subventions…), afin de « remettre de l’essence dans la machine pour donner de l’air pour les prochaines semaines », explique Paul-François Fournier, directeur exécutif de la banque publique. Les aides prévues dans le cadre du plan d’investissement d’avenir, pour un montant de 250 millions d’euros, vont également être versées de manière prématurée.

« Une vraie dynamique, aujourd’hui menacée »

Mais l’ambition de Bpifrance est aussi de s’assurer que les investisseurs « continuent à faire leur métier », afin de soutenir les start-up françaises. A ce titre, elle est prête à mettre sur la table 80 millions d’euros d’obligations convertibles à condition que les investisseurs injectent au moins la même somme. Il ne s’agirait pas pour Bpifrance de prendre des parts dans toutes ces sociétés – sauf, peut-être, dans les plus prometteuses –, mais de leur permettre de traverser cette période difficile avant qu’elle ne se désengage lors d’une prochaine levée de fonds.

« On a un écosystème qui est encore assez jeune, et qui connaissait, jusque-là, une vraie dynamique, aujourd’hui menacée », considère M. Fournier. L’objectif est donc, selon lui, de « trouver un mécanisme gagnant-gagnant avec les investisseurs qui jouent un rôle majeur dans cet écosystème et doivent continuer à faire leur métier, car Bpifrance ne peut pas tout financer seule ».

Pas de doute, selon le directeur de Bpifrance, que certaines entreprises ne traverseront pas la crise. Pour autant, il n’estime pas que les fondamentaux de la French Tech seront laminés dans les prochaines semaines. Des entreprises pourraient même voir leur activité s’accélérer dans la période, comme Doctolib ou des sites d’e-commerce. « Il s’agit de voir comment faire en sorte de préserver la dynamique qu’on a connue ces dernières années. »

Notre sélection d’articles sur le coronavirus

L’inspection du travail recrute de nouveaux profils pour favoriser le dialogue social

« L’inspection du travail veut diversifier ses recrutements, en intégrant davantage de profils ayant déjà une expérience significative du monde du travail et des relations sociales »
« L’inspection du travail veut diversifier ses recrutements, en intégrant davantage de profils ayant déjà une expérience significative du monde du travail et des relations sociales » Tom Merton/Ojo Images / Photononstop

L’inspection du travail veut diversifier ses recrutements, en intégrant davantage de profils ayant déjà une expérience significative du monde du travail et des relations sociales. « Au global, nous allons recruter quelque trois cents inspecteurs du travail sur trois ans, dont quatre-vingts cette année », annonce Anouk Lavaure, directrice de projet à la direction générale du travail (DGT).

Jusqu’à présent, seules 10 % des nouvelles recrues étaient issues de la troisième voie réservée aux actifs ayant au moins huit ans d’expérience professionnelle, les autres provenant soit du concours externe dédié aux étudiants, soit du concours interne pour les fonctionnaires et agents publics. « Notre objectif est d’atteindre les 20 % à 30 % issus du troisième concours », poursuit Anouk Lavaure.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le harcèlement managérial mieux cerné

Les titulaires d’un mandat syndical ou électif sont les bienvenus, de même que des avocats en droit social, des ergonomes ou encore des directeurs des ressources humaines. Une diversification que François Cochet, directeur des activités santé au travail chez Secafi, cabinet spécialisé dans l’assistance et le conseil auprès des instances représentatives du personnel, juge particulièrement « pertinente. La diversité des profils est toujours un élément positif ». Parmi les compétences recherchées, outre l’expérience terrain : un bon relationnel, le sens de l’écoute et de l’observation, des talents de pédagogue, une forte adaptabilité et du pragmatisme.

Un rôle d’accompagnement

Ces nouveaux profils sont censés accompagner la montée en puissance du dialogue social au sein de l’entreprise. Car « si le rôle traditionnel de l’inspection du travail est le contrôle, le conseil aux entreprises sur la réglementation du travail et l’application de sanctions si nécessaire, le contexte a beaucoup évolué avec les ordonnances Travail. Le rôle de l’inspecteur du travail est moins régalien que par le passé », explique Guy Groux, sociologue, directeur de recherches au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) et directeur de l’Executive Master Dialogue social et stratégie d’entreprise.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi A la source des polémiques sur le travail

L’inversion de la hiérarchie des normes – des accords au niveau de l’entreprise peuvent être moins favorables que les dispositions négociées au niveau de la branche d’activité – fait que l’entreprise produit de plus en plus ses propres règles. Et, en parallèle, on assiste à un développement du dialogue social avec, par exemple, les procédures de référendum. « La dimension pédagogique du métier est de plus en plus importante pour aider à bâtir un dialogue constructif, estime François Cochet. Les inspecteurs du travail doivent combiner le rappel à la règle avec une approche pragmatique vis-à-vis des employeurs de bonne foi. Ils doivent veiller davantage au respect de l’esprit de la loi qu’à celui de la lettre. »

« Le manageur face à la pandémie de Covid-19 »

Carnet de bureau. « Le management est à la fois une technologie et une humanité. Il combine – ou devrait combiner – rationalité et responsabilité », peut-on lire au Musée du management du Cercle de l’innovation, à l’université Paris-Dauphine. Face au Covod-19, les grandes entreprises ont organisé, en cellules de crise, des plans de continuité à chaud, out le monde ayant été pris de court par les annonces gouvernementales.

Cette crise sanitaire est inédite. Le défi a été de recréer des processus d’organisation immédiatement opérationnels où le comité de direction (Codir) reste maître-d’œuvre, d’identifier les postes-clés pour l’activité, les salariés polyvalents, d’établir une chaîne de décisions qui anticipe l’éventuel remplacement au pied levé d’un manageur malade, afin d’assurer à la fois le maintien de l’activité et la santé des salariés. Des plans de crise sans précédent ont ainsi été adoptés dans tous les secteurs, de Total à Radio France par exemple, qui ont limité au maximum le nombre de salariés sur site.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : Emmanuel Macron face aux enjeux sanitaires et économiques du confinement

Mais, la prolongation du confinement et son durcissement posent de nouveaux défis aux entreprises. L’interaction physique limitée du confiné provoque de la fatigue, la communication redoublée par la collaboration à distance expose le salarié à une surcharge cognitive, et la crise sanitaire elle-même génère un stress ambiant. L’enjeu est de taille, car les conséquences vont de la multiplication des pratiques addictives aux décisions fautives.

Le rôle essentiel de l’employeur

Or, qu’il s’agisse de consommation de produits psychoactifs, de jeux vidéo ou de dépendance au travail, l’addiction n’a pas attendu le SARS CoV-2 pour affecter les salariés. L’étude Impact des pratiques addictives au travail menée en septembre 2019 par GAE Conseil, auprès de plus de 1 000 salariés du privé et du public, indiquait que 44 % des salariés jugent les pratiques addictives fréquentes dans leur milieu professionnel.

« Les expériences de la NASA ont démontré que le stress provoqué par le confinement pouvait conduire les personnes les mieux préparées à prendre de mauvaises décisions, rappelle Eric Goata, administrateur de la Fédération des intervenants en risques psychosociaux (Firps). Ce n’est donc pas le moment pour un manageur de prendre des décisions, autrement que concertées et mûries avant d’être déployées. Car tout le monde est déstabilisé par les annonces successives. »

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Le choix de la continuité économique est une erreur » : débat sur les secteurs essentiels à l’économie

La responsabilité de l’employeur de garantir la sécurité et la santé des salariés l’oblige à anticiper les facteurs de risques, à expliquer les bonnes pratiques du télétravail, à renforcer sa communication auprès des collaborateurs. Mais comment un manageur peut-il reconnaître les salariés à risque à distance ? « En repérant les alertes, explique M. Goata, une agitation verbale, un silence inhabituel, un comportement automatique de gestes routiniers sans utilité pour l’organisation sont autant de signaux faibles à prendre en considération. »

Gestion des risques : « La solidarité doit précéder la crise »

Gouvernance. Avec la pandémie virale, chacun découvre les règles de confinement qu’impose la lutte pour la protection collective. Mais cette gestion de crise est d’autant plus perturbante qu’elle inverse les priorités et les valeurs qui dominent en temps normal.

D’une part, les pouvoirs publics doivent agir autoritairement tout en reconnaissant qu’ils affrontent l’inconnu et s’adapteront aux circonstances. D’autre part, la liberté individuelle est suspendue et chacun est sommé d’agir dans l’intérêt de tous. Or, on sait que l’efficacité de telles mesures d’exception dépend aussi de ressources sociales et matérielles préparées, avant la crise, par la gestion normale.

L’étude systématique des méthodes de gestion de crise date des années 1980 (Le Risque technologique majeur. Politique, risque et processus de développement, Patrick Lagadec, Pergamon 1981). A l’époque, les dangers considérés relevaient surtout de l’accident technologique majeur : nucléaire, pétrolier, chimique. Une leçon paradoxale s’était dégagée des enquêtes : il fallait anticiper autant que possible la crise mais avec la certitude que celle-ci ne se déroulerait pas comme prévu et exigerait une organisation spéciale capable de réagir à l’inconnu !

Pour mieux affronter l’imprévisible

Ce paradoxe se dissipe lorsqu’on comprend que le travail d’anticipation est bien plus qu’un exercice de prévision. Au-delà des mesures préventives, c’est pendant cette phase que l’on peut consolider les schémas de coordination et les solidarités humaines, sociales et économiques qui seront nécessaires pendant la crise. Chacun apprend ainsi ce que l’ensemble lui doit et ce qu’il recevra des autres. Un acquis précieux !

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Raison d’être et mission d’entreprise : des mots qui engagent

Car, quand la crise survient et plonge tout le monde dans l’inconnu, les autorités disposeront de réseaux d’information fiables, d’intervenants préparés et de citoyens solidaires. Il y a un siècle, Henri Fayol, le pionnier de la science administrative, faisait déjà de la « prévoyance » l’essence de la bonne gestion, et voulait désigner avec un même terme aussi bien l’effort de prévision que la formation d’un corps social solidaire qui seul permet d’affronter l’imprévisible.

La crise épidémique n’échappe pas à cette nécessité. Mais si le système de santé s’est, en principe, doté de plans d’urgence et de professionnels aguerris, il n’en va pas de même du grand public, sur lequel repose pourtant le sort collectif. Car, en temps normal, la gestion de la société civile met surtout l’accent sur la croissance, la concurrence économique et les vertus de l’intérêt individuel.

« Les Nouveaux Cobayes » : le rôle de la Silicon Valley dans l’infantilisation au travail

« Les Nouveaux Cobayes. Comment les entreprises génèrent précarité et mal-être au travail », de Dan Lyons (FYP, 2019, 290 pages, 22 euros).
« Les Nouveaux Cobayes. Comment les entreprises génèrent précarité et mal-être au travail », de Dan Lyons (FYP, 2019, 290 pages, 22 euros). DR

Le livre. Un matin de juin 2017, Dan Lyons se retrouve à Menlo Park, en Californie, attablé avec Julia, une femme qui anime des ateliers en entreprise. Depuis deux ans, le journaliste américain tente de comprendre le monde du travail moderne et pourquoi il semble rendre tant de gens malheureux. Sa théorie est la suivante : « Au moins une partie de ce mal-être vient du fait que les salariés doivent assister à des ateliers stupides, où on les gave d’un tas d’absurdités complaisantes sur le développement personnel et l’autoamélioration. »

Son interlocutrice déverse six briques Lego sur la table et lui demande de faire un canard en 30 secondes. Il s’agit de l’exercice le plus connu du Lego Serious Play, une activité en plein essor : de grandes entreprises comme Unilever, Johnson & Johnson ou encore Google l’ont adoptée. L’atelier laissera l’essayiste pour le moins sceptique. Pourquoi le lieu de travail est-il devenu un mixte de jardin d’enfants et de centre de tests de personnalité ? Pourquoi le travail implique-t-il une telle infantilisation ? Et que génèrent toutes ces pressions psychologiques ? Autant de questions soulevées dans son ouvrage Les Nouveaux Cobayes (FYP).

Article réservé à nos abonnés Lire aussi «  La Médiation au travail » : décryptage des vertus d’une saine conflictualité

« Autrefois, les RH étaient de simples manageurs, mais depuis qu’ils ont des MBA, (…) ils sont friands de neurosciences de comptoir, et bien que la plupart ne feraient pas la différence entre les amygdales et les hémorroïdes, ils sautent sur tout ce qui peut reconfigurer le cerveau de leurs employés », déplore Dan Lyons. Exercices avec de la pâte à modeler, équipes qui s’affrontent pour trouver le moyen le plus rapide de se passer des balles de tennis et de les mettre dans un seau… les exemples d’ateliers témoignant de l’absurdité qui envahit le monde du travail ne manquent pas.

Priorité aux besoins des employés

Inutiles, ces exercices sont aussi facteur de stress : « Pour les travailleurs âgés, ces ateliers augmentent la crainte qu’ils ont déjà d’être évincés de leur emploi. Mais les jeunes les ont aussi en horreur. » Ainsi de ce développeur de logiciels dont le service a passé une journée à faire un atelier Lego : il a l’impression d’avoir « rejoint une secte ».

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « L’entreprise, la loi et les compétences »

L’auteur souligne la responsabilité de la Silicon Valley dans le malheur de ces travailleurs. « D’une part, parce que c’est là que la plupart des nouvelles technologies de l’information utilisées au travail se sont développées. D’autre part parce qu’au-delà de la production de puces et de logiciels, la Silicon Valley vise à redéfinir la notion même d’entreprise, en amenant des idées radicalement nouvelles sur la manière de créer et manager les organisations. Malheureusement, bon nombre de ces idées sont épouvantables. »

L’Etat d’urgence sanitaire ne limite pas le recours au droit de retrait, sauf pour le personnel réquisitionné

« Le droit de retrait n’est pas une liberté publique mais un droit des salariés », rappelle Francis Kessler, avocat en droit social et chroniqueur au Monde »
« Le droit de retrait n’est pas une liberté publique mais un droit des salariés », rappelle Francis Kessler, avocat en droit social et chroniqueur au Monde » Philippe Turpin / Photononstop

Le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de coronavirus a été adopté dimanche 22 mars par le Parlement et la loi publiée au Journal officiel mardi 24 mars. Elle limite un certain nombre de libertés publiques : la liberté de circuler, de se rassembler, etc. Mais réduit-elle le recours au droit de retrait, alors que les salariés qui travaillent en « présentiel » – dans les commerces, la logistique, l’agroalimentaire – envisagent d’y recourir, lorsqu’ils estiment que leur santé n’est pas suffisamment garantie par l’employeur ?

« Le droit de retrait n’est pas une liberté publique mais un droit des salariés », rappelle Francis Kessler, avocat en droit social et chroniqueur au Monde. Le projet de loi adopté dimanche va au-delà de la limitation des libertés publiques, puisqu’il prévoit de modifier, pour la période d’état d’urgence sanitaire, le code du travail sur la disponibilité des salariés : RTT, congés payés, durée du travail, etc.

Lire aussi Le droit de retrait s’applique-t-il à tous les salariés ?

Mais la loi n’évoque pas le droit de retrait. Il est donc maintenu. « La protection de la santé est garantie à tous, selon le préambule de la Constitution de 1946. On peut donc considérer que l’exercice du droit de retrait constitue l’exercice d’un droit fondamental. Il ne paraît donc pas possible de supprimer ou de suspendre expressément ce droit », explique Jacqueline Cortès, avocate à la Cour.

Un règle spécifique pour le personnel réquisitionné

Toutefois, le contexte du coronavirus change le cadre et les conditions de recours au droit de retrait. Par application de la circulaire de la direction générale du travail du 18 décembre 2007 sur la continuité de l’activité des entreprises et la santé des salariés en cas de pandémie grippale, le droit de retrait ne peut s’appliquer qu’en tenant compte de trois « impératifs : la sécurité des salariés, le fonctionnement des entreprises et la continuité de la vie économique et sociale », indique Me Cortès. Le coronavirus seul n’est pas une justification suffisante pour recourir au droit de retrait, dès lors que l’employeur a pris les mesures nécessaires pour protéger ses salariés.

Si le retrait est légitime, le salaire est maintenu et le salarié ne peut faire l’objet d’aucune sanction. En revanche, si le retrait est illégitime, l’employeur est en droit d’opérer une retenue sur salaire correspondant à la période durant laquelle le salarié n’a pas travaillé. En cas de litige, c’est au salarié de saisir le conseil de prud’hommes pour trancher.

Droit : « Une épidémie n’autorise pas le non-paiement d’une créance »

« L’obligation de pratiquer les « gestes barrières », présentés par les autorités sanitaires comme suffisantes pour se prémunir de toute contamination, pourrait interdire à nombre de salariés d’exercer valablement leur droit de retrait. »
« L’obligation de pratiquer les « gestes barrières », présentés par les autorités sanitaires comme suffisantes pour se prémunir de toute contamination, pourrait interdire à nombre de salariés d’exercer valablement leur droit de retrait. » DPA / Photononstop

Tribune. Pour aider les entreprises à faire face aux mesures de confinement qui entravent leur activité, le Parlement a voté le 22 mars un projet de loi autorisant le gouvernement à prendre des mesures exceptionnelles en leur faveur.

Les entreprises pourront notamment déroger aux règles relatives à la durée du travail, étaler le paiement des loyers, des factures d’eau et d’électricité pour les très petites entreprises, assouplir le régime des pénalités en cas non-exécution des obligations contractuelles.

Déjà, Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, avait indiqué le 28 février que l’épidémie du coronavirus sera considérée comme « un cas de force majeure » pour les entreprises au regard des marchés publics de l’Etat.

Mais, en dépit de ces mesures exceptionnelles, de nombreux créanciers voient leurs débiteurs tentés de se défausser de leurs obligations en invoquant à leur tour la force majeure. A tort le plus souvent.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Le choix de la continuité économique est une erreur » : débat sur les secteurs essentiels à l’économie

La « force majeure » est définie juridiquement comme un évènement « incontrôlable et imprévisible » qui empêche un débiteur d’exécuter son obligation contractuelle et l’autorise à se délier de ses engagements.

Une telle situation ne saurait être invoquée comme un simple prétexte pour se dégager de ses obligations. L’empêchement doit être radical et ne saurait se caractériser par un coût plus onéreux ou une difficulté accrue dans l’exécution de sa mission.

Qu’en est-il du coronavirus ?

Si le débiteur est personnellement affecté, la force majeure est bien entendu envisageable puisqu’il n’est plus en mesure de fournir la prestation prévue, encore que l’incapacité totale de fournir la prestation dans le temps requis devra être démontrée devant les juridictions.

Pour le reste, invoquer une épidémie, des restrictions de circulation ou de confinement pourront parfois justifier la suspension de l’exécution de ses obligations, mais n’autoriseront pas le non-paiement d’une créance, si l’on en croit les décisions de justice déjà rendues au sujet des virus chikungunya, Ebola ou H1N1. De surcroît, une épidémie étant par définition temporaire, en toute hypothèse, elle ne légitimera jamais une rupture contractuelle irrévocable entre deux partenaires.

Certes, le gouvernement a interdit par décret le déplacement de toute personne hors de son domicile. Mais le télétravail est vivement encouragé, et les trajets entre le domicile et le lieu de travail sont autorisés. Les mesures de confinement n’interdisent donc pas l’accomplissement de sa tâche professionnelle.