Archive dans mars 2020

Literie : Dunlopillo en quête d’un nouveau ressort

Un magasin Conforama, à Paris, en 2016.
Un magasin Conforama, à Paris, en 2016. Gilles BASSIGNAC/Divergence

C’est en milieu de semaine, mercredi 4 mars, que va commencer à se jouer l’avenir de Dunlopillo. Le tribunal de commerce de Paris tiendra son audience sur les offres déposées pour la reprise de l’un des plus célèbres noms du marché de la literie en France, qui emploie 200 personnes au sein de ses deux usines de fabrication, dans les Yvelines. Une décision est attendue une quinzaine de jours plus tard.

La marque Dunlopillo, en redressement judiciaire depuis décembre 2019, est gérée par Paris Bedding, filiale du fabricant de literie Adova, qui détient également les marques Treca et Simmons. Pour justifier son choix de s’en séparer, Jacques Schaffnit, le président d’Adova (ex-Cauval), a estimé qu’il fallait « préserver la trésorerie du reste des activités ». De fait, si le chiffre d’affaires de Dunlopillo atteignait 100 millions d’euros il y a douze ans, il ne s’élevait plus qu’à 16 millions quand Cauval a été racheté, en mai 2016, par le fonds Perceva.

La situation risquait de se détériorer au cours des prochains mois, avec la fermeture programmée de trente-deux magasins Conforama et dix Maison Dépôt à la suite des difficultés de l’enseigne depuis la découverte des malversations de son actionnaire sud-africain Steinhoff, en 2017. « Nous n’avons pas encore ressenti de baisses de commandes de Conforama, mais cela va arriver et pourrait affecter de 15 % à 20 % du chiffre d’affaires que l’on fait avec eux », souligne M. Schaffnit.

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« Les impacts commenceront à se faire sentir en mars-avril, en fonction des calendriers de fermeture des magasins », anticipe, pour sa part, Luis Flaquer, directeur général de Cofel, premier fabricant de matelas dans l’Hexagone. Propriétaire des marques Bultex, Epeda et Merinos, le groupe s’attend à un maximum de 15 % de commandes en moins avec l’enseigne. Son chiffre d’affaires avait augmenté de 10 % en 2019, à 235 millions d’euros.

« Des prix de plus en plus bas »

Cette inquiétude pour l’avenir tranche avec la situation du secteur de l’ensemble du marché de la distribution de meubles en 2019. Les ventes en France ont progressé de 4,1 % en valeur, à 13,4 milliards d’euros, d’après les chiffres publiés mardi 3 mars par la Fédération française du négoce de l’ameublement et de l’équipement de la maison (Fnaem). Cela fait suite à une baisse de 2,7 % en 2018, après trois années consécutives de hausse.

Du meuble de cuisine (+ 6,2 %) à celui de salle de bains (+2,8 %), en passant par le meublant (canapés, + 3,4 %), la croissance a profité à toutes les familles de produits. Le marché de la literie, avec ses 4 % de hausse, a même affiché la seconde meilleure progression. « Les ouvertures de spécialistes ont repris à un rythme plus soutenu, assurant une bonne croissance des réseaux », explique la Fnaem.

L’ENA dans la tourmente

Tempête sur l’Ecole nationale d’administration : tandis qu’un rapport conclut à sa nécessaire refonte, un document produit par des élèves en dénonce les graves dysfonctionnements.

« Avec le recul, les 35 heures n’ont pas produit le résultat escompté »

Tribune. Les 35 heures, quel gâchis ! Au départ, j’étais plutôt favorable à une réduction du temps de travail (RTT) négociée, permettant une remise à plat de l’organisation, une meilleure utilisation de l’appareil productif ou une meilleure adaptation aux exigences des clients. Dix ans passés dans le groupe Danone avaient forgé cette conviction. Le PDG Antoine Riboud avait mis en place le premier les 32 heures et la cinquième équipe dans les verreries. Sensible aux problèmes d’emploi, il avait demandé, au début des années 1990, à ses équipes d’étudier la possibilité d’une RTT couplée à une meilleure utilisation des machines.

Dans un univers industriel où la masse salariale représentait à peine 20 % des coûts, cette démarche combinait l’économique et le social. Les études chiffrées au sein du groupe avaient suscité l’enthousiasme, mais Antoine Riboud, au moment de préparer sa succession, a renoncé à ce projet pour ne pas inquiéter les investisseurs.

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Arrivée ensuite à la tête de la DGEFP [Délégation à l’emploi et à la formation professionnelle], j’ai trouvé de jeunes énarques brillants qui étaient des militants de la RTT. Nous avons accompagné avec enthousiasme les entreprises qui négociaient un « de Robien », du nom de cette loi qui accordait une aide de l’Etat aux entreprises ayant conclu un accord favorable à l’emploi.

Arrivent alors les élections législatives de 1997. Au programme [du socialiste] Lionel Jospin figurent les 35 heures. J’ai été très associée à la préparation de la grande conférence du 10 octobre 1997, au terme de laquelle Jean Gandois, patron du CNPF [ancêtre du Medef], déclara : « J’ai été trahi. » Trahi par qui ?

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Trahi par Martine Aubry, qui avait été sa collaboratrice pendant deux ans chez Pechiney ? Celle-ci avait déclaré son opposition à la RTT comme solution aux problèmes d’emploi en 1991, au Zénith, devant des militants de la CFDT. Arrivée à la tête du grand ministère des affaires sociales, elle semblait ne pas avoir changé d’avis et faisait volontiers part, en privé, de son hostilité à cette mesure que Dominique Strauss-Kahn avait inscrite dans le programme du socialiste Lionel Jospin. Jean Gandois a donc pu croire qu’il échapperait à une « loi couperet ».

Trahi par Nicole Notat [alors secrétaire générale de la CFDT] ? Longtemps, en effet, semblait se dessiner un scénario qui avait l’aval du CNPF et de la CFDT, avec une période de simple incitation, la loi n’intervenant éventuellement qu’au terme d’une période de deux ans en cas de succès insuffisant. Mais Nicole Notat, quelques jours avant la conférence, persuadée que le gouvernement voulait absolument une loi, l’avait elle-même réclamée pour ne pas paraître en retrait.

A Clichy-sous-Bois, le tramway pour « désenclaver les âmes »

Dans une station de Clichy-sous-Bois, lors de l’inauguration de la nouvelle branche du T4, en décembre 2019.
Dans une station de Clichy-sous-Bois, lors de l’inauguration de la nouvelle branche du T4, en décembre 2019. LAURENT HAZGUI / DIVERGENCE

Elles ont à peine 15 ans et pensent déjà à leur curriculum vitae, à ce nom, chargé de fantasmes et de discriminations, qu’elles devront un jour inscrire dans la case « adresse » : Clichy-sous-Bois, Seine-Saint-Denis. Un moment qu’elles redoutaient – « Clichy, ça fait peur aux gens sur un CV » –, du moins jusqu’au 14 décembre 2019.

C’est à cette date que le dernier tronçon du tramway T4 a été inauguré, à cette date que Yasmine, Aïssatou, Fatoumata, Leila, Yricia et Abissetou ont commencé à envisager l’avenir – un peu – plus sereinement. « On n’a plus l’impression de vivre dans une ville-ghetto repliée sur elle-même, lance Fatoumata, attablée avec ses copines au fast-food Chicken Spot. Le regard des autres sur notre ville va évoluer. » « Avant, on dégoûtait tout le monde, renchérit Aïssatou. Ça fait du bien qu’on s’occupe de nous. »

Pour les habitants de cette commune de 30 000 âmes, plus connue du grand public pour ses faits divers que pour sa résidence d’artistes Ateliers Medicis, l’arrivée du tramway – qui relie Bondy (où se trouve le RER E) à Montfermeil, en passant notamment par les Pavillons-sous-Bois et Clichy-sous-Bois – représente bien davantage qu’un gain de temps pour rejoindre Paris ou Aulnay-sous-Bois (RER B) – depuis 2006, le T4 assurait une liaison entre Bondy et Aulnay-sous-Bois. « Voir le tram, c’est déjà un bonheur, s’émerveille Benyoussef Bouzidi, 58 ans, Clichois de longue date et président d’honneur du collectif AC Le Feu, en admirant les voies recouvertes de pelouses et bordées d’arbres (plus de 500 ont été plantés ainsi que 25 000 arbustes et plantes). C’est tellement joli, c’est le fruit d’une bataille de toute une vie, ça fait beaucoup de bien d’avoir du beau dans nos quartiers, pour nous, cela signifie que l’Etat, la France, mise enfin sur nous. »

A Clichy-sous-Bois et Montfermeil, cela faisait plus de quinze ans que le tramway était attendu et trois ans que les travaux avaient démarré (pour un budget de 370 millions d’euros). L’objectif : relier Livry-Gargan à Montfermeil afin de désenclaver ces villes proches de Paris mais mal desservies par les transports en commun. Si seulement 15 kilomètres séparent Clichy-sous-Bois de Paris, il fallait compter au moins une heure trente, voire une heure quarante, en transports en commun, pour s’y rendre.

L’inauguration, « une vraie fête »

Batina Beauregard a 60 ans, un bonnet vissé sur la tête et un chariot chargé d’emplettes : elle vient de faire ses courses au petit centre commercial du Chêne Pointu, à deux stations de tramway de chez elle. « Le tramway, ça nous donne la force de sortir plus souvent et de venir faire nos petites courses », dit-elle, assise sur un banc à la station Clichy-sous-Bois-Mairie. Femme de chambre en intérim dans un hôtel du parc d’affaires Paris Nord 2 depuis huit ans, elle gagne une demi-heure sur chacun de ses trajets, soit une heure par jour. Elle reçoit également plus souvent amis et membres de sa famille, qui viennent désormais lui rendre visite plus volontiers. « Notre ville, elle est en train de devenir trop belle », se réjouit-elle.

A l’université et dans les laboratoires aussi, la précarité a des effets négatifs

Manifestation du mouvement « Science en danger » à Paris, le 25 février.
Manifestation du mouvement « Science en danger » à Paris, le 25 février. THOMAS SAMSON / AFP

Le 5 mars, « l’université et la recherche s’arrêtent », espère une partie de la communauté scientifique, qui appelle à des manifestations pour s’opposer à deux réformes en cours d’élaboration. D’une part, la réforme des retraites, en discussion à l’Assemblée nationale et qui entraînerait une baisse des pensions de ces personnels. D’autre part, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), annoncée en février 2019 et qui devrait accorder des moyens supplémentaires aux établissements, mais avec des modalités, qui, même floues, suscitent la désapprobation des manifestants.

Parmi elles, de nouveaux contrats d’embauche seraient proposés : tenure-track (recrutement probatoire) ou encore CDI de projet (dont la durée dépend du financement du projet). Pour leurs défenseurs, cela offre de la souplesse de gestion. Pour les critiques, cela accroît la précarité déjà grande dans les laboratoires. Il y a un tiers de contractuels à l’Inserm, 22 % au CNRS, ce qui est du même ordre de grandeur qu’à l’université, où il n’est pas rare que la moitié des cours des premières années soit assurée par des non-titulaires.

Une plongée dans la littérature scientifique récente, dans l’une des deux plus importantes bases de données d’articles de recherche, Scopus, éclaire les conséquences, souvent négatives, de ces contrats courts dans l’enseignement supérieur et la recherche.

De rares effets positifs

Sans surprise, une étude de 2020 dans Studies in Higher Education, portant sur plusieurs pays européens, note que « les universitaires ayant des contrats permanents sont plus satisfaits dans leur travail que leurs collègues non titulaires ». En Espagne, une étude bibliométrique parue dans Scientometrics fin 2019 montre que les établissements avec le plus de permanents sont « les moins inefficaces ». Une équipe irlandaise, dans Gender, Work and Organization, en 2019, souligne que « les femmes précaires à l’université sont des non-citoyennes, (…) ayant moins de droits, de pouvoirs, de capacité à décider ».

En Australie, un travail de 2018, dans Innovations in Education and Teaching International, fait ressortir que la qualité de l’encadrement des doctorants est affectée par la présence de personnels précaires. Dans le même pays, une autre équipe, dans Journal of Youth Studies, en 2019, conclut que la précarité fait sentir ses effets négatifs à long terme, sur la vie en général, au-delà du laboratoire.

Chérifa Boukacem, coauteure d’une étude sur des jeunes chercheurs dans le monde en emploi non stable, expliquait au Monde, le 27 janvier 2019, qu’« il se dégage une souffrance face à cette situation d’esclave. Beaucoup s’interrogent, dépriment… Je suis parfois sortie des entretiens la boule au ven­tre ».