La grève sans précédent à Radio France suspendue jusqu’à début mars

Manifestation de grévistes de Radio France, le 29 novembre 2019, devant le ministère de la culture, à Paris.
Manifestation de grévistes de Radio France, le 29 novembre 2019, devant le ministère de la culture, à Paris. GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Après soixante-trois jours de grève, des salariés de Radio France réunis en assemblée générale ont décidé, lundi 3 février, de suspendre le mouvement jusqu’au début du mois de mars.

La grève, d’une durée sans précédent dans l’histoire de l’audiovisuel en France, doit être suspendue à partir de minuit. La mesure a été adoptée avec 25 voix pour, 16 contre et 29 abstentions. Il s’agit de la deuxième pause décidée depuis le début du mouvement, après une suspension d’une dizaine de jours observée fin décembre.

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Des concessions de la direction

Si les autres syndicats du groupe public ont appelé ponctuellement à des arrêts de travail depuis le début du mouvement, la Confédération générale du travail (CGT) est la seule organisation qui avait lancé un préavis d’une durée illimitée, reconduit jusqu’ici de jour en jour.

La grève avait commencé après l’annonce, en novembre 2019, d’un plan prévoyant 299 suppressions de postes, sur un effectif total de 4 600 équivalents temps plein environ. En janvier, la présidente-directrice générale de Radio France, Sibyle Veil, avait cependant accepté de transformer, à la demande de plusieurs syndicats (à l’exception notable de la CGT), ce plan de départs volontaires en rupture conventionnelle collective. Par ailleurs, 76 postes, en majorité liés au numérique, doivent être créés dans le cadre du plan.

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« Le rapport de force a changé »

Dans la foulée, quatre des six syndicats de Radio France, qui représentent la majorité des salariés, ont entamé des négociations avec la direction. Et vendredi, pour la première fois depuis le début du mouvement, le ministre de la culture, Franck Riester, a reçu l’ensemble des syndicats et la direction de Radio France. « Le problème, c’est comment on se bagarre. Le rapport de force a changé » avec l’ouverture de ces négociations, a estimé un représentant de la CGT lors de l’AG de lundi.

Suspendre la grève permettra aux personnels de « réemmagasiner des forces » et de « se remobiliser », a-t-il souligné, précisant que son organisation continuerait, en attendant la reprise du mouvement, d’appeler à la grève lors des journées interprofessionnelles de mobilisation contre la réforme des retraites, dont celle du jeudi 6 février. Une nouvelle réunion de négociation doit se tenir vendredi et la CGT organisera une nouvelle AG le 11 février pour faire le point sur ces discussions.

Retraites : « La question de la pénibilité au travail ne peut pas être abordée en silo »

« Entre un quart et un tiers des salariés français souffrent de stress au travail. Des chiffres nettement plus élevés que ceux relatifs à la pénibilité physique. »
« Entre un quart et un tiers des salariés français souffrent de stress au travail. Des chiffres nettement plus élevés que ceux relatifs à la pénibilité physique. » Ingram / Photononstop

Tribune. Les études européennes indiquent que les salariés français sont parmi ceux qui aspirent le plus à partir à la retraite. Le souhait exprimé par nos compatriotes de cesser de travailler dès que possible est à mettre en relation avec d’autres études qui indiquent qu’ils sont parmi les plus stressés au travail.

La question de la pénibilité au travail est certes abordée dans le débat sur la réforme des retraites, mais elle se focalise sur la seule pénibilité physique des métiers qui y sont exposés avec la possibilité d’un départ du travail plus précoce. La pénibilité psychologique n’est absolument pas prise en compte, alors que, depuis plusieurs années, les grandes institutions (Organisation mondiale de la santé, Bureau international du travail) soulignent que le stress est devenu le premier risque pour la santé des travailleurs.

Selon les données les plus récentes, entre un quart et un tiers des salariés français souffrent de stress au travail. Des chiffres nettement plus élevés que ceux relatifs à la pénibilité physique. Dans une étude couvrant la dernière décennie, Santé publique France s’inquiète de la progression des souffrances psychologiques liées au travail.

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Comment alors peut-on imaginer que l’hypothèse de reculer l’âge de départ à la retraite puisse être acceptée quand le travail est encore vécu par un nombre important de nos concitoyens comme source de mal-être ?

Dépression, burn-out, voire suicide

Malheureusement, la France est aussi le pays qui a le moins pris en compte la prévention des risques psychosociaux, à l’origine de cet hyperstress et des nombreuses conséquences qui y sont liées : dépression, burn-out, voire suicide. Là encore, les comparaisons internationales ne sont pas en notre faveur. Le rapport de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail sur les risques professionnels (Esener-2, 2014) indique que seulement 29 % des entreprises françaises ont mis en place des actions de qualité pour prévenir les risques psychosociaux, alors qu’elles sont plus de 50 % en moyenne en Europe.

La tendance est de traiter indépendamment les thèmes du chômage, des retraites, de l’emploi des seniors, de la qualité de vie au travail, etc. Il faut davantage réfléchir à une approche globale du travail, car tous ces thèmes sont intriqués entre eux

Quant à la formation des manageurs sur cette question, elle n’est mise en place que dans 46 % des entreprises françaises, contre 73 % en moyenne en Europe. C’est ainsi, sans surprise, que 35 % des salariés français pensent que leur employeur ne s’intéresse pas du tout à leur bien-être psychologique contre 16 % en Suisse ou en Allemagne.

Le gouvernement finalement favorable à l’allongement du congé suivant la perte d’un enfant

Le gouvernement fait un virage à 180 degrés. Jeudi 30 janvier, Muriel Pénicaud s’était opposée à l’allongement du congé qui suit la perte d’un enfant, tel que proposé par le groupe UDI à l’Assemblée nationale. Dimanche, au lendemain d’un recadrage du président Emmanuel Macron, la ministre du travail annonce dans Le Parisien que la majorité va finalement défendre cette extension de cinq à douze jour de congé lors de la prochaine lecture du texte au Sénat.

Muriel Pénicaud confie ainsi que « la décision prise collectivement [de refus du texte] n’était pas la bonne », et précise que « l’allongement à douze jours va revenir au Sénat sous la forme d’un amendement gouvernemental », à une date pas encore fixée. Samedi, à la suite d’une levée de boucliers allant de La France insoumise au Medef, le président de la République avait « demandé au gouvernement de faire preuve d’humanité » dans ce débat, provoquant la volte-face de la majorité.

« Après la perte d’un enfant, qui est le pire drame auquel on peut être confronté, on ne se reconstruit pas en quelques jours, dit aujourd’hui Muriel Pénicaud. Il faut des mois et des années. » Elle dit étudier les possibilités pour « aller plus loin », notamment en termes de financement.

« Nous allons travailler à un accompagnement psychologique sur la durée. Nous voulons aussi regarder la question des frais d’obsèques qui ne doivent pas être un poids supplémentaire. Enfin, nous allons ouvrir ces mesures aux fonctionnaires. »

« Pas à la hauteur pour reprendre pied »

Le vote sur la proposition de loi avait eu lieu jeudi, son rapporteur, le député (UDI-Agir) du Nord Guy Bricout, jugeant que les cinq jours donnés actuellement ne sont « pas à la hauteur » pour « reprendre pied suite à la mort d’un enfant ».

En réponse, la députée (La République en marche, LRM) du Var Sereine Mauborgne avait défendu la « possibilité pour l’employeur de créer un compte de don » de RTT par les collègues du salarié endeuillé. De son côté, la ministre du travail avait aussi mis en avant que le texte tel qu’il était rédigé ne reposait pas sur la solidarité nationale, mais sur un congé « payé à 100 % par l’entreprise ».

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Ces propos ont soulevé l’indignation dans l’hémicycle. « On parle de la tragédie des tragédies », a lancé François Ruffin, dénonçant une majorité « mesquine », tandis que le député (apparenté Les Républicains, LR) des Ardennes Pierre Cordier dénonçait une « honte ». Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR, a lui indiqué qu’il proposerait « à l’ensemble des groupes politiques du Sénat de déposer en commun et de voter cette proposition de loi ». « Une question d’humanité » a-t-il ajouté.

Vendredi matin, c’est le président du Medef lui-même, Geoffroy Roux de Bézieux, qui a demandé un nouveau vote en faveur des douze jours. « C’est une évidence et c’est lancé », a-t-il répondu dans un tweet à l’ancienne présidente de l’organisation patronale Laurence Parisot, qui avait estimé un peu plus tôt que « le Medef s’honorerait à demander un nouveau vote de cette proposition ».

Chaque année en France, 4 500 enfants meurent avant d’avoir atteint leur majorité.

Mise à jour le 2 février à 21h35 : Contrairement à ce qui était indiqué précedemment, Sereine Mauborgne est députée du Var et non de la Sarthe.

« J’en étais arrivée à un point où je ne savais même plus dans quelle ville je me réveillais » : les épuisés de l’hypermobilité professionnelle

Roissy 2011. Photo extraite de la série « Les failles ordinaires », de Géraldine Lay.
Roissy 2011. Photo extraite de la série « Les failles ordinaires », de Géraldine Lay. GERALDINE LAY / GALERIE LE REVERBERE

Le moment de la valise revient à chaque fois. Certains l’expédient le plus vite possible, y jettent machinalement le nécessaire habituel. Pas question d’y perdre plus de temps, la semaine de déplacement qui les attend va déjà leur en voler assez. D’autres y consacrent plus d’une heure, dans une espèce de rituel pénitentiel au cours duquel il ne faut surtout pas les déranger. Les voilà déjà projetés dans le lever à 4 heures, le trajet pour la gare, l’aéroport, les halls, l’attente, les réunions, les dîners…

« Cette valise, c’est à la fois toute ma vie et mon enfer », lâche Antoine (les prénoms ont été changés à la demande des intéressés). « La planquer pour ne plus la voir » est son premier réflexe lorsqu’il rentre le vendredi soir. Cet objet renferme dix ans d’une hypermobilité professionnelle qui aura conduit ce cadre dirigeant d’une grande entreprise nationale à passer plus de temps dans les TGV, les avions et les hôtels que chez lui, auprès des siens, dans le Finistère.

« Quand vous passez vos semaines loin des vôtres, vous ratez tout, vous n’êtes là pour personne, vous ne vous impliquez nulle part » Antoine, cadre dirigeant

Dans le 5-étoiles où il a ses habitudes parisiennes, un grog pour venir à bout d’un rhume, le quinquagénaire, col roulé et blazer, raconte cette mécanique implacable qui « vous oblige à répondre aux impératifs de mobilité » si vous voulez obtenir promotions et fonctions stratégiques. « Quand, par malheur, vous avez choisi d’habiter en région, c’est la double peine. » Il décrit le paradoxe de ces discours managériaux prêchant la flexibilité, tenus par des PDG « dont les trajets se résument à Levallois-La Défense en berline ».

Parce que son travail compte, Antoine a choisi de « jouer le jeu ». Au risque de finir par tout perdre : femme, famille, amis. « Quand vous passez vos semaines loin des vôtres, vous ratez tout, vous n’êtes là pour personne, vous ne vous impliquez nulle part. Et ce n’est pas FaceTime qui permet d’y remédier. Le week-end, de passage auprès de votre femme et de vos enfants, vous tentez de rattraper l’irrattrapable. » Dans sa société, il constate un taux de divorces et de burn-out tristement élevé. Lui-même n’a échappé ni à l’un ni à l’autre. « Cette hypermobilité peut détruire l’unité familiale et la vie sociale, en plus de vous disloquer. »

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Bataillons d’actifs aux mines affairées

Dans le confort des salons grands voyageurs, le dirigeant se surprend à mépriser cette image à laquelle il aspirait, pourtant. Cette armée de cadres « en uniforme », suspendus à leur smartphone, absorbés par leurs mails, qui se frôlent mais ne se parlent pas, valeur travail et statut social chevillés au costard, dans « ce théâtre de l’élite mondialisée » dont chacun choisit de rejouer la partition. Les mêmes qu’il retrouvera peut-être, le soir, dans la solitude de l’hôtel. « Aime-t-on nos boulots ou le fait de se sentir important ? », s’interroge-t-il.

Décentralisation : six régions vont piloter Pôle emploi

L’ambiance était à la détente, mercredi 29 janvier, lors des vœux de Régions de France, entre les présidents de région et la ministre de la cohésion des territoires, Jacqueline Gourault. Pour marquer cette intention de réconciliation, Renaud Muselier, qui a succédé début novembre 2019 à Hervé Morin à la tête de l’association, a offert à son invitée un olivier, symbole de paix. Une volonté d’apaisement après des mois de relations tumultueuses entre l’exécutif et les trois principaux groupements d’élus – Association des maires de France (AMF), Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France –, faisant front commun, avec l’appui du président du Sénat, Gérard Larcher, au sein de Territoires unis.

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Il est vrai que la réforme de la fiscalité locale liée à la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, contre laquelle bataillaient ces associations, est désormais inscrite dans la loi. Et que l’AMF et le Sénat se sont finalement félicités de l’adoption, fin décembre, de la loi engagement et proximité promulguée fin décembre 2019, qui conforte les pouvoirs des maires et l’exercice des mandats locaux. Les esprits sont à présent tournés vers la loi décentralisation, différenciation, déconcentration (« 3D ») qui devrait être présentée au deuxième trimestre, après les élections municipales.

Geste apprécié

Alors que Mme Gourault a engagé un cycle de concertation avec l’ensemble des élus locaux et de leurs représentants, au niveau national et dans chacune des régions, Edouard Philippe a apporté à ces dernières une première satisfaction. Lors du congrès des Régions de France qui s’était tenu le 1er octobre 2019 à Bordeaux, le premier ministre avait proposé que trois régions volontaires puissent expérimenter un pilotage de l’action de Pôle emploi « dans le domaine de la formation professionnelle ». Pas moins de douze régions se sont portées candidates.

Dans un courrier adressé le 21 janvier à M. Muselier et que Le Monde s’est procuré, le chef du gouvernement indique que l’expérimentation va pouvoir démarrer, « dans un premier temps », dans six régions : Hauts-de-France, Nouvelle-Aquitaine, Centre-Val de Loire, Pays de la Loire, Normandie, Auvergne-Rhône-Alpes. « J’ai demandé à madame Muriel Pénicaud, ministre du travail, de travailler dans les meilleurs délais, en lien avec les préfets et les présidents de conseil régional, à la mise en œuvre de cette expérimentation », précise M. Philippe. Celle-ci devrait être articulée, ajoute-t-il, avec la mise en œuvre du service public de l’insertion destiné à renforcer l’accompagnement des personnes éloignées de l’emploi. Le geste a été apprécié par les régions, qui souhaitent disposer du pouvoir de « coordonner le service public de l’emploi ».

Volkswagen-Tesla, Nokia-Apple… : « le dilemme de l’inovateur »

Clayton Christensen, professeur de management à Harvard, à New York, en 2016. Il est décédé jeudi 23 janvier 2020.
Clayton Christensen, professeur de management à Harvard, à New York, en 2016. Il est décédé jeudi 23 janvier 2020. Slaven Vlasic / AFP

Pertes & profits. En guerre économique, comme en guerre tout court, on se méfie toujours des petits nouveaux qui ne pensent pas comme nous. « Innovation : toujours dangereuse », avançait Gustave Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues (1913). En termes de stratégie industrielle, cette menace est existentielle. Et si un autre prenait ma place ? C’est le cri lancé récemment par le patron de Volkswagen, Herbert Diess, affirmant ne pas vouloir subir le sort de Nokia, la marque culte des téléphones portables, qui a sombré après l’arrivée de l’iPhone d’Apple. Et son Apple à lui s’appelle Tesla.

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On ne saurait trop conseiller au pilote du premier constructeur automobile mondial de se plonger dans les œuvres de Clayton Christensen, professeur de management à Harvard et considéré comme le pape de l’innovation. Il est décédé, jeudi 23 janvier, à l’âge de 67 ans.

Un futur incertain

C’est lui qui popularisa la notion d’innovation de rupture en se posant justement cette question simple : pourquoi des acteurs en place, dominant et riches, peuvent-ils disparaître ou se faire marginaliser par de nouveaux arrivants bien moins fortunés. Selon, lui, ce n’est pas par manque d’information – Kodak avait parfaitement identifié le risque de la photo numérique – ni de volonté, mais par contrainte et mode de pensée. Ce que Christensen a appelé, dans son livre le plus célèbre, le dilemme de l’innovateur (The innovator’s dilemma, Harvard Business Review, 1997).

La contrainte est celle de compromettre son activité historique très rentable pour un futur incertain. Kodak dégageait des marges considérables de son activité pellicule. D’autant que l’innovation apparaît sous un jour défavorable, moins performante, peu chère et séduisant un public différent de celui de l’entreprise dominante. Les premières compagnies aériennes low cost s’adressaient aux étudiants qui prenaient le bus. C’est cet élargissement soudain du marché à de nouveaux utilisateurs qui crée pourtant l’accélération. Le modèle s’améliore et vient grignoter progressivement le cœur de l’activité de l’entreprise historique.

Une prison qui est aussi mentale. C’est un vendeur de livre, Amazon, et un spécialiste du micro-ordinateur, Microsoft, qui ont conquis le marché de l’informatique décentralisée, le cloud computing, alors qu’IBM avait identifié le sujet depuis deux décennies. Parfois critiqué pour son aspect systématique, l’apport essentiel de Christensen, qui dépasse largement le cadre de l’économie, aura été de démonter le mécanisme qui conduit les innovateurs, qui seront les puissants de demain, à prospérer à l’ombre de l’orgueil et du confort des puissants d’aujourd’hui.

Les référents métiers au secours du dialogue social

« Agir sur la qualité du travail. L’expérience de Renault Flins », de Jean-Yves Bonnefond, Erès, 240 pages, 23 euros.
« Agir sur la qualité du travail. L’expérience de Renault Flins », de Jean-Yves Bonnefond, Erès, 240 pages, 23 euros.

Le Livre. Le risque dépressif baisse lorsque les salariés peuvent agir sur les décisions concernant l’organisation du travail. Pourtant, le « travail empêché » est le quotidien de beaucoup de salariés, tous secteurs confondus, public et privé, selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail. Près d’un tiers d’entre eux (32 %) disent ne pas ressentir la fierté du travail bien fait. C’est alors « la défiance qui domine dans les relations professionnelles car, pour un grand nombre de salariés, l’organisation du travail est loin d’être aussi “agile” et “flexible” ou “bottom-up” [“de haut en bas”] que nécessaire », constate Jean-Yves Bonnefond dans l’essai Agir sur la qualité du travail.

Pour le docteur en psychologie du travail, « la qualité du travail est d’abord un problème » : en faire un sujet institutionnel, c’est commencer par soulever la question de la définition et de l’évaluation des critères retenus pour juger de la qualité du produit fabriqué, du service rendu ou du soin prodigué. « Mais c’est aussi, à certaines conditions, une solution durable pour l’efficacité et la santé dans les organisations. » Son ouvrage contribue à le montrer.

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La matière première du texte est une expérimentation menée à l’usine Flins de Renault par le clinicien de l’activité, avec l’équipe de psychologie du travail du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). L’auteur y arrive en avril 2012, au sein du département montage, dans l’unité d’habillage des portes. L’ouvrage revient sur la genèse et le développement d’un dialogue entre pairs, ligne hiérarchique, direction et organisations syndicales autour de critères de qualité au travail.

Une légitimité nouvelle

Le dispositif est à l’origine d’innovations durables : des « référents métier » élus par les ouvriers, délibérant sur le travail baien fait qui se transforme avec eux, et une instance tripartite de coopération, en cas de conflit, entre ouvriers, direction et syndicats.

Cette transformation organisationnelle tire sa pérennité d’une force de rappel nouvelle : « L’opérateur référent métier, élu dans le collectif et en dialogue aussi bien avec sa hiérarchie qu’avec les instances représentatives du personnel. » Il incarne une légitimité nouvelle susceptible de faire descendre le dialogue social à la rencontre des problèmes de travail réels.

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Lorsque l’ouvrage paraît, l’intervention de l’usine Flins de Renault a pris fin depuis deux ans. Elle en aura duré presque cinq. Pourtant, en un sens, elle dure encore : à ce jour, un collectif de plus de cent référents métiers élus par leurs pairs fait vivre dans cette usine de 4 500 salariés un dialogue sur la qualité du travail entre la hiérarchie et les ouvriers et, d’abord, un dialogue entre ces derniers. « Du coup, comme le montre ce livre, les ouvriers comptent davantage pour quelque chose dans un travail qui s’est transformé avec eux », analyse le psychologue Yves Clot dans la préface.

Cadres, objectif 2020 : sortir du flou

« Qu’est-ce qu’un cadre : un encadrant ? Une qualification ? Un niveau de rémunération ? Une délégation du chef d’entreprise ? Un membre de la direction ? Un degré d’autonomie dans le travail ? »  Photo ; Un cadre montant les marches de La Grande Arche à la Défense (92) France.
« Qu’est-ce qu’un cadre : un encadrant ? Une qualification ? Un niveau de rémunération ? Une délégation du chef d’entreprise ? Un membre de la direction ? Un degré d’autonomie dans le travail ? »  Photo ; Un cadre montant les marches de La Grande Arche à la Défense (92) France. Jacques Loic / Photononstop

Carnet de bureau. Les cadres du privé étaient 3,9 millions en 2019, et pourtant on ne sait toujours pas qui ils sont ! Il y a cinq ans, les négociations ont commencé sur le « statut cadre », voué à disparaître avec la fusion des caisses Agirc et Arrco, intervenue le 1er janvier 2019. L’enjeu est d’importance : niveau de salaire, positionnement dans le management, couverture sociale (mutuelle, assurance-vie), pension de retraite plus favorable que celle du simple salarié.

Mais telle une boîte de Pandore, les discussions ouvertes à propos du régime de retraite complémentaire ont soulevé des polémiques en série sur la définition même du « cadre ». Qu’est-ce qu’un cadre : un encadrant ? Une qualification ? Un niveau de rémunération ? Une délégation du chef d’entreprise ? Un membre de la direction ? Un degré d’autonomie dans le travail ? Les débats sont allés bon train durant cinq ans, avec éclats de voix et interruptions de séances. L’accord national interprofessionnel du 17 novembre 2017 a esquissé une sorte de statu quo, sans pour autant donner de définition du cadre.

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Et, en 2020, la question n’est toujours pas tranchée. Le Medef a transmis, le 16 janvier, aux partenaires sociaux un texte de dix-sept « orientations », qui insiste sur l’évolution de l’environnement de travail du cadre et sur ses relations avec l’employeur. Le cadre y est défini comme « une catégorie de salariés occupant des postes de travail nécessitant une attention particulière ». « Qu’il exerce des fonctions d’expertise et/ou de management, [il] évolue dans un univers profondément transformé : agilité et adaptabilité caractérisent sa fonction dans l’entreprise », indique le texte. Deux critères délicats à manier pour établir un organigramme.

« Pauvre » et « déséquilibré »

Le patronat, qui depuis le début des négociations refuse d’entériner une définition du statut cadre opposable aux entreprises et aux branches, n’a d’ailleurs pas bougé sur ce point. Dans son texte, il réaffirme qu’il « n’y a pas de définition univoque du cadre » ; il renvoie toujours « à chaque branche [d’activité]» le soin de « définir ce qu’est un cadre dans le contexte sectoriel qui est le sien ». Il ne s’agit pas d’un revirement de position du Medef. Le statut cadre baigne toujours dans un grand flou, seule la mission de l’Association pour l’emploi des cadres commence à s’esquisser. Mais ce texte est un premier écrit formalisé par le patronat, qui permet de reprendre langue.

Dans les entreprises, la « prime Macron » s’essouffle

« Au vu des réticences affichées, les pouvoirs publics ont proposé des simplifications parmi lesquelles la possibilité de signer un premier accord d’intéressement pour une seule année au lieu de trois »
« Au vu des réticences affichées, les pouvoirs publics ont proposé des simplifications parmi lesquelles la possibilité de signer un premier accord d’intéressement pour une seule année au lieu de trois » Ingram / Photononstop

Près de 2,2 milliards d’euros versés à 4,8 millions de salariés dans 408 000 établissements : au printemps 2019, à l’heure du bilan de la prime Macron, le patronat français n’avait pas manqué de souligner combien les entreprises avaient joué le jeu. Elles avaient, de fait, largement répondu à l’appel lancé par le président de la République au plus fort de la crise des « gilets jaunes », les incitant à mettre en place une prime exceptionnelle défiscalisée jusqu’à 1 000 euros.

Quelques mois plus tard, alors que le dispositif a été reconduit pour la seconde année, le ton a changé. C’est désormais avec circonspection que les grandes entreprises s’expriment sur le sujet.

Beaucoup d’entre elles, comme Carrefour ou Saint-Gobain, indiquent qu’« aucune décision n’a été prise » (elles ont jusqu’au 30 juin 2020 pour verser la prime). D’autres ont décidé de ne pas renouveler le dispositif. C’est le cas de Decathlon, où la prime s’élevait à 300 euros en 2019. « Les collaborateurs ont perçu des primes propres à l’enseigne », explique l’entreprise. Même évolution chez Leroy Merlin : pas de prime Macron en 2020, alors que les salariés avaient touché 300 euros l’année précédente. La société mettant en avant ses dispositifs internes avec, assure-t-elle, « une prime 2019 à un niveau historique ».

Ampleur réduite

Quant aux sociétés qui ont décidé de reconduire la prime, si certaines ont conservé les mêmes modalités (Air Liquide donne une prime de 700 euros, par exemple), d’autres en ont réduit l’ampleur comme BNP Paribas, qui annonce une prime de 400 à 500 euros. « Elle atteignait 1 000 euros l’an dernier », rappelle un délégué syndical.

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Le cabinet Mercer confirme, dans son enquête mensuelle de décembre 2019, un engagement plus faible des grandes entreprises. Seuls 27 % des répondants envisagent de verser la prime en 2020 (contre 73 % en mars 2019, lors de la première édition de la prime) ; 54 % des sondés indiquent qu’ils n’en verseront pas, 19 % ne se prononcent pas.

« On se dirige a priori vers une moindre participation, explique Bruno Rocquemont, directeur gestion des talents chez Mercer. Mais, tempère-t-il, on note toutefois que la proportion d’entreprises ne souhaitant pas verser la prime a diminué entre novembre et décembre, tandis qu’un plus grand nombre d’entre elles se déclaraient indécises. Cela en raison d’un climat social plus tendu, mais aussi parce que les entreprises sont pleinement entrées dans les négociations annuelles obligatoires, au cours desquelles le sujet a été remis sur la table. »