A Fos, des salariés d’ArcelorMittal gravement surexposés à un gaz cancérogène
Un rapport de l’inspection du travail alerte sur une « situation dangereuse pour les travailleurs » de la cokerie de l’aciérie avec une concentration 3 000 % au-dessus de la norme.
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Le 8 octobre 2018, la visite de l’inspectrice du travail des Bouches-du-Rhône dans l’usine d’ArcelorMittal de Fos-sur-Mer avait mal commencé : son badge d’accès « avait été désactivé ». Elle s’est terminée par un rapport accablant, concluant à une « situation dangereuse avérée pour les travailleurs » du groupe sidérurgique. Le Monde a eu accès à l’intégralité du document, dont l’existence a été révélée par le site Marsactu, lundi 28 janvier.
Lors de sa visite, l’inspectrice s’est concentrée sur la cokerie d’ArcelorMittal, où est produite la coke essentielle à la fabrication de la fonte. Venue contrôler « l’exposition au risque chimique des salariés » de l’une des usines les plus polluantes de France et d’Europe, elle est allée de mauvaise surprise en mauvaise surprise.
Dans son rapport, l’inspectrice relève de nombreuses anomalies et dysfonctionnements qui, note-t-elle, s’inscrivent dans la durée. Elle consigne ainsi « une nouvelle fois la persistance de fuites sur les portes de fours ». Les fours nO 108, 133, 138, 143,145, 148, 154, 158, 160… laissent échapper de manière importante des fumerolles jaunes caractéristiques de l’émanation d’agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) tels que le benzène, le monoxyde de carbone ou les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP).
Des concentrations 3 206,7 % au-dessus de la norme
Une catégorie de travailleurs est particulièrement surexposée à ces gaz : les ouvriers qui se relaient dans les cabines d’enfournement du charbon. La présence de benzo[a]pyrène, un HAP classé CMR, a été mesurée en août 2018 à des concentrations égales à 3 206,7 % de la valeur limite d’exposition professionnelle. La situation s’est même dégradée, puisqu’un contrôle effectué en juin avait révélé un dépassement de 1 400 %. Aucune mesure corrective n’avait été prise par ArcelorMittal à la suite de ces contrôles, note le rapport de l’inspection du travail.
L’inspectrice a également constaté qu’un salarié conduisait l’une des enfourneuses sans protection respiratoire, que d’autres fumaient, buvaient et mangeaient dans des zones où le port du masque est normalement obligatoire ou encore que le dispositif de détection du monoxyde d’azote au sein des cabines était défaillant.
Sur la base de ces multiples infractions, l’inspection du travail des Bouches-du-Rhône a enclenché une procédure de mise en demeure préalable à l’arrêt temporaire d’activité, et donné deux mois à ArcelorMittal pour établir un plan d’action. Dans un courrier adressé à ses salariés mardi 28 janvier, le groupe sidérurgique tente d’éteindre ce nouveau départ d’incendie. « Contrairement à ce qu’affirment plusieurs articles de presse diffusés ces derniers jours, l’environnement et la santé sont notre principale priorité », indique ArcelorMittal. Le texte reprend les éléments de langage envoyés aux médias.





Au milieu de la crise sociale inédite que traverse la France avec les « gilets jaunes », le patronat est dans sa bulle. Sans doute craint-il les conséquences de la contestation sur l’activité économique. Mais pour le reste, il coule des jours tranquilles, choyé par Emmanuel Macron, qui a répondu à la plupart de ses attentes, et bizarrement ignoré par les « gilets jaunes ».
Quand ceux-ci réclament des hausses de salaires, ils ne se tournent pas vers le Medef mais vers l’Etat, comme si c’était lui qui arrêtait, au-delà du smic, les hausses de rémunération dans les entreprises privées. Et si bon nombre de manifestants sur les ronds-points souffrent de la précarité, on ne les a guère entendus exprimer des revendications sur la question du chômage.
Dans ce contexte tendu, la négociation sur l’assurance-chômage, engagée en novembre 2018, revêtait une importance capitale, ne serait-ce que pour montrer qu’il est encore possible dans ce pays d’obtenir des résultats par le dialogue entre partenaires sociaux. Les organisations patronales – le Medef, la CPME et l’Union des entreprises de proximité (U2P) – ont pourtant décidé, lundi 28 janvier, d’arrêter leur participation.
Le prétexte ? Le jeudi 24 janvier, dans la Drôme, le chef de l’Etat a affirmé une autres fois sa volonté de réguler le recours aux contrats courts par un système de bonus-malus. Face à la fronde, M. Macron a opportunément et fermement rappelé une promesse de sa campagne. Fin septembre 2018, le « document de cadrage » du premier ministre remis aux partenaires sociaux pour cette négociation, qui fixait l’objectif d’une économie de 3 milliards à 3,9 milliards d’euros pour l’assurance-chômage en trois ans, leur laissait le soin de trouver la bonne solution pour réduire le recours aux contrats courts.
L’Etat va prendre la main
Depuis vingt ans, les CDD de moins d’un mois ont été multipliés par 2,5, ce qui représente un surcoût de 2 milliards d’euros pour l’Unedic. Les entreprises, a affirmé Laurent Berger, « utilisent et surabusent des contrats courts ». Pour le secrétaire général de la CFDT, elles « font payer à l’assurance-chômage leur flexibilité interne ». Un système de bonus-malus finirait à moduler les cotisations chômage des employeurs, actuellement de 4,05 %, en fonction du taux de rupture des contrats de travail. Le patronat est vent debout face à une telle réforme, soutenue par les syndicats. Pour Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, elle mènerait à « détruire des CDD et des emplois d’intérim sans pour autant créer des CDI ».
Pour couvrir sa désertion des discussions en cours, qui étaient dans l’impasse et devaient s’achever le 20 février, le Medef a dénoncé l’intervention du président de la République « semblant indiquer que le bonus-malus se mettra en place et ce, quel que soit le résultat de la négociation ». « Tous les efforts menés par les négociateurs pour “déprécariser” les contrats courts ont ainsi été balayés d’un revers de main », a annoncé la CPME.
Le patronat pratique ainsi une politique de la terre brûlée. Alors que le chômage, malgré une légère baisse en 2018, reste à un niveau élevé, la recherche d’un compromis était urgente. C’était aussi l’occasion d’exposer à un président qui ignore volontiers les corps intermédiaires qu’ils savent faire preuve de sagesse. Le patronat a choisi l’option de l’irresponsabilité. L’Etat va prendre la main et, à l’arrivée, il n’y aura que des perdants.