Coronavirus : des salariés demandent l’arrêt du travail chez Amazon en France

Sur le site Amazon de Lauwin-Planque (Nord), en décembre 2019.
Sur le site Amazon de Lauwin-Planque (Nord), en décembre 2019. PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

« On ne blague pas avec le Covid-19 : Amazon doit prendre ses responsabilités et demander à ses salariés de se confiner afin de limiter la propagation du virus ! » Le mot d’ordre résume la mobilisation naissante parmi certains salariés français du leader mondial de la vente en ligne. Cette revendication est extraite d’un tract qui appelait à la « grève » et à un rassemblement sur le parking de l’entrepôt d’Amazon à Saran, près d’Orléans, de 11 heures à 15 heures, ce mercredi 18 mars. Il est soutenu par les syndicats SUD, UNSA, CFE-CGC, Cat et CGT.

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D’autres salariés se mobilisent contre des conditions de sécurité jugées insuffisantes et mal appliquées, aux Etats-Unis mais aussi en France, notamment sur le site de Lauwin-Planque, dans le Nord. « Les gens ont peur, explique Gaël Begot, élu CGT de cet entrepôt. Les consignes contre le coronavirus ne sont pas respectées sur le site : on manque de gel hydroalcoolique, les gens ne peuvent se tenir à un mètre les uns des autres quand ils badgent ou à la cantine, on nous demande de tenir des rampes en métal que tout le monde touche… Pour Amazon, c’est le pognon avant tout. »

Les cadres en télétravail

« Les distances de sécurité entre salariés ne sont pas respectées pendant le travail et les pauses », abonde Khaled Bouchajra, élu CGT du site de Saran, photos à l’appui. « Le gouvernement préconise de ne pas côtoyer plus de cinq personnes hors de son cercle familial, ce qui n’est pas possible sur les sites d’Amazon », dénonce le tract intersyndical.

Les nettoyages ont été renforcés et les employés sont tenus de désinfecter leur poste après chaque tranche de travail

Contacté, le groupe dit « placer la santé de ses employés et de ses partenaires en priorité absolue ». L’entreprise a conseillé le télétravail à tous ses salariés dont l’activité permet de rester chez soi. Ce qui est le cas des cadres, mais pas des nombreux employés des entrepôts, chargés de la logistique des colis vendus en ligne. Pour eux, le géant américain dit suivre les recommandations sanitaires du gouvernement sur tous ses sites. Les nettoyages ont été renforcés et les employés sont tenus de désinfecter leur poste après chaque tranche de travail. Les lieux de travail et de repos ont été aménagés, avec des autocollants au sol indiquant les distances à respecter, ajoute-t-on. Les pauses auraient aussi été échelonnées pour réduire le nombre de gens en contact, toujours selon Amazon.

Pour faire face à l’afflux de demandes de livraison émanant de clients confinés dans le monde, l’entreprise de Jeff Bezos a aussi annoncé, mardi 17 mars, l’embauche de 100 000 employés à temps plein ou partiel. Et une hausse temporaire du salaire horaire de deux dollars ou deux euros, aux Etats-Unis et en Europe, jusqu’à fin avril.

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« Amazon joue avec notre santé en continuant d’intégrer des intérimaires dans un contexte où la promiscuité est à proscrire », rétorque l’intersyndicale de Saran. A Lauwin-Planque, 300 employés temporaires ont été intégrés au cours des trois derniers jours, selon M. Begot. Et au total, 3 000 personnes travaillent aujourd’hui sur le site, qui compte 1 743 employés à plein temps, affirme l’élu. L’activité est inférieure au gros pic de Noël (jusqu’à 5 000 employés) mais supérieure à la moyenne (autour de 2 500), explique encore le délégué CGT.

Le droit de retrait envisagé

« La hausse de salaire temporaire de deux euros par heure, c’est comme un bonbon donné à un enfant pour qu’il reste sage », critique encore l’élu.

Pour faire pression sur la direction, les syndicalistes souhaitent exercer leur droit de retrait, estimant que le coronavirus les met en danger sur leur lieu de travail. C’est le cas de Jean-François Bérot, responsable syndical SUD-Solidaires à Saran, cité par La République du Centre. Et de M. Begot à Lauwin-Planque. Ainsi que de la CFDT d’Amazon au niveau national. Les syndicats incitent les salariés à faire de même. « Mais la direction met la pression sur les employés, qui ont peur de perdre leur job s’ils demandent à exercer leur droit de retrait », fait savoir M. Begot. L’élu dit avoir rencontré, mardi, la préfecture du Loiret, avec d’autres responsables syndicaux, afin d’alerter sur la situation.

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De son côté, Amazon communique depuis mardi sur l’utilité de son activité en temps de confinement : « Les clients n’ont, pour beaucoup, pas d’autre moyen d’obtenir des produits essentiels », argumente-t-on. L’entreprise dit prioriser temporairement les « produits de nécessité » dans les livraisons de vendeurs vers ses entrepôts. Pour les élus de Saran, l’activité de la société n’est pas « essentielle ».

Cinq cas en Italie et en Espagne

En Italie et en Espagne, cinq cas de Covid-19 se sont déclarés chez des employés du groupe, selon l’agence Bloomberg. La direction a décidé de ne pas fermer les trois sites concernés, rapporte la dépêche. Cette politique de continuation d’activité a suscité un appel à la grève sur le site italien de Castel San Giovanni (au sud de Milan), affirme Bloomberg. Si aucun cas n’est confirmé en France à ce stade, les élus syndicaux jugent l’exemple espagnol inquiétant.

Aux Etats-Unis aussi, des employés jugent les mesures de protection trop faibles chez Amazon. Un collectif de salariés a lancé une pétition demandant des gestes de la direction pour compenser la « pression » créée par la hausse des commandes : suspension de l’application des quotas de productivité et de leur hausse, augmentation de 50 % des salaires, accès au congé maladie même sans diagnostic officiel du coronavirus, en raison de la pénurie de tests… Les 1 500 pétitionnaires demandent aussi que les frais de garde d’enfants soient couverts par le fonds de 25 millions de dollars (22,8 milliards d’euros) que le groupe a mis en place pour aider financièrement les intérimaires et livreurs indépendants atteints par le coronavirus.

Plusieurs employés dénoncent une injustice par rapport aux cadres qui télétravaillent : « Nous, simples petits ouvriers, avons juste le droit d’être confrontés à notre cher petit virus et de potentiellement le transmettre à nos proches et tout ça, avec le sourire », ironise le tract de Saran.

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« Coronavirus : le bureau s’installe à domicile »

Selon une enquête publiée le 12 mars, « près d’un tiers des entreprises et des salariés installent régulièrement (6,4 jours par mois) leur bureau à domicile, les cadres toujours en priorité ».
Selon une enquête publiée le 12 mars, « près d’un tiers des entreprises et des salariés installent régulièrement (6,4 jours par mois) leur bureau à domicile, les cadres toujours en priorité ». Ingram / Photononstop

Carnet de bureau. Fait à la maison ! Le domicile est le lieu privilégié de 90 % des télétravailleurs (les autres travaillent dans un espace mis à disposition par leur entreprise ou en coworking). Mais 19 % seulement ont une pièce réservée à cet usage, pour les autres, les dossiers professionnels doivent trouver leur place entre le canapé et les jouets du petit dernier. L’ordinateur, portable de rigueur, sur un coin de bureau, voire dans la cuisine pour être tranquille.

« Le télétravail régulier est une pratique encore peu répandue », indiquait le ministère du travail dans sa dernière étude basée sur les chiffres 2017. Seuls 3 % des salariés y avaient alors recours au moins un jour par semaine, surtout des cadres (61 %). La pratique s’est, semble-t-il, répandue sans attendre les aléas de la pandémie de Covid-19. L’enquête du mutualiste Malakoff-Humanis, réalisée de novembre 2019 à février 2020 et publiée le 12 mars, révèle que près d’un tiers des entreprises et des salariés installent régulièrement (6,4 jours par mois) leur bureau à domicile, les cadres toujours en priorité.

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Mais travailler à domicile, ça s’apprend. « Je m’suis mis en télétravail, mais j’ai oublié le chargeur du PC portable », tweetait Ahsad, le 12 mars, à quelques heures de l’allocution du président invitant les entreprises à demander à leurs salariés de rester chez eux.

Et ça se prépare : le télétravail n’est pas le même avec ou sans enfant à la maison. Les animaux domestiques doivent aussi être pris en compte. Les miaulements énervés d’un chat interrompent à coup sûr le télétravail. Plus d’un salarié sur deux (58 %) constate qu’il devient difficile de séparer les temps relevant de la vie privée et ceux de la vie professionnelle. « Je n’avais pas pensé que le télétravail m’obligerait à préparer mon déjeuner », notait Florence, coincée chez elle pendant les grèves de décembre.

Une appli costume-cravate

La majorité des salariés interrogés par Malakoff-Humanis (57 %) observent que les échanges entre collaborateurs se complexifient. Chacun sait qu’un courriel peut être mal interprété, et qu’il faut hiérarchiser ses moyens de communication.

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C’est surtout chaotique quand on passe au télétravail du jour au lendemain, car les outils et leur maîtrise jouent un rôle important, explique Elise Geinet, responsable commerciale en télémédecine, en télétravail depuis deux ans. « Moi, je suis dans le secteur numérique, alors j’ai les outils et les réflexes. Je fais partie d’une équipe d’une dizaine de personnes, sans compter les collègues techniques, on communique énormément. Téléphone, Skype… hier, le serrurier est venu poser des verrous alors que j’étais en vidéoconférence, j’ai juste mis l’ordi sur silencieux, ouvert la porte au technicien, puis ai facilement repris le fil de la réunion. »

Quand le manageur devient élu local

« Dans les deux mois suivant la date à laquelle il a prévenu son employeur de son intention de reprendre son travail, l’ex-élu retrouvera son emploi assorti d’une rémunération équivalente » (Mairie d’Arles, le 19 février).
« Dans les deux mois suivant la date à laquelle il a prévenu son employeur de son intention de reprendre son travail, l’ex-élu retrouvera son emploi assorti d’une rémunération équivalente » (Mairie d’Arles, le 19 février). GERARD JULIEN / AFP

Droit social. A la suite des élections municipales, plusieurs dizaines de milliers de salariés, et en particulier des cadres, vont devenir titulaires d’un mandat local. On compte actuellement 16 % de cadres candidats, après les retraités (41 %), mais avant les agriculteurs (14 %).

Comment concilier la charge, extrêmement variable selon la taille de la population et le niveau de responsabilité du maire, de l’adjoint au maire, ou du conseiller municipal, avec l’activité salariée ? La loi « Engagement et proximité » du 27 décembre 2019 a voulu faciliter cette conciliation, nécessaire à la sauvegarde d’un bon vivier de candidats pour assumer ces fonctions plébiscitées par les Français (63 %).

Crédit d’heures

En début de mandat, le nouvel élu salarié peut, à sa demande, bénéficier d’un entretien individuel spécifique avec son employeur. Son but ? Fixer les modalités pratiques d’exercice de son mandat et faciliter l’organisation de la double vie professionnelle et municipale. Mais aussi évoquer les conditions de rémunération des absences consacrées à ces fonctions sous forme de crédit d’heures trimestriel : de dix heures trente pour les conseillers municipaux des communes de moins de 3 500 habitants, à cent vingt-deux heures trente pour les maires des communes de moins de 10 000 habitants.

Si l’employeur doit laisser à tout membre d’un conseil municipal le temps nécessaire pour se rendre aux réunions et participer aux travaux préparatoires, il n’est pas tenu de les payer. Ce qui, en l’absence de compensation par la collectivité locale, peut dissuader des candidats et mettre les élus en difficulté financière, même si nombre de réunions sont programmées en début de soirée.

Réservée aux maires et à leurs adjoints des communes de plus de 10 000 habitants, la suspension du contrat de travail liée à l’élection n’est pas automatique : c’est à l’élu de la demander à l’employeur… qui ne peut en principe pas la refuser, s’il a plus d’un an d’ancienneté.

Dans les deux mois suivant la date à laquelle il a prévenu son employeur de son intention de reprendre son travail, l’ex-élu retrouvera son emploi assorti d’une rémunération équivalente, bénéficiant de tous les avantages acquis par les salariés de sa catégorie pendant l’exercice de son mandat de six ans.

Sanctions pénales

Alors qu’avant 2020, toute rupture du contrat de travail d’un élu local par l’employeur nécessitait l’autorisation expresse de l’inspecteur du travail, ce qui pouvait dissuader certaines entreprises d’en embaucher, le législateur le fait désormais simplement bénéficier de la protection générale contre les discriminations en matière d’embauche, d’affectation, de rémunération, et bien sûr de rupture (L 1132-1). Avec une obligation de réintégration sous astreinte si la discrimination est avérée.

Des facteurs font valoir leur droit de retrait par crainte d’être contaminés

Rue Bayen, dans le 17e arrondissement de Paris, de nombreuses personnes font la queue sur le trottoir pour se rendre à La Poste, le lundi 16 mars.
Rue Bayen, dans le 17e arrondissement de Paris, de nombreuses personnes font la queue sur le trottoir pour se rendre à La Poste, le lundi 16 mars. JULIEN MUGUET « POUR LE MONDE »

La distribution du courrier était maintenue, mardi 17 mars, mais des facteurs ont fait valoir leur droit de retrait partout sur le territoire, estimant que les mesures prises par La Poste sont insuffisantes pour protéger leur santé et celle du public face au coronavirus.

En direct : La France au premier jour du confinement

Interrogée mardi matin par l’Agence France-Presse (AFP), la direction de La Poste a fait savoir qu’elle était en train de faire le point de la situation. Elle a précisé que « 1 600 bureaux de poste étaient ouverts mardi » sur 7 740, assurant « les opérations prioritaires : retrait-dépôts d’espèces, mandat cash, retraits de courriers-colis en instance ». « 80 % des factrices et des facteurs, soient environ 55 000, assurent leurs tournées ce jour. L’appareil industriel de La Poste fonctionne normalement [centre de tri pour les courriers et les colis] », a-t-elle ajouté.

Une vingtaine de départements concernés

Des postiers « ont exercé leur droit de retrait à Marseille, Lille, Lorient, Toulouse, Caen, Vitrolles, Paris, Chambéry, Le Mans, Bayonne, Bergerac, Montpellier, Sarlat, en Seine-Saint-Denis, dans le Puy-de-Dôme, l’Aube, la Haute-Normandie, en Gironde, dans le Finistère, le Val-de-Marne, la Sarthe et les Hauts-de-Seine, et la colère monte un peu partout sur le territoire pour les mêmes raisons, certains directeurs locaux tentant de s’y opposer », a affirmé, de son côté, SUD-PTT, qui dénonce « un manque de protection élémentaire ». « A Paris, l’ensemble des fédérations syndicales (CGT, CFDT, FO, SUD-PTT, UNSA, CFTC, CGC) ont dénoncé les pressions exercées sur les salariés dans l’exercice de leur droit de retrait », a déclaré à l’AFP Eddy Talbot (SUD-PTT).

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Lors d’une réunion avec la direction des ressources humaines du groupe, elles ont aussi demandé « que les missions indispensables soient redéfinies avant toute chose mais la direction a estimé que toute l’activité devait être assurée », a-t-il déploré, évoquant un « silence au sujet des personnes contaminées ».

« Un paquet de mouchoirs jetables et un sac-poubelle »

« Une bouteille d’eau, un paquet de mouchoirs jetables et un sac-poubelle : c’est tout ce que La Poste a fourni aux facteurs au lendemain de l’allocution du président de la République annonçant le confinement [des Français] », a dénoncé auprès de l’AFP François Marchive, responsable de SUD-PTT Isère-Savoie. Chargé de la distribution du courrier, il s’insurge : « Des mesures ont été prises dans les bureaux de poste mais, du côté des facteurs, rien n’est fait ! Les agents mettent leur vie en danger. » « On va demander à être reçu par le préfet et à avoir un contact avec le cabinet du ministre de la santé [Olivier Véran] », également ancien député de l’Isère, a-t-il ajouté.

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Dans les Hauts-de-Seine, « 200 postières et postiers exercent depuis lundi leur droit de retrait, majoritaire dans les établissements courrier d’Asnières, Gennevilliers, Levallois, Villeneuve-La-Garenne, Clichy, Fontenay-aux-Roses, Malakoff, Courbevoie » et de nombreux facteurs ont aussi cessé le travail à Boulogne, Nanterre et Neuilly, précise SUD-PTT 92 dans un communiqué.

Selon Serge Bourgin, secrétaire départemental SUD-PTT 35, « le mécontentement est fort à la plate-forme industrielle courrier [PIC] de Rennes, un établissement qui compte 410 salariés, maintenus au travail sur les machines de tri, malgré les demandes de droit de retrait et alors qu’il y a des cas de contamination avérés ». « La direction de La Poste veut maintenir l’activité. Hier, il y avait un peu plus de 350 bureaux de poste ouverts, aujourd’hui 69, il y a eu quatre bureaux avec des gens malades, fermés en catastrophe », a ajouté ce syndicaliste.

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Le Monde avec AFP

Boeing 737 MAX : « C’est un vrai “dieselgate” de l’industrie aéronautique que l’on découvre »

« En 2018, un superviseur de l’usine de Renton (Washington) voulait arrêter les cadences de production qui créaient un problème de sécurité : cette requête a été refusée » (Photo: sur les lieux du crash du Boeing de l’Ethiopian Airlines, le 11 mars 2019).
« En 2018, un superviseur de l’usine de Renton (Washington) voulait arrêter les cadences de production qui créaient un problème de sécurité : cette requête a été refusée » (Photo: sur les lieux du crash du Boeing de l’Ethiopian Airlines, le 11 mars 2019). Mulugeta Ayene / AP

Tribune. A la lecture du rapport préliminaire de la commission des transports du Congrès américain sur le Boeing 737 MAX, publié le 6 mars, mais passé inaperçu pour cause de coronavirus, c’est un vrai « dieselgate » de l’industrie aéronautique que l’on découvre. On se demande comment Boeing a pu affirmer si longtemps que ses avions défectueux voleraient à nouveau rapidement. Car le bug à l’origine des deux crashs de la Lion Air (2018) et de Ethiopian Airlines (2019) n’est pas une cause, mais un aboutissement.

La commission d’enquête a reçu 600 000 pages de documents, a mené vingt auditions officielles et, une fois en action, a reçu nombre d’informations émanant de lanceurs d’alerte.

Pour le Congrès américain, la pression commerciale d’Airbus et de son A320 Neo a amené Boeing à couper dans les coûts tout en maintenant un planning démentiel pour mener son programme sans jamais ralentir la cadence, quels que soient les problèmes de production rencontrés en cours de route.

Il y a aussi eu des erreurs de jugement sur les technologies critiques pour la sécurité de ces avions désormais cloués au sol. On a peine à croire que Boeing a délibérément relié à un seul capteur le fameux système MCAS [le système automatique antidécrochage], à l’origine des crashs. C’est en effet le MCAS qui, dans certaines conditions, incline intempestivement le nez de l’avion. Boeing n’a pas voulu déclarer ce système comme étant un équipement « critique », pour éviter de perdre du temps en certification. Or, l’alerte de dysfonctionnement du MCAS ne fonctionnait pas sur la plupart des avions.

Conflit d’intérêt

Plus grave est le conflit d’intérêt, pourtant évident, des employés de Boeing… agissant comme délégués de la Federal Aviation Authority (FAA), le régulateur américain de l’aviation, pour effectuer en son nom le travail de certification.

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Il est pourtant évident que, sous la pression commerciale, ce type de délégation est voué à l’échec. Le rapport met en évidence qu’un de ces délégués avait décidé de ne pas insister sur la nouveauté du système MCAS afin d’éviter trop de certifications et de temps de formation sur simulateur de vol, pour permettre aux pilotes du 737 NG de voler directement sur le 737 MAX.

Pour le Congrès américain, la pression commerciale d’Airbus et de son A320 Neo a amené Boeing à couper dans les coûts tout en maintenant un planning démentiel pour mener son programme sans jamais ralentir la cadence

Et même lorsque ces régulateurs ont bien fait leur travail, la direction de la FAA a contredit leurs avis à plusieurs reprises, comme l’a constaté la commission. Au sein de la FAA elle-même, la communication était en effet déficiente entre bureaux pourtant responsables conjointement de la certification. Et la FAA n’a tout simplement pas correctement utilisé son pouvoir d’investigation, ne posant pas suffisamment de questions et en n’examinant pas en profondeur les réponses de Boeing.

Covid-19 : Airbus se met en configuration de crise

Devant l’usine Airbus, à Hambourg, lundi 16 mars.
Devant l’usine Airbus, à Hambourg, lundi 16 mars. FABIAN BIMMER / REUTERS

Airbus a annoncé, mardi 17 mars, la suspension de sa production sur deux de ses quatre sites espagnols et à Toulouse. L’objectif de l’avionneur européen est de « mettre en place les directives » de confinement de la population annoncées, lundi 16 mars, par le gouvernement pour lutter contre la propagation du Covid-19. La direction du groupe veut mettre à profit les quatre jours qui viennent pour définir « les conditions de transports » de ses salariés qui seront obligés de retourner à l’usine dès lundi 23 mars. Seuls les personnels nécessaires au maintien de la production reviendront à leurs postes. Les autres devront poursuivre leurs activités via le télétravail.

D’ici lundi, la direction veut désinfecter préventivement les deux sites. Pour préparer « le retour des équipes », elle veut d’abord assurer sa fourniture en blouses, masques et charlottes de protection contre le coronavirus. Le siège de l’avionneur européen, à Toulouse, rassemble chaque jour environ 40 000 salariés, dont 30 000 employés directs d’Airbus.

Feuille de route maintenue

Jusqu’à aujourd’hui, le constructeur semble relativement épargné par la propagation de l’épidémie. « Un seul cas positif » a été détecté en Espagne et un autre parmi la myriade de sous-traitants d’Airbus en France. Toutefois, la décision du groupe semble faire écho à l’appel lancé, lundi, par le syndicat Force ouvrière (FO), la première organisation chez Airbus et notamment à Toulouse. Dans un tract, « FO demande le confinement total pour protéger nos salariés et notre industrie ». Une demande qui, si elle était acceptée par la direction, aurait comme conséquence directe l’arrêt total de la production. Une issue que les dirigeants de l’avionneur veulent absolument éviter.

Un ralentissement de l’activité à cause du développement de la pandémie n’a pas été décidé

De même, un ralentissement de l’activité à cause du développement de la pandémie n’a pas été décidé. Airbus devrait évoquer cette question, « fin mars », à l’occasion de la publication de ses résultats pour le premier trimestre de 2020.

Depuis le début de l’année, l’avionneur n’a pas dévié de sa feuille de route et a poursuivi sa montée en cadence pour produire, chaque année, plus d’avions que la précédente. C’est ainsi que lors des deux premiers mois de 2020, il a produit plus d’appareils que lors de la même période un an plus tôt. En février, les chaînes d’assemblages ont ainsi sorti six unités de plus qu’il y a un an. En mars, Airbus a même « livré à Aeroflot le premier des vingt-deux long-courriers A350 » commandés par la compagnie aérienne russe.

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L’objectif d’Airbus est de « maintenir l’activité » de ses usines, assurer « la continuité des opérations » pour livrer ses clients. Aujourd’hui, une compagnie doit patienter en moyenne cinq ans avant de prendre livraison d’un avion. Un délai qu’Airbus ne souhaite pas allonger. Déjà ultra-dominateur sur le secteur des moyen-courriers avec plus de 60 % de part de marché, le constructeur aéronautique a vu celle-ci augmenter au-dessus de 70 % à cause des déboires de Boeing dont le 737 MAX, concurrent direct de l’Airbus 320, est cloué au sol de puis le 13 mars 2019, après deux catastrophes qui ont causé la mort de 346 passagers et membres d’équipages.

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Comment le gouvernement compte aider les petits commerçants, menacés économiquement par la pandémie

Deux heures de réunion téléphonique le matin avec le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, et presque autant l’après-midi avec Agnès Pannier-Runacher, sa secrétaire d’Etat. Les représentants des commerçants ont été sollicités toute la journée du lundi 16 mars pour avoir des réponses à la crise financière qui menace les entreprises et ajuster le plan d’urgence pour les commerçants, contraints de fermer boutique à la suite des mesures d’urgence sanitaire.

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Le gouvernement leur a promis la mise en place d’un plan qui coûtera un milliard d’euros par mois afin d’aider les 450 000 entreprises indépendantes qui réalisent moins d’un million de chiffre d’affaires par an. Ce fonds sera abondé par l’Etat, les régions, mais aussi par un appel que devrait lancer le gouvernement auprès des grandes entreprises – même si bon nombre d’entre elles sont également en difficulté. Une indemnité forfaitaire de 1 500 euros, dont la fréquence de versement reste à définir, devrait être accordée aux entreprises qui doivent baisser le rideau ou qui ont enregistré une baisse d’au moins 70 % de leur chiffre d’affaires. Elles pourront aussi étaler leurs charges sociales et fiscales sur simple demande, sans pénalité.

« A priori, ce sera sur simple déclaration, sans démarche sophistiquée. Pas besoin de recourir à son expert-comptable », indique Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France (CDF). A la différence des précédentes mesures d’aides aux commerçants, pour répondre aux conséquences du mouvement des « gilets jaunes » ou des grèves, que les commerçants avaient trouvé administrativement trop complexes. « Mais on a demandé qu’il y ait une campagne de communication nationale, en télé, radio… pour que le plus petit commerçant du fin fond de l’Aveyron puisse être au courant », poursuit M. Palombi, qui ajoute : « On a demandé aussi l’instauration d’une cellule psychologique, car il y a des chefs d’entreprise qui sont confinés, qui tournent en rond et se demandent comment ils vont pouvoir subsister. »

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Inciter les bailleurs à différer les échéances

D’autant qu’ils ont des loyers à payer. Le gouvernement réfléchit, à la demande des fédérations et des associations, à un dispositif fiscal qui inciterait les bailleurs privés, principaux propriétaires des magasins que les petits commerçants exploitent, à suspendre ou différer les échéances. Les grands enseignes, elles, sont en discussion avec les centres commerciaux.

Depuis le 2 mars, Bpifrance, qui accorde des prêts aux petites entreprises, a mis en place des mesures d’accompagnement aux PME touchées par l’épidémie, dont des prêts de trésorerie pour assurer leur fonds de roulement.

L’Etat a demandé également aux assureurs d’intégrer dans les contrats d’assurance la prise en charge de la perte d’exploitation, dont beaucoup de commerçants ne disposent pas. Et ce, de manière rétroactive.

Toutes ces mesures doivent être affinées et seront mises en place très prochainement. Dans son allocution de 20 heures, le président de la république, Emmanuel Macron, devrait les évoquer, avant qu’elles soient détaillées par Bruno Lemaire, mardi 17 mars, à 7 h 45 sur RTL.

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Coronavirus : 6 000 salles de cinéma ont fermé, 15 000 salariés sont à l’arrêt

« Entre tristesse de fermer et sentiment de participer à l’effort collectif pour lutter contre la pandémie, tous les 2 000 cinémas, soit 6 000 salles en France ont fermé samedi 14 mars à minuit », a expliqué au Monde Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF). Une situation inédite.

Les salles emploient dans l’Hexagone quelque 15 000 salariés. Et un mois d’exploitation, comme celui de mars 2019, par exemple, représentait 18,34 millions de tickets vendus à 6,70 euros en moyenne, soit un chiffre d’affaires de près de 123 millions d’euros.

L’enjeu est crucial pour les exploitants, mais aussi pour toute la filière – depuis les tournages jusqu’aux distributeurs et aux producteurs. Trois phases d’aides aux entreprises sont prévues. Tout d’abord, le gouvernement a déjà annoncé la mise en œuvre de mesures de chômage partiel, de report des charges fiscales et sociales (URSSAF, impôts), avec, dans les cas les plus difficiles, des remises d’impôts directs. « Il s’agit de mettre en sommeil tous les cinémas », qu’il s’agisse d’entreprises, d’associations, de cinéma en régie… souligne le délégué général de la FNCF.

« Préparer la réouverture des salles »

Dans un second temps, interviendra la mise en œuvre des mesures annoncées vendredi 13 mars par le Centre national du cinéma (CNC), comme la suspension en mars de la taxe sur les billets (TSA), payée par les exploitants de salles. D’autres coups de pouce avaient été annoncés la semaine dernière, comme le paiement accéléré, dès mars, des subventions Art et essai pour ces 1 200 établissements classés et des aides renforcées aux salles, aux entreprises de distribution et aux producteurs.

« Dans plusieurs semaines, on espère le plus tôt possible, explique M. Sebbag, il faudra préparer la réouverture des salles ». En attendant, pour les films à l’affiche, « ce sera le plus compliqué » puisque leur carrière est stoppée net et ils devront attendre quatre mois avant de pouvoir être exploités en vidéo à la demande » , constate M. Sebbag. Les longs-métrages qui devaient sortir mercredi, pourront certes négocier une sortie avec les plateformes mais devront négocier avec le CNC s’ils ont reçu des aides liées à leur sortie sur grand écran. « Cela devra rester exceptionnel », affirme-t-il.

Coronavirus : le gouvernement au chevet de l’économie

Dimanche 15 mars, rue Mercière, à Lyon, les restaurants sont fermés.
Dimanche 15 mars, rue Mercière, à Lyon, les restaurants sont fermés. Bruno Amsellem/Divergence pour « Le Monde »

En même temps que la crise sanitaire, l’urgence économique est montée d’un cran, ce week-end, à mesure que l’épidémie de Covid-19 submerge la France. L’annonce, samedi 14 mars au soir, par le premier ministre, Edouard Philippe, de la fermeture des commerces, restaurants, bars et discothèques – à l’exception des commerces alimentaires et des pharmacies – a fait l’effet d’un coup de massue pour les professionnels, qui n’ont pas tardé à appeler à l’aide. « Nous comprenons bien sûr cette décision, mais il nous faut absolument un plan massif de soutien à ces entreprises », a rapidement réagi sur Twitter Geoffroy Roux de Bézieux, le patron du Medef, appelant à un « plan “Canadair” massif de garanties de l’Etat aux banques, pour qu’elles puissent prêter aux PME avec un temps long de remboursement (10 ans) et un différé de paiement ».

Face à l’inquiétude des commerçants, des petites entreprises ou des indépendants, le gouvernement cherche à rassurer à tout prix. Contrairement à ce qui se passe au Royaume-Uni ou en Italie, il se refuse toutefois pour le moment à donner un chiffre précis. Bruno Le Maire a rappelé dimanche soir sur France 2 que l’épidémie allait coûter « des dizaines de milliards » d’euros à l’économie, que « chacun aura une solution économique à ses difficultés ». « J’ai dit qu’il y aurait tout l’argent qu’il faudra », a martelé le ministre de l’économie. « N’allons pas rajouter de la détresse économique » à l’inquiétude sanitaire, a-t-il poursuivi.

Manière de dire que l’exécutif compte soutenir les entreprises et, à travers elles, l’emploi. Depuis la semaine dernière, toutes les entreprises peuvent bénéficier d’un dégrèvement des cotisations et d’impôts, la garantie des prêts de Bpifrance – la banque publique d’investissement – pour les petites et moyennes entreprises (PME) a été renforcée et étendue aux entreprises de taille intermédiaire (ETI), et l’Etat prend en charge l’intégralité de l’indemnisation des entreprises à leurs salariés en chômage partiel. « Le coût global de tout cela sera très élevé », a également souligné la ministre du travail, Muriel Pénicaud, enjoignant toutes les entreprises qui en ont besoin à avoir recours au chômage partiel, sans attendre la réponse de l’administration à leur demande.

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Bercy planche désormais sur les modalités d’un fonds de solidarité qui viserait plus spécifiquement les indépendants. « L’idée serait de dire : vous êtes indépendants, vous avez perdu 90 % de votre chiffre d’affaires, on vous donne telle somme vous permettant de vous payer un peu. Après, il faut voir si c’est un prêt ou pas, qui a droit à quoi… Le fonds pourrait être abondé par l’Etat, en discussion avec les régions et la solidarité de plusieurs grandes entreprises », laisse-t-on entendre dans l’entourage de Bruno Le Maire. Pour le moment, seuls les salariés peuvent bénéficier du chômage partiel.

Face au coronavirus, les hôpitaux de la région Grand-Est vacillent déjà

A l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne), le 6 mars.
A l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne), le 6 mars. THOMAS SAMSON / AFP

Sur les fils WhatsApp des médecins et personnels hospitaliers, les messages alertant sur la situation dans les hôpitaux de la région Grand-Est ont circulé toute la journée de dimanche 15 mars, décrivant « l’enfer » dans des services de réanimation saturés. Le temps d’un week-end, la situation a basculé en France, désormais passée au stade 3 de l’épidémie. Dimanche, plus de 400 personnes étaient hospitalisées dans un état grave (contre 300 la veille).

« C’est une épidémie très rapide et on voit que le nombre de cas double désormais tous les trois jours », a alerté, lundi matin, le directeur général de la santé, Jérôme Salomon. « On voit bien qu’aujourd’hui les hôpitaux (…) ont vraiment de grandes difficultés à prendre en charge les patients qui arrivent tous les jours, toutes les heures », a-t-il souligné. « Je lance un appel à la mobilisation générale de tous les Français. Ce serait catastrophique de devoir en arriver à trier des personnes (…) en réanimation car il n’y a pas de place », a ajouté Jérôme Salomon.

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Dans la région Grand-Est, la plus touchée de l’Hexagone, les hôpitaux vacillent déjà. Le Haut-Rhin concentre les inquiétudes. « On arrive à saturation, on a vingt-cinq personnes sous ventilation à Colmar », explique Jean-François Cerfon, président du conseil départemental de l’ordre des médecins.

« Nous n’avons plus de marge, on est à flux tendu »

Dans l’hôpital de cette ville, toutes les opérations non urgentes ont été déprogrammées, des lits supplémentaires ont été ouverts, mais cela ne suffit pas : « Nous n’avons plus de marge, on est à flux tendu, c’est un casse-tête permanent pour trouver des lits », explique l’anesthésiste-réanimateur, qui craint « trois semaines très dures ». Un urgentiste strasbourgeois confirme que la situation commence à se tendre dangereusement : « C’est une réorganisation permanente car nous n’avons pas assez de lits en réanimation. Nous avons ouvert de nouveaux lits “Covid mais ils sont déjà tous pleins. »

La faculté de médecine a mobilisé ses étudiants, internes ou externes, sur la base du volontariat, pour venir aider dans les CHU. Des médecins de ville ont aussi fermé leur cabinet pour prêter main-forte. Une aide bienvenue tant « la situation est dramatique ».

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A Strasbourg, la capacité de réanimation est d’environ 100 lits : ils sont tous occupés, dont la moitié par des cas de Covid-19. Cette capacité va être augmentée pour passer à 200 lits. « On va avoir un crash test la semaine prochaine », estime Jean Sibilia, doyen de la faculté de médecine de Strasbourg. Car, assure-t-il, « on n’est pas encore au sommet du pic épidémique ». Les moyens, notamment les masques, sont relativement disponibles encore, au moins dans les services dédiés, mais, « si la hausse continue, on va être dans une situation difficile ».

« Une partie de la population n’a pas pris la mesure »

Et le professeur de médecine de rappeler, comme ses confrères, que le confinement et le respect des consignes − éviter de sortir et de se rassembler − sont « un volet majeur dont une partie de la population, qui est un peu dans le déni, n’a pas pris la mesure. Tout ce qui fait qu’on peut éviter de créer une chaîne humaine, casser les transmissions, arrêter les réunions, les dîners entre amis, etc. » est indispensable. « C’est entre nos mains, exhorte-t-il. Pour l’Alsace, c’est presque trop tard, mais on peut encore sauver ce qui peut l’être ailleurs. »

Les yeux rivés sur la situation dans la région Grand-Est, l’Ile-de-France se prépare à encaisser d’ici à quelques jours le choc d’une arrivée massive de patients en état grave. « En Moselle, ils se sont pris la vague une semaine avant nous. On va rentrer dans une cinétique qu’il va falloir réussir à casser ou à atténuer », estime Dominique Pateron, le président de la collégiale des urgentistes de l’AP-HP.

Chez les responsables hospitaliers, le changement de ton entre vendredi et samedi est net. « Si vous voulez aider les hôpitaux, il faut faire en sorte que la vie sociale se restreigne. C’est fondamental. Je supplie l’ensemble des Français d’appliquer les mesures annoncées », a lancé, samedi soir, d’une voix blanche, Martin Hirsch, le directeur général de l’Assistance publique- Hôpitaux de Paris (AP-HP). Pour libérer des lits et des personnels, la moitié des interventions programmées au sein du groupe a déjà été annulée.

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Un peu plus tard dans la soirée de samedi, Aurélien Rousseau, le directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) Ile-de-France, assurait au Monde, entre deux réunions de crise, suivre « heure par heure l’évolution du nombre de cas et de patients en réanimation », un nombre en « accélération nette depuis mercredi ». Pour M. Rousseau, « aucun doute sur le fait que nos réanimations vont être sous une pression maximale. C’est une course contre la montre pour dégager des capacités et aplatir la courbe. Nous allons être à l’épreuve. » Lundi matin, la Fédération hospitalière de France en appelait à « une union sanitaire sacrée » pour combattre « cette épidémie historique ».

« C’est mécaniquement impossible de tous les soigner »

Chez certains médecins, l’heure est même à l’alarme. « Depuis jeudi, il y a au moins vingt ou trente patients Covid qui arrivent chaque jour dans les hôpitaux parisiens. Un sur sept va nécessiter un transfert en réanimation, où il peut rester jusqu’à vingt jours. C’est mécaniquement impossible de tous les soigner », lance Cécile Ghander, endocrinologue à la Pitié-Salpêtrière, qui vient d’être mobilisée pour le dépistage Covid.

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En lisant le message décrivant la situation aux urgences de Mulhouse (Haut-Rhin) qui a beaucoup tourné dimanche chez les soignants, elle reconnaît avoir eu un coup de découragement. « Je me suis dit que c’était foutu, que, malgré tout, ce virus gagne sur le système. Les moyens sont enfin là, mais ils ne suffiront probablement pas. C’est il y a trois semaines qu’il aurait fallu commencer les quarantaines, vider les hôpitaux, et former tout le monde à prendre en charge les Covid. Ce qui me fait peur, c’est que, s’ils ne décident pas une vraie quarantaine, un vrai confinement strict, il y aura encore plus de morts. »

« Nous avons tous peur de ce qui arrive »

D’un bout à l’autre du territoire, on attend désormais le moment d’être frappé de plein fouet par la vague. « Les quatre premiers jours, c’était le désert des Tartares, mais, vendredi, quatre patients sont arrivés d’un coup dont trois dans un état grave », observe Nicolas Van Grunderbeeck, infectiologue à l’hôpital d’Arras, dans les Hauts-de-France. « Nous n’avons pas encore les résultats de tests, mais le tableau ressemble à ce que nous ont décrit nos collègues : un syndrome de détresse respiratoire très sévère et une dégradation rapide de l’état de santé. »

Le plus jeune des patients a 29 ans, et le plus âgé 60 ans. A Arras, où la situation était calme jusque-là, six lits de réanimation Covid ont été ouverts vendredi après-midi, et la capacité d’hospitalisation sera doublée dans la semaine pour atteindre trente lits. Des médecins réanimateurs du privé pourraient être appelés à la rescousse en cas de besoin.

« Nous avons tous peur de ce qui arrive », lâche Nicolas Van Grunderbeeck, en soulignant des « difficultés » pour obtenir des ventilateurs supplémentaires. « Nous nous attendons aussi à des difficultés pour les masques », souligne le médecin, en expliquant que les soignants s’efforcent déjà de les économiser en les gardant trois heures d’affilée sans en changer.

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