Après la suicide de deux policiers, un appel à des mobilisations

Une capitaine de police de Montpellier et un policier de Paris se sont suicidés, jeudi, portant à vingt-huit le de suicides dans la profession en cette année.

Un policier en uniforme à Marseille, le 12 avril.
Un policier en uniforme à Marseille, le 12 avril. CHRISTOPHE SIMON / AFP

Les syndicats de police appellent à des mobilisations vendredi matin et sollicite à être reçu « en urgence » par Christophe Castaner, après deux nouveaux suicides de policiers, jeudi 18 avril, d’une capitaine de Montpellier et d’un policier de Paris.

« Le plan de lutte contre les suicides dans la police doit être une cause nationale et être arrangé priorité ministérielle », a sollicité l’intersyndicale de la police dans un communiqué en précisant vouloir arranger « sans clivage syndical, ni de corps » des rassemblements de personnels de la police nationale vendredi, de 11 h 30 à midi, « devant leurs services respectifs en hommage » aux collègues décédés. L’organisation demande à être reçue « en urgence » par le ministre de l’intérieur, alors que les deux suicides tiennent à vingt-huit le nombre de policiers s’étant donné la mort depuis le début de l’année.

« Les journées dramatiques s’enchaînent »

« Les journées dramatiques se relient à un rythme insoutenable et jamais connu », déclare l’intersyndicale. Selon des sources policières et syndicales, une capitaine de police de la sûreté départementale de l’Hérault s’est donné la mort jeudi matin dans son bureau à Montpellier avec son arme de service.

Le suicide serait fait vers 8 heures à l’hôtel de police de Montpellier. Aucune explosion n’a été entendue, mais des collègues ont été avertis par une odeur de poudre. Ils ont alors découvert vers 9 heures cette femme de 48 ans, mère de deux fillettes, immobile, une balle en plein cœur. La direction départementale de la sécurité publique de l’Hérault n’a pas désiré transmettre à ce stade.

Un autre policier a été perçu jeudi en début d’après-midi à son demeure à Villejuif (Val-de-Marne), a-t-on aussi appris de sources policières et syndicales. Agent de la direction de l’ordre public et de la circulation de la préfecture de police de Paris, ce policier de 25 ans s’est assassiné avec son arme à feu. Il dépendait à la division régionale de la sécurité routière et intervenait dans les écoles. « Des mesures fortes et immédiates doivent être prises sans délai », déclare l’intersyndicale.

Pas une « fatalité » pour Castaner

Vendredi dernier, Christophe Castaner, en visite à l’hôpital des Gardiens de la paix, à Paris, a prévu une augmentation dans la mise en œuvre du plan anti-suicides lancé en 2018 par son prédécesseur, Gérard Collomb. Il a pareillement annoncé la création d’une « cellule alerte prévention suicide » pour la police nationale en garantissant que le suicide n’était pas une « fatalité ».

Un service disponible 24 heures sur 24, à travers un numéro de téléphone, permettra en outre de signaler les tentations et de mettre les personnes en souffrance en relation avec des psychologues. En 2018, 35 policiers et 33 gendarmes se sont suicidés, selon les chiffres du ministère de l’intérieur.

 

Emploi : mécanisme d’aide aux 16-25 ans en difficulté

Certain 229 000 personnes sans emploi ni formation ont profité de la mesure assidue à partir de l’automne 2013 par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault.

Dans les locaux de l’association Réussir ensemble, qui aide les personnes à s’insérer dans la vie active, à Grenoble, en octobre 2016.
Dans les locaux de l’association Réussir ensemble, qui aide les personnes à s’insérer dans la vie active, à Grenoble, en octobre 2016. PABLO CHIGNARD / HANS LUCAS

Sur la ligne de l’emploi des jeunes, les bonnes nouvelles sont si exceptionnelles qu’elles ne peuvent que retenir l’attention – lorsqu’il y en a une. Voilà l’une des réflexions qui arrivent à l’esprit, après la lecture d’une étude publiée, mercredi 17 avril, par la Dares, la direction chargée des recherches au ministère du travail. Elle tire un bilan positif de la garantie jeunes, une mesure utilisée à partir de l’automne 2013 par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault pour arriver en aide aux 16-25 ans qui ne sont ni scolarisés, ni en formation, ni au travail – les NEET, en anglais (« neither in employment nor in education or training »). Ceux qui en ont profité se sont mieux insérés ensuite, sur le plan professionnel : leur « taux d’emploi » s’est aggravé de dix points, « onze mois après leur entrée » dans le dispositif, selon la note dispensée mercredi.

La garantie jeune est placée par les missions locales, un réseau de 439 structures rangé au service des 16-25 ans. Elle se traduit, sur le terrain, « par des modalités d’intervention qui sont proportionnellement innovantes », déclare Carole Tuchszirer, du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) : prise en charge des bénéficiaires de façon collective durant les premières semaines, versement d’une allocation (3 900 euros, en moyenne, sur onze mois), priorité donnée à la multiplication des expériences professionnelles – selon la logique dite du « work first » –, etc.

« Ça leur concède confiance, une estime de soi »

D’abord exercé dans une dizaine de territoires, le dispositif a été étendu progressivement avant d’être généralisé, début 2017. Il a reçu, entre octobre 2013 et la fin juillet 2018, quelque 229 000 jeunes en lieu de grande impuissance. Leur niveau scolaire est « faible », rapporte la Dares : près de la moitié d’entre eux n’ont « pas validé une formation au moins équivalente au CAP-BEP », alors que ce ratio est beaucoup moins dominant parmi l’ensemble des 16-25 ans sortis du système scolaire (18 %). Souvent en butte à des « problèmes » pour se déplacer, les publics qui ont obtenu la garantie jeunes sont aussi « nombreux à être en rupture avec leur famille, avec leur père notamment » : « Quand [ce dernier] n’est pas succombé ou inconnu (14 % des cas), 21 % [des bénéficiaires] n’ont pas eu de contact avec lui dans l’année », soit un taux très supérieur à la moyenne.

« Il n’est pas essentiel de produire une pénurie économique, imminente ou à venir »

En dépit de garde-fous, certaines organisations syndicales demeurent soupçonneuses vis-à-vis de la procédure.

Le siège social de la Caisse des dépôts, à Paris. La CDC a annoncé, en mars, vouloir appliquer une rupture conventionnelle collective.
Le siège social de la Caisse des dépôts, à Paris. La CDC a annoncé, en mars, vouloir appliquer une rupture conventionnelle collective. LOIC VENANCE / AFP

Un récent sigle s’est exigé dans la langue des manageurs : RCC, pour « rupture conventionnelle collective ». Établi par les « ordonnances Macron » de septembre 2017 sur la réforme du code du travail, ce dispositif fourni la faculté à un employeur de se diviser de salariés, sur la base du volontariat et selon des modalités plus simples que celles qui prévalaient auparavant. A ce stade, ce sont surtout des entreprises d’au moins 250 personnes qui y ont recours. Derniers exemples en date : la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et Carrefour, qui ont parlé, en mars, leur intention d’appliquer une telle mesure. Le but est de conduire des réorganisations « à froid », avant que les clignotants ne passent au rouge, dans un esprit consensuel – si possible. Mais, sur le terrain, ces nouvelles adoptes ne passent pas toujours très bien.

À quel point de personnes ont abandonné leur poste ainsi ? Irréalisable de soutenir une réponse exacte : le cabinet de la ministre du travail, Muriel Pénicaud, ne transmet pas ce chiffre. Les seules données globales vacantes figurent dans une « note d’étape » éditée, à la mi-décembre 2018, par la commission d’évaluation des « ordonnances Macron ». Celle-ci rapporte que, sur les huit premiers mois de 2018, soixante-neuf RCC ont été « initiées ».

« Nous ne sommes pas face à une déferlante », annonce Jean-Emmanuel Ray, professeur à l’Ecole de droit de Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Mais la valeur est « de plus en plus utilisée », relie Paul-Henri Antonmattei, professeur à l’université Montpellier-I. « Elle s’impose déjà dans le panel des outils de gestion des effectifs, qui est mis à la disposition des entreprises », ajoute Me Isabelle Taraud, membre du Syndicat des avocats de France.

« Il n’est pas essentiel de produire une pénurie économique, imminente ou à venir », mentionne Me Deborah David

Ce proportionnel réussite tient au fait que la RCC dicte moins de contraintes à un patron : contrairement à un plan de départs volontaires (PDV) « classique » ou à un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), « il n’est pas nécessaire d’invoquer une gêne économique, imminente ou à venir », déclare Me Deborah David. « Ça permet de faire bouger les lignes en interne de façon moins traumatisante qu’un plan social », poursuit Jean-Philippe Dubs, d’Alès Groupe, un spécialiste des cosmétiques qui a fait partir quelque quatre-vingts salariés en 2018 par le biais d’une RCC. « Nous avons conduit cette restructuration en famille, sans expert ni procédure d’information-consultation, comme cela aurait dû être le cas avec un PSE ou un PDV. » L’objectif, en l’espèce, était double : diminuer la masse salariale et les coûts afin de rattacher avec les bénéfices, tout en remplaçant certains salariés par d’autres personnes ayant un « profil plus expert ».

 

« L’implication des syndicats est indispensable pour les travailleurs comme pour la démocratie »

Un an après leur création, les ruptures conventionnelles collectives encaissent du terrain. Le travail des syndicats est éminent pour en entourer la pratique et considérer dans le rapport de force. Il devrait en être de même dans le débat public.

A Aix en Provence, des salariés de Carrefour protestent contre des suppressions d’emplois, le 8 février 2018.
A Aix en Provence, des salariés de Carrefour protestent contre des suppressions d’emplois, le 8 février 2018. BORIS HORVAT / AFP

Il a fallu espérer 1975 pour que soit finalement confirmé en France le divorce par accord mutuel. Plus besoin de démontrer la faute et de s’envoyer des assiettes à la figure pour se séparer. Aujourd’hui, presque un mariage sur deux se termine par un divorce et la grande majorité se concluent à l’amiable. La transformation de mœurs a été encore plus tardive dans l’entreprise. La rupture conventionnelle, égale du consentement mutuel, a été qualifiée en 2008. Elle simplifie et sécurise la séparation, à la fois juridiquement, pour l’employeur, et financièrement pour le salarié. Ce dernier peut palper les compensations chômage sans avoir besoin d’être licencié pour faute. Là encore, le succès a été au rendez-vous (437 000 en 2018). Ce mécanisme conduisait en France l’embryon d’une « flexisécurité », clé du succès des politiques d’emploi dans les pays scandinaves.

D’où l’idée d’étaler le dispositif en le redonnant collectif en 2018. Dans ce cas, ce n’est plus l’individu qui vend ses conditions de départ mais les syndicats. Il s’agissait au début de découvrir pour les sociétés une alternative plus simple aux coûteux plans de départs volontaires et aux complexes plans de sauvegarde de l’emploi. Les syndicats, qui ont le pouvoir de dénier ce plan, sont plus mitigés. Le divorce est affaire personnelle. Quand il devient collectif, il change de nature.

Compétence de terrain

Les délégués du personnel doivent à la fois s’angoisser des conditions de départs, en termes financiers et d’accompagnement (formation), mais aussi de diminuer l’effet d’emballement qu’ils animent chez ceux qui veulent tout plaquer et toucher un chèque, sans trop se soucier du lendemain. Et enfin, ils sont supposés s’angoisser de ceux qui restent et risquent de voir leurs conditions de travail se dégrader après tous ces départs.

Leur implication est donc importante pour défendre les intérêts des travailleurs mais aussi pour extérioriser et codifier le débat grâce à leur expérience et leur expertise. Il est crucial de les assister à récupérer du pouvoir dans les entreprises alors que le taux de syndicalisation s’est effondré à partir des années 1980. Mais on pourrait pousser l’argumentation plus loin. Cette compétence de terrain et ce recul sont indispensables à la déambulation de la démocratie. Le soulèvement des « gilets jaunes », comme le développement du populisme, nous renvoie à la figure la faiblesse contemporaine de ces corps intermédiaires. Ils seraient pourtant bien utiles pour entourer et structurer les contre-pouvoirs dans le débat national. Il semblerait que l’on commence à s’en rendre compte en haut lieu.

 

Suppression des postes chez Carrefour, des syndicats sont contre le projet de la direction

Depuis l’arrivée d’Alexandre Bompard aux manettes du distributeur, en juillet 2017, Carrefour a annuler 5 000 postes.

Alexandre Bompard, PDG de Carrfour, le 28 février 2019.
Alexandre Bompard, PDG de Carrfour, le 28 février 2019. BERTRAND GUAY / AFP

Les structures syndicales et la direction de Carrefour se sont une nouvelle fois croiser, mardi 16 avril, pour invoquer les elliminations des postes envisagées par le groupe de distribution alimentaire.

Un an après le début d’un grand plan de changement accompagné d’une importante réduction d’effectifs, la nouvelle cure d’amaigrissement passe mal auprès des salariés. Sur les réseaux sociaux, plusieurs ont détourné le slogan de l’enseigne en faveur de la transition alimentaire, transformant « Act for Food, Des actions concrètes pour mieux manger » en « Act for Flouz, Des actions concrètes pour mieux se gaver ».

Se tenait des dispositifs prévus dans le dernier changement du code du travail, Carrefour a entrepris de négocier un accord de rupture conventionnelle collective (RCC) lui permettant de réduire ses effectifs par le biais de départs volontaires, sans explication économique. Il a besoin un accord signé par des syndicats représentant au moins 50 % du personnel.

L’objectif du distributeur, qui engage 115 000 salariés en France, dont 60 000 dans ses hypermarchés, vise à annuler 1 229 postes dans ses 220 hypermarchés français pour adapter les effectifs aux nouveaux choix stratégiques censés relancer ce format de magasin (réduction des espaces réservés aux produits non alimentaires, mais création de rayons consacrés au déstockage, abandon de la bijouterie…). Les postes visés touchent donc la bijouterie, le rayon multimédia, l’arrière-caisse, le service de la paie, l’encadrement, les fonctions administratives et les caisses des stations-service.

Autre cure d’amaigrissement

La direction veut ainsi inciter quelques salariés à quitter l’entreprise, afin de proposer à d’autres, dont les métiers seront abandonnés, des postes libérés. Car à la différence d’un plan de départs volontaires (PDV), une RCC permet de pourvoir les postes vacants.

L’ambition des dirigeants est aussi d’accélérer le départ de « salariés, en fin de carrière, qui n’ont pas envie de se former à la digitalisation ou de changer de métier », souffle-t-on en interne. Pour favoriser ce mouvement « sans départ contraint », Carrefour a décidé d’y ajouter un plan de préretraite. Et pour éviter une hémorragie dans ses activités les plus stratégiques, la société a fixé un pourcentage maximum de départs dans chaque secteur, et a exclu de ce plan les rayons de produits frais (boulangerie, pâtisserie, fruits et légumes, poissonnerie…), sur lesquels elle rencontre des pénuries d’embauche.

L’Angleterre confronté à une manque de travailleur

Collectes qui pourrissent sur pied, restaurants qui trouvent des difficultés à recruter… Le départ des Européens lié au Brexit pèse sur quelques secteurs.

L’hôpital universitaire de Milton Keynes, en Grande-Bretagne, le 23 mai 2018. Le pays fait face à une pénurie d’infirmières, avec 40 000 emplois vacants.
L’hôpital universitaire de Milton Keynes, en Grande-Bretagne, le 23 mai 2018. Le pays fait face à une pénurie d’infirmières, avec 40 000 emplois vacants. Hannah Mckay / HANNAH MCKAY

La saison des jonquilles s’est mal passée pour les horticulteurs anglaises. Alors que la fête des mères a eu lieu en Angleterre le 31 mars, avec son habituel pic de demande pour les bouquets de fleurs, une partie de la récolte a fané sur pied, faute de main-d’œuvre. Pourtant tous leurs efforts, les agriculteurs n’ont pas trouvé les employés nécessaires.

L’été dernier, la même chose s’est passée pour les courgettes de Barfoots, une grosse entreprise agroalimentaire fondée dans le sud de l’Angleterre. « On avait juste assez de personnes pour cueillir une production normale, mais on n’a pas pu suivre les jours où il y avait trop de légumes mûrs en même temps », mentionne Keston Williams, son directeur technique. Ali Capper a connu le même sort l’été 2017. Cette agricultrice du Worcestershire a perdu 100 tonnes de pommes, faute de main-d’œuvre. « Un gâchis horrible. »

Les exploitations agricoles anglaises n’arrivent plus à recruter. « En 2018, il manquait 10 000 employés sur les 70 000 nécessaires », déclare Mme Capper, qui préside la section horticole du National Farmers’ Union (NFU), le syndicat agricole britannique.

Le chômage est à 3,9 %

Le plein-emploi au Royaume-Uni est l’explication-clé de ce phénomène. Le chômage est à 3,9 %, au plus bas depuis quarante-cinq ans, selon les statistiques éditée mardi 16 avril. Voilà longtemps qu’il est presque impossible de trouver un Britannique pour occuper ces emplois pénibles et mal payées. « Malheureusement, nous sommes dépendants des travailleurs étrangers », déclare M. Williams.

Le Brexit s’est rajouté au problème « La baisse de la livre sterling [de 15 % depuis le référendum de 2016] fait qu’il est difficile d’attirer la main-d’œuvre étrangère, continue Mme Capper. Un Roumain, par exemple, peut choisir entre l’Espagne, la France, les Pays-Bas… » Pour eux, les rémunérations britanniques sont moins concurrentiels qu’avant.

Le brouillard qui borde le Brexit complique encore la donne. « J’ai des Polonais qui reviennent dans ma ferme chaque année, certains depuis vingt ans. Ils me demandent s’ils vont avoir besoin de visa, s’il faut des papiers spéciaux pour passer la frontière… Et on n’a pas de réponses à leurs questions », résume Mme Capper.

En 2019, les salaires au Royaume-Uni ont augmenté de 3,5 %

La pluriactivité plait les cadres en interruption avec le travail classique

« Les formes alternatives d’emploi – portage salarial, microentrepreneuriat,  groupements d’employeurs, temps partagé, etc. – sont synonymes d’autonomie et de liberté. »
« Les formes alternatives d’emploi – portage salarial, microentrepreneuriat,  groupements d’employeurs, temps partagé, etc. – sont synonymes d’autonomie et de liberté. » Veronica Grech/Ikon Images / Photononstop

Le désir des travailleurs pluriactifs est de percevoir par l’accumulation d’emploi la sécurité et la liberté dans le travail.

Tania André est une cumularde multifonction et multi-employeur. Directrice administrative et financière (DAF) de l’entreprise de services informatiques iViFlo deux jours/semaine, elle continu durant un jour et demi avec une double casquette de DAF et de responsable des ressources humaines chez AT2Conseil. Deux postes en CDI auxquels viennent s’additionner des missions ponctuelles pour un réseau d’appui aux entrepreneurs. Elle se présente comme DAF et DRH en temps partagé.

Cécile Bachelot, responsable marketing et communication, accumule quant à elle les employeurs en CDI à temps partiel et pour des missions en indépendante. Finalement, Nataly Ferrand a créé une société pour gérer sa pluriactivité : coach en management trois jours par semaine et professeure de yoga les deux autres jours.

Toutes, elles font partie des pluriactifs, une population en pleine accroissement. « La tendance à la pluriactivité est massive et en très forte augmentation ces dernières années, explique François-Xavier de Vaujany, professeur à l’université Paris-Dauphine, où il conduit l’équipe de recherche management et organisation. Mais le phénomène protéiforme est difficile à mesurer. » Dans sa dernière étude « Temps et conditions de travail », l’Insee déclare le chiffre de 2,3 millions de personnes, qui inclut les activités d’entretien et de ménage pour lesquelles pluriactivité rime avec précarité et faible qualification.

Séparation de parcours professionnel

Nous sommes là loin des profils compétents de Tania, Cécile et Nataly, pour qui les formes alternatives d’emploi – portage salarial, microentrepreneuriat, réunions d’employeurs, temps partagé, etc. – sont synonymes d’autonomie et de liberté. Cette approche du travail, parfois « subie » selon les métiers et les fonctions, suborne de nombreux cadres. D’après l’étude de l’Association pour l’emploi des cadres « Salariat et autres formes d’emploi », parue en mars,57 % se disent prêts à quitter le salariat classique pour tenter d’autres formes d’emploi ; 16 % seraient même certains de passer à l’acte dans les trois prochaines années. Et continuellement selon l’APEC, 65 % des cadres regardent que le portage salarial peut répondre aux espoirs des salariés.

Des exemples de « modernité managériale » ?

« Le fait que les monastères aient contribué à dessiner le paysage économique européen est connu. Cette influence remonte au Moyen Age » (Photo: vitrai de l’abbaye de Saint-Wandrille ).
« Le fait que les monastères aient contribué à dessiner le paysage économique européen est connu. Cette influence remonte au Moyen Age » (Photo: vitrai de l’abbaye de Saint-Wandrille ). Philippe Lissac/Godong / Photononstop

Philippe Chopin, chef de la brasserie de l’Abbaye de Saint-Wandrille (Seine-Maritime), n’a pas attendu que les concepts des sociétés agiles et collaboratives soient à la pic de la modernité managériale pour les mettre en œuvre. En 2014, la société, placée sous sa direction, amassait les pertes. Son activité, la microcopie, n’avait plus d’avenir en raison du développement des outils numériques.

Deux ans après, en 2016, ateliers et personnel avaient changé d’emploi. Des bouteilles de bière sortaient des chaînes en lieu et place des microfilms. La société est aussitôt ultrabénéficiaire. Un détail et non des moindres : Philippe Chopin, père Philippe, est un moine bénédictin. Et pour Marie-Catherine Paquier, professeure de marketing à l’European Business School (EBS) – dont l’abbé est un ancien élève –, « les monastères sont une source d’inspiration pour l’entreprise aujourd’hui ». Elle arrangeait une conférence sur ce sujet, le 27 mars, au Couvent des Bernardins, à Paris.

Certes, le fait que les monastères aient aider à dessiner le paysage économique européen est connu. Cette influence remonte au Moyen Age, Déclare Isabelle Jonveaux, sociologue, dans le numéro 81 de la revue Entreprises et histoire. « Plus que des inventeurs, les abbayes et monastères ont été des promoteurs, des diffuseurs et des affineurs de dispositifs formels d’animation de l’action collective. Le destin de la comptabilité en partie double gagne fortement à être rapproché de l’histoire de l’Eglise pour en comprendre de nombreux aspects » mentionne François-Xavier de Vaujany, professeur de management à l’université Paris-Dauphine, dans un ouvrage paru en 2010 (L’Activité marchande sans le marché, Colloque de Cerisy – Presses des Mines).

Des « commissions » et non « directions »

Mais, jusqu’à maintenant, cette diffusion des monastères vers les entreprises n’avait guère concerné les relations humaines. Et pour cause. Qu’y aurait-il de commun entre les orientations d’un abbé et celles d’un salarié ? Mais, depuis que le management hiérarchique, pyramidal, des sociétés est mis en cause, le fonctionnement collaboratif de certains ordres, celui de Saint-Benoît en particulier, mérite d’être étudié. « Le leadership de l’abbé, réconciliant le pouvoir paternel vertical et une approche horizontale d’un frère pour ses frères », peut devenir un modèle, ajoute Guillaume Mercier, chercheur en éthique d’entreprise à l’Ieseg, école de management de Lille.

L’orientation aux méga-OPA se poursuit

On avait pensé que la mondialisation de l’économie éliminera les pouvoirs des nations. Non uniquement il n’en est rien, mais ces pouvoirs semblent être des armes efficientes dans la lutte que se livrent les grandes entreprises , déclare le professeur Pierre-Yves Gomez.

« Après Nissan, qui a mis en tension son alliance avec Renault en saisissant la justice nippone contre son président français, Carlos Ghosn, la justice américaine a lancé vingt-trois chefs d’accusation contre Huawei et sa directrice financière, Meng Wanzhou » (Photo: Meng Wanzhou en décembre 2018).
« Après Nissan, qui a mis en tension son alliance avec Renault en saisissant la justice nippone contre son président français, Carlos Ghosn, la justice américaine a lancé vingt-trois chefs d’accusation contre Huawei et sa directrice financière, Meng Wanzhou » (Photo: Meng Wanzhou en décembre 2018). Darryl Dyck / AP

Chaque mois amène une autre preuve de l’importance des ressources nationales dans l’économie. Après Nissan, fin 2018, qui a mis en péril son alliance avec Renault en saisissant la justice nippone contre son président français, Carlos Ghosn, c’est la justice américaine qui a lancé, en janvier, vingt-trois chefs d’accusation contre le géant chinois des télécommunications Huawei et sa directrice financière, Meng Wanzhou.

En février 2019, l’Etat néerlandais déclare vouloir monter au même niveau que l’Etat français (soit 14 %) dans le capital du consortium Air France-KLM pour redonner un équilibre les pouvoirs. En mars, les tensions s’aggrave entre l’italien Luxottica et le français Essilor qui venaient de s’associer en octobre 2018 pour former le leader mondial des lunettes et des verres optiques.

On avait cru que la mondialisation de l’économie éliminerait les pouvoirs des nations. Non uniquement il n’en est rien, mais ces pouvoirs semblent être des armes efficientes dans la guerre que se livrent les entreprises géantes.

De même, les frontières préservent leurs marchés et leurs investissements et elles limitent la compétition : tel est, par exemple, l’intérêt d’une ouverture destinée aux entreprises nationales ou installées localement des énormes marchés publics chinois ou américains.

D’autre part, dans les conflits qui se existent au cœur des instances de gouvernance des grandes entreprises, le recours aux intérêts nationaux est un moyen de garantir ou de s’emparer du pouvoir : ainsi en est-il des cas Renault-Nissan ou Air France-KLM.

Gagnants et perdants

Les sociétés géantes restent transnationales et la tendance aux méga-OPA se continue. Les tensions nationales ne signifient donc pas un recul de la mondialisation, mais elles traduisent qu’on l’avait mal interprétée. La globalisation ne signe pas l’effacement des frontières.

Les gagnants sont ceux qui savent en jouer parce qu’ils ont compris que les règles, les taxes et les contraintes juridiques nationales sont des sources d’avantages pour ceux qu’elles protègent. Les vaincus sont les naïfs qui ont cru que le libre-échange précisait un espace mondial homogène et se sont laissé envahir par des concurrents appuyés sur leurs marchés intérieurs mieux défendus.

Signe des temps, dans son livre, L’Affolement du monde. 10 enjeux géopolitiques (Tallandier), Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales, expose l’importance que revêt aussitôt la dimension géopolitique comme ressource stratégique des très grandes entreprises.

« Dix concepts pour penser le nouveau monde du travail »

Nous vivons un changement en profondeur des anciens rapports de production hérités du modèle de développement fordiste, relate « Dix concepts pour penser le nouveau monde du travail », livre publié sous la direction de Daniel Mercure et Mircea Vultur.

« Dix concepts pour penser le nouveau monde du travail », sous la direction de Daniel Mercure et Mircea Vultur (Hermann, 248 pages, 24 euros).

« Dix concepts pour penser le nouveau monde du travail », sous la direction de Daniel Mercure et Mircea Vultur (Hermann, 248 pages, 24 euros).Plus cultivée, plus féminisée, plus soucieuse d’assurer sa subjectivité et de revendiquer le droit à l’épanouissement personnel, la population salariée connaît des changement culturelles. Nous assistons à une transformation en profondeur des anciens rapports de production hérités du modèle de croissance fordiste.

C’est l’idée relaté par Daniel Mercure et Mircea Vultur dans l’essai Dix concepts pour penser le nouveau monde du travail. « Des changements de cette ampleur ont inévitablement des conséquences sur les modes d’analyse sociologique du monde du travail et sur les concepts que ceux-ci mobilisent, de même que sur l’étendue du champ couvert par l’objet “travail”, fort différent aujourd’hui de celui qui caractérisait la société salariale de type fordiste », déclarent les auteurs.

Le livre dirigé Daniel Mercure, professeur au département de sociologie de l’université Laval (Canada), et par Mircea Vultur, professeur au centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (Québec), part d’un constat simple. En raison d’un Changement du monde du travail, la sociologie du travail se trouve face à des défis de recadrage et d’affinement de ses concepts d’analyse, amplement forgés durant la période des « trente glorieuses » et, de surcroît, dans des cadres nationaux et culturels précis. « Ils sont donc ancrés empiriquement et théoriquement, et dans certains cas idéologiquement, dans un contexte historique très marqué, en l’occurrence celui du fordisme des années de croissance d’après-guerre. »

Histoire de l’émergence du salariat

Une vérification voire une redéfinition de quelques concepts s’impose alors : que signifient actuellement , par exemple, « conflit », « compétence » ou « rapport au travail » ? Quelles dimensions doivent être ajoutées ou soustraites aux concepts bien fait afin pour  comprendre de manière plus adéquate la nouvelle réalité du monde du travail ?

Le livre nous montre à la fois des concepts classiques revisités et d’autres qui revêtent une pertinence grandissante pour monter les nouvelles réalités du monde du travail. C’est le cas par exemple de la précarité. Les auteurs observent la pertinence analytique, les atouts et les faiblesses de dix concepts-clés : du salariat à l’informalité en passant par le conflit, le rapport au travail et l’insertion professionnelle.

Le directeur de recherche au CNRS Claude Didry montre une analyse historique de l’émergence du salariat. Le directeur de la revue Sociologie du travail, Didier Demazière, explore le concept de parcours professionnel, dont la pertinence a été substituer par la forte progression de l’instabilité des formes d’emploi, la diversification des ruptures professionnelles, et l’allongement des périodes d’incertitude. Le dernier chapitre de livre, effectué par Paul Bouffartigue, directeur de recherche au CNRS, porte sur le temps et ses nouvelles articulations avec le travail.