Reprendre les études et préparer sa vie d’après : mode d’emploi

Emmanuel Kerner

Alors que beaucoup de salariés sont passés en télétravail, le confinement donne l’occasion de réfléchir à sa carrière, ses projets, ses envies. Changer de vie, retrouver une stimulation intellectuelle : les raisons de retourner se former et de préparer un nouveau diplôme peuvent être variées. Si, depuis le 16 mars, les portes des universités et des grandes écoles sont closes en raison de l’épidémie de Covid-19, le moment est idéal pour faire le point. La réforme de la formation professionnelle, adoptée fin 2018, offre aux adultes en quête de nouveaux horizons d’intéressantes opportunités. Le point en cinq questions.

1. Que change l’application Mon compte formation ?

Accessibles depuis le mois de novembre 2019, le site et l’application doivent permettre aux salariés ou aux demandeurs d’emploi de choisir une formation, de s’y inscrire et de la payer directement. Voilà pour le principe. Pour le moment, le catalogue n’est pas exhaustif. A peine 5 % des formations proposées par les universités et 10 % de celles dispensées par le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) ont été intégrées.

Côté grandes écoles, certaines ont tout mis en ligne quand d’autres sont loin du compte. Le moteur de recherche, jugé perfectible, doit subir un lifting. « Ça va monter en puissance, promet Franck Giuliani, président du réseau de la formation continue à l’université. Pour le moment, on trouve des offres de validation des acquis de l’expérience [VAE] pour lesquelles les universités peuvent répondre dans les délais imposés par la plate-forme. »

Une réponse doit être donnée en moins de trente jours, sous peine de sanctions. « On ne peut pas proposer un diplôme national avec des conditions de réponse hypercourtes, ni demander aux universités d’être aussi agiles que des petites structures », dénonce Guillaume Gellé, responsable de la formation et de l’insertion professionnelle à la Conférence des présidents d’université. Sans compter des contraintes purement techniques liées au chargement du catalogue. La plate-forme ne deviendra pas l’unique porte d’entrée de la formation professionnelle dans l’enseignement supérieur. Elle se veut une vitrine complémentaire destinée d’abord aux personnes souhaitant utiliser leur compte personnel de formation (CPF).

2. Comment s’inscrit-on dans une université ou une grande école ?

L’application n’étant pas complète, salariés et demandeurs d’emploi doivent se tourner vers les établissements pour obtenir les détails des formations et leurs tarifs. Les salariés en activité peuvent aussi interroger leur direction des ressources humaines. Autre option : contacter un conseil en évolution professionnelle. Créé en 2016 et renforcé par la loi « avenir professionnel », ce service d’accompagnement est gratuit, et si les agences ont cessé d’accueillir du public depuis le 17 mars, le suivi peut se faire à distance. Pour débuter un diplôme à l’automne 2020 – rendez-vous universitaire de référence, même si toutes les formations ne débutent pas à cette date –, il faut déposer son dossier avant la fin du mois de mai. Les commissions pédagogiques de validation des candidatures se réunissent le mois suivant. « Pour le moment, il n’a pas été question de les repousser, précise Carole Maillier, directrice de la formation continue à l’université de Strasbourg. Le traitement dématérialisé va nous aider. »

Coronavirus : la « prime Macron » pourra atteindre 2 000 euros

Dans un supermarché, à Montpellier, le 30 mars.
Dans un supermarché, à Montpellier, le 30 mars. PASCAL GUYOT / AFP

La « prime Macron » pourra finalement atteindre 2 000 euros. Et les entreprises intéressées qui verseront cette prime défiscalisée pourront la moduler en fonction des conditions de travail liées à l’épidémie, selon l’ordonnance adoptée, mercredi 1er avril, en Conseil des ministres. « Afin de permettre de récompenser plus spécifiquement les salariés ayant travaillé pendant l’épidémie de Covid-19, un nouveau critère de modulation du montant de la prime pourra également être retenu par l’accord collectif ou la décision unilatérale de l’employeur mettant en œuvre cette prime », souligne l’ordonnance.

L’entreprise pourra ainsi légalement distinguer ses salariés devant se rendre sur leur lieu de travail – comme les caissières dans la grande distribution ou les ouvriers sur un chantier – des autres en télétravail, ce qui était demandé par les fédérations patronales. « Il s’agit de récompenser les salariés au front qui tiennent leur poste de travail pendant cette période », a justifié la ministre du travail, Muriel Pénicaud, à l’issue du Conseil des ministres.

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Le 24 mars, le ministre de l’économie avait décidé de faire sauter le verrou qui bloquait la distribution de la « prime Macron » dans les PME. Largement distribuée par les petites entreprises en 2019, après la crise des « gilets jaunes », la prime du pouvoir d’achat promettait de s’essouffler en 2020. Les conditions imposaient en effet aux entreprises de passer par un accord d’intéressement – peu courant dans les TPE –, pour donner une aide aux salariés. Cependant, dans les entreprises où un accord est négocié d’ici au 31 août, le niveau de la prime pourra être porté à 2 000 euros.

« Les plus petites entreprises n’y voient que de la provocation »

Dans le contexte actuel, le Syndicat des indépendants (SDI), qui avait réclamé en vain ce changement dès décembre 2019, reste perplexe. « Pour les entreprises d’au moins 20 salariés, cela peut avoir un sens, mais les plus petites n’y voient que de la provocation. Elles ne savent même pas comment elles vont pouvoir payer leurs salariés et leurs charges courantes d’ici lundi 6 avril, alors parler de prime… », s’exclame Marc Sanchez, le secrétaire général du SDI.

Jean-Eudes du Mesnil, secrétaire général de la Confédération des petites et moyennes entreprises, confirme : « La première urgence pour les petites entreprises est d’assurer la trésorerie et le paiement des salaires. Enormément de TPE sont touchées, car la crise descend en cascade. Mais, pour les grands groupes organisés avec des indépendants, c’est tant mieux. Les premiers concernés sont ceux de la distribution. »

Plongée dans l’éthique entrepreneuriale

De l’éthique entrepreneuriale à l’entrepreneuriat soutenable, Jean-Jacques Obrecht (Editions universitaires européennes, 256 pages, 44,90 euros)
De l’éthique entrepreneuriale à l’entrepreneuriat soutenable, Jean-Jacques Obrecht (Editions universitaires européennes, 256 pages, 44,90 euros)

Le livre Comment éviter les dérives de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) sous forme de mensonges de légitimité ? Comment situer l’éthique au cœur de l’entrepreneuriat des générations à venir ? Quels grands axes pourraient fonder une éducation à l’entrepreneuriat soutenable ? Ces questions, qui pointent les énormes défis du développement durable, structurent De l’éthique entrepreneuriale à l’entrepreneuriat soutenable (Editions universitaires européennes).

Le recueil, signé Jean-Jacques Obrecht, comporte un échantillon d’articles de revues, de conférences et de chapitres d’ouvrages collectifs publiés par le professeur honoraire de l’université de Strasbourg et de l’Institut national des sciences comptables et de l’administration d’entreprises (Inscae) de Madagascar entre 1994 et 2017.

Dans les années 1990, l’engouement pour célébrer l’esprit d’entreprise prend son essor en France, avec une très large place faite à l’éthique. En témoignent les glissements sémantiques dans la littérature de l’époque, où on passe facilement de « l’éthique en entreprise » à « l’entreprise éthique ». L’auteur fait le point sur la manière dont les pratiques se présentent alors dans les entreprises, les analyses critiques qu’elles suscitent, dont certaines sont encore d’actualité.

Y-a-t-il un effet de taille en matière de pratiques éthiques ? Certaines enquêtes de l’époque montrent que les dirigeants de PME avaient une conception très étroite de la responsabilité sociale de l’entreprise : les domaines où les PME situaient leur responsabilité sociale se confondaient avec ceux de l’éthique opérationnelle. En revanche, « la lutte contre le chômage ou la protection de l’environnement, c’était l’affaire du gouvernement. »

L’auteur souligne l’intérêt d’une distinction complémentaire entre « éthique instituée » et « éthique personnelle ». A l’occasion d’entretiens informels avec des cadres d’entreprises familiales, grandes ou petites, il a pu vérifier l’importance de l’éthique personnelle de l’entrepreneur fondateur pour impulser ses valeurs dans l’organisation et les faire partager. « Cette éthique entrepreneuriale, individuelle mais partagée, nous semble particulièrement indispensable aujourd’hui dans les entreprises concernées de près ou de loin par les enjeux du développement durable. »

Il souligne ensuite l’importance que prennent certains éléments de capabilités entrepreneuriales dans le développement de l’entrepreneuriat international, qui par définition se déploie dans des contextes variés. Les capabilités entrepreneuriales ne sont ni des compétences dites « métier », ni des capacités mesurables par le rendement, ni des traits de caractère, « mais plutôt les facultés personnelles de l’entrepreneur ayant un lien à la fois avec sa capacité à agir et l’orientation de son action ».

Coronavirus : les salariés de Pôle emploi dénoncent leurs conditions de travail

Vent de fronde à Pôle emploi. Plusieurs syndicats implantés au sein de l’opérateur public tirent le signal d’alarme, estimant que des membres du personnel continuent d’être soumis à un risque d’infection due au coronavirus, malgré la fermeture au public des agences. Force ouvrière (FO) a même déposé un préavis de grève à compter du lundi 30 mars, pour exiger que les agents, encore appelés à se rendre sur leur lieu de travail, cessent de le faire. Le chef du gouvernement, Edouard Philippe, et la ministre du travail, Muriel Pénicaud, ont été interpellés sur la situation.

A mesure que l’épidémie de Covid-19 prenait de l’ampleur, Pôle emploi a dû totalement revoir sa relation avec les chômeurs. Les changements sont intervenus en plusieurs étapes, l’objectif étant de garantir la « continuité » du service tout en se conformant à des consignes sanitaires de plus en plus strictes. Ainsi, le 15 mars, le ministère du travail annonçait de nouvelles « modalités de fonctionnement » : les « usagers » étaient invités à privilégier les coups de téléphone « ou les contacts par mail », « l’accueil physique en agence » restant possible sur la base de rendez-vous pour traiter les cas « d’urgence ».

La moitié des effectifs travaillent à distance

Un choix critiqué par les syndicats car il concourait, selon eux, à exposer encore les agents à un risque de contamination, à l’occasion de rencontres avec des chômeurs ou lors de déplacements en transports en commun pour aller travailler. Dans plusieurs régions, dont l’Ile-de-France, les représentants du personnel, qui siègent au sein du comité social et économique (CSE), ont voté des droits d’alerte pour « danger grave et imminent ». Cette procédure, qui vise à signaler à la hiérarchie une situation susceptible de compromettre la santé ou la sécurité des salariés, a également été enclenchée à l’échelon national par FO.

Dans ce contexte, Pôle emploi a décidé de stopper (sauf exception) la réception des usagers dans ses sites. Parallèlement, de plus en plus de salariés de l’opérateur poursuivent leur mission en travaillant à distance, à l’aide d’un ordinateur : lundi, ils étaient un peu plus de 25 000 à assurer leurs tâches ainsi, soit presque la moitié des effectifs. « Cette solution nous permet de mener à bien nos activités essentielles », affirme Michaël Ohier, directeur général adjoint chargé du réseau.

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Dans le même temps, une petite partie du personnel va dans les agences, notamment pour relever les courriers postés par les chômeurs. Le but est de limiter au maximum la présence humaine sur place : trois à quatre personnes, avec au moins un « manageur de proximité », explique M. Ohier. Lundi, il y avait 2 910 salariés sur les 1 200 sites de Pôle emploi, d’après la direction générale. Soit moins de 6 % des équipes.

« Le chiffre d’affaires est à zéro », la crise du coronavirus met en péril les petites compagnies aériennes

A l’aéroport de Berlin, le 30 mars.
A l’aéroport de Berlin, le 30 mars. JOHN MACDOUGALL / AFP

Marc Rochet, patron d’Air Caraïbes et de French bee, les deux compagnies aériennes du Groupe Dubreuil, n’en revient toujours pas. « Nous vivons quelque chose que nous n’avons jamais vécu ! », raconte-t-il, abasourdi. En fin connaisseur du transport aérien, il estime que rien ne sera plus comme avant, quand la pandémie de Covid-19 sera passée. « Le monde de demain ne sera plus le même après une crise d’une telle intensité », pense-t-il. A l’en croire, la consolidation du secteur menace d’être sévère. « Je n’ai jamais vu une crise du transport aérien ne pas conduire à une restructuration du marché. Je ne vois pas pourquoi la France échapperait à cette règle. »

Il n’est pas le seul à entrevoir une restructuration d’importance. Pour Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair, ce sont les compagnies à bas coût qui pourraient faire les frais de la pandémie. « La crise va laisser des traces » chez les gens. Elle pourrait induire « un changement de comportement des consommateurs ». Le patron de Corsair redoute que la sortie du confinement sonne aussi la fin de la frénésie de voyages à moindre prix, qui a fait, depuis plus de vingt ans, le bonheur, et surtout la fortune, de compagnies à bas coût telles que Ryanair et easyJet. « Les low cost vont être très touchées, car le goût de voyager en permanence pour pas cher va en partie disparaître. »

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Elles ne sont pas les seules. La low cost long-courrier « Norwegian est aussi menacée, car elle est déjà sous perfusion des autorités norvégiennes », signale M. de Izaguirre. Cette entreprise, qui doit supporter une dette de 2 milliards d’euros, est d’autant plus en difficulté que son modèle économique n’a pas encore eu le temps de faire ses preuves.

Les coûts fixes persistent

Pour le patron de Corsair, c’est tout le transport aérien et pas seulement le segment du low cost qui sera affecté. Même la clientèle d’affaires pourrait être touchée. Celle qui rapporte le plus aux compagnies aériennes. « La faute… au télétravail », selon lui. « Avec la généralisation du télétravail pendant cette période, les entreprises sont en train de découvrir que ce n’est pas la peine d’envoyer leurs cadres prendre l’avion », prétend M. de Izaguirre.

Si la demande pour des vols en classe affaires pique du nez, cela pourrait être un drame pour des compagnies, « comme Air France, qui ont décidé de miser à fond sur les passagers business ». Selon M. Rochet, la survie d’Air France passera par des décisions brutales, comme celle « de fermer les lignes qui perdent de l’argent ».

La collaboration à distance recrée les rites de l’entreprise

« Pour d’autres, c’est la multiplication des outils de messagerie et leur usage parfois intempestif qu’il a fallu apprendre à gérer.  »
« Pour d’autres, c’est la multiplication des outils de messagerie et leur usage parfois intempestif qu’il a fallu apprendre à gérer.  » Nick Shepherd/Ikon Images / Photononstop

Pour nombre d’employés du tertiaire, des grands comptes ou des entreprises du secteur numérique, souvent déjà adeptes du télétravail occasionnellement ou régulièrement, travailler à domicile s’est fait sans trop de difficultés. C’est le cas de François Le Gunehec, responsable des comptes-clés à l’institut d’études de marché GfK France, qui dispose d’un ordinateur portable et d’un téléphone mobile professionnels, équipés de toutes les applications dont il a besoin : Office 365, messagerie Outlook, Skype Entreprise pour les appels audio ou vidéo, Teams pour le travail collaboratif, etc. « Que ce soit au bureau ou chez moi, je dispose du même environnement et des mêmes outils. Et je pratiquais déjà le télétravail avant le confinement, mais de manière sporadique », remarque-t-il.

Certaines grandes entreprises étaient ainsi préparées au transfert du travail à domicile qui s’est imposé à quelque huit millions de salariés avec le confinement. Depuis 2017, Axa France a progressivement équipé tous ses collaborateurs d’un environnement 100 % digital (ordinateur portable, Office 365, casque et téléphonie sur Internet).

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Tout l’effectif a été formé à l’utilisation de ces outils et à travailler sans papier. Si 60 % des 12 000 personnes du groupe télétravaillent déjà un ou deux jours par semaine, c’est aujourd’hui 98 % de l’effectif qui est à domicile. « Nous étions très bien préparés, affirme Diane Deperrois, directrice des ressources humaines d’Axa France, dès mi-février, nous avons mis en place un site pour répondre aux nombreuses questions des employés. A l’occasion des grèves de décembre 2019, nous avions élargi à tout l’effectif la capacité de travailler à domicile. Nous avons ainsi pu tester la capacité de notre système, qui a parfaitement tenu la charge. »

Plusieurs pannes

Mais pour beaucoup de salariés, les premières journées de confinement ont été plutôt chaotiques. Entre les problèmes techniques liés au matériel, aux applications ou aux réseaux, le manque de préparation et l’environnement domestique, a fortiori pour des parents qui se partagent la table basse du salon ou se cassent le dos sur la chaise de la cuisine pendant que leurs enfants suivent des cours sur l’écran de la télévision… l’organisation du travail s’est révélée plutôt compliquée.

Pour Ariane Wantz (pseudonyme), cadre d’un service transverse de l’Assurance-retraite, la mise en place des premières réunions via l’application Teams a été laborieuse. « L’écran de mon ordinateur portable est bien plus petit que celui du bureau. Je me connecte au Wi-Fi de la box de mon appartement et j’utilise mon téléphone mobile perso. Au-delà de la difficulté à faire une réunion en étant seule chez soi devant son écran, la qualité des réunions Teams dépend beaucoup du débit disponible chez chacun… » Mi-mars, cette plate-forme de travail collaboratif de Microsoft a d’ailleurs subi plusieurs pannes en Europe dues à l’afflux supplémentaire de connexions des télétravailleurs.

Le blues du recruteur

« L’Association pour l’emploi des cadres (APEC) a, comme beaucoup, fermé tous ses centres dès le 16 mars et enregistré une baisse des offres de l’ordre de 8 %. »
« L’Association pour l’emploi des cadres (APEC) a, comme beaucoup, fermé tous ses centres dès le 16 mars et enregistré une baisse des offres de l’ordre de 8 %. » Philippe Turpin / Photononstop

Carnet de bureau. L’emploi dégringole. Les sites voient leur volume d’annonces fondre : – 12,1 % en moyenne pour Indeed, avec un recul variable de 10 % à 30 % selon les secteurs d’activité. L’Association pour l’emploi des cadres (APEC) a, comme beaucoup, fermé tous ses centres dès le 16 mars et enregistré une baisse des offres plus légère, de l’ordre de 8 %, même si l’informatique est toujours en forte demande pour accompagner la généralisation brutale du télétravail et les questions de cybersécurité. L’intérim jongle entre les annulations de missions de l’industrie et du BTP et les demandes de recrutement d’urgence pour l’agroalimentaire et la distribution. Qu’est devenu le recruteur ?

Dans l’intérim, les agents continuent en télétravail avec les secteurs en demande. Chez Manpower, une hotline a été mise à leur disposition, les entretiens se font en vidéo ou par téléphone, et les contrats sont validés par signature électronique. Mais dans les cabinets de recrutement, tout s’est arrêté.

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Le 16 mars a amorcé une semaine de sidération. La profession a pris de plein fouet un arrêt immédiat de la quasi-totalité des missions. « Mêmes des offres passées ont été annulées et certaines entreprises, craignant les mois de crise à venir, ont interrompu des périodes d’essai. Il y a eu un effet de panique. On a cru qu’on allait tomber à zéro ! En avril, le chiffre d’affaires des 130 cabinets de recrutement de Syntec conseil en recrutement aura baissé d’au moins 50 % », témoigne Antoine Morgaut, président de cette organisation et directeur général Europe du cabinet de recrutement international Robert Walters.

Projets reportés

Du jour au lendemain, le recrutement n’avait plus de raison d’être. Les DRH se sont concentrés sur la réorganisation du travail imposée par le confinement. Les candidats à la mobilité professionnelle ont reporté leur projet en attendant des jours meilleurs. Enfin, les entreprises réfractaires aux entretiens vidéo ne pouvaient pas poursuivre les processus d’embauche à cause du confinement. Les cabinets qui ont les moyens de le faire ont commencé à mettre en place le chômage partiel.

Résultat, après avoir installé, comme beaucoup de salariés, son bureau à la maison, le recruteur s’est mis à tourner en rond, dans son espace confiné, occupé principalement par son stress, un gros stress d’une année qui s’annonçait gâchée.

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En deuxième semaine de confinement, quelques DRH ont commencé à revenir, même des grands groupes de l’hôtellerie comme Accor. « C’était l’opportunité de recruter des candidats qu’on n’aurait pas imaginé pouvoir attirer avant », explique Antoine Morgaut. Bien équipé pour télétravailler, « aujourd’hui, le recruteur s’impose une organisation du travail autour d’appels de candidats, de clients. On travaille comme avant, mais avec les outils numériques et en se concentrant sur les secteurs les plus résilients la pharmacie, les nouvelles technologies , mais il y a moins d’activité », reconnaît-il. Tout recruteur est aujourd’hui un candidat potentiel au chômage technique.

« Le Covid-19 est en train de produire un gigantesque accident du travail »

Tribune. Il y a plus d’un siècle à propos du débat sur la loi portant réparation des accidents du travail, le professeur Louis Josserand (1868-1941) rappelait l’impossible neutralité du droit.

Si un système juridique est incapable après un accident d’attribuer le risque, alors la place vide du responsable sera occupée par la victime. C’est elle qui dans sa chair et jusqu’au prix de sa vie en supportera les conséquences sans pouvoir s’en décharger ne serait-ce que symboliquement sur ceux qui sont à l’origine de son malheur. Or dans les catastrophes sanitaires les acteurs sont nombreux, les causes souvent multiples, la complexité qui tient à la nature des faits permet difficilement de remonter la chaîne causale.

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Il appartient au système juridique d’attribuer le risque. Or les systèmes d’indemnisation des victimes sont exagérément diversifiés, inégaux et incohérents.

Démontrer la date de la contamination

Le 21 mars, la mort du docteur Razafindranazy suscitait une vive émotion dans tout le pays. Pour la première fois un médecin urgentiste était contaminé par le virus dans l’exercice de ses fonctions. Alors qu’il était à la retraite, il était spontanément revenu à l’hôpital et il avait pris une garde de nuit à l’hôpital de Compiègne pour soulager ses collègues. Quelques jours plus tard il était testé positif au Covid-19. Il n’a même pas pu être inhumé comme il le souhaitait dans son île natale à Madagascar. Nous avons une dette à l’égard de sa famille.

Il faut d’urgence construire un système moderne de reconnaissance et d’indemnisation intégrale spécifique sous forme d’un fonds cofinancé par les entreprises et par l’Etat

De la même façon, la mort, le 26 mars, d’Aïcha Issadounène, 52 ans, caissière au supermarché Carrefour de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) depuis trente ans, laisse ses proches dans une immense détresse. Un des effets de cette pandémie aura été que nous nous mettions à regarder avec reconnaissance et considération ces travailleurs autrefois invisibles. Au travers d’une juste indemnisation de ses enfants nous dirons que nous ne les abandonnons pas sur le bord du chemin une fois la crise surmontée.

Le Covid-19 est en train de produire un gigantesque accident du travail dont les conséquences en l’état actuel du droit échapperont à toute forme de régulation efficace.

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Accident du travail ? Mais comment démontrer la date de la contamination qui est une des clefs de la reconnaissance ?

Maladie professionnelle ? Mais la plupart n’atteindront pas le taux d’incapacité minimal de 25 % sans lequel la reconnaissance est impossible !

Coronavirus : avec la crise sanitaire, les travailleurs invisibles sortent de l’ombre

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Publié aujourd’hui à 05h45, mis à jour à 08h49

Le Covid-19 les a fait surgir au grand jour. Alors que l’économie du pays est clouée au sol, caissières, livreurs, agents de nettoyage, ouvriers de chantier, conducteurs de métro, auxiliaires de vie, ces travailleurs invisibles apparaissent enfin pour ce qu’ils sont : des rouages essentiels de la vie du pays, sans lesquels point de commerces, de transports ou de services aux personnes.

Alors qu’une partie des salariés s’installent dans le télétravail, ils et elles n’ont pas d’autre choix que de continuer à aller travailler, parfois de nuit, souvent en horaires décalés, toujours au risque d’attraper la maladie. Quatre d’entre eux ont déjà perdu la vie, comme le rappelle la fédération CGT des commerces et services dans une lettre ouverte adressée à la ministre du travail Muriel Pénicaud, le 31 mars. Et des centaines d’autres sont contaminés. « Cette crise fait apparaître une forme de pénibilité que l’on n’imaginait plus : celle d’être exposé à un risque sanitaire létal dans le cadre de son activité professionnelle », souligne le sociologue Julien Damon, professeur associé à Sciences Po. « Cette exposition à des risques majeurs n’était plus tellement prise en compte dans l’évolution de notre droit du travail, on l’avait un peu oubliée. »

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Selon une note de l’OFCE publiée lundi 30 mars, 8,4 millions de personnes en France peuvent travailler à distance, de leur domicile : la moitié sont des cadres, les autres sont employés qualifiés ou appartiennent aux professions intermédiaires, comme les enseignants. Et, à l’inverse, 18,8 millions de salariés, ouvriers ou employés pour l’essentiel, ne peuvent effectuer leur travail à distance. Pour certaines personnes interrogées, il existe une certaine fierté à continuer à aller au travail, que ce soit pour ne pas laisser tomber les « copains » ou les personnes dont elles s’occupent, pour contribuer à assurer le service public. Mais c’est aussi un non-choix. Droit de retrait difficile à faire appliquer, nécessité de faire rentrer un salaire coûte que coûte. Beaucoup y vont la boule au ventre, avec la peur de tomber malade, de contaminer leur famille.

  • « On est là pour la survie de l’entreprise »

Samuel Dubelloy, 48 ans, ouvrier chez Arc à Arques (Pas-de-Calais)

« Je travaille chez Arc depuis plus de quinze ans, pour un salaire de 1 944 euros, à raison de trente-deux à trente-trois heures par semaine. Le mois prochain, j’aurai 49 ans. Je n’ai jamais vu autant de gars ayant peur d’aller travailler, c’est énorme. Depuis lundi 23 mars, toute l’organisation du personnel a été revue [seuls 700 des 2 500 ouvriers y ont conservé leur poste sur les chaînes de production, à la suite de l’adoption d’un plan de crise réduisant de 70 % le tonnage pour se conformer aux mesures de distanciation sociale]. Certains sont en chômage partiel. D’autres sont en congés maladie pour garde d’enfants de moins de 16 ans.

« Pour ceux qui ont envie de changement » : le succès des stages pour trouver sa voie

Selon les cohortes, chez Switch Collective, la proportion de femmes oscille entre 65 % et 75 %.
Selon les cohortes, chez Switch Collective, la proportion de femmes oscille entre 65 % et 75 %. Switch Collective

Ambiance « toutouyoutou » dans l’entresol du 94 de la rue Saint-Lazare, à Paris, fin février. C’est Charlotte Jeanmonod, la formatrice, qui le dit : « On remue le bassin, on respire, on sautille, on se met en énergie ! » Veste de jogging rétro siglée « Switch », micro en main, elle chauffe la nouvelle promotion de Switch Collective. Quarante femmes, et un homme, ont choisi « la complète » – un programme de trois mois pour apprendre à « switcher ». Comprendre : acquérir des outils pour se réapproprier son parcours et redonner du sens à son travail, sans nécessairement aller vers une reconversion spectaculaire.

Outils numériques

Si les femmes constituent l’écrasante majorité de ce 70e groupe de Switch Collective, leur proportion oscille toujours entre 65 % et 75 %, selon les cohortes. Lancée en janvier 2016 par Béatrice Moulin et Clara Delétraz, deux amies de 35 ans aujourd’hui, la start-up parisienne a formé 4 000 personnes en quatre ans. En cette période de confinement lié au coronavirus, l’équipe, déjà rompue à l’exercice, a basculé l’intégralité de ses programmes en ligne, à travers divers outils numériques.

Béatrice Moulin affirme s’adresser sans distinction « à tous ceux qui ne s’y retrouvent plus dans leur boulot et ont envie de changement », refusant « une approche purement générationnelle » et préférant « traduire le symptôme d’une époque ». Sans chercher à essentialiser le phénomène, reste à savoir pourquoi les femmes, âgées de 30 à 40 ans, représentent le cœur de cible de cette formation certifiante, depuis peu éligible au compte personnel de formation (CPF).

Clotilde a sauté sur l’occasion pour se faire financer ce « bilan de compétences » nouvelle génération. Ingénieure informatique de 38 ans, elle choisit de ne communiquer que son prénom : « Même avec mes parents, parler de mon travail reste un sujet tabou, dit-elle. Je n’ai jamais été heureuse dans mes études, ni dans mon boulot. Chaque jour, je me force à faire ce que je fais. » Son père est ingénieur également, idem pour ses deux grands frères : « C’était la voie toute tracée, on ne m’a jamais demandé ce que je voulais faire », résume-t-elle, alors qu’elle est aujourd’hui employée par un grand groupe dans le domaine de l’énergie.

« Trou noir »

Clotilde rejoint ses consœurs de Switch avec un syndrome commun, celui de la bonne élève à qui l’on a appris à viser la voie royale, mais qui culpabilise : « Pendant toute ma carrière, je me suis demandé : “Mais de quoi tu te plains ?”» Jusqu’à ce que son corps dise stop. « En mars 2019, j’ai eu énormément de choses à rendre, j’ai voulu bien faire, je suis très scolaire. Je suis allée au bout de l’échéance, et je n’ai eu aucune reconnaissance. J’ai craqué, raconte-elle. On m’a mise en congé maladie pendant deux mois. Je ne l’ai pas avoué tout de suite à mes parents : j’avais honte d’être arrêtée alors que j’étais en bonne santé. Mais, psychologiquement, je ne pouvais plus. »