En Dordogne, la crise des Papeteries de Condat a déjà de lourdes répercussions sur l’économie locale

Des ouvriers bloquent l’usine des Papeteries de Condat, au Lardin-Saint-Lazare (Dordogne), après l’annonce de la fermeture d’une ligne de production, le 29 août 2023.

Lundi 11 septembre, alors que l’intersyndicale CGT-FO et CFE-CGC des Papeteries de Condat était reçue à Paris par Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie, Alain Gaudré, le président du groupe Lecta France, propriétaire de l’usine basée au Lardin-Saint-Lazare (Dordogne), est sorti de sa réserve pour la première fois depuis l’annonce, en juin 2023, de la fermeture de sa ligne de production de papier couché double face, la dernière à subsister en France.

Lire l’enquête : Article réservé à nos abonnés Le tour de passe-passe de deux groupes pour dévorer le marché mondial du papier

Interrogé par les journalistes locaux, puis par Le Monde, le patron de la filière française du géant britannique a justifié l’arrêt de la ligne par l’effondrement des commandes de papier (– 40 % en six mois), tout en laissant entrevoir la possibilité, à moyen terme, « de la transformer pour répondre à la forte demande de papier glassine (un papier spécialisé, résistant à la graisse, à l’eau et à l’air, utilisé notamment pour les étiquettes autocollantes) », l’autre spécialité des Papeteries de Condat.

Localement, le discours d’Alain Gaudré n’a convaincu personne. Si les salariés qui bloquaient l’entrée de l’usine depuis dix-sept jours ont accepté d’en libérer l’accès, mercredi 13 septembre, c’est uniquement parce que « la direction a accepté de lâcher du lest sur les primes de départ des 187 personnes menacées de perdre leur emploi au terme du plan social de sauvegarde (PSE), qui prendra fin le 11 octobre », explique Emmanuel Garcia, élu Force ouvrière au conseil économique et social (CSE) des Papeteries de Condat, qui comptent 412 postes. « Le reste, on n’y croit plus », confie le délégué CGT Eric Pestourie, alors que se profile une nouvelle réunion de négociation avec la direction, mercredi 20 septembre.

« Retrouver des certitudes »

Même pessimisme affiché chez les sous-traitants des Papeteries de Condat, dans un bassin de vie où le taux de chômage dépasse les 8 %. « On a du mal à croire que cela repartira un jour », confie Damien Froidefond, délégué du personnel chez SVT, une PME dont les Papeteries avaient encouragé la création dans le cadre de sa politique d’externalisation de la transformation du papier couché.

Depuis six mois, leur propre usine ne tourne plus ou presque. « Nous avons commencé par une semaine de chômage partiel en octobre, puis nous sommes passés à deux en début d’année, avant de tomber à zéro, un ou deux jours maximum de travail par mois à la fin du printemps », détaille ce salarié de 38 ans, qui n’entrevoit pas le bout du tunnel. « Nous sommes liés aux Papeteries par un contrat exclusif qui court jusqu’à octobre 2024. Tant que le PSE de l’entreprise est en cours, nous sommes condamnés à subir du chômage partiel », poursuit Damien Froidefond, qui ne se résout pas à cette situation inconfortable. « C’est vrai qu’on est indemnisés à 84 % de notre salaire, mais plus vite nous serons libres de retrouver un ou plusieurs clients et plus vite on retrouvera des certitudes. »

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« En adoptant les codes sociaux dominants au sein du conseil, les administrateurs salariés tendent parfois à s’aligner avec les intérêts des acteurs dominants »

La loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises du 22 mai 2019 (dite « loi Pacte ») a relancé les réflexions autour de la représentation des salariés au sein des conseils de direction des grandes entreprises.

Désormais, dans les entreprises employant au moins mille salariés en France (ou au moins cinq mille salariés lorsque la société a des filiales à l’étranger), les conseils de direction constitués de plus de huit administrateurs (contre douze auparavant) doivent obligatoirement inclure en leur sein au moins deux représentants des salariés.

Par cette mesure, l’objectif du législateur est d’accroître la participation des salariés aux décisions stratégiques et de favoriser la diversité des points de vue au sein des conseils de direction.

L’Institut français des administrateurs vient de publier un guide présentant les administrateurs salariés (AS) comme une « réalité fructueuse » et soulignant leur « capacité à s’intégrer aux travaux du conseil et à les enrichir par la vision interne qu’ils apportent ». Leur connaissance approfondie de l’histoire et du fonctionnement opérationnel de l’entreprise leur permettrait de contribuer utilement aux prises de décisions stratégiques.

Si la pertinence de leur présence au sein des conseils est aujourd’hui largement reconnue, l’étude des mécanismes sociologiques à l’œuvre dans ce dispositif amène toutefois à nuancer les fantasmes autour d’une démocratie d’entreprise idéale. Une série d’entretiens menés auprès d’administrateurs salariés de grandes entreprises françaises permet de révéler les difficultés auxquelles ils sont confrontés, au point de nuire au bon fonctionnement du dispositif, et in fine à sa capacité à transformer réellement la gouvernance des entreprises.

Rupture avec le champ syndical

Tout d’abord, l’intégration au conseil de direction des grandes entreprises représente un coût d’entrée élevé pour les AS. Il leur faut en effet acquérir un nouveau langage : le langage « managérial », empreint de données économiques, financières et stratégiques que la plupart d’entre eux ne maîtrisent pas. A cela s’ajoute parfois l’usage de l’anglais dans les rapports et les réunions, qui renforce ces difficultés. Le nombre d’heures de formation prévues par la loi Pacte (minimum de quarante heures par an) permet seulement, pour reprendre les termes d’une des personnes interrogées, « d’avoir moins de lacunes dans son ignorance ».

Ce coût d’entrée est aussi lié à la rupture avec le champ syndical, qui leur est imposé en droit français. En effet, contrairement aux réglementations d’autres pays comme l’Allemagne, l’Espagne ou encore l’Italie, le mandat d’administrateur salarié est en France incompatible avec d’autres mandats de représentation des salariés, tels que ceux de délégué syndical ou de membre du comité social et économique (article L225-30 du code de commerce).

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« Que sait-on du travail ? » : Quand il s’agit de négocier, la référence aux conventions de branche est importante pour moins d’une entreprise sur deux

Quarante-trois pour cent : c’est la part des établissements pour lesquels la convention collective de branche (CCB) est la référence prioritaire ou très fréquente pour négocier sur tous les thèmes en entreprise, notamment pour revaloriser les salaires. C’est donc moins d’un établissement sur deux.

Or, pour que les politiques publiques soient efficaces, les négociations de branche sont censées jouer un rôle-clé dans la définition des conditions de travail pour les salariés de toutes les entreprises au sein d’un même secteur d’activité. Historiquement, les premières conventions ont posé « un cadre commun pour les conditions d’emploi (règles de mobilité, rémunérations, protection sociale d’entreprise, etc.) et de travail (organisation du travail, horaires et rythme de travail, etc.) », rappellent les trois économistes Noélie Delahaie, Anne Fretel et Héloïse Petit. Mais l’usage qu’en font aujourd’hui les entreprises est très variable. Et si 98 % des salariés sont couverts par une CCB, la référence des employeurs à la branche n’est pas systématique pour négocier les conditions de travail.

C’est ce qu’analysent les chercheurs dans un texte commun rédigé pour le projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? », du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp), diffusé en collaboration avec le Liepp et les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi du site Lemonde.fr.

A partir des statistiques de l’enquête « Relations professionnelles et négociations d’entreprise » de 2017 du ministère du travail et de leurs enquêtes de terrain menées de 2018 à 2020, les trois économistes démontrent pourquoi et dans quelle mesure les conventions de branche influencent (ou non) les conditions d’emploi, de travail et les salaires.

Elles ont ainsi construit une typologie qui distingue quatre catégories de branches, selon le rôle donné aux conventions de branche par les entreprises : les deux premières regroupent les branches où les employeurs se réfèrent essentiellement à la convention pour négocier, quel que soit le thème et celles où les entreprises s’y réfèrent souvent.

Ces deux catégories représentent 43 % des établissements. Il s’agit majoritairement du secteur sanitaire et social pour le premier profil, où les CCB jouent leur rôle de « filet de sécurité » dans un contexte où les salaires sont susceptibles d’être rattrapés par le smic ; et pour le second des secteurs de l’hôtellerie-restauration-tourisme, du commerce de détail et de gros, principalement alimentaire où les CCB limitent le dumping social.

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Que sait-on du travail ? « Quel rôle pour la branche dans la définition des conditions d’emploi et des salaires en France ? »

[Là où les conditions de travail sont les moins favorables, les conventions collectives de branche jouent un rôle essentiel, mais ce n’est pas toujours le cas, car les stratégies des entreprises varient fortement selon le secteur d’activité. Noélie Delahaie, chercheuse en économie à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), est professeure associée à l’Institut des sciences sociales du travail de l’Ouest (ISSTO, université Rennes-II). Ses travaux portent sur les modes de gestion de l’emploi et des rémunérations et les relations sociales en entreprise. Anne Fretel, chercheuse en économie au LED (EA université Paris-VIII), est associée à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES). Ses travaux portent sur les politiques d’emploi et notamment les dispositifs d’accompagnement ainsi que le rôle des acteurs privés (ESS ou entreprises) dans la régulation de l’Etat social. Enfin, Héloïse Petit est professeure d’économie au CNAM, membre du Lirsa et du CEET. Ses travaux portent sur les pratiques de gestion de l’emploi en entreprise, la mobilité des salariés et les relations sociales. Les trois chercheuses ont analysé le poids des conventions de branche dans les négociations et la prise de décision des entreprises.]

Face au manque de reconnaissance des salariés de la « seconde ligne » mis en évidence durant la crise sanitaire (voir la contribution au projet Liepp de Christine Erhel), le gouvernement a fait le choix de s’en remettre aux négociations de branche pour améliorer les conditions de travail et d’emploi des salariés concernés. Plus récemment, il a encouragé l’activité conventionnelle comme réponse pour limiter les effets de l’inflation pour les salariés (en incitant à la négociation de minima de branche supérieurs au niveau du smic) ou répondre aux difficultés de recrutement par exemple.

Ce faisant, il réitère une pratique déjà ancienne par laquelle les pouvoirs publics s’appuient sur la négociation collective de branche comme intermédiaire de l’action publique, voire comme vecteur d’une « action publique négociée » (Groux, 2005). La négociation devient un relais-clé dans la généralisation et l’implémentation des mesures prises par le législateur, elle en devient même la condition d’application.

Pour que ces politiques publiques soient effectives, il faut donc que la négociation collective de branche joue réellement un rôle-clé dans la définition des conditions de travail et de l’emploi. De fait, la France jouit d’un taux de couverture conventionnelle d’une ampleur exceptionnelle et quasi universelle : selon les données de l’OCDE, en France, 98 % des salariés sont couverts par une convention collective de branche (CCB), contre 32 % en moyenne dans l’ensemble des pays de l’OCDE.

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Fonction publique : le gouvernement va permettre le dépôt de plainte de l’administration en cas d’agression d’un fonctionnaire

L’Etat pourra porter plainte en cas d’agression d’un de ses agents, a annoncé le ministre de la fonction publique, Stanislas Guerini, au Parisien dans l’édition à paraître lundi 18 septembre. La mesure s’inscrit dans le cadre d’un « plan de protection » des fonctionnaires. « La philosophie » de ce plan qui vise « en priorité les agents de guichet » est « de ne jamais laisser les agents seuls face aux difficultés, aux menaces, aux violences », a expliqué le ministre.

Ces derniers mois, plusieurs faits divers ont mis en lumière la dangerosité potentielle de ces métiers au contact du public, tels que la mort d’une infirmière après qu’elle a été poignardée par un patient en mai au CHU de Reims.

Jusque-là, l’administration ne pouvait pas porter plainte lorsqu’un usager blessait un agent sans abîmer d’équipement ou de bâti. Le ministère de la fonction publique entend ainsi permettre « d’affirmer le soutien à l’agent, de lutter contre l’autocensure de l’agent et de renforcer la plainte ». La mesure doit être intégrée à la prochaine réforme de la fonction publique.

Boutons d’alerte

Il est en outre prévu d’étendre la protection fonctionnelle aux ayants droit, comme le conjoint ou la famille, à titre conservatoire. Le gouvernement annonce également un renforcement des « dispositifs de sécurisation », par exemple des boutons d’alerte et de la vidéoprotection, par le déblocage d’une enveloppe de 1 million d’euros, ainsi qu’un « baromètre » annuel « pour mesurer les incivilités et les violences subies par les agents », qui sera lancé au début de 2024.

Le 1er septembre, Stanislas Guerini avait martelé lors d’un discours à l’institut régional d’administration de Lyon, à Villeurbanne, que « la première des choses que l’employeur public doit à ses agents, c’est la protection physique ».

Auprès de l’Agence France-Presse, Céline Verzeletti, la secrétaire générale de l’Union fédérale des syndicats de l’Etat-CGT, premier syndicat de la fonction publique, a insisté sur la nécessité de mettre en œuvre les dispositifs existants. « On a droit à une protection fonctionnelle » assurée par l’employeur, détaillait-elle, mais « souvent, quand on la demande, on nous la refuse ».

Le Monde avec AFP

Leroy-Merlin épinglé par la Défenseure des droits pour discrimination envers un couple de salariés

L’entrée d’un magasin Leroy-Merlin, à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), le 29 septembre 2013.

C’est à un précieux rappel du droit du travail que s’est livré la Défenseure des droits, en publiant au Journal officiel, mardi 12 septembre, un « rapport spécial » sur un cas de discrimination constaté dans un magasin Leroy-Merlin à Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne) : tout salarié a le droit au respect de sa vie privée, nul n’est tenu de préciser la teneur de sa relation avec un collègue ni au moment de son embauche, ni pendant l’exécution de son contrat de travail, et l’employeur « ne peut pas non plus prendre en compte la situation de famille d’un salarié pour arrêter des décisions le concernant, notamment en matière de mutation ou d’horaires de travail ».

En juin 2021, la Défenseure des droits est saisie par deux salariés de l’enseigne de bricolage qui estiment avoir été discriminés par leur employeur. M. X est « hôte service clients » au rayon « bâti », en contrat à durée indéterminée depuis 2018 ; M. Y est embauché, même rayon, même poste, en en contrat à durée déterminée, en mars 2021. Leur employeur ignore qu’ils sont en couple, jusqu’au jour où M. X, positif au Covid-19, présente une liste de cas contacts où figure son compagnon.

Leurs responsables changent alors d’attitude. Les plannings sont modifiés, ils n’ont plus de jour de repos en commun. La situation devient conflictuelle. M. X est mis en arrêt maladie. Après avoir, dit-il, demandé en vain, une rupture conventionnelle, il abandonne son poste. Il est licencié en juillet 2021. Le contrat de M. Y, lui, n’est pas renouvelé.

« Un acte managérial de bon sens » pour l’entreprise

Interpellé par la Défenseure des droits, Leroy-Merlin ne conteste pas les faits, au contraire : elle revendique un usage interne au magasin, consistant à ne pas faire travailler ensemble au service client, des salariés parents ou en couple. Ceci vise, explique-t-elle, « à assurer à chacun un parfait équilibre professionnel, un climat de travail serein et à éviter toute suspicion de traitement de faveur pour les uns ou pour les autres » dans un secteur du magasin considéré comme « sensible » car on y procède à des encaissements et des retours de marchandises. Leroy-Merlin reproche d’ailleurs à M. X de ne pas avoir informé ses responsables « des liens personnels qui le liaient à M. Y » quand il a « coopté » ce dernier.

Autant d’« usages discriminatoires » selon la Défenseure des droits qui a enjoint en novembre 2022, puis en février 2023, Leroy-Merlin à se rapprocher des plaignants pour réparer le préjudice, à cesser ses usages discriminatoires et à sensibiliser ses responsables. Mais Leroy-Merlin a refusé d’y répondre, soutenant même, que « loin d’être une mesure discriminatoire » cet usage était « un acte managérial de bon sens ». Las, la Défenseure des droits a donc décidé d’user de son droit, lorsqu’il n’est pas donné suite à ces injonctions, de médiatiser un dossier, de manière non anonyme.

La bonne dynamique du travail à la demande dans le monde, symbolique de la flexibilisation de l’emploi

La demande de « travail à la demande » en ligne a augmenté de 41 % entre 2016 et le premier trimestre de 2023 : c’est l’un des principaux résultats du rapport « Travailler sans frontières. Promesses et périls du travail à la demande en ligne », publié par la Banque mondiale jeudi 7 septembre.

« Nous pensons que la meilleure manière de sortir les personnes de la pauvreté est qu’ils obtiennent un emploi. Or, le monde de l’emploi a beaucoup changé ces dernières années, des formes de travail n’existaient pas il y a dix ans. Les données traditionnelles ne nous disaient rien sur combien de gens travaillent ainsi », explique Namita Datta, autrice principale du rapport, qui a l’ambition d’actualiser la connaissance sur la flexibilisation du travail.

Pour ce faire, l’institution a réuni dix formes d’enquêtes, mêlant données publiques, questionnaire dans dix-sept pays au revenu faible ou intermédiaire, un sondage auprès de vingt mille entreprises ou encore des entretiens avec des travailleurs et certaines des 545 plates-formes recensées dans le monde.

Bien au-delà de l’ubérisation

La définition du « travail à la demande » va bien au-delà de l’ubérisation : elle concerne tous les « petits boulots » exercés à la tâche et en ligne. Par le biais d’une plate-forme en ligne, un travailleur à la tâche est mis en relation avec un employeur qu’il ne rencontre pas non plus physiquement. Cela concerne aussi bien les emplois ubérisés (livreur, chauffeur) que ceux qui peuvent être occupés entièrement en ligne, à des niveaux de qualification divers.

Faute de données précises sur l’ensemble du globe, et parce que le travail à la demande passe la plupart du temps sous les radars, les chercheurs estiment qu’il concerne une fourchette large : entre 4,4 % et 12,5 % de la main-d’œuvre mondiale, soit entre 154 et 435 millions de personnes : « Quatre cents millions, cela paraît impressionnant, mais c’est parce que ce rapport est le premier à ne pas sous-estimer le travail à la pièce, réagit Antonio Casilli, professeur à l’Institut polytechnique de Paris et codirigeant de l’équipe de recherche DiPLab (Digital Platform Labor). C’est un indicateur inquiétant du fait que les marchés du travail sont dominés par la précarité. »

Si les plates-formes d’emplois en ligne et à la tâche se sont installées dans le paysage français et européen, elles sont devenues dominantes dans les pays en voie de développement, met en avant le travail de recherche, notamment du fait de la généralisation d’Internet, tout particulièrement depuis la pandémie. L’Afrique subsaharienne est la région du monde où cette croissance est la plus forte, avec une hausse de 130 % des offres d’emploi en cinq ans. A elle seule, l’Asie de l’Est compte 179 millions de travailleurs, ce qui en fait la région la plus représentée.

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Intelligence artificielle : « Qui, de l’humain ou de la machine, est le plus fort ? »

Au lancement de ChatGPT en novembre 2022, de multiples débats ont émergé, dont beaucoup ont tourné autour d’une interrogation vieille comme le monde : qui, de l’humain ou de la machine, est le plus fort ?

Or, au regard de l’importance pressentie de ces outils dans les futures pratiques professionnelles, la vraie question est en réalité plus nuancée : les humains réussissent-ils mieux un travail par eux-mêmes, ou lorsqu’ils s’appuient sur l’intelligence artificielle (IA) ? Plus précisément : sont-ils capables d’utiliser l’IA – de l’évaluer correctement et, le cas échéant, de corriger ses réponses – afin d’améliorer leurs performances ?

Une récente étude suggère que cette question n’est pas aussi tranchée qu’on pourrait le penser. Elle porte sur un devoir rendu lors d’un cours à HEC Paris, dans lequel chaque étudiant s’est vu attribuer au hasard deux études de cas.

Avec l’aide de ChatGPT

Pour l’une, les étudiants ont dû rédiger une réponse à la question en partant de zéro. Pour la seconde, ils ont reçu une réponse toute faite, qu’ils ont dû évaluer et, si nécessaire, corriger. Ils savaient que chaque réponse pouvait être fournie par ChatGPT, ce qui était effectivement le cas pour la plupart d’entre elles. Les réponses finales des étudiants ont été notées à l’aide du même système de notation : l’important était de rendre une réponse complète, qu’elle soit le résultat d’une correction ou non (« Taking the help or going alone : ChatGPT and class assignments », HEC Paris Research Paper, juin 2023).

Alors que le premier exercice reflète les tâches de travail « traditionnelles », le deuxième pourrait correspondre à de nombreux futurs emplois. De fait, si les outils d’IA deviennent aussi omniprésents que beaucoup le prédisent, le rôle de l’humain sera d’évaluer et de corriger les résultats produits par les chatbots.

Et pourtant, les étudiants réussissent moins bien ce deuxième exercice : la note moyenne de la version corrigée de la réponse toute prête était inférieure de 28 % à la note moyenne des étudiants ayant eux-mêmes rédigé leur réponse. Sur une même étude de cas, un étudiant ayant corrigé le travail de ChatGPT perdait en moyenne 28 points sur 100 par rapport à un étudiant travaillant tout seul. En somme, les étudiants obtiennent de beaucoup moins bons résultats si on leur fournit une aide de ChatGPT et qu’on leur demande de la corriger, que s’ils doivent fournir une réponse à partir de zéro.

Des biais cognitifs plus ou moins connus

Ces résultats s’expliquent-ils par une confiance démesurée dans les capacités de ChatGPT ? Les étudiants ont pourtant été explicitement préparés à se méfier des réponses fournies : ils ont été prévenus que ChatGPT avait été testé dans le cadre d’un devoir similaire et qu’il avait obtenu des résultats assez médiocres.

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