Archive dans février 2024

Une grève attire l’attention sur le modèle économique de la tour Eiffel

Au pied de la tour Eiffel, fermée en raison de la grève du personnel, le 19 février 2024.

« Cela risque de durer plusieurs jours, et on espère surtout ne pas avoir à faire grève pendant les Jeux olympiques », prévient Denis Vavassori, délégué CGT de la Société d’exploitation de la tour Eiffel (SETE), qui gère le monument. La dame de fer ne sera pas ouverte trois cents soixante-cinq jours en 2024, comme de coutume : entre « 150 et 200 » des 360 salariés en CDI de la SETE ont fait grève, lundi 19 février, occasionnant la fermeture du monument.

Déjà en grève le 27 décembre 2023, les syndicats CGT et FO dénoncent notamment l’augmentation du montant versé chaque année par cette société publique locale à son actionnaire majoritaire (à 99 %), la Ville de Paris, alors que ses finances ont déjà souffert ces dernières années. C’est d’abord en raison de la pandémie de Covid-19, qui a multiplié les périodes de fermetures du monument, et généré 130 millions d’euros de pertes de billetterie. En 2023, la tour a retrouvé un niveau de fréquentation convenable, avec 6,3 millions de visiteurs.

Les grévistes se disent aussi inquiets de l’état du monument, malgré, là aussi, des coûts exorbitants. La tour n’a pas été repeinte depuis quatorze ans – contre sept habituellement –, et certains travaux ont pris du retard et généré 120 millions d’euros de coûts supplémentaires, en raison de l’inflation et de la découverte de plomb. « On a fait à peine 30 % de la campagne de peinture, cela a coûté 85 millions, alors que le budget de base était de 50 millions. Il y a de la rouille, des ascenseurs non rénovés, le scintillement qui ne sera pas renouvelé… », liste l’élu CGT.

Le billet devrait augmenter de 20 %

Face à ces difficultés, l’entreprise a été recapitalisée à hauteur de 60 millions d’euros par la Ville de Paris en 2022, et des prêts ont été contractés. Le syndicaliste met cette situation en regard de pertes supplémentaires à venir, qu’occasionnera une hausse de la redevance versée par la SETE à la Ville de Paris : déjà passée de 8 à 16 millions d’euros entre 2021 et 2022, elle devrait atteindre environ 50 millions annuels pour les années à venir.

« Cela représente la moitié du budget annuel de la SETE, alors qu’on a déjà de lourds travaux », soupire M. Vavassori. Pour contenir cette hausse, le prix du billet devrait aussi augmenter de 20 %. Cette hausse continue de la redevance était déjà prévue depuis 2016. Par leur action, les grévistes souhaitent influencer les arbitrages contenus dans la délégation de service public, le contrat qui lie la SETE et la Mairie de Paris sur la période 2017-2030.

Il vous reste 42.69% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

En Belgique, le socialiste Paul Magnette prône « le bonheur » et les 32 heures

Paul Magnette, à Charleroi, le 18 janvier 2024.

Dans un livre récent, il affirmait que l’un des enjeux actuels est de « réaffirmer le sens et la valeur du travail ». Lors du congrès préélectoral de son parti, dimanche 18 février à Bruxelles, le président du Parti socialiste (PS) francophone belge et bourgmestre de Charleroi Paul Magnette a surpris en précisant son propos : « L’idéal » à atteindre est, dit-il, la semaine de 32 heures en quatre jours. Sans baisse de salaire et avec des embauches compensatoires.

C’est un « mauvais signal à l’heure de la pénurie de main-d’œuvre et de la hausse des coûts liée à l’indexation automatique des salaires », a répliqué illico la Fédération des entreprises. En Wallonie, on compte 200 000 chômeurs et 120 000 postes de travail non pourvus, en raison principalement des carences du système éducatif.

Candidat au poste de premier ministre après les élections de juin, M. Magnette fixe la barre très haut, après avoir proposé de faire passer le salaire minimum à 2 800 euros – contre 2 080 euros actuellement – et suggéré l’octroi de jours de congé supplémentaires aux travailleurs, afin de leur permettre d’avoir « droit au bonheur », ce qui est, dit M. Magnette « ma marque du socialisme ».

Très applaudi

Même nuancé – « On n’y arrivera pas d’un coup, mais on doit faire de grands pas dans cette direction » –, le propos a été très applaudi par ses troupes. Il n’a, en revanche, pas enthousiasmé les partis de la droite et du centre flamands, avec lesquels le dirigeant du PS devrait, en toute hypothèse, négocier après les élections du mois de juin. Si, du moins, les résultats de sa formation sont à la mesure de ses ambitions : rester le premier en Wallonie et à Bruxelles, même si la gauche radicale entend lui tailler des croupières. D’ailleurs, cette proposition radicale sur le temps de travail est formulée alors que le nouvel adversaire du PS est le Parti… du travail de Belgique (PTB).

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés La Belgique prise en étau par les règles budgétaires européennes

Le camp des « nationalistes et conservateurs tapis dans l’ombre », selon les mots du dirigeant socialiste, ne goûte pas non plus son projet. « Travailler moins en gagnant la même chose ? Je peux vous assurer que ça ne fonctionne pas », a balayé Alexia Bertrand, une libérale, secrétaire d’Etat au budget. « Délire impayable », a tranché Egbert Lachaert, membre du même parti, l’Open VLD. « Un tiers de la population active de Wallonie ne travaille pas, mais le PS plaide pour moins de travail », a ironisé le nationaliste Bart De Wever.

Le ministre des finances, le chrétien-démocrate Vincent Van Peteghem, appelle pour sa part à un « discours honnête » sur « les énormes défis budgétaires » auxquels est confronté le pays. La Belgique, invitée notamment par la Commission européenne à « corriger sa trajectoire », devrait, selon les dernières estimations, trouver 40 milliards d’euros d’économies d’ici à 2031.

Compte personnel de formation : le gouvernement annonce la mise en place d’une « participation forfaitaire » dès 2024

Au lendemain des annonces du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, qui visent à dégager dix milliards d’économie, son ministre délégué chargé des comptes publics, Thomas Cazenave, a annoncé, lundi 19 février, la mise en place dès 2024 d’une participation forfaitaire des salariés au compte personnel de formation (CPF).

« Cette participation forfaitaire va être mise en œuvre dès cette année, ce qui nous permettra de générer 200 millions d’euros d’économies sur un total de 2 milliards », a-t-il déclaré à la presse, évoquant une mesure « juste » et « nécessaire » dans un contexte difficile pour les finances publiques. Un décret en ce sens est prévu pour avril, a précisé le ministère de l’économie et des finances auprès de l’Agence France-Presse (AFP).

Créé en 2014, puis réformé en novembre 2019, le CPF permet aux salariés de disposer d’un système de crédit en euros pour bénéficier de formations professionnelles par le biais d’une plate-forme en ligne. En décembre 2022, le gouvernement avait déjà souhaité faire contribuer financièrement les salariés en formation, en déposant un amendement dans le projet de loi de finances pour 2023.

Le texte proposait « d’instaurer une participation du titulaire, quel que soit le montant de droits disponible sur son compte ». Mais le dépôt de cet amendement, en plein week-end, dans le cadre du budget qui avait été adopté par le recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, avait provoqué des tensions au sein du camp présidentiel, y compris chez l’ancienne ministre du travail, Muriel Pénicaud. Elle avait estimé que cet amendement constituait « une erreur sociale et économique ; et donc, politique ». Mais, depuis, le gouvernement n’avait pas publié de décret pour en préciser les modalités. Dans une interview au journal l’Opinion en septembre 2023, le ministre du travail, Olivier Dussopt, expliquait alors que ce sujet était « moins urgent », mais qu’il restait « toujours à l’étude ».

Prévision de croissance revue à la baisse

Cette annonce de M. Cazenave lundi s’inscrit dans le cadre des 10 milliards d’euros d’économies sur les finances publiques souhaités par M. Le Maire. Invité du journal télévisé de 20 heures sur TF1 dimanche soir, le ministre de l’économie annoncé une révision à la baisse des prévisions de croissance de la France pour 2024, de 1,4 à 1 %, impliquant un « effort immédiat de 10 milliards d’euros d’économies ».

M. Le Maire s’est engagé « comme depuis sept ans » à ne pas augmenter les impôts. La moitié des économies proviendra, selon lui, d’une baisse des « dépenses de fonctionnement de tous les ministères », qui devront donc resserrer leur budget d’« énergie, [de] mobilier, [d’]achats ». L’exécutif compte récupérer les 5 milliards d’euros restants sur les « politiques publiques », en réduisant notamment « de près d’un milliard d’euros le montant de l’aide publique au développement » et d’un autre milliard MaPrimeRénov’, le dispositif d’aide aux travaux d’économie d’énergie.

Bruno Le Maire a évoqué une troisième source d’économies : « Les opérateurs de l’Etat, toutes les institutions qui peuvent dépendre de l’Etat, [qui vont] contribuer à hauteur de quelques dizaines de millions d’euros, pour que les opérateurs de l’Etat fassent une économie collective d’un milliard d’euros ».

Le Monde avec AFP

Forvia va supprimer jusqu’à 10 000 emplois en Europe d’ici à 2028

Le stand du fournisseur de technologies automobiles Forvia lors du salon automobile international IAA à Munich, dans le sud de l’Allemagne, le 6 septembre 2023.

Dans un marché automobile atone, l’équipementier Forvia a annoncé, lundi 19 février, un plan qui pourrait entraîner la suppression de « 10 000 emplois » d’ici à 2028 en Europe. Les conditions de ce plan doivent être présentées à partir de ce lundi avec les organisations syndicales du groupe.

Forvia, qui fabrique, entre autres équipements, des habitacles, des phares et des systèmes d’échappement, est redevenu bénéficiaire à hauteur de 222 millions d’euros en 2023, pour un chiffre d’affaires de 27,2 milliards d’euros (+ 10,9 % sur un an) mais l’entreprise reste endettée, a fait savoir la direction en présentant ses résultats pour l’année 2023.

Il s’agit aussi de rendre le groupe moins dépendant de la Chine, où Forvia enregistre 27 % de ses ventes mais l’essentiel de son résultat. Alors que le groupe comptait 75 500 salariés en Europe à la fin de 2023, notamment en France, en Allemagne, en Pologne, en République tchèque et en Espagne, le plan « va concerner tous les sites, mais pas de la même manière », a précisé le directeur financier de Forvia, Olivier Durand, lors d’une conférence de presse.

Plan d’économies de 500 millions d’euros

« On a eu une baisse du marché européen, et on ne voit pas de progression possible à court ou moyen terme. Et on a un certain nombre de sites qui ne fonctionnent pas à leur pleine capacité », a-t-il souligné, affirmant que l’objectif, avec ce plan, est de « rétablir notre compétitivité complète ».

Ce plan d’économies, qui doit atteindre 500 millions d’euros d’ici à 2028, passera par des suppressions de postes et un recours moindre à des intérimaires, entre autres mesures. « On doit s’assurer de limiter les recrutements au nécessaire, gérer le volant de flexibilité que nous avons à travers nos sous-traitants. Notre industrie bouge régulièrement et nous savons ajuster nos capacités industrielles », a défendu Olivier Durand, qui souhaite également « accélérer le déploiement de l’intelligence artificielle au sein du groupe ».

Le Monde avec AFP

« Que sait-on du travail ? » : les huit dimensions de la force d’une entreprise

Huit : c’est le nombre de dimensions à développer dans une entreprise pour se donner toutes les chances de réussir les transitions numérique et écologique en marche, car ce sont ces dimensions qui conditionnent la capacité d’apprentissage d’une organisation. En effet, quand tout s’accélère, on ne peut pas compter sur la seule optimisation des systèmes en place, une nouvelle approche est nécessaire pour que l’innovation se développe et se diffuse. C’est le propos des économistes Nathalie Greenan et Silvia Napolitano, toutes deux chercheuses du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET).

Dans leur contribution au projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp), diffusé en collaboration avec les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi du site Lemonde.fr, elles décrivent ces dimensions identifiées à travers deux enquêtes européennes, l’une sur les conditions de travail et l’autre sur les entreprises, et analysent les liens entre modes d’organisation et innovation. Comment la capacité d’apprentissage d’une organisation a-t-elle un impact sur les comportements innovants ? Dans la vie de l’entreprise, les huit dimensions se déploient en trois temps.

Au niveau de la situation de travail pour les trois premières dimensions. Il s’agit en premier lieu de préserver la « dimension cognitive du travail », puis d’offrir des « opportunités de formation » et enfin de favoriser l’« autonomie dans les tâches cognitives ». « Une organisation apprenante favorise l’apprentissage individuel des travailleurs en stimulant leur autonomie, leur esprit d’initiative et en leur offrant des possibilités de développement de leurs compétences », écrivent les chercheuses.

Au niveau de l’organisation du collectif pour les deux dimensions suivantes : le « travail en équipe autonome » parce qu’il favorise l’accumulation et le transfert des compétences, et le « soutien social » parce qu’il nourrit les échanges et la confiance.

Enfin, au niveau du management pour les trois dernières dimensions : un « style d’encadrement coopératif » parce qu’il contribue à la résolution des conflits, favorise la prise de risques et fournit des retours d’expériences, une « motivation soutenue par l’organisation », et une « participation directe ».

Sur les huit dimensions décrites, les économistes présentent une analyse comparative de la capacité d’apprentissage des organisations en Europe, qui met en évidence que la France se situe dans la moyenne européenne, mais reste distancée par les pays d’Europe du Nord. « Quand les salariés évaluent l’organisation du travail, la France se positionne sous la médiane européenne pour le style d’encadrement coopératif, le soutien social et la motivation soutenue par l’organisation », précisent les autrices. En revanche, elle est en bonne place pour la « dimension cognitive au travail ».

Il vous reste 15% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Investir dans la capacité d’apprentissage de l’organisation pour la double transition digitale et écologique »

[Quelles sont les conditions pour faire de la France une puissance innovante ? Deux économistes répondent clairement à cette question. Nathalie Greenan est économiste et spécialiste de l’analyse des changements au sein des organisations privées et publiques, de leurs performances économiques et de leurs conséquences pour les salariés et sur le marché du travail. Professeure des universités au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM, Paris) et membre du Laboratoire interdisciplinaire de recherches et sciences de l’action (Lirsa), elle dirige scientifiquement les programmes de recherche transversaux « changements organisationnels, travail et emploi » du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) et « politiques des organisations » de la fédération de recherche Théorie, évaluation et politiques publiques (TEPP) du CNRS. Silvia Napolitano est également économiste, spécialisée dans la mesure de la transformation technologique, des pratiques organisationnelles des entreprises et de leurs conséquences socio-économiques, en mobilisant des données combinées à partir des enquêtes européennes auprès des employeurs et des ménages. Elle est chercheuse au CNAM-CEET et associée au Lirsa.]

La capacité d’apprentissage de l’organisation est un facteur d’innovation identifié dans la littérature économique et de gestion, mais la plupart du temps non mesuré et donc absent des études empiriques sur la transformation technologique. Pourtant, ce facteur semble essentiel à la réussite de la double transition digitale et écologique.

En effet, pour passer de la crise et de l’urgence à la transition, c’est-à-dire à une trajectoire de changement progressive et maîtrisée, il ne suffit pas de mettre en place des filets de sécurité ou d’équiper les individus avec des compétences ou même des attitudes particulières. C’est au cœur de nos organisations publiques et privées que doivent se développer les ressources permettant de réduire notre vulnérabilité et d’augmenter notre résilience face aux chocs à venir.

En soutenant les activités d’exploration de champs de connaissances nouvelles, tout en exploitant la connaissance des situations de travail existantes, la capacité d’apprentissage des organisations contribue au déplacement de la frontière technologique (Greenan et Lorenz, 2010 ; Greenan et Napolitano, 2021).

Un tel saut qualitatif est indispensable pour sortir du monde d’hier. Rester focalisé sur le seul objectif d’optimisation des processus existants contribue, en effet, à intensifier le travail (Green et al., 2021, voir la contribution de Maelezig Bigi et Dominique Méda) et à poursuivre une exploitation des ressources naturelles qui n’est plus soutenable. Investir dans la capacité d’apprentissage des organisations est donc un choix essentiel pour prendre le chemin de la transition.

Il vous reste 85% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Une partie des actionnaires de Tesla se comporte comme si ce n’était pas le groupe qui était coté en Bourse, mais Elon Musk lui-même »

La décision de la juge du Delaware de priver Elon Musk de 56 milliards de dollars de rémunération à la suite de la plainte d’un actionnaire qui ne détenait que neuf actions Tesla met en évidence deux éléments majeurs de l’évolution du capitalisme américain : la notion de rémunération abusive et la prise de pouvoir par les actionnaires minoritaires actifs.

Rappelons que tout est parti de la plainte de cet actionnaire après le vote par le conseil d’administration d’une rémunération liée à la performance boursière du groupe entre 2018 et 2022 pour son patron charismatique, Elon Musk. L’actionnaire en question est un rockeur un peu tombé dans l’oubli avant cette affaire, mais dont le nom du groupe qui l’avait rendu célèbre aurait dû alerter le milliardaire : Dawn of Correction, « l’aube de la correction (ou de la rectification) ».

La correction en question, c’est la juge Kathaleen McCormick qui l’a infligée. Elle a mis en avant la capture du conseil d’administration par son président, le montant de la rémunération n’ayant fait l’objet d’aucune négociation. Le milliardaire détient déjà 22 % de la capitalisation boursière du groupe, bien assez pour amasser des milliards lorsque la performance est positive (la juge a rappelé que Mark Zuckerberg détenait 13 % de Meta, mais ne se versait pas de salaire et ne semblait pas pour autant démotivé).

La protection des actionnaires minoritaires

Plus fondamentalement, le jugement est motivé par la volonté de protéger les actionnaires minoritaires. Il n’est pas anecdotique, puisqu’il intervient au moment même où est réformée la règle portant sur l’anonymat des actionnaires (Schedule 13D), vieille de plus de cinquante ans. Lorsqu’un actionnaire dépasse 5 % de détention, son droit à l’anonymat est annulé par le droit des autres actionnaires à être informés. Depuis 1968, le délai de déclaration aux Etats-Unis était de dix jours, le plus long des grandes économies mondiales (il est de quatre jours en France, délai maximal en Europe).

Dans certains pays, comme le Royaume-Uni, le seuil de détention contraignant à la levée de l’anonymat a été abaissé à 3 %. Une longue bataille politico-académique a opposé pendant plus de dix ans les partisans du statu quo (priorité à l’anonymat) aux partisans de la transparence (une pétition réclamait un seuil de 1 % et un délai d’un jour).

La réforme mise en œuvre le 5 février est minimale, puisque le seuil reste à 5 % et le délai de cinq jours, plus long que presque partout ailleurs. L’objectif est d’accroître marginalement la transparence des transactions au moment du franchissement, sans décourager les fonds activistes, ces minoritaires capables d’imposer leurs vues dans les entreprises cotées.

Il vous reste 65% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’argot de bureau : le « feedback sandwich » pour faire passer la pilule

« Dis donc, tu es allé chez le coiffeur ce week-end ? Ça te va vachement bien ! Mais bon, je ne suis pas venu te voir pour ça : sauf erreur de ma part, tu as pris du retard sur ce que tu devais faire la semaine dernière. Plus généralement, j’ai l’impression que tu ne te donnes pas beaucoup dans ton travail ces derniers temps, en tout cas j’en attends plus de toi. Mais je sais que tu en es capable ! » Que retenir de ce commentaire fait par un manageur à son salarié, un lundi matin ? Une certaine maladresse, certes.

Pourtant, ce supérieur a appliqué à la lettre ce qu’il pensait être une recette magique : le « feedback sandwich ». Comme le « feedback » vient littéralement nourrir le salarié de remarques sur ses performances, ici la métaphore est concrète : le retour commence par un compliment (une tranche de pain), suivi d’une critique négative (la garniture), elle-même suivie d’un nouveau compliment (l’autre tranche).

Cette méthode légendaire – dont l’origine n’est pas datée – vise à faciliter la réception de critiques négatives en les relativisant. C’est donc un enrobage pour éviter les conflits : face à un chef qui manque de tact, la colère, la tristesse ou la démotivation pointeront le bout de leur nez.

S’il veut être cohérent, et digérable, le sandwich a intérêt à porter exclusivement sur le même sujet : « L’argumentaire que vous avez envoyé aux clients est très percutant, il était bourré de fautes d’orthographe MAIS nous avons d’excellents retours financiers, donc continuez dans cette voie – en faisant attention aux coquilles la prochaine fois [accompagné d’un clin d’œil et d’un sourire] ! »

La critique à double tranchant

La critique est constructive et ne concerne ainsi que le travail qui a été fait, et non la personne. La mission innovation du ministère de l’économie et des finances propose ainsi sa recette du hamburger : « Par exemple, le steak peut être : ce que X aurait pu éviter, la salade : ce que X aurait pu mieux faire, et le fromage : ce que X aurait pu approfondir. » Elle est plutôt faite en privé qu’en public, et s’accompagne de recommandations concrètes sur ce qui pourrait être mieux fait… en se fondant sur les points forts déjà existants. Comme un professeur qui essaierait d’encourager un élève stagnant autour de la moyenne.

La généralisation de cette pratique est à double tranchant : si un chef pratique toujours ce plan en trois parties – petite thèse, grosse antithèse, petite thèse –, comment faire confiance à ses compliments ? Comment ne pas lui demander de passer sur les hors-d’œuvre pour attaquer directement le roboratif plat de résistance ? Le pain apparaît alors comme un prétexte hypocrite pour dévoiler une ignoble garniture, s’inspirant sans doute du plus haut burger du monde (1,88 mètre), réalisé à Auderghem (Belgique) en 2023.

Il vous reste 30% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Ouvertures d’usines et créations d’emplois industriels : les nuages s’amoncellent pour 2024

Le ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie, Roland Lescure, lors de sa visite de la ferme solaire de Marcoussis (Essonne), le 12 février 2024.

Dans sa déclaration de politique générale, prononcée le 30 janvier devant l’Assemblée nationale, le premier ministre, Gabriel Attal, s’est vanté du « retour de l’industrie » en France, après plusieurs décennies de désindustrialisation, « n’en déplaise aux Cassandre ». L’enthousiasme du nouveau chef du gouvernement pourrait-il être douché au cours des prochains mois ? Le risque est réel, si l’on en croit les résultats de la dernière étude du cabinet de recherche Trendeo sur l’emploi et l’investissement pour 2023, rendue publique dimanche 18 février.

Selon cette enquête, si les données globales restent encore positives pour 2023, dans la dynamique des années qui ont suivi la pandémie de Covid-19, de nombreux indicateurs − comme les créations d’emplois, les ouvertures d’usines ou les levées de fonds, notamment − connaissent d’importants ralentissements. Autant de signes que la crise énergétique, l’inflation, la hausse des taux et les tensions géopolitiques mondiales ont commencé à peser en 2023 sur l’investissement, la consommation et les comptes des entreprises françaises.

« Après une très forte reprise en 2021 et un niveau record de créations nettes d’emplois en 2022, l’économie française s’inscrit sur une pente descendante », résume David Cousquer, le fondateur de Trendeo. Au point que si cette pente continue au rythme des derniers mois, plusieurs de ces indicateurs pourraient passer en négatif en 2024. Le niveau d’alerte n’est donc pas encore au rouge, mais déjà à l’orange.

Il faut dire que les industries tricolores font face à la concurrence croissante de celles des Etats-Unis, portées par un coût de l’énergie nettement moindre et par les investissements colossaux de l’Inflation Reduction Act du président Joe Biden, destiné à soutenir la transition « verte ». Mais aussi, de celles des usines chinoises, qui cassent les prix sur nombre de marchés tels que l’éolien offshore.

Quatre secteurs épargnés

D’après le recensement de Trendeo, 81 147 emplois net ont été créés en France en 2023, contre 36 512 suppressions. Un solde de 44 635 qui reste donc « largement positif », mais le nombre d’emplois créés baisse de plus de 40 000 par rapport à 2022 (121 541). Un mauvais signal, alors que le taux de chômage est reparti à la hausse dans l’Hexagone, avec 7,5 % de la population active au quatrième trimestre 2023, selon l’Insee. Par ailleurs, les relocalisations d’usines ont augmenté, mais ont créé moins d’emplois que ceux détruits par les délocalisations : 1 681 emplois sont partis à l’étranger en 2023 contre 696 revenus sur le territoire national.

Il vous reste 59% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’économie circulaire, la deuxième vie fragile de l’usine Renault de Flins

Des étudiants s’initient à l’économie circulaire sur le site de l’usine Renault de Flins (Yvelines), le 19 octobre 2023.

Ils ont été jusqu’à 27 000 à y travailler. Dans les années 1990, l’usine Renault de Flins, dans les Yvelines, 232 hectares, produisait plus de 2 000 voitures par jour. Aujourd’hui, il n’en sort plus qu’une quarantaine de Zoe électriques. La chaîne s’arrêtera complètement à la fin de mars. Lisianne Guilloteau, qui la dirige, n’est pas inquiète : elle a déjà commencé son nouveau job, en tuilage avec l’ancien. Elle supervise un atelier qui remet en état des véhicules d’occasion envoyés par les concessionnaires du réseau Renault ou Dacia. Ils sont ensuite revendus sous l’étiquette Renew, la marque de seconde main du groupe. Là, il reste du volume. « Nous traitons 45 000 véhicules à l’année », explique l’ingénieure.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Luca de Meo, le mécano du néo-Renault

A Flins, on répare aussi les voitures très accidentées, toutes marques confondues, les robots usés, et l’on reconditionne les moteurs comme leurs pièces. Au total, 1 500 personnes travaillent dans ces activités. L’effectif pourrait monter à 2 000 en 2025, à 3 000 en 2030, précise Stéphane Radut, responsable du site, rebaptisé Renew Factory, ou Refactory, dans la novlangue de l’entreprise. Un langage de start-up qui veut convaincre que, malgré le sentiment de vide, l’usine de Flins n’est pas l’ombre d’elle-même.

Le directeur général de Renault, Luca de Meo, assure y croire. Il a regroupé toutes les activités liées à l’économie circulaire dans une filiale : The Future is Neutral. En français, on dirait : « L’avenir est neutre en carbone. » « “Neutral” est une anagramme de Renault », souligne son directeur général, Jean-Philippe Bahuaud. Le capital a vocation à être ouvert à des partenaires. Et la réglementation renforce sa légitimité : depuis le 1er janvier, la loi antigaspillage pour une économie circulaire rend les constructeurs responsables de la fin de vie des véhicules qu’ils mettent sur le marché. Ils doivent en assurer la reprise sans frais sur tout le territoire et la valorisation.

Chômage partiel

D’ailleurs, Carlos Tavares, directeur général de Stellantis (Peugeot, Citroën, Fiat, mais aussi Jeep et Chrysler), s’y met aussi. Le 23 novembre 2023, à Mirafiori, au sud de Turin, depuis l’usine historique de Fiat qui assemble les Fiat 500 électriques, il a annoncé un projet similaire. Presque un copier-coller. Ici, le centre consacré à l’économie circulaire s’appelle Sustainera – à chacun sa novlangue. Stellantis a investi 40 millions d’euros pour préparer un espace de 73 000 mètres carrés, où 550 personnes travailleront, d’ici à 2025. Il y en a 170 aujourd’hui.

Il vous reste 80% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.