Archive dans février 2024

« Sociologie des dirigeants de grandes entreprises » : l’ère des directeurs-manageurs

Au XIXe siècle, une rupture fondamentale apparaît dans l’histoire des organisations : les sociétés par actions émergent. Elles introduisent une évolution majeure : le patrimoine de la société (bâtiments, machines, marchandises…) est désormais strictement séparé de celui des actionnaires, constitué de la valeur des actions.

En conséquence, le patrimoine de ces mêmes actionnaires peut « être valorisé indépendamment de la firme ». Un mouvement s’est alors opéré : « Ceux-ci se sont éloignés de la gestion [des entreprises] pour laisser place à un nouveau type de dirigeants : les manageurs », expliquent François-Xavier Dudouet, directeur de recherche au CNRS, et Antoine Vion, professeur de sociologie à l’université de Nantes, dans leur ouvrage, Sociologie des dirigeants de grandes entreprises (La Découverte).

Les deux auteurs se proposent, à travers leur essai, d’analyser la transformation sociologique qui s’est alors engagée à la tête des grandes sociétés, et qui a conduit à la formation d’une « bureaucratie économique ». Pour ce faire, ils prennent appui sur les nombreuses études menées en France, mais aussi à l’étranger (Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Chine…), sur le sujet, en livrant une lecture critique, pointant les faits saillants qu’elles mettent en lumière comme leurs lacunes.

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Qui sont ces dirigeants ? Premier constat : leur « position ne découle plus de la propriété du capital, mais (…) dépend d’autres dispositions plus formelles et impersonnelles, comme le diplôme, la compétence et la capacité à faire carrière dans de vastes organisations ». Au fil du XXe siècle, si les « milieux populaires sont durablement tenus à l’écart » (malgré quelques exceptions, en Chine par exemple), la place prise par les enfants des classes moyennes supérieures s’étend. L’accès aux études est là fondamental avec, progressivement, une importance croissante pour les formations en administration des affaires (HEC, en France).

Logiques managériales et financières

A contrario, « la proportion d’individus succédant à leur père à la tête des grandes entreprises ne cesse de diminuer au cours du XXe siècle », indiquent MM. Dudouet et Vion. Les héritiers sont jugés de moins en moins légitimes, leur nom n’est plus un sésame. En témoigne le parcours d’Alexandre Ricard, actuel PDG de Pernod-Ricard.

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Le petit-fils de Paul Ricard « a d’abord passé un entretien d’embauche au sein du groupe, au cours duquel il n’a pas convaincu », rappellent les auteurs. Renvoyé à ses études, l’homme a alors dû « fai[re] ses preuves, notamment en obtenant un MBA à la Wharton School et en passant chez Morgan Stanley puis Andersen Consulting » – en un mot, en se « managérialisant » – avant d’intégrer finalement l’entreprise familiale.

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La RATP teste la semaine de quatre jours

Le comptoir d’accueil d’une station de métro, le 2 septembre 2020, à Paris.

La RATP a annoncé, mercredi 21 février, avoir signé avec trois syndicats – FO, l’UNSA et la CFE-CGC – un accord « pour améliorer la qualité de vie au travail » et expérimenter la semaine de quatre jours afin de fidéliser les personnels de la Régie, confrontée à une hausse des démissions.

L’expérimentation de la semaine de quatre jours a commencé le 18 janvier et concerne quatre lignes – 5, 7 et 9 du métro et le RER B -, sans diminution du temps de travail. Le dispositif concerne les agents en station, mais pas les conducteurs. Il prévoit une organisation hebdomadaire pour les manageurs et les contrôleurs avec quatre jours travaillés et trois jours de repos, moyennant une augmentation du temps de travail quotidien d’une heure et quinze minutes. Les agents d’accueil en station et en gare travailleront sur un cycle de quatre jours suivis de deux jours de repos, sans augmentation du temps de travail quotidien.

Pour le moment, 170 agents se sont portés volontaires pour tester le dispositif pendant une première phase de 42 jours, éventuellement renouvelable. Il donnera lieu ensuite à un retour d’expérience pour savoir s’il est étendu ou non. A terme, cinq mille agents pourraient être concernés.

La CGT-RATP a refusé de signer l’accord

L’accord comprend d’autres mesures pour favoriser « la fidélisation et l’attractivité de l’entreprise », selon la RATP, confrontée à des problèmes d’effectifs affectant l’offre de bus et de métros. Il prévoit une « augmentation significative de notre capacité à loger plus de salariés », a expliqué Jean Agulhon, directeur des ressources humaines du groupe.

Pour réduire le temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail et « compte tenu du prix de l’immobilier en région parisienne », la RATP se fixe l’objectif de loger 1 200 familles contre 860 aujourd’hui. Elle prévoit aussi de doubler le nombre de places proposées en crèche pour ses salariés, avec des horaires adaptés plus tôt le matin et plus tard le soir. Enfin, la Régie va investir dans 140 exosquelettes pour équiper douze de ses ateliers et assister les salariés occupant les postes les plus difficiles à la maintenance.

« La négociation a été longue et exigeante, ça fait plus d’un an qu’on était sur ces sujets, donc on est très satisfaits d’avoir pu conclure cet accord », a salué M. Agulhon. Seule la CGT-RATP (premier syndicat du groupe) a refusé de signer. « Cet accord est une compilation de textes réglementaires obligatoires, auxquels la direction ne peut pas se soustraire. Le reste est une charrette de déclarations d’intentions », a réagi le syndicat dans un communiqué.

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Le Monde avec AFP

Les comptes de l’assurance-chômage restent dans le vert

Les comptes de l’assurance-chômage restent dans le vert, mais ils seraient bien meilleurs si l’Etat ne soutirait pas de l’argent au régime. C’est l’un des messages émis, mardi 20 février, par les partenaires sociaux à l’occasion de la présentation des « prévisions financières » de l’Unédic, l’association copilotée par les syndicats et le patronat qui gère le système d’indemnisation des demandeurs d’emploi. La divulgation de ces données budgétaires est hautement sensible, car le gouvernement pourrait en tirer parti pour réclamer aux organisations de salariés et d’employeurs de nouveaux changements que celles-ci n’appellent pas de leurs vœux.

Pour la deuxième année consécutive, l’assurance-chômage affiche, en 2023, un excédent, qui devrait s’élever à 1,6 milliard d’euros, ce qui est légèrement inférieur aux précédentes simulations, réalisées en septembre, du fait de la dégradation de la conjoncture. Par la suite, les gestionnaires du régime tablent sur un surplus susceptible de s’étioler encore un peu (à + 1,1 milliard en 2024), avant de croître de nouveau lors des exercices ultérieurs, jusqu’à atteindre 11,2 milliards en 2027.

Sur le plan financier, les responsables de l’Unédic ont donc le droit de se montrer plutôt optimistes. Mais ils auraient pu se prévaloir de projections encore plus riantes si le pouvoir en place n’avait pas décidé de leur faire les poches. De 2023 à 2026, l’Etat a prévu de soustraire 12,05 milliards d’euros sur les recettes du régime pour financer deux opérateurs dédiés à l’emploi et à la formation (France Travail et France Compétences). « On a pris un sacré coup derrière la tête », a déclaré Jean-Eudes Tesson, le président (Medef) de l’Unédic, lors d’une conférence de presse, mardi après-midi.

Avec le « prélèvement » ordonné par le gouvernement, la dette de l’assurance-chômage, qui avait considérablement enflé après treize années de déficit à partir de 2009, va se réduire à un rythme « ralenti » : elle serait ramenée de 63,6 milliards en 2021 à 38,6 milliards d’euros en 2027, alors que son montant aurait pu être plus faible (à hauteur de 25,5 milliards d’euros en 2027), s’il n’y avait pas eu de ponction. Le fait que le désendettement soit ainsi freiné est la conséquence d’un « choix » de l’ Etat, a martelé Patricia Ferrand, vice-présidente (CFDT) de l’Unédic.

« Dégradation de la conjoncture »

L’une des questions qui se posent désormais est de savoir comment va réagir l’exécutif à la lecture de ces données. Lors de sa déclaration de politique générale, prononcée le 30 janvier à l’Assemblée nationale, Gabriel Attal avait annoncé la couleur : si la trajectoire financière de l’assurance-chômage « dévie », « je n’hésiterai pas, comme la loi le permet, à demander aux partenaires sociaux de remettre l’ouvrage sur le métier », avait mis en garde le premier ministre. En d’autres termes, si les comptes de l’Unédic se détériorent, le locataire de Matignon se réserve la possibilité d’inviter les syndicats et le patronat à rouvrir des discussions « sur la base d’une nouvelle lettre de cadrage » gouvernementale, dont « l’ambition » serait d’« inciter toujours plus à la reprise du travail, sans tabou ».

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Au Parc Astérix, la recherche d’une potion magique pour recruter 2 500 saisonniers

Ce ne sont pas les douze travaux d’Astérix, mais cela y ressemble. Le sablier a démarré, et le parc aux 2,8 millions de visiteurs annuels s’affaire à recruter 2 500 saisonniers, dont déjà plus de la moitié pour sa réouverture le 30 mars. En plus de ses 430 permanents, jamais le site de Plailly, dans l’Oise, n’aura autant embauché : ce sont 200 postes supplémentaires par rapport à 2023, dixit la responsable des ressources humaines, Fathia Gueucier, qui pilote l’opération avec près d’une vingtaine de personnes. Comme d’autres grandes entreprises de loisirs, le parc doit proposer tout un éventail de solutions RH en fonction des métiers, pour convaincre les candidats (et non l’inverse).

Cette année est déjà singulière. Pour fêter ses trente-cinq ans d’activité, le parc a annoncé quelques nouveautés, comme une attraction, une comédie musicale et un point de restauration. De nouveaux postes à couvrir, donc, sans compter une affluence qui s’étire après l’été avec des pics pendant les « maisons hantées » des vacances de la Toussaint, puis la fin d’année et son « Noël gaulois ».

Ce calendrier, les vingt-deux jeunes candidats qui attendent à l’entrée de la « cellule emploi » l’ont bien en tête. Eux sont déjà montés à bord des attractions. Là, il a fallu poursuivre la route en longeant des arbres d’où dépassent quelques rails à la hauteur vertigineuse. CV plastifiés en main pour certains, ils gagnent la salle Cléopâtre pour une session de recrutement pour des postes d’agent d’accueil et animation. Depuis le début du mois de février, il y a deux matinées de ce type par semaine. « C’est un poste polyvalent où vous vous retrouverez aux accès des attractions, aux parkings ou aux caisses de l’entrée », informe Grégory Cany, le coordinateur des opérations.

Dans la pratique, cet intitulé recouvre 10 % des besoins en saisonniers du parc, soit des CDD à temps plein rémunérés au smic jusqu’à début septembre ou la mi-novembre dans un premier temps. Une trentaine d’entre eux sont déjà inscrits pour bénéficier d’une « préparation opérationnelle à l’emploi collective », une formation qualifiante financée par France Travail (anciennement Pôle emploi) en vue de l’obtention d’un certificat de qualification opérateur d’attractions.

« Il faut que vous soyez prêts à travailler en soirée et les week-ends », rappelle la recruteuse Elodie Gaya. Une évidence pour la salle. Tous ne possèdent pas de véhicule, mais les potentielles recrues connaissent déjà l’existence de navettes, à moitié prises en charge par l’entreprise, au départ de Roissy et Fosses, dans le Val-d’Oise, ou de Creil et Senlis, dans l’Oise. « Si nous voulons être attractifs, c’est un passage obligé, car le parc est difficilement accessible sans voiture », ajoute Fathia Gueucier.

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L’Assurance chômage révise à la baisse sa prévision d’excédent pour 2024

Le logo de « France Travail », le nouvel opérateur du service public de l’emploi français, à Lille, le 12 janvier 2024.

L’Assurance chômage a fortement révisé à la baisse, mardi 20 février, sa prévision d’excédent pour 2024 en raison de la conjoncture économique et d’une moindre compensation par l’Etat d’exonérations de cotisations, ce qui ralentit son désendettement, selon un communiqué de l’Unédic.

L’excédent, encore prévu à 5 milliards d’euros en septembre dernier, ne serait finalement que de 1,1 milliard d’euros, avant de repartir à la hausse en 2025 (3 milliards), en 2026 (5,3 milliards) et en 2027 (11,2 milliards), d’après ces prévisions.

Pour financer France Travail (qui a remplacé Pôle emploi au 1er janvier) et France Compétences (formation professionnelle), la loi de financement de la Sécurité sociale adoptée en décembre prévoit une moindre compensation par l’Etat d’exonérations de cotisations à l’assurance chômage. Les recettes avaient ainsi déjà été réduites de 2 milliards d’euros en 2023.

Un frein pour le désendettement de l’Assurance chômage

La perte financière induite par cette mesure budgétaire sera de 2,6 milliards d’euros en 2024, 3,35 milliards en 2025 et 4,1 milliards en 2026, soit 12,05 milliards sur quatre ans, rappelle l’Unédic, qui souligne qu’elle « freine nettement le désendettement de l’Assurance chômage ». En conséquence, « la dette serait de 38,6 milliards d’euros fin 2027 » alors qu’« elle aurait été de 25,5 milliards sans ces prélèvements », précise l’organisme.

Ces prévisions financières tablent sur une croissance du PIB de 0,7 % en 2024, inférieure à celle du gouvernement, qui est de 1 %, et sur une croissance de 1,3 % de 2025 à 2027. Les créations d’emplois, qui plafonneraient à 29 000 cette année, repartiraient à la hausse en 2025 (112 000), en 2026 (129 000) et en 2027 (200 000).

« A partir de 2025, la montée en charge des réformes et surtout une conjoncture devenue plus favorable feraient reculer le nombre de chômeurs à 2,4 millions en 2027 », contre un peu plus de 3 millions aujourd’hui, anticipe l’Unédic.

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Le Monde avec AFP

Le gouvernement n’exclut pas de « sanctuariser » certaines périodes sans grève dans les transports, provoquant la colère des syndicats

Après le mouvement social des contrôleurs de la SNCF qui a provoqué l’annulation d’un TGV sur deux samedi 17 et dimanche 18 février pour le chassé-croisé des vacances d’hiver, la ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement, Marie Lebec, n’a pas exclu mardi de « sanctuariser » des périodes sans grève dans les transports.

« La question de la protection du droit de grève est essentielle, mais je crois qu’on peut s’interroger sur le recours au droit de grève quand on a une mission de service public », a déclaré la ministre déléguée sur Sud Radio.

Pour Mme Lebec, « il y a des moments où on peut estimer qu’il faut sanctuariser ces périodes », a-t-elle ajouté, interrogée sur les initiatives parlementaires des Républicains et des sénateurs centristes qui visent à encadrer le droit de grève, notamment pendant les vacances scolaires ou lors de grands événements.

« Trop, c’est trop », s’était notamment indigné à la mi-février le président du groupe centriste au Sénat, Hervé Marseille, auteur d’une proposition de loi permettant au gouvernement de disposer d’un capital annuel de soixante jours d’interdiction de grève, répartis par décret dans une limite de quinze jours par période d’interdiction. « Si on avait affaire à des gens responsables, on ne serait pas obligés d’imaginer des dispositifs de cette nature mais il faut bien protéger les Français », avait-il déclaré.

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« Toutes les options sont ouvertes »

Pour Mme Lebec, « la réflexion sur le sujet peut être débattue à l’Assemblée ». « Est-ce que les modalités doivent forcément passer par la loi ? Est-ce que ça peut faire l’objet d’un accord ou autre avec les représentants syndicaux ? Je crois que toutes les options sont ouvertes », a-t-elle estimé. Le premier ministre, Gabriel Attal, avait encouragé le Parlement à s’emparer de ce débat, déplorant « une forme d’habitude, à chaque [période de] vacances (…), d’avoir l’annonce d’un mouvement de grève » des cheminots. « Les Français savent que la grève est un droit », mais « aussi que travailler est un devoir », avait-il dit.

« Boîte de Pandore »

« Ce qu’il faut sanctuariser, c’est le droit de grève, a répliqué mardi la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, interrogée par l’AFP. Je rappelle au gouvernement que le droit de grève est un droit fondamental des travailleurs, inscrit dans la Constitution et dans les normes fondamentales du droit international. Le dernier gouvernement qui a interdit le droit de grève, c’est Vichy. »

Alors que la liberté de circulation est invoquée pour sanctuariser des périodes sans grève, « pendant les manifestations de paysans où ils ont bloqué routes et autoroutes, on n’a pas entendu parler de remise en cause du droit de grève », a réagi le secrétaire général de l’UNSA-Ferroviaire, Didier Mathis, dénonçant un « deux poids, deux mesures ». Une telle mesure, « c’est ouvrir la boîte de Pandore et une fois que c’est ouvert, on ne sait pas jusqu’où ça peut aller », a-t-il mis en garde.

Pour SUD-Rail, « c’est une ligne rouge », a insisté le secrétaire fédéral, Julien Troccaz. « A part mettre de l’huile sur le feu pendant la période, on ne voit pas trop à quoi ça va servir », a-t-il assuré.

Le Monde avec AFP

Emploi : trois dispositifs sont visés par les coupes budgétaires annoncées par Bercy

La ministre du travail, Catherine Vautrin, à l’Elysée, le 14 février 2024.

La politique en faveur de l’emploi n’a pas été épargnée. Dans le plan d’économies de 10 milliards d’euros dévoilé, dimanche 18 février, par Bercy, il est prévu de réduire les moyens accordés à trois dispositifs dont le but est d’élever le niveau de compétences des travailleurs et des jeunes. Un coup de rabot qui devrait rapporter 550 millions d’euros à l’Etat pour l’exercice 2024.

La mesure avait été adoptée, il y a un peu plus d’an, dans la loi de finances 2023, mais n’était pas entrée en vigueur, faute de décret d’application. Elle devient désormais réalité. Les femmes et les hommes qui utilisent leur compte personnel de formation (CPF) pour acquérir de nouvelles qualifications devront désormais s’acquitter d’une « participation ». Plusieurs arguments sont mis en avant pour justifier ce « ticket modérateur » : une forte progression du prix des actions dispensées dans le cadre du CPF ou des doutes sur la « pertinence » de certaines formations suivies – 17 % d’entre elles concernent des individus qui ne déclarent « ni objectif professionnel ni finalité professionnelle », selon une étude diffusée en février 2023 par les services du ministère du travail.

Le montant du reste à charge « n’a pas été encore arrêté, mais il a vocation à se situer au minimum à 10 % du coût de la formation », indique-t-on dans l’entourage de Catherine Vautrin, la ministre du travail. Seront exemptés de cet effort les chômeurs ainsi que les salariés qui mobilisent leur CPF dans le cadre d’un projet élaboré et cofinancé par leur patron, à travers un « abondement » de l’entreprise. Les pouvoirs publics tablent sur une économie de 200 millions d’euros, sachant que, au départ, l’enveloppe destinée au CPF devait atteindre 2,2 milliards d’euros en 2024.

Vives critiques

Deux autres dispositifs sont touchés par le tour de vis annoncé dimanche. Les dotations accordées aux centres de formation des apprentis (CFA) pour couvrir les dépenses d’enseignement seront amputées de 200 millions d’euros. Par ailleurs, l’Etat diminuera de 150 millions d’euros les crédits alloués au plan d’investissement dans les compétences (PIC) – un programme lancé en 2018 pour épauler les demandeurs d’emploi faiblement qualifiés et les jeunes sans bagage scolaire.

Les arbitrages de l’exécutif suscitent de vives critiques parmi les syndicats comme chez les acteurs du monde de la formation. L’instauration d’un reste à charge pour les utilisateurs du CPF constitue « une mauvaise réponse à un besoin de régulation », déclare Yvan Ricordeau, numéro 2 de la CFDT. Pour étayer son propos, le leader cédétiste rappelle que, depuis la première quinzaine de janvier, il est possible de se payer le permis moto par le biais du CPF : « Ça coûte déjà des dizaines de millions d’euros et ça ne sert absolument pas les parcours professionnels, dénonce M. Ricordeau. C’est ce ménage-là qu’il faut faire, pas une punition aveugle et généralisée. » Dans un communiqué, Force ouvrière a fustigé, lundi, la décision du gouvernement, qui dégrade « le droit à la formation professionnelle des salariés, alors même que les transitions à venir nécessitent un dispositif qualifiant, solide et accessible ».

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« La notion de harcèlement moral s’est galvaudée avec le temps »

Si l’on entend beaucoup parler ces dernières années du harcèlement moral des salariés, le grand public est moins informé de la pratique qui en est faite par les professionnels du droit.

L’évocation par des salariés de l’existence d’un harcèlement moral de leur ancien employeur est désormais devenue monnaie courante dans le cadre d’un litige devant un conseil de prud’hommes (CPH). Les avocats assurant la défense des employeurs constatent ainsi une multiplication de ce type de demandes, laissant parfois penser que tous les salariés sont harcelés.

Cette pratique commence à soulever une sérieuse difficulté, mettant en danger le concept même de harcèlement moral.

Le code du travail est pourtant très clair en la matière : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

Des sommes d’argent complémentaires

Cette définition implique donc des situations assez exceptionnelles, dans lesquelles les salariés concernés subissent une vraie détérioration de leur quotidien au travail. Il ne s’agit pas d’une simple mésentente avec certains collègues, chose fréquente en entreprise. En toute logique, le harcèlement moral ne devrait donc être que rarement invoqué devant un conseil de prud’hommes, en particulier à la suite d’un licenciement. C’est l’inverse qu’on observe.

Le « barème Macron », désormais bien connu, n’est pas étranger à la forte augmentation de l’évocation d’un harcèlement lors d’un litige avec un employeur. Malgré de nombreuses tentatives, ce barème n’a finalement jamais été remis en cause par les juges depuis sa création. Il pose en revanche un sérieux problème aux salariés en limitant l’indemnité maximale qu’ils peuvent obtenir lors de la contestation de leur licenciement.

Pour contourner cette difficulté, l’existence d’un harcèlement moral de l’employeur est de plus en plus souvent évoquée pour tenter d’obtenir des sommes d’argent complémentaires, qui ne rentrent pas en compte pour le calcul du barème. Le harcèlement moral peut en effet conduire un employeur à devoir verser des dommages-intérêts à un ancien salarié, voire à annuler son licenciement, ce qui rend le barème Macron alors inapplicable.

Mais la logique à l’œuvre n’est pas toujours seulement financière.

La notion de harcèlement moral s’est en effet quelque peu galvaudée avec le temps et n’est pas toujours bien comprise par les salariés qui s’estiment régulièrement, à tort, victimes d’un harcèlement en présence d’un manageur autoritaire.

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Le manageur face à la preuve déloyale

C’était le bon vieux temps des films en noir et blanc, et du droit binaire de la preuve : devant le juge civil, une preuve déloyalement obtenue était irrecevable. Car « la loyauté qui doit présider aux relations de travail interdit à l’employeur de recourir à des artifices et stratagèmes pour placer le salarié dans une situation qui puisse ultérieurement lui être imputée à faute », avait énoncé la chambre sociale de la Cour de cassation, le 16 janvier 1991.

Voici l’argumentaire de son assemblée plénière, écartant des enregistrements clandestins, le 7 janvier 2011 : « La justice doit être rendue loyalement, au vu de preuves recueillies et produites d’une manière qui ne porte pas atteinte à sa dignité et à sa crédibilité. » Cette solution conduisant parfois à une impunité choquant l’opinion publique, aujourd’hui plus sensible aux discriminations et aux harcèlements, où la preuve est délicate à apporter.

Revirement de cette même assemblée plénière, le 22 décembre 2023, en application du droit à la preuve cher à la cour de Strasbourg : « Désormais, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. »

Mais, attention : il n’existe aucun « droit à la preuve déloyale » permettant, en son nom, n’importe quelle violation de libertés fondamentales (par exemple, la vie privée), source de responsabilité civile et pénale. L’assemblée plénière est donc légitimement très exigeante sur les conditions à réunir pour que le juge accepte cette preuve : elle doit être indispensable à l’exercice du droit à la preuve, et « l’atteinte ainsi portée aux droits antinomiques en présence strictement proportionnée au but poursuivi ».

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En résumé : premièrement, sans cette preuve, le plaideur ne pourrait que perdre son procès, car il ne peut disposer d’aucune autre. Deuxièmement, l’enjeu doit être majeur : on ne marche pas à son gré sur le respect de la vie privée d’autrui, de ses données personnelles, voire du secret médical.

Une grande prudence

Quels sont alors les bons réflexes côté manageur ? Pas de révolution : car, dans la pratique, enregistrer discrètement une conversation, voire jouer à la caméra cachée était un jeu d’enfant depuis l’irruption du smartphone, et la prudence déjà de rigueur.

Mais l’irrecevabilité – sauf en matière pénale – en limitait l’intérêt : désormais, une porte est entrouverte. Mais « insécure » : car le plaideur (salarié ou employeur) sera souvent bien en peine de savoir si sa preuve déloyale sera finalement acceptée par le juge, ou écartée… après avoir été contradictoirement discutée pendant dix minutes !

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