A la veille de l’examen d’un plan de continuation, l’appel à l’Etat de Camaïeu fait chou blanc

Une boutique Camaïeu, à Lille, en mai 2020.

Michel Ohayon a frappé à la porte de Bercy. En vain. L’actionnaire de Camaïeu « a demandé une avance de l’État » pour boucler son plan de relance du géant nordiste de prêt-à-porter féminin, en redressement judiciaire, a indiqué lundi 26 septembre la direction à lAFP, une demande refusée par Bercy.

« Il s’agirait d’une intervention de l’État sous avance remboursable », a précisé à l’AFP Wilhelm Hubner, président d’Hermione People and Brands (HPB), la division distribution de la Financière immobilière bordelaise (FIB) menée par l’homme d’affaires bordelais Michel Ohayon, qui a repris Camaïeu en 2020.

L’État ne peut « en aucun cas se substituer aux actionnaires privés » – le CIRI

Joint par Le Monde, Bercy a jugé que cette demande « en catastrophe » n’était pas « réaliste ». Dimanche dans la soirée, les représentants de M. Ohayon ont contacté les services du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) pour obtenir 48 millions d’euros de l’Etat. D’après les services du CIRI, l’actionnaire de Camaïeu promet d’apporter « 5 millions d’euros » et d’obtenir « 14 millions d’euros de la vente d’actifs immobiliers à Roubaix », siège de l’entreprise, pour financer son plan de relance. Ces actifs seraient rachetés par FIB, pour 14 millions d’euros en vu de « sa valorisation » puis de sa revente, censée rapporter selon M. Hubner « de 55 à 63 millions d’euros », d’après l’AFP.

Une douche froide

L’État ne peut « en aucun cas se substituer aux actionnaires privés », objecte Bercy. Or, de sources proches du dossier, l’entreprise a déjà bénéficié de 40 millions d’euros d’aides publiques, lors du versement de 20 millions d’euros de subventions de coûts fixes accordés aux entreprises fragilisées par les mesures de confinement et de 20 millions d’effacement de dettes publiques.

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Le tribunal de commerce de Lille doit examiner ce mercredi le plan de continuation de Camaïeu. Il prévoit la fermeture de 208 magasins et la suppression de quelque 500 emplois sur environ 2 600. « Tout le monde sait qu’il y a urgence » pour sauver l’enseigne, ce qu’HPB « est le seul » à pouvoir faire, après le retrait de divers candidats à la reprise, dont le fonds américain Gordon Brothers, a souligné M. Hubner auprès de l’agence de presse.

En cas de rejet du plan de relance par le tribunal de commerce, au terme duquel Camaïeu « se séparerait de 208 magasins structurellement non rentables », en garderait 308 et préserverait « 80 % des 2 600 emplois », l’entreprise risque la liquidation judiciaire, rappelle M. Hubner à l’agence de presse.

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Economie française : « l’emploi se porte-t-il bien parce qu’il est sous perfusion ? »

L’épaisseur du code du travail aux oubliettes, les difficultés de recrutement sont la nouvelle boussole des réformes, désignées comme le frein ultime au plein-emploi alors même qu’elles en sont un symptôme qui ne peut qu’empirer à l’approche du Graal. Quel que soit l’indicateur, barrières à l’embauche, pénuries, tensions, emplois vacants, la difficulté à recruter atteint en effet des niveaux inégalés depuis très longtemps. Le ministère du travail les attribue à de multiples causes : principalement le rythme très élevé des embauches, un déficit d’actifs, de compétences, l’inadéquation géographique en offres et demandes, la qualité des emplois, etc.

Cette complexité un peu ennuyeuse à analyser est éclipsée par des explications plus imaginatives : c’est la faute de l’époque, de la crise sanitaire, d’une prise de conscience existentielle, en particulier chez les jeunes dont l’engagement professionnel serait plus utilitariste que celui de leurs aînés, etc. dont même la loi sur la « réforme du travail » fait son miel : « les actifs modifient leurs aspirations professionnelles et changent davantage d’entreprise, voire de métier. Les entreprises connaissent de ce fait des difficultés de recrutement bien plus importantes qu’avant la crise ».

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Une occasion bienvenue de faire un sort à tout ce qui est susceptible de favoriser la très française « préférence pour le chômage ». L’assurance-chômage fait office de coupable idéal : les contrôles de Pôle emploi et les droits rognés ne suffisant pas, les chômeurs indemnisés continueraient de préférer le confort des allocations-chômage à la reprise d’emploi. C’est aller un peu vite : d’une part les chômeurs indemnisés sont une minorité, d’autre part leur nombre diminue très vite, alors que celui des demandeurs d’emploi inscrits mais non indemnisés est inerte.

« Grande démission » ou « grand licenciement »

Au-delà d’anecdotes évoquant des fraudes, les faits ne montrent pas que les règles d’assurance-chômage stimulent les difficultés de recrutement actuelles. En théorie, ce lien est possible, mais avant de l’invoquer il faut résoudre une énigme bien plus épaisse encore : pourquoi des chômeurs non-indemnisés n’acceptent-ils pas ces emplois vacants ? On l’ignore.

En outre, une règle d’assurance (chômage ou autre) optimale ne doit pas être définie par rapport aux comportements des fraudeurs, car elle serait sous-optimale pour l’immense majorité des autres assurés, qui ne fraudent pas. Le dossier de presse des chantiers du gouvernement pour le plein-emploi ne dit pas autre chose : 160 emplois vacants pour 1 000 chômeurs, cela ne laisse-t-il pas 840 chômeurs sans opportunité d’emploi ? Baisser les allocations de ceux qui sont indemnisés, y compris au motif de la conjoncture, n’y changerait rien.

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L’effet boomerang d’une gestion individualisée des performances

Gouvernance. Les données sur l’emploi mettent clairement en évidence le phénomène de « grande démission » (« La France vit-elle une “grande démission” ? », Dares, août 2022). Comme ailleurs dans le monde, notre marché du travail connaît, depuis la fin de l’année 2021, un accroissement exceptionnel des démissions de salariés comparable à celui des années 2008 et 1974.

Un tel mouvement présage de fortes turbulences économiques et sociales, comme le suggèrent ses précédents historiques. Les démissions touchent aujourd’hui tous les secteurs et créent dans les entreprises de fortes tensions pour recruter (Insee, note de conjoncture, septembre 2022).

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L’analyse macroéconomique interprète la « grande démission » comme un effet d’aubaine : les salariés profitent de la reprise post-Covid pour mettre les employeurs en concurrence. Il en résulte un intense débauchage interentreprises qui favorise l’augmentation des rémunérations et… encourage les démissions. Malgré un chômage de 7 %, il n’y a pas « d’armée de réserve de chômeurs » pour calmer le jeu, car toutes les compétences sont concernées par la tentation de jouer sur l’opportunité de gagner davantage.

Affaiblissement de la dimension communautaire

Une analyse microéconomique s’impose néanmoins si on veut comprendre pourquoi les collaborateurs ne préfèrent pas rester dans leur entreprise, quitte à y négocier des avantages puisque, finalement, ceux-ci devraient être accordés à ceux qui les remplaceraient. Pourquoi ce phénomène de démission ?

Un élément de réponse peut être suggéré par l’affaiblissement de la dimension communautaire de l’entreprise. Comme les analyses de terrain l’ont montré (L’Entreprise comme communauté, par Florence Palpacuer, Laurent Taskin et al., Nouvelle Cité, 256 pages, 20 euros), les bonnes conditions de travail ne se réduisent pas à des avantages financiers.

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La qualité des relations humaines et hiérarchiques favorise ou non l’existence de collectifs qui procurent à chaque collaborateur des ressources précieuses en matière d’entraide et de solidarité. S’inscrire dans des collectifs chaleureux allège le poids des efforts, si bien que, à revenus comparables, les conditions de travail paraissent bien meilleures.

Or, ces collectifs ont été malmenés durant les dernières décennies par une gestion individualisée des performances : on a encouragé les compétences et l’excellence personnelles, la fluidité des emplois et des changements de métier. Même les politiques dites « de qualité de vie au travail » ont visé l’individu, son bien-être voire son « bonheur ».

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Budget 2023 : 6,7 milliards en plus pour atteindre le plein-emploi

Emmanuel Macron en a fait son objectif pour le second quinquennat : atteindre le plein-emploi d’ici à 2027. C’est donc sans surprise que cette ambition se retrouve au premier plan du projet de loi de finances pour 2023. Le budget du ministère du travail, du plein-emploi et de l’insertion va ainsi être augmenté de 6,7 milliards d’euros (pour un budget d’un peu plus de 30 milliards dont près de 10 milliards de « taxes affectées »).

Les principales hausses de crédits par rapport à 2022 (hors plan de relance) concernent les aides en faveur du développement de l’alternance, la dotation à France Compétences, ainsi que la poursuite des pactes régionaux du plan d’investissement dans les compétences, financés pour moitié par des crédits budgétaires en 2023. Pour atteindre son objectif de 1 million de contrats d’apprentissage signés, le gouvernement met notamment sur la table 3,5 milliards d’euros pour les aides à l’embauche d’alternants.

Le budget 2023 permettra également de démarrer des actions visant à accompagner la préfiguration, commencée le 12 septembre, de France Travail, futur guichet unique pour les demandeurs d’emploi. Une réforme qui sera mise en place en même temps que celle du revenu de solidarité active afin « d’améliorer l’accompagnement des chômeurs les plus éloignés de l’emploi ». Toujours dans l’optique du plein-emploi, Pôle emploi, qui a mis en place un plan visant à recenser les chômeurs susceptibles de travailler dans les secteurs en tensions, conservera le renfort d’effectifs obtenu en 2022, avec 969 équivalents temps plein.

Les éléments du projet de loi de finances 2023

Le projet de loi de finances 2023 devait être présenté, lundi 26 septembre en conseil des ministres, en même temps qu’une nouvelle loi de programmation des finances publiques fixant une trajectoire budgétaire sur cinq ans.

A Toulouse, les ambitions du sous-traitant aéronautique Mecachrome

Les annonces se succèdent et se ressemblent pour Mecachrome. Lundi 19 septembre, le fabricant de pièces de structures et de moteurs d’avion déclarait prendre une participation majoritaire dans le capital de Rossi Aero, une PME toulousaine spécialisée dans la production à la demande de pièces et équipements en petites et moyennes séries. Cette manœuvre s’inscrit dans le cadre d’une stratégie industrielle.

« Cette entreprise est capable de produire des pièces en cycle court et donc très vite, estime Christian Cornille, président de Mecachrome. Son apport est significatif pour nous, car il permet de compléter notre offre de services. » Cette opération de consolidation n’est pas la première de l’équipementier, dont le siège se trouve à Blagnac (Haute-Garonne), à proximité d’Airbus, son principal client. Le 29 août, le sous-traitant frappait fort en officialisant son mariage avec Weare, un groupe sis à Montauban, né en 2016 du rachat de plusieurs entreprises pour produire des pièces mécaniques.

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C’est la conjonction de plusieurs facteurs qui a poussé Pascal Farella, président de Weare, à accepter cette union. « L’entreprise familiale avait atteint ses limites par sa taille, explique celui qui a été désigné directeur général délégué de la nouvelle entité. Et la quatrième génération de la famille n’était pas capable de prendre la suite. Pour pérenniser notre activité, nous devions évoluer et libérer le capital. Aujourd’hui, nous adressons tous les volumes et l’ensemble du spectre technologique recherché dans la pièce élémentaire. »

Consolidation du secteur

Ce poids lourd industriel, avec ses 3 700 salariés et 20 usines, se targue d’être l’un des cinq grands fabricants européens de pièces capables de s’adapter aux commandes croissantes de ses clients avionneurs et motoristes. En s’appuyant sur ses usines, qu’il souhaite spécialisées et automatisées, Mecachrome entend partir à la conquête du marché aéronautique américain, tout en diversifiant son activité dans l’automobile et la défense. Cette restructuration n’est pas une surprise : déjà, à l’été 2021, le groupe avait annoncé la couleur en rachetant Hitim (axes de trains d’atterrissage et arbres de moteurs d’avion).

En immobilisant les avions au sol, le Covid-19 a coupé les ailes de l’aéronautique, le poumon économique de la région Occitanie

« Elle fait partie de notre feuille de route, précise M. Cornille, ex-numéro 2 d’Airbus Helicopters, nommé en juin 2019 à la tête du sous-traitant, alors dans le rouge, pour mener cette transformation. Les donneurs d’ordre parlent depuis longtemps de la consolidation du secteur. Il fallait franchir le pas. » C’est la pandémie qui accélère le mouvement. En immobilisant les avions au sol, le Covid-19 coupe les ailes de l’aéronautique, le poumon économique de la région Occitanie. Les fournisseurs, qui vivent principalement au rythme d’Airbus, accusent le coup : 6 200 salariés ont perdu leur emploi en 2020.

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Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée, annonce une formation en management pour les députés

Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale et députée de la majorité, lors des journées parlementaires du parti Renaissance, à Louan-Villegruis-Fontaine, le 6 septembre 2022

La présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet annonce, dans Le Parisien, lundi 26 septembre, le lancement d’une formation en management pour les parlementaires dans le but de mieux appréhender la relation avec leurs collaborateurs.

Interrogée par des lecteurs sur l’efficacité de la cellule d’écoute anti-harcèlement mise en place à l’Assemblée, Mme Braun-Pivet admet qu’« un député peut avoir parfois des exigences vis-à-vis de ses collaborateurs qui vont au-delà de ce qui est raisonnable ». Pour elle, « les parlementaires n’ont pas forcément l’habitude de gérer une équipe de collaborateurs, ils n’anticipent pas forcément que leur mission est aussi soumise à beaucoup de tensions politiques, psychologiques, avec des horaires de travail parfois compliqués ».

Cette formation sera complétée par l’aide d’un coach, que le député pourra librement solliciter s’il juge avoir besoin de conseils dans son management, précise la présidente de l’Assemblée.

« Responsabilité personnelle »

Concernant les accusations de violences physiques et psychologiques qui visent respectivement Adrien Quatennens et Julien Bayou, – deux députés de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) –, Mme Braun-Pivet en appelle à la responsabilité personnelle.

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« C’est aux députés concernés de juger s’ils peuvent exercer leur mandat et représenter dignement les citoyens », dit-elle, tout en ajoutant que « les groupes politiques peuvent aussi décider s’ils n’acceptent pas en leur sein un député accusé de tels comportements ».

Reconnaissant avoir « giflé » son épouse, Adrien Quatennens a abandonné sa fonction de coordinateur de La France insoumise, mais reste pour l’instant député du Nord. De son côté, Julien Bayou, accusé de harcèlement moral par une ex-compagne, a été mis en retrait de la coprésidence du groupe écologiste à l’Assemblée, mais siège toujours en tant que député de Paris.

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Le Monde

« Il existe un lien très fort entre la qualité du travail et la santé publique »

Auteur du Travail à cœur et du Prix du travail bien fait (La Découverte, 2010 et 2021), titulaire de la chaire de psychologie du travail du Centre national des arts et métiers, Yves Clot analyse les conséquences de l’individualisation du travail.

L’individualisation du travail a-t-elle des conséquences sur la santé des salariés ?

Bien sûr. L’organisation du travail rend en partie malade. Elle fabrique des maux, qu’on laisse proliférer, pour ensuite tenter de les résoudre. Avec l’individualisation du travail, ce sont les conditions qui permettent de bien faire qui se dégradent. Les gens vont bien lorsqu’ils se reconnaissent dans ce qu’ils font et que, de temps en temps, ils sont fiers de ce qu’ils font. La majeure partie des problèmes de santé sont dus à l’activité « ravalée ». Ne pas faire un travail de qualité devient un poison s’il n’y a plus de discussion possible.

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Comment l’individualisation produit-elle de la solitude ?

Grâce aux outils numériques, ce qui s’est développé autour de la tâche et de la prescription du travail, c’est la communication formelle, observable. Mais tout ne se dit pas dans ces échanges. Quand on ne peut plus dialoguer sur ce que chacun considère comme la dégradation du travail, sur ce que les salariés n’arrivent pas à maîtriser, c’est un problème. A contrario, c’est un plaisir quand, entre collègues, on trouve la solution à l’angle mort, et qu’on s’entend sur la façon de l’aborder avec la hiérarchie. Si on renonce à mettre sur la table les angles morts, la solitude vient, petit à petit le poison agit, et la santé s’abime.

Connaît-on l’ampleur des dégâts ?

En 2014, le ministère du travail indiquait que 35 % des salariés de l’industrie et 37 % de la fonction publique (d’Etat ou hospitalière) déclaraient ne pas ressentir (toujours ou souvent) « la fierté́ du travail bien fait ». En 2021, 54 % des actifs occupés estimaient « ne pas pouvoir faire du bon travail » et « devoir sacrifier la qualité́ ». Ces chiffres progressent en permanence. C’est une question politique majeure, car mettre son intelligence au service de la dégradation des produits ou des services rend malade. Il existe un lien très fort entre la qualité du travail et la santé publique.

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De quelle nature sont les troubles de santé liés à l’organisation du travail ?

Les atteintes à la santé sont à la fois psychologiques et physiques, simultanément. On sait désormais que le geste empêché est à l’origine de troubles musculo-squelettiques. Empêché par manque de ressources. Quand on parle de stress, on parle de salariés qui n’ont plus les ressources pour faire face, parce que l’organisation ne leur donne pas ce qu’il faut pour réaliser un travail qui se tient.

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Le monde du travail à l’heure des grandes solitudes

Les années 2020 ouvriraient-elles l’ère du travail solitaire ? Comme une conséquence de la crise sanitaire qui, à l’instar du Covid long, ne se dévoilerait que progressivement. Le télétravail généralisé ces deux dernières années, puis l’essor des organisations de travail hybrides ont donné à l’individu une place centrale dans la relation de travail. Avec d’évidents avantages, notamment pour améliorer l’équilibre vie privée-vie professionnelle, mais révélant rapidement un profond mal-être des salariés : un sentiment d’isolement, voire de solitude. Le Baromètre Paris WorkPlace sur le retour au bureau en 2021 précise que 34 % des jeunes salariés travaillant dans un bureau en Ile-de-France affirment se sentir « souvent » isolés.

Une vague de fond que confirme la sociologue Danièle Linhart (L’Insoutenable Subordination des salariés, Erès, 2021) : « Si l’individualisme irrigue la société tout entière (…), le monde du salariat, jusqu’alors caractérisé par le rapport de force et le conflit d’intérêts collectifs, s’y engouffre de façon spectaculaire », écrit-elle.

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L’individualisation a d’abord été vécue comme un atout. Elle a consisté à redonner aux salariés une part d’autonomie qui n’avait cessé de décliner depuis la fin des années 1990 : c’était une liberté retrouvée. « Etre autonome, c’est valorisant, on se sent libre. Dans notre organisation, à chaque fonction correspond une personne qui a la responsabilité complète d’un portefeuille, témoigne une jeune salariée d’une association environnementaliste, sous le couvert de l’anonymat. Mais quand tout repose sur un seul salarié, l’enjeu est lourd. On se sent seul. La question de la réorganisation est récurrente dans notre association, car les salariés veulent être mieux épaulés. »

Plus d’autonomie, plus de responsabilité

Tout est question d’équilibre : 34 % des salariés interrogés pour le Baromètre annuel sur l’absentéisme de Malakoff Humanis attribuent les causes de leur arrêt maladie pour motif psychologique aux « exigences de leur travail », à commencer par « une trop grande ou trop faible autonomie dans le travail ». Sans autonomie, le salarié perd le sens de son travail. Mais le « nous devenu je » entraîne systématiquement une pression face au risque d’échouer, analyse la sociologue Sophie Le Garrec. L’autonomie gagnée se paye cher pour le salarié, qui porte seul la responsabilité de l’échec sans avoir vraiment eu la maîtrise des moyens pour atteindre l’objectif fixé par la hiérarchie.

Pourtant, quand la crise sanitaire a contraint les entreprises à redonner des marges de manœuvre aux collaborateurs en généralisant le télétravail, la jeune salariée de l’association environnementaliste a « saisi l’occasion pour gagner plus de flexibilité ». Comme elle, rappelle l’Insee, un salarié sur cinq a télétravaillé en moyenne chaque semaine de 2021, bien que le travail à distance coche de nombreuses cases sur la liste de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) des facteurs favorisant les risques psychosociaux. « Dans un premier temps, les salariés n’avaient vu que des avantages au télétravail, les inconvénients se sont distillés tout doucement. Quand on gagne deux heures de trajet matin et soir, on a tendance à dissimuler les problèmes », explique François Cochet, président de la Fédération des intervenants en risques psychosociaux (Firps).

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Quand le salarié télétravaille depuis… un camping-car

« On est en Norvège aujourd’hui, dans les fjords. » Depuis un an, Augustin Delaporte est l’incarnation même d’une catégorie de travailleurs en vogue : les « nomades digitaux », exerçant leur activité à 100 % en télétravail quand leur métier le permet. En effet, ce père de famille de 34 ans a pris le terme « nomade » au pied de la lettre : vivant dans un camping-car avec sa compagne et ses deux jeunes enfants, il change de camp de base chaque semaine.

Les règles sont simples : du lundi au vendredi, s’installer dans un camping avec Internet haut débit pour effectuer ses sept heures de travail quotidiennes, visiter la région et se déplacer le week-end, en privilégiant le camping sauvage, et recommencer la semaine suivante, ailleurs.

« En août 2021, ma femme était en congé parental et, comme je travaillais déjà à distance, rien ne nous retenait à Paris. On a vendu notre logement et pris la route pour une durée indéterminée », se souvient le vice-président produit chez Platform.sh, une entreprise spécialisée dans la création d’applications sur Internet. De la sorte, la famille a déjà visité l’Espagne, le Portugal, l’Italie ou encore les Pays-Bas.

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De toute façon, cette entreprise ne laisse pas le choix à ses salariés : hormis un minuscule siège à Paris, le travail se fait pour tous derrière leur écran personnel. C’est justement avec cette arme que la grosse start-up a réussi à attirer chacun de ses 370 salariés actuels : en quête de flexibilité totale, ses salariés sont donc « distribués » dans le monde.

Prioriser sa vie personnelle

Loin d’être un sacrifice, ce mode de vie témoigne simplement d’une volonté de prioriser sa vie personnelle. « Les relations qu’on construit en famille sont assez incroyables, témoigne le cadre. Nos amis nous manquent, mais c’était important pour nous de passer ce temps avec nos enfants avant qu’ils entrent à l’école. Nous allons limiter cela à deux ans. On goûte à des choses qui nous plaisent tellement… On a gagné en pouvoir d’achat et en qualité de vie par rapport à Paris. »

Augustin Delaporte le reconnaît, le sentiment de solitude au travail n’est jamais loin dans ces conditions, et les événements virtuels ne remplacent pas le contact informel : « On ne pourra jamais remplacer une pause-café par une visio. Certes, on en fait, on parle d’autre chose, on est très connectés sur différents canaux… Mais on ne se leurre pas. Ce sont des compromis, on gagne beaucoup à avoir cette indépendance. »

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Les moments partagés n’ont pas disparu : profitant de l’existence d’une carte des « platformers » dans le monde, Augustin Delaporte a fait quelques crochets pour passer une journée de travail en présentiel dans la ville de certains salariés. « Il y a déjà quatre pays où j’ai fait cela, notre parcours se fait en fonction de ça. De plus en plus de salariés émettent le souhait de rencontrer physiquement leurs collègues. »

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